Il en résulte souvent de surprenantes révélations, lamentablement improbables, comme en témoigne le discours destiné aux premiers missionnaires du Congo en 1883, attribué abusivement au roi Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha (1835-1909). En substance, il est reproché à l’ancien souverain belge, dans une vidéo devenue virale, d’avoir instrumentalisé des religieux catholiques, dans le cadre de son abominable projet de conquête coloniale, aux fins d’aliéner méthodiquement et d’asservir aisément les indigènes congolais. Or, la première apparition de l’ignoble discours hégémonique n’eut lieu qu’en 1971, lors d'un conflit entre l’État postcolonial (devenu Zaïre) et l’Église catholique romaine.
Africanisation ecclésiastique
Le cardinal Joseph-Albert Malula (1917-1989), militant engagé de l’africanisation ecclésiastique, avait d'abord soutenu le président putschiste Mobutu Sese Seko Ngbendu wa Za Banga, né Joseph-Désiré Mobutu (1930-1997), dans sa quête éperdue de légitimité, afin de mettre en place la fameuse « politique de l’authenticité ». L'inarrêtable dictateur de l'antérieur Congo-Léopoldville poussa le bouchon un peu loin, en créant notamment des cellules de la « Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution » au sein des institutions catholiques, abolissant dans la foulée les prénoms chrétiens au profit de longs noms autochtones fourretout.
Outré, le cardinal Joseph-Albert Malula manifestera sa franche désapprobation face aux « dérives du régime », lors de célébrations eucharistiques. Après avoir échappé de fort peu à une exécution préméditée, le prélat kinois enfilera la venelle de l’exil européen. Il subira ensuite de violentes campagnes de dénigrement dans les médias nationaux acquis au chef d’État solidement en poste.
Présumé discours léopoldien
En écho à l’intoxication officielle dans les médias, le célèbre artiste zaïrois de l'époque, Verkys Kiamuangana Mateta, chef de l’Orchestre musical Vévé, composa sur commande la chanson partisane « Na komitunaka » en 1972, fustigeant à fond l’aliénation imposée par le catholicisme occidental importé. Par surcroît, la chanson à succès évoquait en filigrane l’antagonisme persistant entre le « glorieux libérateur » Mobutu et le « factieux imposteur » Malula (1).
C’est dans ce contexte plutôt tumultueux que le présumé discours léopoldien, introuvable dans les archives coloniales, fut rédigé par des suppôts d’un régime totalitaire. Au reste, le Président Mobutu avait coutume de solliciter des contributions qui pouvaient attiser la fierté facile de son peuple et galvaniser le ressentiment patriotard contre moult années d'exploitation douloureuse du royaume belge.
Mouvement religieux favorable à Mobutu
En 1981, comme s’il importait de raviver la douleur des plaies profondes du passé, le texte du discours précité sera diffusé par la prophétique « Église indépendante africaine kimbanguiste », mouvement religieux favorable à Mobutu, à l’occasion convenue de l’inauguration d’un temple dans le village natal de son fondateur à Nkamba (2). L’objectif annoncé par ce mouvement, officiellement dénommé plus tard « Église de Jésus-Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon Kimbangu », était de délivrer à dessein l’Homme Noir de l’emprise politique et spirituelle occidentale.
Le texte querellé va resurgir ex abrupto en l’an 2000, sous la plume d’un universitaire camerounais qui l’aurait authentifié, les doigts dans le nez, non moins qu’un discours du souverain belge vers la fin du XIXe siècle (3). L’ambition avouée d’une telle « authentification » aurait été de montrer ouvertement la « programmation cynique, sans état d’âme, tout simplement criminelle, qui a préludé à l’introduction ou la venue des Missionnaires » en Afrique noire (4).
Frauduleuse publication
Bien que des religieux eussent effectivement servi d’éclaireurs au drame de la colonisation, la paternité des cruelles recommandations contenues dans le texte incriminé fut attribué au roi Léopold II, en s’affranchissant allègrement de la réalité historique. Comment ne pas alors penser à une frauduleuse publication malicieusement orientée, à l’instar du best-seller « Les Protocoles des Sages de Sion » (5), truqué au début du XXe siècle par la police secrète tsariste contre les Juifs et les Francs-maçons, en plagiant platement le pamphlet satirique « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu », qui dénonçait en 1864 un complot fictif visant à anéantir la chrétienté millénaire et à contrôler le monde entier (6) ?
En somme, nonobstant les cruautés indéniables des occupants belges, avec la complicité des roitelets locaux, le faux discours léopoldien relève de la manipulation politique contemporaine, sans pour autant contribuer à une quelconque approche constructive de l’histoire coloniale de l’actuelle république démocratique du Congo.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Ngalamulume K. « Léopold II et les missionnaires : Les circulations contemporaines d'un faux », Revue Politique Africaine, No 102, 2006.
(2) Bontinck F. « En marge du centenaire de la Conférence de Berlin (1884-1885) », Revue Zaïre-Afrique, 1984.
(3) Fokam P. Et si l’Afrique se réveillait, Éditions du Jaguar, Paris, 2000.
(4) Ibid.
(5) Taguieff P-A. Les Protocoles des Sages de Sion, Éditions Berg International, 1992.
(6) Joly M. Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, Éditions Mertens et fils, Bruxelles, 1864.