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Billet de blog 11 septembre 2023

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FRANCE-AFRIQUE : POUR UN JEU À SOMME NON NULLE

Il est devenu viral, dans plusieurs pays africains, d’évoquer « l’oppression et le pillage français » à travers l’esclavagisme, le colonialisme et l’impérialisme. De quoi s’agit-il, sachant que toutes les formes de servitude, d'avilissement et d'exploitation des êtres humains sont inacceptables, quelles que soient leur ancienneté et leur origine ?

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Le Sud précolonial, le Nord médiéval, l’Orient arabe et l’Occident négrier ont tous commis des crimes odieux contre l’humanité. Qu’est-ce qui peut donc bien pousser aujourd’hui une certaine Afrique postcoloniale à focaliser des discours de haine sur la France au passé esclavagiste, colonialiste et impérialiste, comme tant d’autres pays de la planète à différentes époques de l'histoire ? En réalité, la majorité des africains qui participent actuellement aux manifestations anti-françaises sont jeunes. Ils n’ont connu ni l’esclavage, ni la colonisation, ni même la Françafrique qui avait déjà perdu des plumes et des ailes dans les années 1990-2000. 

Schématisation appauvrissante 

Les chômeurs d’Abidjan ou de Cotonou, voire les migrants sénégalais ou maliens qui tentent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie, sont-ils franchement tourmentés par ces anciennes ignominies jusqu’au point de réclamer la résipiscence des descendants de bourreaux de leurs ascendants ? Les fautes politiques de la France ne sauraient expliquer seules l’engrenage des dissentiments qui s’emparent du jeune continent. Et pourtant, pendant des décennies d’indépendances proclamées, moult occasions opportunes eurent lieu pour dénoncer avec fermeté le soutien complice de la « fille aînée de l’Église » à des dictatures compradores.

De fait, il semble d’une schématisation appauvrissante d’attribuer invariablement aux politiques d’antan l’ensemble des disgrâces et des calamités du continent, sans pour autant impliquer les gouvernants qui se sont facétieusement succédés depuis les années 1960. Comme le souligne à juste titre l’historien camerounais Achille Mbembe, « Un certain nombre de choses qui sont reprochées à la France ne sont pas de sa responsabilité mais de celle des gouvernants africains » (1).

Bas-fonds vieillot et fruste

Avec la fin de la guerre froide et l’avènement du multipartisme en Afrique, n’a-t-on pas assisté au bricolage et au tripatouillage des scrutins électifs par des pouvoirs souvent corrompus ou illégitimes ? L'époque du cabotinage démocratique paraît désormais en déclin, alors que la jeunesse massivement sacrifiée sur l'autel de malversations polymorphes cherche dans de violents tumultes les expédients pour se débarrasser de régimes éhontés et hâtivement assimilés à l’ex-empire colonial. 

Au-delà de la haine exprimée ici et là, alimentée par la propagande venue d'ailleurs et suscitée par les désappointements de la gouvernance postcoloniale, les réactions hostiles relèvent davantage d’un désenchantement, à l’instar d’un bas-fond vieillot et fruste qui mérite d’être radicalement transformé et revitalisé. En effet, l’environnement international est devenu multipolaire et réfractaire aux monopoles historiques, avec l’émergence notable de pays comme la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde, la Malaisie, la Turquie ou les Émirats arabes unis. 

Registre de maladresses 

Ces réalités difficilement contestables devraient emmener les anciennes puissances dominantes (comme la France) à faire peau neuve de géostratégie et à définir consensuellement, avec leurs partenaires africains, des modèles de coopération plus justes et favorables à toutes les parties prenantes dans le cadre rénové d'un jeu à somme non nulle, dépouillé de paternalisme ombrageux ou de condescendance humiliante.

Dans le registre de maladresses, les interventions armées et les bases militaires françaises en Afrique, lorsqu’elles s’avèrent durables et de performance douteuse, sont assimilables, à tort ou à raison, à des leviers sournois d’occupation pérenne dans des pays présumés souverains. En outre, l’obtention de visas d’entrée est, selon l’ex-ambassadeur de France Jean-Marc Simon, « un véritable parcours du combattant qui pénalise d’abord les étudiants », tout en étant « responsable des drames qui se produisent régulièrement en mer » et dans le désert cruel saharien (2).

Revendications légitimes

L’autre marque d’hostilité grandissante est le franc CFA. La France stocke 50 % des réserves de change des pays concernés auprès de son Trésor public, rémunérées à raison d’un intérêt limité à 0,75 %. À défaut d’une réforme significative, une monnaie souveraine serait de bon aloi, mais à la condition d’une politique financière rigoureuse. Elle pourrait ainsi être introduite de manière négociée, dans la mesure où les élites dirigeantes et les agents économiques locaux ont tendance à s’accommoder du franc CFA, en raison de sa stabilité et de son arrimage à l’euro, contrairement au naïra nigérian ou au cedi ghanéen qui fluctuent de façon erratique (3).

Du côté des esprits qui s’échauffent et abondent de récriminations imagées, il y a lieu de reconnaître des revendications légitimes qui ne se traduisent pas forcément en un rejet définitif de la France, mais plutôt de sa politique internationale, notamment dans les pays subsahariens.

Contre-vérités 

S'agissant du « pillage généralisé de l’Afrique » souvent ressassé, le continent entier a certes un produit intérieur brut proche de celui de la France, mais il ne joue qu’un rôle mineur dans son économie. En 2022, par exemple, les pays subsahariens représentaient un niveau record de 2 % du commerce extérieur français et les quatorze pays des zones CFA un taux de 0,5 %. Quant aux investissements de l’Hexagone en Afrique, ils n'étaient que de 2,5 % de son stock d’investissements directs étrangers (4). 

Dans le secteur des hydrocarbures, les importations françaises d'Afrique proviennent principalement du Nigéria (10 %), de l’Algérie (8,9 %) et de la Lybie (6,3 %), les pays des zones CFA n’ayant qu’un poids insignifiant. Nous sommes donc éloignés d'un « pillage généralisé », constamment signalé par des esprits d’emprunt qui véhiculent des idées reçues et des contre-vérités se prêtant à des attentes absurdes et inconséquentes.

Fierté afro-futile

Avec une facile fierté afro-futile, les filles et les fils du continent ont adopté, parfois malgré eux, un mode de vie importé, à la fois critiqué et désiré, mais typique des contradictions tenaces en présence. De telles discordances poussent malheureusement à faire semblant dans diverses sphères sociétales, même lorsqu’il s’agit de s’investir dans le sauvetage religieux des âmes, le lien vertueux avec les activités professionnelles ou la libération factuelle de l’Afrique. Aussi convient-il de battre en brèche une légèreté têtue, selon laquelle les ressources naturelles seraient fatalement salutaires, en l’absence d’une gouvernance exemplaire. 

En guise de badinage, il suffirait que la France, dans sa repentance de forfaits historiques, découvre une terre inconnue pour offrir des visas dans tous les azimuts, et l’Afrique serait rapidement dépeuplée en même temps que l’Hexagone serait à nouveau vénéré. Hélas, plusieurs élites en vue s’emploient à attribuer les échecs du continent meurtri aux seuls facteurs exogènes ! À quand la « lionitude » qui consiste à bondir sur la véritable proie de misère, au détriment de la fausseté existentielle qui conduit allègrement à la recherche récurrente de boucs émissaires ?

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

(1) LO NK et Bouboutou-Poos R-M. « Sentiment anti-français : quelle est son histoire en Afrique et pourquoi il resurgit aujourd'hui ? », BBC Afrique, 22/05/2021.
(2) Simon J-M. « Le sentiment anti-français en Afrique. De quoi parle-t-on ? », Revue de géopolitique Conflits, 14/06/2023.
(3) Kodjo-Grandvaux S. « Les Africains n’ont pas besoin d’une monnaie unique », Le Monde Afrique, 19/01/2020.
(4) Trésor DG. « Les échanges commerciaux et les investissements entre la France et les pays d’Afrique subsaharienne en 2022 », Objectif Afrique, numéro 236, 07/06/2023.

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