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Billet de blog 11 décembre 2023

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DIEU ET SPINOZA : UNE RELATION INCOMPRISE

Baruch Spinoza (1632-1677) est un philosophe néerlandais d’origine séfarade portugaise, excommunié en 1656 par la communauté juive d’Amsterdam et influencé notamment par Aristote, Descartes et Machiavel. Influenceur à son tour de penseurs comme Nietzche, Hegel ou Bergson, il est l’un des représentants majeurs de la philosophie rationaliste.

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Baruch Spinoza est un héritier impétueux du cartésianisme. Il comprend l’humanité par les appétences du désir, sa liberté par la nécessité de la vie, sa foi par les rapports entre religion et politique. Souvent considéré comme un ascète isolé, ayant puisé sa « science en enfer », il est enterré dans un cimetière protestant de la Haye. Pourtant, avant son dernier soupir, il aurait déclaré avec conviction : « J’ai servi Dieu selon les lumières qu’il m’a données. Je l’aurais servi autrement s’il m’en avait donné d’autres » (1).

Infinité de la divinité

En effet, dans le sillage de la tradition judéo-chrétienne, il apparaît que Spinoza consent la toute-puissance divine, mais dans une perspective plutôt distincte des religions monothéistes. La facile conception multiséculaire selon laquelle « seul Dieu peut » suppose que l’Éternel détient le pouvoir d’agir sur les circonstances à partir de son bon vouloir. Elle justifie généralement le recours à la liturgie, en vue d’implorer la miséricorde de l’au-delà. Or, cette commode interprétation de la faculté divine ne diffère en rien de celle des pouvoiristes, présumés aptes à modifier la société et la condition des peuples en fonction de leur volonté prétendue suprême.

Ce faisant, Baruch Spinoza critique les allégations qui tendent à attribuer à « l’Être créateur » un comportement commun aux homo sapiens et un rôle vulgaire d'humain. Il part de l’idée de « perpetuas » pour montrer qu’il n’y a rien, en dehors de Dieu, susceptible d’entraver un caractère illimité au monde (2). À cette conception d’infinité de la divinité s’ajoute la signification même de Dieu qui conditionne la compréhension de sa puissance inégalable, obéissant aux lois qui sont d’emblée fixées par la nature, dont elle constitue l’expression continuelle la plus parfaite et intégrale.

Libertinage vaniteux et enthousiaste

De manière laconique, Dieu est ainsi la Nature, la Substance unique et infinie, selon le philosophe Spinoza. Il est extraordinairement au-dessus de tout ce qui a lieu. Est-ce antinomique avec l’idée habituelle qu’il est présent partout ? Que nenni ! La doctrine de l’infortuné néerlandais s’appuie, sans chapelle précise, sur une définition philosophique construite et sur sa démonstration à lui de l’existence de Dieu. Aussi n’est-il pas athée ni irréligieux, comme l’assènent des ouvrages multiples depuis le XVIIe siècle.

Il faudrait vraisemblablement trouver chez cet ancien élève rabbin éclectique, passionné de philosophie, de théâtre, de littérature, de médecine, de physique, d’histoire, de mathématique ou encore de politique, une sorte de libertinage vaniteux et enthousiaste, couplée à l’obstination à faire croire qu’en l’amour de Dieu consiste une félicité nécessairement solitaire. L’auteur de l’écrit « Éthique », dont la devise « caute » en latin renvoie à l’idée de « précaution » ou de « prudence », prétend imprudemment que « la récompense de la vertu est la vertu même et que le châtiment réservé à la déraison […], c’est précisément la déraison » (3).

Principe panthéiste indissociable de la nature

Nonobstant, il y a lieu de reconnaître que Spinoza, comme Hobbes avant lui, montre combien d’assertions théologiques et diversions ecclésiastiques s’avèrent, en réalité, des exégèses souvent éloignées des Saintes Écritures et des textes sacrés, alors qu'il sied assidûment d'en tirer la saine substantifique moelle, en s'abstenant de les travestir par des projets cupides ou des ambitions hégémoniques. Les méfaits du détournement des apports religieux prospèrent encore aujourd’hui dans le monde par aversion de l’inconnu, par expansion de l’immoralité ou par extension de l’injustice.

Sachant que la physique quantique a apporté la démonstration que l'observateur et le phénomène observé sont interdépendants, la science peine à départager le « hasard » et la « nécessité », selon les notions de Démocrite quatre siècles environ avant Jésus-Christ : « Tout ce qui existe dans l'univers est le fruit du hasard et de la nécessité » (4). Et le principe créateur ne signifie pas un Dieu personnifié qui aurait tout créé à partir de rien, mais plutôt un principe panthéiste indissociable de la nature, tel que l'entendait Einstein, ses deux mains plongées dans celles de Spinoza.

Incertitude et indétermination 

De fait, la science n'arrivera jamais à dissiper tous les mystères auxquels nous sommes régulièrement confrontés. Elle est même caractérisée par une sorte de rétrogradation sans fin. Derrière chaque réponse réputée scientifique se dissimulent invariablement moult autres interrogations insolubles ou provisoires. C’est ainsi que la mécanique quantique et la théorie du chaos ont introduit les notions spécifiques d'incertitude et d’indétermination.

En somme, il subsiste toujours une frontière à notre maîtrise des phénomènes éveillés ou endormis au sein de la nature, car nous en faisons partie nous-mêmes par patente impuissance devant Dieu. Aussi sommes-nous enclins à solliciter des levains de connaissances plus ou moins marqués de pertinence, à l’instar de l’immatérialité spirituelle qui convie à la rencontre éventuelle avec les divinités éternelles. Ayons l’humilité d’y prêter attention et l'intérêt d'y croire, quels que soient les noms que nous leur donnons, car nous n’avons rien à perdre sur Terre, qu'elles existent ou non !

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne 

(1) Spinoza B. Traité théologico-politique, Charles Appuhn, 2022.
(2) Lenoir F. Le miracle Spinoza : une philosophie pour éclairer notre vie, LGF, 2019.
(3) Spinoza B. Éthique, Armand Colin, 1907.
(4) Monod J. Le hasard et la nécessité : Essai de philosophie naturelle de la biologie moderne, Points, 2014.

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