L’actualité du moment se concentre sur le rôle historique d'Ernest Ouandié, alias « Camarade Émile », figure dominante de la guerre civile qui a opposé le régime postcolonial d’Ahmadou Ahidjo à l’Union des populations du Cameroun (UPC). Capturé et accusé de « multiples crimes », le « chef maquisard » fut condamné à mort en 1971 et réhabilité à titre posthume comme « héros national » en 1991. Il ne cesse de hanter les esprits, jusqu’au point de susciter des controverses sur sa mémoire et la profanation de sa sépulture (1), plus d’un demi-siècle après avoir subi la radicale peine capitale.
Refus de signer le recours en grâce
Ce jour du 15 janvier 1971 à Bafoussam, chef-lieu de la petite région de l’Ouest, le ciel est libre d'inquiétude, mais l'espace d'exécution manifeste une anxiété accablante. Serein devant la mort, le sourire aux lèvres en guise d’adieu, l’ancien dirigeant de l’UPC fait forte impression. Il va laisser un souvenir durable aux bourreaux parés et dépêchés pour lui ôter la vie. Eux qui s’attendaient plutôt à de longs sanglots bruyants et à de vaines supplications pitoyables implorant la clémence d'un « souverain » adoubé et installé par l’Hexagone.
En août 1993, Moussa Yaya Sarkifada, l’un des barons du régime du premier président camerounais Ahmadou Ahidjo, révèle dans ses « confidences » que l'héritier des leaders nationalistes Ruben Um Nyobè (abattu dans le maquis Bassa en 1958) et Félix Moumié (empoisonné à Genève en 1960) avait refusé de signer le recours en grâce ; à l’inverse de ses compagnons d’infortune, Mgr Ndongmo Albert, Fotsing Raphaël et Tabeu Gabriel, alias « Wambo le courant ». Ernest Ouandié avait alors répondu au chef d’État : « Prenez vos responsabilités ; moi je prends les miennes devant l’Histoire » (2).
Regarder la cohue et la mort en face
Selon le Fo’o chef des Bamendjou, Sokoudjou Jean Rameau, le héros UPCiste ne souhaitait pas que ses coaccusés soient exécutés comme lui (3), car il les considérait innocents et mettait fortement en doute l’authenticité du fameux « complot de la sainte croix », destiné à renverser le pouvoir de Yaoundé. Le prélat Ndongmo fut finalement gracié et les autres condamnés à mort furent fusillés sur la place publique de l’agglomération la plus importante du pays Bamiléké.
Avant d'être arrimé au poteau d’exécution qui devait le maintenir debout, l'ex-commandant de « l’Armée de libération nationale du Kamerun » aurait formulé ce message voilé : « Je vais certes mourir, mais je meurs sur la terre de nos ancêtres. Toi, quand viendra ton heure [...], ton âme en tourment et en peine ne connaitra jamais de repit » (4). Puis, en renonçant au bandage des yeux pour regarder la cohue et la mort en face, il entonna à mi-voix un air de ralliement patriotique. Atteint par la première salve du peloton militaire, il eut encore la force d'articuler le slogan « Que vive le Kamerun ! ».
Violences partagées et atrocités réciproques
Environ une vingtaine d’années après le martyr du « Camarade Émile », les parties directement prenantes ont toutes trépassé, en subissant leurs propres châtiments dans l’enfer de l’oubli. Par exemple, le Président Ahidjo, exilé au Sénégal, est décédé à Dakar en 1989, où il est inhumé au cimetière musulman Bakhiya de Yoff. Doublement condamné à mort par contumace pour « atteinte à la sûreté de l’État » du Cameroun, il est réhabilité en 1991. L’ironie du sort, c’est qu’il l’est au même moment que ses anciens opposants assassinés (Ruben Um Nyobè, Félix Moumié et Ernest Ouandié).
Nonobstant les violences partagées et les atrocités réciproques commises durant la guerre civile, la paix s’est révélée précieuse par rapport aux horreurs de l’affrontement armé fratricide. La leçon à tirer de ces tristes événements est de préserver la paix, autant que faire se peut, en mettant en œuvre une gouvernance qui veille non pas à la disparition illusoire des tumultes, mais à leur maîtrise éclairée, à l’abri du hurlement des démons de la manipulation politicarde, de l'exécration tribaliste et de la désespérance sociétale.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
économiste et politiste
Lausanne
(1) Atcha M. « Profanation de la tombe de Ernest Ouandié : Valsero fustige un acte de destruction de la mémoire collective », Actu Cameroun, 10/03/2025.
(2) Ouandji B. « C’est Jacques Foccart qui était venu exiger l’exécution d’Ernest Ouandié », Mutations, N° 4064, 15/01/2016.
(3) Kuikoua F. « Ernest Ouandié Alias ‘‘Camarade Emile’’ – Hommage à un panafricaniste de la première ligne », JMTV Plus, 15/01/2021.
(4) Du Pont J-P. « Les dernières prophéties d'Ernest Ouandié », JMTV Plus, 29/10/2020.