Suite aux émeutes de 1955 contre la puissance administrante de la France au Cameroun, sous tutelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU), la formation politique de Ruben Um Nyobè, l’Union des populations du Cameroun (UPC), est interdite par l'occupant. Le 28 novembre 1956, l'UPC décide de militer pour le boycott du scrutin législatif prévu le 23 décembre 1956, car elle préférerait à bon droit une élection sous l'égide de l'ONU. Un fiasco partagé qui s'articule autour de la « position ferme des nationalistes » et du « compromis inacceptable » proposé par le Haut-commissaire Pierre Messmer, pourfendeur des idées présumées communistes, sous les ordres de Gaston Defferre, le ministre hiérarchique de la France d'Outre-mer.
Affrontement fratricide
Paul Soppo Priso, proche de l’UPC, tente d’apaiser les esprits (avec l’aval fallacieux de Messmer) et tend la main aux participants de la réunion d’Ebolowa, pour qu’ils se présentent sous la bannière de son parti Courant d’Union Nationale (CUN). Les partisans du boycottage l’emportent, et le CUN vole en éclats (1). Nonobstant, le Cameroun sous tutelle va bénéficier, au terme de la consultation électorale, d'un gouvernement destiné à le conduire vers l'indépendance. Le 2 décembre 1956, le parti indépendantiste, résigné à la clandestinité, se tourne vers la lutte armée, amenant des militaires coloniaux et leurs auxiliaires mieux équipés à s’attaquer aux désolants maquis et à y laisser sans scrupules des dizaines de milliers de morts évitables.
L’affrontement fratricide avec les détenteurs du pouvoir central, soutenus partialement à bout de bras par l’Hexagone, va alors remplacer l’embryon de négociation pacifique qui aurait prévalu jusqu’alors (2). Le 7 juin 1958, le « général » des troupes rebelles, Isaac Nyobè Pandjock, ancien soldat franco-camerounais de la Deuxième guerre mondiale, est tué dans un bref assaut. Le leader Ruben Um Nyobè tombe à son tour le 13 septembre 1958. En mai 1959, la rébellion se réorganise, avec le fort élan des héritiers, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Martin Singap, qui mettent sur pied « l'Armée de libération nationale du Kamerun ». À la fin de 1959, une grande partie de l'Ouest est en dissidence contre le régime répressif d’Ahmadou Ahidjo, installé et adoubé par la France colonisatrice (3).
Leçon significative à tirer
Avec le rejet du scrutin de 1956 et la triste réalité du conflit dans le maquis, aucun UPCiste n’obtiendra de mandat électif à l’Assemblée territoriale, qui allait devenir l’Assemblée législative du « Cameroun autonome sous administration française ». La rude malédiction du boycott électoral va ainsi faire perdre au mouvement dirigé par Um Nyobè Ruben et ses fidèles lieutenants l'option de participer à la gouvernance de leur pays et de peser sur l’avenir du nouvel État. Il en résulte qu'une cause justifiée ne concourt pas forcément à l’art de conduire l’action collective vers le meilleur résultat attendu (4).
Malgré les violences et les atrocités réciproques durant la guerre civile de 1955 à 1971 aux encâblures de la « Rio dos Camarões », la paix s’est révélée précieuse par rapport aux déplorables horreurs de l’affrontement armé fratricide. La leçon significative à tirer de ces tristes événements est de préserver la paix, autant que faire se peut, en accordant du crédit à une gouvernance qui veillerait non pas à la vaine disparition des tumultes, mais à leur maîtrise éclairée, à l’abri du hurlement des démons de l'ethnocentrisme insidieux, de la vile manipulation politicarde et de l'incitation publique à la haine.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Enoh Meyomesse D. Le temps du dialogue, EdkBooks, 2019.
(2) Mongo Beti. La France contre l’Afrique, La Découverte, 2006.
(3) Ramondy K et al. La France au Cameroun (1945-1971). Rapport de la commission "Recherche", Éditions Hermann, 2025.
(4) Boutat A. « Cameroun : la malédiction des boycotts électoraux », Mediapart, 23/03/2025.