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Billet de blog 15 octobre 2025

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LES GUERRES SONT-ELLES JUSTIFIABLES ?

Y aurait-il des guerres enclines à l’indulgence ? Cette question relève d’un débat de la philosophie politique, que l’on peut situer entre deux doctrines divergentes : le réalisme selon lequel le monde existe en soi, indépendamment de la conscience perceptive, et l’idéalisme d’après lequel le monde n’existe que par la construction active de l’esprit, tributaire de la conscience percevante.

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Dans le sillage des penseurs réalistes, il importe de distinguer la politique de la morale ; ce qui les amène conséquemment à séparer la conception de la guerre de l’idée de justice. La guerre relève alors d’une option pragmatique, opposée à une visée morale ou éthique, voire juridique. Théoricien italien de la politique, de l'histoire et de la guerre, mais aussi poète et dramaturge, Nicolas Machiavel y voit une préoccupation essentielle à la pérennité de l'État, requérant le subterfuge et la force pour la conquête ou la sauvegarde des intérêts nationaux (1). Écrivain prolifique et stratège militaire prussien, Carl von Clausewitz, quant à lui, considère la guerre comme une utile « continuation de la politique par d'autres moyens », un instrument visant à imposer la paix par l'usage de la force (2). Partie intégrante de la diplomatie internationale, la guerre multiforme est quasiment assimilée aujourd’hui à un outil légitime contre le redouté risque sécuritaire ou l’infirmation de l'ordinaire puissance étatique.

Dérogation à l'interdit d'envoyer ad patres

Réfractaire au réalisme, Jean-Jacques Rousseau, écrivain, philosophe et musicien genevois, argue que « la guerre n’est point une relation d’homme à homme mais une relation d’État à État », au mépris de la nature humaine qui est intrinsèquement pacifique (3). S'agissant d’autres idéalistes, à l’instar du philosophe allemand Emmanuel Kant, « Il ne doit pas y avoir de guerre ! » (4). Celle-ci implique de préjudicier ou d’éliminer son prochain ; ce qui ne correspond pas moins à une action délibérement immorale ou simplement amorale. Elle ne peut donc jamais être juste (jus ad bellum), quelles que soient les circonstances. Et la paix doit primer sur toute opération militaire comme un réel impératif catégorique qui subordonne la politique.

En somme, là où les réalistes concèdent à la guerre une légitimité politique, les idéalistes la rejettent sur le plan des valeurs. Attendu qu'elle est indubitablement liée à des souffrances, ses conséquences peuvent s’avérer difficilement conciliables avec l’idée fondamentale de justice. Aussi la guerre est-elle moralement injustifiable, car elle est une dérogation à l’interdit d'envoyer ad patres, convoyant une ruine potentielle de la cohabitation entre les peuples et les Nations. Assidûment plus dévastatrice par le biais de la technologie, la guerre engendre d'exorbitants malheurs et destructions. Serait-elle alors « un mal pour un bien » ? Si la guerre peut être exceptionnellement admise comme un « bien », elle ne le deviendrait qu’en contribuant nûment au rétablissement de la justice et de la paix, nonobstant le « mal » des dommages provoqués, qui rend inéluctablement suspects les arguments sournoisement mercantiles pour tenter de la justifier.

Problématique sportive en temps de guerre

Les antagonismes désastreux ne s’inscrivent-ils pas d’ailleurs dans une sorte d’échec des consciences, un signe vil de la bestialisation ou un évangile de la haine, incompatibles avec les fondements de la justice immanente et de la fraternité universelle ? Dans l’absolu, on chercherait vainement une éthique crédible entre les buts légitimes de la violence et ses moyens illégitimes. Avec regret, il n’y aurait de « guerre juste » que par délibération politique, et il n’y aurait de « guerre injuste » que par obligation morale. Dans ces conditions, les règles du droit international humanitaire (DIH) sont lointaines pour être unanimement interprétables et applicables. Par surcroît, moult belligérances armées sont plus aisées à engager que les conciliations pacifiques sont plus malaisées à dégager, réservant généralement la raison suprême au juridisme éclaté de la force et de la victoire.

Dans ce cadre réflexif, une lancinante problématique sportive en temps de guerre s’impose subsidiairement à l’esprit : les fédérations internationales défendent-elles équitablement les principes sacrés de justice et d’humanité en période de conflits ? Il y a parfois lieu d’en douter. En guise d'illustration, la Russie a été exclue des jeux planétaires de football par sanction de son invasion meurtrière de l’Ukraine, contrairement à Israël qui a participé aux qualifications du Mondial 2026 dans un contexte épouvantable sur la bande de Gaza. Les horreurs et les douleurs de la guerre ne sont-elles pas partout sensibles où rôde la mort, quels qu’en soient les motifs ?

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste 
Lausanne

(1) Fournel JL, Zancarini JC. Machiavel : Une vie en guerres, Passés/Composés, 2020.
(2) von Clausewitz C. Vom Kriege, Ferdinand Dümmler, 1832.
(3) Rousseau JJ. Du contrat social, ou principes du droit politique, Cazin, 1782.
(4) Kant I. Metaphysik der Sitten, Verlag von L. Heimann, 1870.

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