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Billet de blog 16 juin 2021

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MATIÈRE PREMIÈRE OU MATIÈRE GRISE ?

Le constat courant de l’intelligentsia active sur les réseaux sociaux, quant aux « scandaleuses » ressources minières de l'Afrique dont elle ne profite point, n’est pas absurde. Et la conclusion habituelle sur le développement incertain du continent n’est pas non plus saugrenue. Que faut-il en penser dans le contexte actuel de revendications plurielles, souvent touffues et désordonnées ?

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Il est regrettable que l'intelligentsia africaine loquace omette, chaque fois, d’esquisser une once de réponse aux interrogations sur l'avenir du continent le plus pauvre de la planète. Or, c’est sur cette réponse que réside précisément le principal obstacle, la véritable difficulté, la sourde exigence de solution à toute question fondamentale sur le réveil de la « Mère de l’humanité ».

Leviers de progrès inégalement répartis

Dussé-je encourir quelque fureur afro-futile, j’observerai que l’élite en vue sait constater et interroger, mais ne sait pas résoudre ses propres problématiques. D’ailleurs, une fois cette élite aux affaires, n’assiste-t-on pas souvent à des velléités prévaricatrices qui épousent à l'envi le système en vigueur et prennent finalement le dessus sur les initiales aspirations correctrices du temps passé ?

À mon humble avis, l’essentiel n'est pas de regorger des matières premières dans un sous-sol, mais d’exploiter les opportunités qui se présentent à la faveur d’une matière grise judicieusement orientée. Dans ce monde où les leviers du progrès sont inégalement répartis, les pays qui s’en sortent le mieux ne sont pas généralement ceux qui possèdent en abondance des ressources naturelles ou minières.

Les geigneries récurrentes contre « l’appropriation étrangère » de ces ressources prélevées en Afrique sont dérisoires. Imaginons l’absurdité provisoire selon laquelle l'espace occidental, la Chine et la Russie ne seraient plus intéressés par les minerais du sous-sol continental, qu’en feraient les pays qui en bénéficient ? 

Supposons encore que la surface géographique terrestre, connue pour ses « éléphants blancs », disposât de systèmes technico-industriels de transformation des matières premières en produits finis, où viendrait la demande dans ces économies de prédation singulièrement cloisonnées et tournées vers d’autres cieux ?

Le diamant est probablement éternel, mais combien d’adeptes subsahariens de Cupidon seraient-ils en mesure d’offrir à leurs dulcinées des parures confectionnées à partir de cette pierre précieuse pour faire prospérer les firmes productrices locales ?

Ce n’est point un secret que, depuis les « indépendances » proclamées, chaque fois qu’il y eut une moindre volonté d’émancipation politico-économique, la trahison assassine a laissé orphelines des générations en quête de héros, armées d’enthousiasme folklorique et a fortiori d’impuissance chronique.

Fléaux tenaces et concussions élitaires

À force de bourrer les peuples de misères, d’obligations, de mépris, on en arrive à les ahurir jusqu’au paroxysme du désespoir qu’ils en deviennent étourdis, je-m’en-foutistes ou ethno-cruellistes. Faudrait-il aussi attribuer ces dérives endogènes de gouvernance aux anciens colonisateurs à la gloire du soleil couchant ?

Il importe d’arrêter le délire selon lequel la situation de l’Afrique proviendrait seulement de tiers comploteurs étrangers. Sa trajectoire n’a cessé de souffrir de nombreux maux troublants : abâtardissements identitaires acycliques, conflits fratricides périodiques, désastres écologiques, coups d’État cycliques, autoritarismes endémiques, paupérismes systémiques... 

Ces maux traditionnellement récurrents présentent un diagnostic si sévère aujourd’hui qu’il semble illusoire de formuler un pronostic sur leur prompte guérison à partir de thérapies socio-économiques venues des continents asiatique, européen ou américain.

En complément de tels fléaux tenaces, force est de constater une expansion contemporaine des concussions élitaires dans tous les azimuts, une sorte de prolifération massive des vols à peine voilés qui constituent autant de freins rigides à l’envol économique. 

Dans le dernier rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), il y a notamment lieu de noter l’effroyable ignominie des flux financiers illégaux, provenant « de la corruption, du détournement de fonds, de l’abus de fonction, du trafic d’influence et de l’enrichissement illicite ».

Il en résulte que l’Afrique ne peut répondre aux défis polymorphes de l’heure, malgré les richesses potentielles de son sous-sol, sans révolution des mentalités ni sursaut industriel radical. L'émergence de ce continent martyrisé est davantage tributaire de la robustesse de sa confiance en lui-même et de l’abnégation de ses dirigeants que des matières premières au négoce d’infortune !

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste 
Lausanne

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