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Billet de blog 17 février 2025

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CAMEROUN : LE DANGER DU METS « OKOK-PIPI »

Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux fait apparaître une restauratrice, urinant dans une marmite qui contient un mets culinaire apprécié au Cameroun. Appelé « okok » en région francophone, le plat traditionnel est préparé avec les feuilles d’une plante tropicale qui est présumée « miraculeuse » et censée soigner des maladies graves comme l'hypertension, le paludisme ou le SIDA.

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Le mets prisé a pris récemment le nom de « okok-pipi », à la suite du scandale provoqué par la vidéo évoquée supra. En effet, aux réels ingrédients habituels (feuilles de gnetum africanum, arachide, pulpe de noix de palme, sucre, sel et eau) s'est surajoutée l’urine humaine pour la confection des repas commercialisés dans un vaste quartier populaire de la capitale politique Yaoundé. Le liquide organique est sécrété par les filtres rénaux sanguins de la patronne des lieux et évacué par son urètre directement dans la marmite de cuisson.

Clientèle non informée

Ce liquide organique est en principe stérile aussi longtemps qu’il n’est pas expulsé de l'extensible vessie, située sous l'abdomen et susceptible de contenir 200 à 500 millilitres de fluide excrémentiel. Force est cependant de constater que l’urine, produite par sécrétion et récupération de certaines molécules, peut entraîner des troubles sévères, dès lors que les toxines libérées par le corps patronal sont réintroduites dans les voies digestives de la clientèle non informée.

De manière générale, l’urine contient environ 95 % d’eau. Elle recèle aussi 5 % de différents déchets excrétés comme l'urée provenant de la dégradation des protéines, la créatinine qui est un rebut azoté du métabolisme musculaire, le calcium en trop issu de l’alimentation ingurgitée, l’ammoniac livré par décomposition des acides aminés, le potassium découlant des cellules corporelles et d'autres résidus moléculaires indésirables (sodium, urochrome, acide urique).

Indications estimables sur l'état de santé

En outre, la couleur et l’aspect du liquide biologique sont supposés donner quelques indications estimables sur l’état de santé (1). Dilué, il est quasiment incolore et limpide. Très concentré, il présente une couleur jaune intense. Le contraste significatif par rapport au jaune pâle peut s’avérer anormal. Si l’urine odorante est trop claire, n'est-elle pas un symptôme diabétique ? Assez foncée, ne révèle-t-elle pas une carence d’hydratation ? Plutôt rouge ou rose, ne signe-t-elle pas une infection urinaire ?  Moussante, n’est-ce pas l’indice d'un excès d’albumine, voire d'un dysfonctionnement rénal problématique ?

Au-delà de ces questions circonstancielles sur les manifestations de l’urine malsaine, quel serait l'intérêt gastronomique d’absorber ou de faire avaler un staphylocoque doré, accompagné d’autres agents pathogènes dans les vils déchets rejetés par l’organisme ? L'artiste Madonna a certes confié qu'elle urinait sur ses pieds « pour venir à bout des champignons » (2). Et le parangon antique du médecin, Hippocrate, préconisait la « boisson d’or » (3). Mais l’urine aurait-elle un pouvoir mystique proche de la sorcellerie ? Depuis la nuit des temps, l'interrogation est restée sans réponse crédible (4). 

Manifeste danger pour le bien-être

En réalité, il n’existe ni pouvoir mystique ni preuve scientifique de l’efficacité de l’urinothérapie, parfois présentée dans la médecine traditionnelle indienne ou chinoise comme un médicament naturel buvable contre de nombreux problèmes de santé (5). Le breuvage y est cependant volontaire et constitué du « pipi » propre à chaque patient, alors que « l’ingrédient urinaire » est ici imposé et fourni par la miction d’une tierce personne dans un restaurant de quartier.

Les repas « okok-pipi », proposés dans la gargote camerounaise aux pratiques dissimulatrices, ne peuvent que représenter un manifeste danger pour le bien-être des clients pris à l'évidence au dépourvu. Et la personne coupable, désormais mise aux arrêts après sa fuite dans l’arrière-pays méridional, devrait être sanctionnée par le Code de la consommation et la législation protectrice de la santé publique.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
économiste et politiste 
Lausanne

(1) Cardenas J. « Les différentes couleurs d’urine et leur signification », Doctissimo, 11/06/2024.
(2) Jeanblanc A. « L'urine, témoin de notre santé paré de mille vertus », Le Point, 26/05/2017.
(3) Vitrac B. Médecine et philosophie au temps d'Hippocrate, Presses universitaires de Vincennes, 1989.
(4) Giordan A. Le rein a bon dos : petit traité sur un organe aux mille fonctions, Éditions JC Lattès, 2017.
(5) Pujot M. « Peut-on vraiment boire son urine ? », Santé Magazine, 24/01/2024.

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