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Billet de blog 19 juin 2025

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CONNAISSANCE DU PASSÉ ET MORALE DE L’HISTOIRE

Les Camerounais semblent de plus en plus intéressés par les événements de leur passé, notamment depuis la publication du « rapport mémoriel » de la Commission franco-camerounaise, mandatée par les présidents Paul Biya et Emmanuel Macron, pour faire la lumière sur « l’engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d'opposition entre 1945 et 1971 » (1).

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C’est particulièrement en période d'équivoques perceptibles qu’il est d'usage d’interroger l’Histoire, en lui empruntant la précaution du temps long et en lui restituant son exaltation devant des situations hermétiques ou énigmatiques. D'une manière laconique, l’Histoire n'est pas seulement une exploration du passé, mais également une compréhension du présent et une base d'inspiration exploitable de divers scénarios de l'avenir. Aussi est-elle pourvue d'interprétations, de représentations, d'omissions, de spéculations ou de frictions (2).

Bisbilles professorales contagieuses 

Dans le registre des controverses curieuses, il y a lieu de se souvenir des bisbilles professorales contagieuses, dans lesquelles d'ordinaires enseignants de la discipline fondée par le Grec Hérodote (Ve siècle av. J.-C.) furent naguère fustigés par leurs concitoyens universitaires pour cause de « participation précipitée » à la Commission franco-camerounaise susmentionnée. Entre le marteau et l’enclume, ils furent même accusés par certains de leurs furieux collègues de « complicité infâme » dans l’abâtardissement de l’identité narrative nationale, sous l’influence de la « France néocolonialiste », dont les « massacres connus » n’auraient nullement besoin de sa propre initiative pour se révéler des actes « profondément monstrueux ».

Il aurait suffi, selon le Professeur Daniel Abwa, alors président de la Société Camerounaise d’Histoire, de les creuser et de « justifier la transformation de l'accusation formulée contre ces actes en crimes contre l'humanité » (3). Pour son confrère, le Professeur Jean Koufan Menkéné, l'un des 15 membres désignés du volet « Recherche » de la Commission franco-camerounaise, il s'agit typiquement là d'une réaction consistant « à se défausser sur l’étranger [et] à dédouaner les autorités [nationales] de toute responsabilité ». Les motifs y seraient personnels et fort éloignés du mandat confié au groupe de travail mixte pour l'élaboration d'une mémoire commune. Jean Koufan Menkéné s’emploiera ensuite à inscrire l'éclat académique de Daniel Abwa au crédit « d’autres considérations qu’à l’immense contribution [élitaire] à l’enrichissement de l’historiographie ».

Aubaines passantes et tournantes

Bon Dieu d'Histoire ! Encore des frictions réciproquement bourrées de morgue, sans valeur objective ni profondeur effective. À la faveur d'un chœur professoral discordant, les innocents soupçonnés de « chantres du néocolonialisme » ne sont plus aujourd’hui isolés dans le landerneau obèse des jérémiades récurrentes. Quelques-uns de leurs détracteurs les plus acharnés hier ont fini par participer, eux aussi, aux réflexions mixtes, dont la  « construction mémorielle » qui a récemment eu lieu à Yaoundé autour du discours de Charles de Gaulle, prononcé lors de l'exil du Général à Londres. À chacun son tour sur la table alléchante des aubaines passantes et tournantes !

Pendant que la Nation de Macron commémore les 85 ans du célèbre discours radiophonique du 18 juin 1940, la majorité de ses enfants ignorent que Brazzaville fut la capitale de la « France libre », et non Londres que leurs présidents ont coutume de « glorifier » (4). Sans l’odyssée des héros de l’ombre qui se sont ralliés à de Gaulle en août 1940, au Cameroun et en Afrique-Équatoriale française, le Général aurait disparu tôt d'une hémorragie de légitimité internationale.

Dépassement des rancœurs

Au-delà de l’oralité gaullienne, jadis en exhortation heureuse à la Résistance française, et de la conduite de l’Hexagone, notoirement honteuse dans ses anciennes colonies, des attitudes plus vertueuses sont pensables, en marge des criailleries et geigneries invariables, à vocation manichéenne, sans nuances subtiles ni compromis fertiles pour un dépassement des rancœurs. Certes, il n’est pas question de taire les critiques légitimes contre la France et le Cameroun, mais des gasconnades pseudo-intellectuelles devraient être substituées par des voies de la sagesse, à travers la négociation collaborative des protagonistes, en vue d'un respect mutuel et d'une coopération transparente qui favoriseraient un véritable partenariat équitable.

Il en résulte que la démarche reposant sur le double support de la connaissance du passé et de la morale de l’histoire est défendable, fors les défauts, par exemple, d’occulter des facteurs significatifs indigènes, d'être captif des schèmes mentaux de la présence de la France au Cameroun ou de ressasser à tire-larigot la « fierté » selon laquelle « la métropole fut sauvée par les tirailleurs enrôlés de force pour servir de chair à canon aux Allemands ». Par ce type de défauts d'appréciations subjectives, l’appréhension reviendrait à faire litière de la substantifique moelle nécessaire à une complexe intellection féconde des relations instructives et édifiantes entre les deux pays.

Chamailles égocentriques bruyantes

En effet, dans une saine perspective, la jeunesse gagnerait à extraire des faits historiques moult enseignements réflexifs tels que le souci de discerner le présent à la lumière du passé, la capture en masse de tendances futures, le changement des mentalités négatives comme vecteur ardent d'adaptation des comportements révélés par divers événements marquants, le refus obstiné de la distinction haineuse ethnique, la patience par-devant les difficultés du vivre-ensemble, la vive résilience face à la déstabilisation de l'existence, l'aiguillon du patriotisme lié à des valeurs de probité, d'objectivité, de ténacité, de fermeté et de volonté dans la sauvegarde des intérêts collectifs.

À l’inverse, il est regrettable d’assister usuellement à des chamailles égocentriques bruyantes, alourdies de querelles interpersonnelles et de vétilles antagonistes, qui font bon marché de la déconstruction salvatrice des habitudes néfastes comme l’entichement fortement têtu aux préoccupations alimentaires et aux prévarications élitaires. En Histoire comme dans bien d'autres domaines essentiels de la vie, l’aléa majeur est de bayer aux corneilles, sans emprise réelle sur une stimulante intégration globale des facteurs d’émergence ni sur une agissante contenance orientée vers l'essor de la Nation tout entière.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste 
Lausanne

(1) Ramondy K. et al. La France au Cameroun (1945-1971). Rapport de la commission "Recherche", Éditions Hermann, 2025.
(2) Heers J. L'histoire assassinée : les pièges de la mémoire, Éditions de Paris, 2006.
(3) Boutat A. « Bisbilles élitaires postcoloniales », Mediapart, 25/02/2025.
(4) Jennings E.T. La France libre fut africaine, Perrin, 2014.

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