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Billet de blog 20 août 2025

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INÉLIGIBILITÉ PRÉSIDENTIELLE AU CAMEROUN : UNE REQUÊTE POUR RIEN

Dans une vidéo devenue virale, Akere Muna, candidat à la présidentielle du 12 octobre 2025, déclare avoir déposé devant le Conseil constitutionnel une requête en constatation d’inéligibilité du président Paul Biya. Selon le requérant, le chef d’État sortant, en fonction depuis 43 ans, n'aurait ni la légitimité ni la capacité, à l'âge vénérable de 92 ans, de briguer un huitième mandat.

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Dans cette requête inattendue par le landerneau politique, Maître Akere Muna s'appuie sur l'article 118 du Code électoral qui dispose que : « [1] Sont inéligibles les personnes qui, de leur propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou d’intelligence vis-à-vis d’une personne, d’une organisation ou d’une puissance étrangères ou d’un État étranger. [2] L’inéligibilité est constatée par le Conseil Constitutionnel dans les trois (03) jours de sa saisine, à la diligence de toute personne intéressée ou du ministère public. » (1).

Dossier de requête juridique

Postulant à la présidentielle sans domicile fixe partisan, l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun a dû s'astreindre à emprunter le covoiturage politique de la formation UNIVERS pour se donner un semblant de légitimité. En l'occurrence, il proclame avoir fourni un dossier de requête juridique d’une dizaine de pages, contenant des publications de presse, des photos, des vidéos et une expertise gériatrique (2). Comme « avocat ayant 36 ans de métier, [il] pense que [sa] requête est fondée [et] demande d'urgence au Conseil constitutionnel de faire son travail dans l’intérêt des Camerounais », en invoquant « l’incapacité physique et cognitive de Paul Biya ».

Bon Dieu de droit constitutionnel ! Il s'en dégage des risques de confusion équivoque de la dépendance « vis-à-vis d’une personne, d’une organisation ou d’une puissance étrangère [...] », prévue à l’alinéa 1 de l’article 118 de la loi électorale, et une forme abrupte de glissement sémantique vers la dépendance médico-fonctionnelle d’un citoyen qui n’aurait pas « l'aptitude à diriger le pays ». Un tel amalgame peut s'avérer à la fois un entrelacs fallacieux d’arguments pour tenter de discréditer un concurrent politique et une sorte de désinformation pour s'évertuer à influencer l’opinion publique. Au final, il en résulte une improbabilité de garantir la cohérence et la fiabilité nécessaires à un raisonnement authentiquement juridique.

Notion amphibologique de dépendance

Si un candidat est présumé dépendant à l’égard des tiers, comment savoir qu'il l'est de son propre chef pour le disqualifier ? L'effet de la dépendance serait-il absolument distinct si le sujet aurait été placé, du fait causal de casuels fourbes, dans un état d'intelligence vis-à-vis d'eux ? Et s’il y aurait une dépendance médico-fonctionnelle, ne dériverait-elle pas d'un variable processus individuel qui, quel que soit l'âge, n'est pas arrêté d'avance ? Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel serait-il compétent pour élucider des circonstances douteuses de dépendance et d'inéligibilité y afférente ? La réponse à ces questions n'est pas légère comme la requête Muna, attendu que le pouvoir politique n'a pas légalement d'âge universel maximal (3).

En réalité, la notion amphibologique de dépendance, associée à la limite d'âge et à l'inéligibilité, n'est pas explicitement définie dans la Constitution, ni dans le Code électoral en vigueur. Ambiguë, peut-elle réellement s'imposer, sans rendre son contenu hasardeux, en vertu de facteurs médicaux officieux ou d'expertises sibyllines qui reposeraient sur d’intimes activités de la vie quotidienne (AVQ) du chef d’État sortant ? Et comment cette supposée dépendance serait-elle rigoureusement interprétable, sans être formellement rejetée par le Conseil constitutionnel en regard des conditions d'éligibilité définies dans la loi ? À moins d’être une requête pour rien, la brume apparaît épaisse dans la démarche du candidat du parti UNIVERS.

Évaluation relative de la dépendance

Avec l’Équipe de recherche opérationnelle en santé (ÉROS), nous avons introduit dans les États suisses intéressés, il y a plus de deux décennies, le système algorithmique PLAISIR en vue de la mesure de la dépendance médico-fonctionnelle de l'âge avancé à des fins de prise en charge thérapeutique (4). Bien qu'un compromis subsiste pour continuer à l’appliquer dans moult établissements médico-sociaux, la mesure de l'incapacité physico-cognitive reste partielle.

Eu égard à l’évaluation relative de la dépendance intégrale et des contestations invariablement possibles, existe-t-il un instrument consensuel au Cameroun pour exiger la possession potentielle des facultés mentales et physiques aux candidats ayant à cœur d’exercer la fonction de président de la République ? Il y a lieu d’en douter, en attendant que la requête de Maître Akera Muna fasse chou blanc.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste 
Lausanne

(1) Elecam. Code électoral, Elections Cameroon, 2013.
(2) Ougock A. « Cameroun : Me Akere Muna saisit le Conseil constitutionnel pour disqualifier Paul Biya », Koaci, 20/08/2025.
(3) Boutat A. « Y a-t-il un âge pour le pouvoir politique ? », Mediapart, 17/07/2025.
(4) Boutat A. et al. Projet CAREMS, Institut suisse de la santé publique, 1996.

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