Selon le Professeur émérite Samuel Efoua Mbozo'o, Nkolmbembe-Zambe signifie, en translittération française, « l'illustre montagne où résidait le Bon Dieu, comme pour dire qu'il y avait d'abord élu son habitacle, se nourrissant d'ambroisies et de merveilles dont il avait bien voulu doter le coin ». Bref, une sorte de Jardin biblique d'Éden ou d’Olympe mythologique de Zeus, en harmonie pérenne avec la nature tropicale.
Paysage apocalyptique
Au-delà de la légende, la localité énigmatique est approximativement située à une centaine de kilomètres de Sangmélima, chef-lieu départemental, et à une trentaine de kilomètres des villes de Bengbis et de Meyomessala. Elle fédère presque tous les maux des villages défavorisés : une absence de dispensaire, une absence d’eau potable, une absence d’énergie électrique, une absence de route carrossable...
L’école publique de base, construite à la mords-moi-le-noeud par des ressortissants de la contrée, dispose d’un instituteur formellement attitré qui, lorsqu’il s’estime personnellement disponible, officie en solo, à la va-comme-je-te-pousse, dès la Section d’initiation à la lecture (SIL) jusqu’à la fin du Cours moyen primaire de deuxième année (CM2). Peuplés de pygmées Baka et de Bulu, Nkolmbembe-Zambe et les hameaux avoisinants sont dotés d’une démographie inférieure à 12 000 âmes et d’un climat équatorial humide. L’agglomération a également la particularité de présenter un paysage apocalyptique à certains endroits de la forêt tropicale qui l'entoure.
Résister à toutes les vicissitudes
En fait, le périmètre de céans est périodiquement inondé par des eaux échappées du barrage hydroélectrique de Mekin, dont la centrale maîtresse joue manifestement l’arlésienne, malgré des dépenses d’investissement qui ont fait valser l’anse du panier public à hauteur d’une centaine de milliards de FCFA. Il faut oser accéder à ce périmètre, autant que faire se peut, en touchant du bois pour conjurer le mauvais sort. Jadis soutenus par un philanthrope helvétique, l'apitoyant pont colonial, du côté de Bengbis, est englouti, tandis que le payant bac fluvial, du côté de Meyomessala, fonctionne en dents de scie.
En cohabitation résignée avec des reptiles, des rongeurs et des vermines en quête de refuge, les damnés de la forêt du Dja survivent, en quasi-autarcie, grâce aux moyens de subsistance que leur procurent la chasse, la pêche, l’agriculture et l’élevage à petite échelle. Enclavés, ces humbles suent sang et eau pour résister à toutes les vicissitudes. Ils ont le dos large, les pieds dans le fleuve et les yeux sur le marécage. Mais ils ont aussi les bras, les jambes et le cœur de la dignité humaine.
Univers symbolique malmené
C’est à telle enseigne que les cours d’habitations, les caniveaux de drainages et les tombes de cimetières sont régulièrement assainis et entretenus. La superbe Église Saint-Pierre-de-Nkolmbembe-Zambe, aux lumineux vitraux des Anges, offerte par un discret donateur étranger dont l'un des parents naquit en brousse dans les années 1930, jouxte avec majesté un presbytère paisible et une école maternelle gratuitement accessible.
Ces réalisations audacieuses, loin d’être organisées selon les générosités de la nature ébranlée, sont initiées à contre-courant des défaillances étatiques. Elles bénéficient peu ou prou des contributions individuelles de bonne volonté et, notamment, du dévouement d’un jeune curé paroissial, qui, de connivence avec de courageux fidèles en rang d’oignons, s’active assidûment à de rudes besognes en marge de sa charge pastorale, participant ainsi, de facto, à la restauration progressive et incertaine d'un univers symbolique malmené.
Réserve du Dja
Créée en 1950, à l’époque coloniale française, la réserve de faune et de biosphère du Dja, qui héberge cette résiliente communauté villageoise dans sa partie occidentale, est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987, en raison de l’exceptionnelle biodiversité ambiante et de l’extraordinaire présence, sur une superficie de 526 000 hectares, d’espèces rares en voie de disparition.
Faute d’encadrement déterminé et approprié, la réserve est plombée par des détournements de fonds, contrariée par sa proximité avec la boîte de Pandore du barrage de Mekin et menacée de disqualification internationale. Nonobstant des patrouilles épisodiques d’une poignée d’éco-gardes corruptibles qui jouent à faire semblant, elle souffre en prime du braconnage allogène et de la déforestation allochtone.
Haut les cœurs !
À défaut d’une répartition équitable des armes de la raison et de la vertu, il y a lieu d’escompter l’effet naturel des compensations inévitables, effet par lequel le bien et le mal s’équilibrent, tôt ou tard, dans les destinées humaines. En espérant plus rapide et moins tumultueuse cette issue cyclique, levons-nous déjà pour que la forêt millénaire du Dja, l’un des « poumons verts » de la planète bleue, soit sauvée de la décrépitude destructrice et réhabilitée dans sa fonction régulatrice.
Haut les cœurs ! Ayons le courage ! À défaut de Jardin biblique d'Éden ou d’Olympe mythologique de Zeus, nous ne pouvons laisser un don de la nature, milieu d'innocence et d'harmonie entre les villageois et les animaux, succomber sous la négligence de la puissance publique. Il s'agit sans doute d'un environnement d'incomplétude, selon l'acception divine de Baruch Spinoza, mais il ne participe pas moins à la condition humaine. Sursum corda ! Habemus ad Dominum !
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne