Programmée en octobre 2025, l’élection présidentielle suscite un intérêt croissant au sein de la population, en dépit d'une expansion des comportements fielleux, des diffamations et des calomnies, sur fond de démarcations ethniques. En ce moment, des publications devenues virales tentent notamment de démontrer que l’investiture d'un candidat par un parti politique, dépourvu initialement d'une représentation nationale, s’avérerait « parfaitement recevable », du simple fait de l’enrôlement a posteriori de spectaculaires transfuges ayant préalablement démissionné de leur(s) parti(s) d'origine (1).
Union des Populations du Cameroun
Or, le Code électoral camerounais ne donne nullement carte blanche à une formation sans élu à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans un Conseil régional ou dans un Conseil municipal pour présenter un aspirant à l'élection présidentielle, en entreprenant tout uniment l’absorption hors scrutin de mandataires. Il y a inexorablement dans l’arène politique du Triangle des tumultes des légions de mauvaise foi qui semblent croire que les lois sont dédiées à leur seule exégèse, alors qu'elles s'adressent à n'importe quel citoyen nûment intéressé.
Dans ce cadre réflexif, « L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », aurait dit Karl Marx (2). C’est notamment en période de tumultes qu’il est d'usage d’interroger l’Histoire, en lui empruntant la précaution du temps long et en lui restituant son souffle face aux situations sibyllines. En effet, le 28 novembre 1956, l’Union des Populations du Cameroun (UPC), interdite après les émeutes de 1955, milite pour le boycott du scrutin législatif du 23 décembre 1956, car elle revendique une élection organisée par l’ONU. Un fiasco assuré, dont les causes partagées s'articulent autour des « positions radicales » des nationalistes et des « conditions inacceptables » du compromis préconisé par le haut-commissaire Pierre Messmer.
Affrontement fratricide
Paul Soppo Priso, proche de l’UPC, tente d’apaiser les esprits (avec l’aval fallacieux de Messmer) et tend la main aux participants de la réunion d’Ebolowa (3), pour qu’ils se présentent sous la bannière de sa formation « Courant d’Union Nationale » (CUN). Les partisans du boycottage l’emportent, et le CUN vole en éclats (4). Nonobstant, le Cameroun sous « tutelle » française va bénéficier, au terme de la consultation électorale, de son premier gouvernement destiné à le conduire vers l'indépendance. Le 2 décembre 1956, l'UPC, résignée à la clandestinité, se tourne vers la lutte armée, amenant naïvement les militaires coloniaux mieux équipés à s’attaquer aux désolants maquis et à y laisser des dizaines de milliers de morts déplorables.
L’affrontement fratricide, soutenu partialement à bout de bras par l’Hexagone, va alors remplacer l’embryon de négociation pacifique qui prévalait jusqu’alors. Le 7 juin 1958, le « général » des troupes rebelles, Isaac Nyobè Pandjock, ancien soldat franco-camerounais de la Deuxième guerre mondiale, est tué dans un bref assaut. Le leader indépendantiste Ruben Um Nyobè tombe à son tour le 13 septembre. En mai 1959, la rébellion se réorganise, avec l'élan des héritiers, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Martin Singap, qui mettent sur pied « l'Armée de libération nationale du Kamerun ». À la fin de 1959, une grande partie de l'Ouest est en dissidence contre le régime répressif d’Ahmadou Ahidjo, installé et adoubé par la France colonisatrice (5).
Front Social Démocrate
Avec le rejet du scrutin de 1956 et la triste réalité du conflit dans le maquis, aucun UPCiste n’obtiendra de mandat électif à l’Assemblée territoriale, qui allait devenir l’Assemblée législative du « Cameroun autonome » sous administration française. La rude malédiction du boycott électoral va ainsi faire perdre au mouvement initié par Um Nyobè et ses lieutenants la possibilité de participer à la gouvernance de leur pays et de peser sur l’avenir du nouvel État indépendant. Il en résulte qu'une cause a priori justifiée ne concourt pas forcément à l’art de diriger l’action collective vers le meilleur résultat probant.
Plusieurs décennies plus tard, le Front Social Démocrate (FSD/SDF) n'est pas épargné par les déconvenues du boycott électoral. Il s'est d'abord abstenu aux législatives de mars 1992 ; ce qui n'a nullement empêché son fondateur, Ni John Fru Ndi, de se présenter au scrutin présidentiel de la même année. Car, la loi qui définit les conditions de candidature aux élections, n'existe dans sa forme actuelle que depuis 2012. En 1992, « le chairman » obtint 36 % des voix contre 40 % en faveur du chef d'État sortant, Paul Biya. Avec le boycott de la présidentielle de 1997 et les trois scrutins ayant eu lieu dès 2004, les candidats du FSD vont essuyer une chute vertigineuse de 36 % des voix en 1992 à 3 % en 2018. Au terme des cinq élections législatives qui ont succédé au refus catégorique des urnes de 1992, le FSD verra le nombre de ses parlementaires fondre de 43 en 1997 à 5 en 2020.
Stratégie foireuse du boycott électoral
Comme jadis avec l'UPC, la stratégie foireuse du boycott électoral a entraîné, pour le FSD, la privation des opportunités saisissables. Par exemple, le retrait des listes aux législatives de 1992 fut une bévue politique, car les 36 % de voix à la présidentielle auraient bien pu lui donner des ailes d'envol pour contrôler l'Assemblée nationale, en négociant une large coalition avec les autres formations politiques de l’opposition. Pareillement, le boycott de l’élection présidentielle d'octobre 1997 a permis au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) de consolider son hégémonie à la tête de l’État, en accaparant 93 % des suffrages exprimés contre 40 % en 1992.
Par surcroît, le refus initial du FSD de contribuer au dialogue avec le régime en place, le rejet persévérant d’une entrée au gouvernement, la renonciation provisoire de briguer tout autre mandat électif que celui de la présidence de la république, la critique systématique des politiques conduites au niveau national, sont autant de dispositions infertiles d’un antagonisme viscéral. À la suite d'un constat d'échecs répétés, le FSD a dû se résoudre à une « opposition participative ».
Mouvement pour la Renaissance du Cameroun
À l'instar de l’UPC durant la guerre de 1955 à 1971 et du FSD depuis 1997, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) subit la malédiction du boycottage des élections nationales de 2020, qui auraient pu faciliter la candidature de son leader à la magistrature suprême en octobre 2025. La chapelle de Maurice Kamto s’est ainsi retrouvée sans élu, mais continue cependant de nourrir l’illusion d'être restée le principal parti d'opposition au RDPC. Aussi promet-il désormais, reconnaissant en filigrane sa faute politique, de prendre bien part « à toutes les élections à venir, notamment les élections législatives et municipales ainsi que la présidentielle en 2025 » (6).
Dans l'intervalle, un quarteron d'extrémistes du MRC, réunis au sein de la « Brigade anti-sardinards » (BAS), commettent des saccages dans des ambassades, empêchent par la force des artistes prétendus membres du RDPC de se produire hors de leur pays, tombent à bras raccourcis sur des ministres du gouvernement en mission et sur de hauts diplomates de l'État accréditant du Cameroun, tout en criant des menaces funestes sur la tenue de la prochaine présidentielle. Il serait intéressant de savoir qui inspire et finance les actes brutaux de ces petits malfrats reclus dans des milieux oisifs et crapuleux, où la gratuité des prestations prohibées est une crédule vue de l'esprit.
Code électoral en vigueur
De telles dérives délinquantes, portées à la violence, ne sont-elles pas suscitées par des commanditaires amers de l'effet boomerang du dernier boycott électoral ? Le rejet des scrutins de 2020 par le MRC fut pourtant vanté comme le « chef-d’œuvre d'un stratège érudit », appelé à « chasser » son ancien patron du pouvoir. Bon Dieu de droit public ! L’agrégé universitaire, après avoir proclamé publiquement qu'il était « pleinement conscient » des contrecoups du défaut de représentation nationale, s'active dorénavant à prouver le caractère anticonstitutionnel du Code électoral pour se présenter au prochain scrutin présidentiel. Comment cet avocat éprouvé et ex-ministre délégué auprès du vice-premier ministre, garde des sceaux, peut-il s’empêtrer dans de fumeuses interprétations politicardes d'une loi validée que le juriste réputé fait semblant de contester ?
Il apparaît pourtant que la loi de 2012 portant Code électoral en vigueur est sans ornement décoratif, mais d’une clarté qui crève les yeux, même si des illuminés du landerneau tumultueux y font des vaines gloses improductives. D'après l’article 121 de cette loi, « (1) Les candidats peuvent être : 1°) soit investis par un parti politique ; 2°) soit indépendants, à condition d'être présentés comme candidat à l'élection du Président de la République par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les Régions, à raison de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de membre du Parlement ou d'une Chambre Consulaire, soit de Conseiller Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de premier degré. (2) Le candidat investi par un parti politique non représenté à l’Assemblée Nationale, au Sénat, dans un Conseil régional ou dans un Conseil Municipal doit également remplir les conditions prévues à l’alinéa (1) ci-dessus applicables aux candidats indépendants. »
Nullité du mandat impératif
Voilà donc des règles limpides pour les candidats à la magistrature suprême, sans lien superflu avec la nullité du mandat impératif, stipulée dans l'article 15 de la Constitution camerounaise. L'alinéa 3 confère aux élus l'inaliénable droit de vote personnel et l'autonome exercice de leur mandat représentatif par rapport aux électeurs, aux partis politiques et aux circonscriptions territoriales, dans le cadre du principe de la souveraineté nationale opposé au principe de la souveraineté populaire. Cependant, tandis que le premier principe est bien consacré par la Constitution, les conditions de candidature à la présidentielle sont, elles, définies par le Code électoral querellé.
Votée et déclarée conforme par une juridiction constitutionnelle, une loi électorale mise en application ne peut être ni contradictoire avec la Loi fondamentale dans un État de droit, ni captive d'une option exclusive de mandat de souveraineté à laquelle elle est, du reste, décorrélée. Il n'empêche qu'une clique bruyante de « savants » autoproclamés interprètent chacun à sa manière la juridicité en présence et n'hésitent pas à déformer les dispositions en usage.
Océan d'incertitude
Il eut été sans conteste facile au MRC de faire élire un ou plusieurs représentants de la Nation, lors des élections de 2020, mais le parti a plutôt préféré renoncer à ses prérogatives électorales par un boycott solennel. Peut-il alors s'octroyer hors scrutin de précieux camarades, sans passer par les cases ordinaires des législatives, des sénatoriales, des régionales ou des municipales qui précèdent le choix du chef d'État ? Hélas, rien n'est si sûr ! En compensation, l'investiture de son président par une formation politique distincte n'est pas exclue, à condition que la camarilla empruntée jouisse d'au moins un élu non enrôlé a posteriori pour des buts disjoints du mandat des urnes.
Il en découle que la candidature agitée de Maurice Kamto demeure aujourd'hui plongée dans un océan d'incertitude qui paraît propice aux polémiques éculées et aux controverses stériles. Tout compte fait, comme le MRC existe de jure, certains feignent d'ignorer qu'il est de facto, depuis plus de cinq ans, dépouillé de ses mandataires politiques pour la représentativité nationale. Fors l'alternative d'un parti d'emprunt exorable, son leader ne peut assurément concourir en octobre prochain qu'en respectant scrupuleusement les mêmes règles exigées aux postulants indépendants. Un point un trait !
Loi dûment adoptée et exécutoire
Le présumé « parti légal » de Jean-Michel Nintcheu, le Front pour le Changement du Cameroun (FCC), qui aurait souhaité prêter ladite enseigne au MRC, n'a pas participé à une élection nationale depuis son aube en suspens. Le député Nintcheu a été élu sous les couleurs du FSD en 2020. Mais Maurice Kamto saurait-il représenter un FCC « bailleur » de bannière en 2025, tout en restant président du MRC ? L'adhésion individuelle d'un élu transfuge, au cours d'un mandat représentatif, est-elle suffisante pour contourner les conditions imposées aux aspirants et rendre recevable l'investiture officielle du dirigeant d'un parti d'accueil ayant sciemment boycotté les urnes ?
L'autre interrogation qui s'impose à l'esprit est la suivante : le report avéré des législatives et des municipales de 2025 en 2026, ayant dû proroger automatiquement les mandats existants, peut-il impacter sur les règles licites de candidature à la magistrature suprême ? Nul doute que par-dessus le Code électoral, il y a la Loi fondamentale. Aussi appartiendra-t-il au Conseil constitutionnel de se prononcer, le moment venu, sur la base d'une saisine qui serait ouverte contre une loi dûment adoptée et exécutoire depuis plus d'une décennie !
Tartufferies discrètes et supercheries secrètes
Pour le surplus, souvenons-nous que le MRC a fait élire un député et une vingtaine de conseillers municipaux en 2013. Ce parti a pu ainsi investir Maurice Kamto en 2018, sans capharnaüm médiatique ni quelconque pierre d'achoppement. En vertu de quelle alchimie hors norme, des règles identiques, incluses dans une loi promulguée en 2012 et appliquée lors du dernier concours d’accès à la magistrature suprême, seraient-elles devenues entre-temps inconstitutionnelles ?
En cas d'absence loquace de la coutumière malédiction des boycotts électoraux, n’y aurait-il pas alors anguille sous roche ou baleine sous gravier, une ruse sournoise ou un intérêt obscur, qui expliqueraient une absurdité aussi marquée, encline à provoquer un vaste hourvari politique abscons, voire une accusation de dubitable conspiration ? Seul l’avenir indomptable par d'éventuelles tartufferies discrètes et supercheries secrètes y apportera bientôt une réponse concrète !
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Tulet A. « Cameroun : l'opposant Maurice Kamto peut-il être candidat pour la présidentielle de 2025 ? », RFI, 05/02/2025.
(2) Gaillard R. « L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », Encéphale, 10/09/2020.
(3) Mongo Beti. La France contre l’Afrique, La Découverte, 2006.
(4) Enoh Meyomesse D. Le temps du dialogue, EdkBooks, 2019.
(5) Ramondy K. et al. La France au Cameroun (1945-1971). Rapport de la commission "Recherche", Éditions Hermann, 2025.
(6) Le Monde avec AFP. « Cameroun : Maurice Kamto réélu à la tête de l’un des principaux partis d’opposition », Le Monde Afrique, 11/12/2023.