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Billet de blog 23 juillet 2025

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LA CAUTION FINANCIÈRE À LA PRÉSIDENTIELLE EST-ELLE RÉDHIBITOIRE AU CAMEROUN ?

Le versement d’une caution de candidature est une condition essentielle pour participer à la course présidentielle au Cameroun. Le montant exigé se situe dans la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne, mais il peut s’avérer prohibitif pour les candidats indépendants sans capital. Aussi peut-on s’interroger sur la liberté civile de postuler aux élections politiques à l’abri de toute restriction.

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En effet, ce droit fondamental est loin d’être garanti de manière égale pour tous. Les pays caractérisés par la misère n’auraient-ils pas avantage à être dirigés par des citoyens majoritaires indigents, à la place des demandeurs d’investiture minoritaires solvables ? Qui pourrait mieux comprendre et traiter la pauvreté endémique que les pauvres eux-mêmes ? Est-ce au pouvoir de l’argent de valoriser le pouvoir suprême au détriment des précieuses qualités qui incarnent la fonction y afférente ? En marge de ces questions qui ne sont pas spécifiques au Cameroun, il y a lieu de souligner que le tarif de la candidature présidentielle est rédhibitoire pour les innombrables démunis instruits, mais il semble supportable pour les citoyens qui constituent l’effectif pléthorique des candidats à la candidature. Si la huitantaine (quatre-vingtaine) de postulants déclarés pouvaient être retenus, le montant total des cautions versées à l’État serait à boule vue d’environ 2,4 milliards de FCFA, à condition qu’ils aillent tous naturellement jusqu’au bout de leurs supposées ambitions.

Covoiturage politique « Yango »

Hélas ! Parmi ce beau monde en apparence, se trouvent de vertueux indépendants impécunieux et des imposteurs patentés du fâcheux processus de détérioration du jeu démocratique. Certains bluffeurs, pour créer simplement le battage publicitaire autour d’une hubris, déclarent des pseudo-candidatures. À l’affût d'une gloriole de bas étage, ils peuvent par la suite faire semblant de contester auprès du Conseil constitutionnel le rejet de leurs dossiers par ELECAM, dans une sorte de charivari dépourvu d’authentiques motifs, sans avoir eu à se priver du moindre sou en guise de débours d’enregistrement, d'usurpation ou de caution (1). Pour ce type de raisons nuisibles à l’engagement politique, le filtrage des candidatures est nécessaire. Il ne serait ainsi pas surprenant de constater que la liste définitive des postulants agréés n'excède guère une quinzaine de personnages. Et il ne devrait pas y avoir de prétendant indépendant retenu, en l'absence de dossier nûment complet et de caution dûment versée.

Faute d’être représentatives de la société camerounaise, les parties prenantes au concours d’accès à la magistrature suprême sont des individus généralement aguerris, dont l’ambivalence et l'hypocrisie politiques se distinguent par l’étendue de la fortune accumulée. Les considérations des opposants présumés, des adhérents indiscrets ou des partisans discrets du régime en place ne sont pas coagulées par de solides convictions, mais évoluent en fonction d'intérêts plutôt personnels (gains financiers, nominations, opportunités de pouvoir). Certains candidats (y inclus d’anciens ministres) sont des leaders de leurs propres partis, tandis que d’autres, sans étiquette fixe, ne sont pas embarrassés d’emprunter ou d’acquérir la régularité formelle de formations existantes pour espérer une légitimité, à travers la ruse du covoiturage politique « Yango ». Ces pratiques absconses ne sont certes pas généralisées, mais elles épuisent l’ordre sociopolitique par des abus perfides, et au final, ne tendent à rien moins qu’à faire du scrutin présidentiel d'octobre 2025 un vaste comptoir marchand.

Cœur du Triangle des tumultes

En réalité, au cœur du Triangle des tumultes, le paysage politique est si cafouilleux et frauduleux qu’il semble douteux de savoir à quel prétendant sérieux à l’alternance le suffrage pourrait bien être accordé, tant l’escobarderie civique et la supercherie déontologique tracassent les intelligences critiques et fracassent les principes démocratiques. En dépit d’un système politique rôdé, il n’est pas rare d’entendre des échos malsains du « marchandage » d’alliances dissonantes (2), où l'argent est échangé et l’idéologie sacrifiée.

En compensation, ce qui paraît moins exposé à la matoiserie crasse, c’est le paiement d'une caution de 30 millions de FCFA (45 735 euros) par chaque candidat autorisé à concourir à l'élection présidentielle. Obligatoire avant la participation à la compétition suprême, cette somme replète est remboursable aux concurrents qui obtiennent au moins 10 % des suffrages exprimés par le peuple dans un scrutin universel direct à un tour. Il en résulte que l'habituelle caution à la présidentielle a bel et bien un impact financier positif sur le budget déficitaire de l’État (1,5 % du PIB), fût-il comparativement infime.

Petites opérations juteuses

En toute logique, la présidentielle est un antalgique baume au cœur du Cameroun. Le Trésor public y fait de petites opérations juteuses tous les sept ans, à l’occasion patiente de la « marchandisation » de l’élection pluraliste. En 2018, par exemple, seuls Paul Biya et Maurice Kamto pouvaient chacun se faire recéder la caution entre les neuf candidats qui étaient alors en lice. À brûle-pourpoint, les caisses de l’État-parrain ont procédé à la rétention de 210 millions de FCFA. Par surcroît, en période de campagne électorale, il est établi que l'argent coule à flots dans le pays et apaise en substance la crise économique locale. Ce qui n’est pas rien par les temps brumeux qui courent !

Une fois le prix de la présidentielle payé par les clients solvables, la question qui revient sans intermission à l’esprit est de savoir si l'un ou l'autre des candidats du cercle fermé de compétiteurs serait apte à l'emporter sur le Chef d'État sortant. Avec la mésintelligence de l’opposition et la multiplicité des candidatures, dont plus de 80 déjà déclarées, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) n'aurait pas à se faire un sang d’encre noire (3). Hormis un aléa exceptionnel, une désorganisation désastreuse ou des tensions démobilisatrices, les prévisions probabilistes, intégrant les résultats ad hoc du scrutin de 2018 et moult récents paramètres dominants, ne semblent pas mener le postulant du RDPC à la déroute électorale, y compris dans le scénario pessimiste d’une érosion abrupte de la moitié des suffrages propicement acquis il y a presque sept ans.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

(1) Djaleu A. « Présidentielle 2025 : plusieurs dossiers reçus sans la caution de 30 millions de FCFA », Actu Cameroun, 20/07/2025.
(2) Mouko Boudombo A. « Présidentielle 2025 au Cameroun : Paul Biya déblaie-t-il son chemin ? », BBC, 09/07/2024.
(3) Boutat A. « Au Cameroun, le parti à la flamme ardente n’aurait pas à se faire du mouron… », Mediapart, 06/07/2025.

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