Abordé comme une doctrine ontologique, le matérialisme est assorti de variantes distinctes et ampliatives. Il est alors loisible de se demander si la réalité sensible des « faits », têtus ou inconstants, est constituée seulement de matière ou de substance (matérialisme), d’idées ou d’imaginations (idéalisme) ou à la fois d’idées et de matière (dualisme).
Variantes du matérialisme
Une variante du matérialisme est qualifiée de « physicalisme ». Le courant de pensée affirme sans ambages que « tout ce qui existe est inévitablement une manifestation physique et un résultat d'interactions matérielles », empruntant au passage des notions à la mode facile telles que « espace-temps », « énergie » ou « champs de force ».
En ramenant ces concepts fluctuants, parfois opposés et incompatibles, au matérialisme stricto sensu, comment les exploiter conjointement dans une approche scientifique fondamentale ? Ne court-on pas le risque doctrinal de les associer au radical « matérialisme vulgaire » de la seconde moitié du XIXe siècle, enfermé dans une vision éculée du monde qui repose particulièrement sur la science de la nature ?
Regardé autrement comme une démarche contre l’apriorisme, la métaphysique ou la croyance ardente aux convictions individuelles, le matérialisme se rapproche plutôt de l’empirisme classique de John Locke (1632-1704), du positivisme logique d’Ernst Mach (1838-1916) ou du moralisme philosophique de Bertrand Russel (1872-1970).
Ontologie et épistémologie
Dans un tel cadre réflexif, l'empirisme, le positivisme et le moralisme peuvent être envisagés comme doctrines épistémologiques, irréductibles cependant à la conception abstraite et à l’acception exempte de représentations imagées du penseur révolutionnaire de la philosophie des sciences, Gaston Louis Pierre Bachelard (1884-1962).
Il n’en reste pas moins que toutes ces doctrines plurivalentes, ontologiques ou épistémologiques, œuvrent d’une certaine manière à distinguer essentiellement le sens et le non-sens, le crédible et l’invraisemblable, avec leurs avantages et désavantages notoires. Mais elles ne sauraient nullement prendre en otage la science évolutive.
Il en résulte que l’ontologie s’évertue à révéler au mieux ce qui est en rapport avec l’être, tandis que l’épistémologie se consacre spécifiquement à la connaissance critique et aux méthodes d’accès, par incréments successifs, au savoir scientifique présumé universel.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne