alain.boutat (avatar)

alain.boutat

Professeur

Abonné·e de Mediapart

153 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 février 2023

alain.boutat (avatar)

alain.boutat

Professeur

Abonné·e de Mediapart

BISBILLES ÉLITAIRES POSTCOLONIALES

Le Président Emmanuel Macron a récemment initié une commission mixte franco-camerounaise, qui est censée réunir des experts appelés à « établir la vérité sur ce qui s’est réellement passé durant la guerre d’indépendance ». À peine la direction de cette commission a-t-elle été nommée que l’on assiste à des bisbilles élitaires postcoloniales.

alain.boutat (avatar)

alain.boutat

Professeur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De fait, le pilotage du projet est bicéphale : la Française Karine Ramondy est désignée pour le « volet recherche », tandis que le Camerounais Blick Bassy est indiqué pour le « volet artistique ». La première est une historienne, qui est auteure de publications sur les leaders africains assassinés avant les indépendances. Et le second membre du duo est un artiste engagé, qui a notamment rendu hommage, à travers son œuvre musicale et documentaire, aux dirigeants nationalistes de son pays. 

Le Zouk afro-antillais n'est pas dramatique

La constitution entière de ladite commission n’étant pas encore connue, voilà que fusent dans tous les sens des réactions et des contre-réactions multiples. D’après l’auteur-réalisateur Jean-Pierre Bekolo, « C’est en zoukant que nous saurons qui a assassiné Um Nyobé ». Au-delà de l’ironie manifeste sur la nomination du chanteur Blick Bassy à la codirection, il y a lieu d’affirmer que le zouk afro-antillais n’est pas dramatique.

En effet, aucune piperie en escobar ne semble avérée dans la nomination de Blick par une France à la gloire du soleil couchant. Et le réflexe opposé d’universitaires camerounais ne change en rien cette évidence. Ne faudrait-il pas d’abord laisser compléter, installer et travailler la commission précitée, avant de porter une appréciation plus crédible à la fois sur sa composition, son fonctionnement et son aboutissement ?

Au demeurant, rien n’empêche ceux qui le souhaitent ardemment de former, en parallèle, leur propre équipe d’experts, en vue de la confrontation des conclusions respectives. Une telle démarche n’apporterait-elle pas à la clarté comparative les difficultés et les contradictions éventuelles dans lesquelles se sont débattus des historiens depuis l’indépendance proclamée ? En matière scientifique, on ne se détermine judicieusement que par comparaison des résultats. Ainsi progresse la connaissance, en marge de polémiques futiles et stériles !

Lecture historique plutôt discutable

Partagé entre la colère et l’amusement, le Professeur Joël Meyolo attribue au Président Macron l’intention de « redéfinir les schèmes mentaux relatifs à la présence française au Cameroun ». Face à « un projet pensé par la France pour la France », il estime que ses collègues historiens « gagneraient à s’organiser, à faire une proposition concrète aux pouvoirs publics pour la constitution d’une identité narrative camerounaise ».

Cette lecture historique plutôt discutable émerge quant à la redéfinition des « schèmes mentaux relatifs à la présence française au Cameroun » ou à la réécriture identitaire de l’histoire, à l’aide des seules archives déclassifiées de l’Hexagone. Au mieux, un possible éclairage ne serait qu’une valeur ajoutée à la connaissance du passé tumultueux des deux pays, dont l’accès est, du reste, entrouvert. La persistance des geigneries habituelles et des controverses actuelles y trouverait plus d’os que de moelle nourrissante pour un entendement étendu et sans vapeur !

Pourtant, le Président de la Société Camerounaise d’Histoire, le Professeur Daniel Abwa, évoque d’ores et déjà une mascarade. Il considère que « le Gouvernement français s’est attaché la complicité des Historiens chantres de la postcolonie ». Pour lui, « les crimes et les massacres » sont des faits connus. Et « il suffit simplement de les creuser davantage pour mettre la France devant ses responsabilités et justifier la transformation de l’accusation formulée contre ces actes en crimes contre l’humanité ».

Chamailles professorales bruyantes

Dans sa lettre ouverte au Professeur Daniel Abwa, le Professeur Jean Koufan Menkéné réplique par une opinion contrastée. Il y fustige notamment la « réaction typiquement camerounaise, qui consiste à se défausser sur l’étranger [et] à dédouaner les autorités [du] pays de toute responsabilité ». Il s’évertue ensuite à mettre la solitude de la distinction honorifique de son collègue au crédit « d’autres considérations qu’à l'immense contribution à l’enrichissement de l’historiographie ».

Hélas, pauvre Triangle de tumultes ! Encore les mêmes querelles interpersonnelles, réciproquement bourrées de condescendance et d’arrogance, sans valeur objective ni profondeur effective. Dans le chœur discordant que forment ces universitaires éminents, chacun semble avoir à cœur de développer pour lui-même une sorte de règle exclusive, subjective et qualitative de son individuelle suffisance ordinaire.

Quelle est alors la raison attrayante de telles chamailles professorales bruyantes, alourdies de chipotages et de vétilles, qui font litière de la notoire toile initiale de fond ? Il est temps de mettre provisoirement l’égo de côté pour pouvoir avancer sereinement sur l’intéressante problématique confiée à la commission scientifique et historique franco-camerounaise. En effet, en histoire comme dans d’autres domaines essentiels, le risque encouru est de continuer de bayer aux corneilles, sans emprise réelle sur une force évidente ou sur une capacité agissante.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.