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Billet de blog 25 septembre 2025

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PRÉSIDENTIELLE AU CAMEROUN : QUAND LA PROMESSE DU FÉDÉRALISME REFAIT SURFACE...

À l’approche de la présidentielle du 12 octobre 2025, les programmes politiques des candidats de l'opposition auraient pu incarner leur casuelle capacité à proposer des projets alternatifs, contrastés et comparatifs. Or, ces projets qui sont censés jouer un rôle auprès des électeurs, se ressemblent par leur monotonie dans une étrange cacophonie, à l'exception de l'idée distinctive du fédéralisme.

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Hormis cette clairsemée idée distinctive, l’aplatissement dans un abasourdissement insère l’ennui au milieu du bruit, créant une dissonance où l’absence de variation, typique de la monotonie, se heurte au chaos de la cacophonie, où l’on pourrait s’attendre à une forme de diversité. Il en résulte une situation déroutante où, malgré les tumultes en errance, il y a une lénifiante redondance et une signifiante discordance qui rendent la politicardie alimentaire très lassante, faute d'originalité politique et de perspective crédible. Dans ces conditions particulières, face à une cohorte fragmentée d'adversaires aux lubies dérisoires, le chef d’État sortant, Paul Biya, apparaît de plus en plus comme le favori du scrutin présidentiel. 

Projet revisité du fédéralisme

Selon Dieudonné Essomba, chroniqueur réfractaire à la piètre marotte « Biya Must Go », le candidat du Front Social Démocrate (FSD/SDF), Joshua Osih, se distingue par un lisible projet fédéraliste. Se déclarant « exégète [de ce] programme » du député anglophone de Douala, dont il se propose de coter « la faisabilité opérationnelle », il y adjoint des « dotations [en] ressources affectées aux États régionaux », représentant la moitié des 7 500 milliards de FCFA que détiendrait « l’État central » (1). Ainsi, le vif chroniqueur Essomba, nullement porte-parole du FSD/SDF, reconnaît au leader de ce parti une estimable pertinence, contrairement à ses rivaux également opposants, qui n’auraient à cœur que d’exposer leur égo-suffisance pour vouloir succéder au locataire du Palais d'Etoudi. Attendu que l’honorable natif de Kumba s'emploie au moins à présenter une option programmatique, se prêtant à une saine discussion politique.

Dans le cadre réflexif précité, le projet revisité du fédéralisme n’est ni absurde ni révolutionnaire, car ce système de gouvernement a pu exister entre 1961 et 1972, associant dans une certaine mesure unité nationale et diversité constitutive. Si elle peut favoriser la vertueuse décentralisation et le respect de la variété sociétale, cette option fédéraliste n’est pas pour autant réductible à un banal calcul des « dotations » aux hypothétiques « États régionaux ». Le fédéralisme mérite davantage qu’une approche comptable des ressources par définition limitées. Il s’agit plutôt d’une forme constitutionnelle d'organisation éminemment politique, qui requiert une profonde réflexion sur les priorités, allant au-delà de simples quotes-parts arithmétiques, pour articuler notamment des compétences de défense, de diplomatie, de santé, d'éducation et de législation.

Triangle des tumultes

Parmi les pays de l’antique Alkebulan, mère de l’humanité dotée d'une histoire complexe, l'actuel Nigeria est un État fédéral qui répartit ses ressources en vertu de la Constitution en vigueur, mais cela n’a pas pu empêcher des agitations politiques et des poussées sécessionnistes depuis la proclamation de l’indépendance en 1960, tensions adornées d'ailleurs aujourd’hui par les férocités terroristes de Boko Haram. En Éthiopie, le régime militaire du Derg, reposant sur un parti unique, a été balayé en mai 1991 par des mouvements de guérilla. À la recherche d’un système idoine, ses successeurs ont introduit le fédéralisme ethnique. Les discordes communautaires et les cruelles expéditions fratricides auraient-elles disparu au Tigré, dans la région d’Oromia ou au sein de l’Église orthodoxe ? Que nenni ! Nonobstant ses progrès économiques, l’ancien empire de Haïlé Sélassié Ier court encore après la paix civile que « l’ethno-fédéralisme », institué en 1995, n’a pas su garantir à ses habitants. 

Dans le Triangle des tumultes, il faudrait sans doute déployer des trésors d’ingéniosité pour éviter des velléités frictionnelles et des aspirations séparatistes à l’effectivité jusqu’ici incertaine, mais collatéralement dramatique. Aussi serait-il indiqué d’appréhender les principales causes historiques et contemporaines, susceptibles de générer les effets d’un terrain fertile au mal-développement et à l'exacerbation de la violence. De tels enseignements sont précieux pour la prévention cruciale des conflits et la promotion décisive du vivre-ensemble, en permettant de cerner les radicules des discordes, de défaire les mythes et les archétypes, d'anticiper les dynamiques funestes et de concevoir des solutions inclusives de gouvernance.

Gouvernement de coalition

Même dans les cas souvent cités de « fédéralisme harmonieux », à l’instar de la Monarchie constitutionnelle canadienne ou de la Confédération helvétique, composées de trois ordres distincts de gouvernance dans une sorte de matriochka (poupée gigogne) de taille intérieure politiquement décroissante (ordre fédéral, ordre fédéré et ordre communal), il subsiste également une sympathie distante ou méfiante au sein des populations de ces États fédéraux démocratiques. Par compensation, ils bénéficient particulièrement des avantages reconnus de l'abstraction à la brutalité, du confort inhérent à la prospérité et de l'héritage pluriséculaire d'une volonté opiniâtre destinée commune, en dépit d'authentiques différences environnementales, socio-culturelles, linguistiques et économiques.

Sous cet angle, le candidat Joshua Osih n’a pas tort d’insister sur les conditions nécessaires au renforcement pédagogique des valeurs patriotiques, à l’amélioration continue du fonctionnement de l’État de droit, à l’autonomie des décisions régionales et communales qui sont compatibles avec l’intérêt national, et, enfin, à l’affectation judicieuse des ressources publiques (2). Tout cela ne requiert pas forcément le fédéralisme, mais des lois adaptées et applicables, ainsi que la prise de conscience collective des citoyens et l’indispensable émergence économique de la Nation. Pour le surplus, le leader du FSD/SDF, fort de sa lucidité politique, pourrait, comme tant d'autres avant lui, prendre part à un éventuel gouvernement de coalition de Paul Biya, probable vainqueur de la prochaine présidentielle.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste 
Lausanne

(1) Essomba D. « Le “Biya Must Go“ ne peut pas être un programme politique de changement », Actu Cameroun, 24/09/2025.
(2) Boisbouvier C. « Présidentielle au Cameroun : “Je suis dans cette course pour changer ce système hypercentralisé“, RFI, 19/09/2025.

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