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Billet de blog 28 mai 2022

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AMPHIBOLOGIE DU BONHEUR ET DU MALHEUR

« Nul ne peut être heureux, sans avoir été malheureux ». Evelyn B. Ortwein von Molitor

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Dans la même veine que la regrettée Evelyn B. Ortwein von Molitor, Gibran Khalil Gibran estime que « Nul ne peut atteindre l’aube, sans passer par le chemin de la nuit ». De fait, chaque étape de la vie humaine regorge inévitablement de satisfactions et d’insatisfactions, indépendamment de l'ampleur des richesses matérielles disponibles. 

Il sied donc à chacun d’entre nous de les éprouver au moment où elles se manifestent réellement, afin de connaître mouches en lait, tout en prenant pleine conscience de l’altérité qui postule que les perceptions relatives du bonheur et du malheur sont éminemment amphibologiques.

Oubli indulgent

Une leçon subie me vient à l’esprit pour illustrer cette altérité. Dans la réserve camerounaise de faune et de biosphère du Dja, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, les pygmées du canton, en rang d'oignons, soutiennent mordicus qu'ils étaient plus heureux à l’époque de la chefferie traditionnelle d’un aïeul fouettard que sous le règne actuel d’émancipation d'une digne communauté qui semble aller à vau-l'eau.

Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre, par monts et par vaux, un son de cloche analogue, exprimé par d’anciens indigènes ayant survécu au drame colonial. Les frictions étant inhérentes à la condition humaine, quelle est la nature de cet oubli indulgent de l’asservissement vécu, sans véritable gratitude ou obligation en contrepartie de l’oppresseur impénitent qui aurait dû y trouver le moyen de se connaître lui-même ?

Éclairage contradictoire

À tort ou à raison, après le passage par le « chemin de la nuit », l’atteinte de l’aube est controversable. Elle recèle notamment un éclairage contradictoire à « la dialectique du maître et de l’esclave », présentée par Georg Wilhelm Friedrich Hegel en 1807 dans sa profonde Phénoménologie de l’esprit : l’esclave, nonobstant la peine cruelle qui lui est infligée et le produit réel de ses efforts en faveur du maître, ne cherche pas nécessairement à renverser les rapports de force pour se sentir libre.

Or, la prise de risque y afférente dépend d’abord de lui-même pour franchir le Rubicon. Intentionnelle ou involontaire, elle est censée reposer sur la probabilité de l'occurrence d’un futur indésirable ou désirable, à l’aune de l’étendue des dommages ou des gains potentiels encourus.

Moralité

Le bonheur vaut ce que nous sommes en mesure de risquer pour lui et qui nous distingue des autres. Il ne s’octroie pas, mais se gagne au gré des aptitudes graduelles et des idiosyncrasies individuelles, dans un cadre influent d’opportunités et de contraintes environnementales.

La substantifique moelle extraite des expériences contrastées du bonheur et du malheur est de nature à renseigner, le cas échéant, sur les formes intégratives de la trajectoire collective qui conduit peu ou prou à l’accomplissement d’un monde moins désespéré et plus humain.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

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