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Billet de blog 29 mars 2020

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ANTIVIRUS ET CORONAVIRUS

Une ancienne molécule fait actuellement florès et suscite des débats passionnés autour du traitement du coronavirus dans plusieurs pays de la planète bleue, sur les réseaux sociaux et au sein de la communauté scientifique : la chloroquine. Aussi y a-t-il lieu de redouter l'esbroufe en temps de malheurs affligeants.

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La chloroquine est un dérivé de la quinine, un alcaloïde extrait de l’écorce du quinquina, arbuste originaire d’Amérique du Sud. Elle est devenue confusément matière à controverse et source récente de polémiques lamentables, en cette période sombre où l’humanité affronte désespérément la virulence d’un micro-organisme coriace.

Champ tumultueux d'antivirus

À n’en pas douter, la substance est peu onéreuse et simple d’usage, administrée depuis plusieurs décennies contre la fameuse malaria, notamment sous le nom de « Nivaquine ». Mais est-elle si subtile pour justifier sa sortie d’une somnolence banale et entretenir des prétentions égocentriques ? Pendant que le Président Donald Trump y voit un « don du ciel » pour contrer la Covid-19 aux États-Unis, des essais cliniques prolifèrent dans tous les azimuts.

Dans ce champ tumultueux d'antivirus, où l’on trouve plus d’épines solitaires que de souches solidaires, une étude française, sous la direction du Professeur Didier Raoult, est encore venue alimenter des querelles sur les effets thérapeutiques d’un succédané de la chloroquine, l'hydroxychloroquine. Parmi la trentaine de patients de l’échantillon, 16 figuraient dans le groupe des témoins n’ayant pas reçu le produit et 20 appartenaient au groupe des cas qui l’ont subi. Il en résulte, après six jours d’observation, que 90 % des patients témoins ont conservé leur positivité contre 25 % des cas traités.

Étude chinoise

Peut-on alors allègrement conclure sur l’efficacité de cette molécule classique, même combinée à l’antibiotique azithromycine ? Telle n’est pas, en tout cas, la déduction commise par une récente étude chinoise, selon laquelle la chloroquine n’est guère plus efficace que d’autres molécules utilisées pour lutter contre les pathologies virales. En somme, l’étude publiée dans la revue de l'Université du Zhejiang s'est intéressée à une cohorte de 30 patients atteints de la Covid-19, dont la moitié avait ingurgité la célèbre chloroquine. 

Après sept jours, 87 % du groupe des cas qui suivaient le traitement ont été testés négatifs, la Covid-19 ayant disparu de leur organisme. Pour le groupe des patients témoins qui, à des fins de contrôle, n’avaient pas bénéficié de la chloroquine, le pourcentage annoncé de guérison dépassait légèrement 93 %. Le temps médian pris par les deux groupes de l’échantillon pour s’affranchir du damné virus mortel était quasiment identique. Hélas, l'échantillon chinois pèche, à son tour, par sa modeste taille pour s’avérer significatif ! 

Non-représentativité des échantillons

À juste titre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) invite à la prudence, en raison de la non-représentativité des échantillons mis à contribution dans les deux études mentionnées supra. En effet, l’échantillonnage est crucial en épidémiologie pour obtenir, dans notre état d’ignorance, une connaissance des problèmes sanitaires.

Afin d’assurer, autant que faire se peut, la fiabilité des conclusions, l’échantillonnage, de préférence aléatoire, doit être en mesure de saisir la pluralité de chaque phénomène éligible, d’éviter des biais inducteurs d’erreurs systématiques, et d’établir un lien significatif entre l’effectif de sujets représentatifs de la population étudiée et la confiance accordée à la généralisation des résultats obtenus.

Exigence aristotélicienne

Nonobstant le fait que les données cliniques sur le coronavirus demeurassent insuffisantes, l’honnêteté intellectuelle devrait rester le socle privilégié du respect des principes scientifiques, qui ne semblent pas démontrés dans l'hypothèse douteuse de la chloroquine. Au-delà de ces principes, l’exigence aristotélicienne des corrélations organiques est censée nous aider à capter les influences qu’exercent les facteurs non seulement défavorables à la propagation de la Covid-19, mais également favorables à l’émergence post-pandémique d’un monde plus serein.

À ceux qui évoquent les limites de toute patience dans l’urgence, il y a lieu de rappeler que l’impatience est à la fois l’ennemie de la science et l’amie de l’inconscience. Malgré l’absence actuelle de thérapie radicale contre le virus, évitons les rumeurs folles et les thérapies fantaisistes, qui vont jusqu’à suggérer des breuvages à la crotte de cochon. Les obstacles sont certes nombreux sur le terrain de l’intelligence, mais ils ne sauraient excuser les essais honteux dans le souterrain de la mésintelligence. Seul l'avenir nous dira !

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

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