De manière générale, les tensions post-électorales sont quasiment devenues consubstantielles au déroulement des courses délicates à la magistrature suprême. Parmi leurs causes complexes, il y a sans conteste la maîtrise épineuse du processus électoral lui-même, la désinformation trompeuse partisane, le faire-semblant politico-gastrique, l’instrumentalisation de l’ethnicité, la surexcitation du vandalisme militant et la corruption de manifestants souvent en état de précarité ou d'ébriété. Dans un tel salmigondis, ce qui est qualifié d’élection, dans une sorte de mimétisme, s’érige en exutoire d’un combat vidé d'idées pour accéder aux ressources du pouvoir.
Procédures et processus fort onéreux
Un concurrent quelconque dénoncera ainsi des fraudes électorales, dont il n'est pas lui-même absous, en s’autoproclamant vainqueur avant le décompte global des suffrages et en dehors de tout cadre juridique défini. Il en résulte fatalement des disputes de légitimité, des sentiments d’injustice, des discours de contestation et des actes de violence qui affectent la sincérité d'un digne scrutin présidentiel et culminent avec la proclamation des résultats officiels, au terme des procédures et processus fort onéreux. Sur ce sujet, n’est-il pas établi dorénavant que « Le coût moyen d’une élection en Afrique est supérieur à celui d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie » (1) ?
La récente présidentielle au Cameroun donne à voir cet ensemble de dérives, caractérisé par l’appel de l’un des vaincus aux protestations publiques. Une question s’impose alors à l’esprit : pourquoi certains candidats participent-ils à une élection qui serait d’avance remise en cause, sachant par surcroît qu’elle risque de déboucher sur des violences post-électorales meurtrières ? Or, à la lueur des résultats et des comportements respectifs, l'arithmétique électorale montre que le chef d’État sortant n’aurait pas manqué sa réélection face à une opposition pléthorique, fragmentée et antagoniste en son sein dans un scrutin présidentiel uninominal majoritaire à un tour.
Huitième mandat consécutif
En conséquence, le locataire actuel du Palais de l’Unité n’a pas eu trop de mal à conserver son bail de sept ans, en remportant son huitième mandat consécutif avec 54 % des voix. Conformément à l’article 5 alinéa 1 de la Constitution du 18 janvier 1996, Paul Biya sera derechef chargé de l’exercice du pouvoir exécutif. Anticipant la déclaration du verdict des urnes par le juge électoral, son principal adversaire, Issa Tchiroma Bakary, arrivé en deuxième position avec 35 % des voix, avait déjà annoncé des manifestations de rejet des résultats. Aussi assiste-t-on malheureusement à des pillages contre des opérateurs économiques, nourris de désolations funestes dans plusieurs villes du pays. Hélas ! L’aphorisme d’Alphonse Lamartine, reformulé avec pertinence par Nelson Mandela, illustre la légèreté impulsive des fossoyeurs : « Il est très facile de casser et de détruire. Les [braves] héros, ce sont ceux qui font la paix et qui bâtissent » (2).
Le phénomène est persistant en Afrique, y compris dans les anciens territoires sous influence britannique comme la Tanzanie où l’on a observé des violences similaires et plusieurs centaines de victimes. Sans être redondante, la réitération conceptuelle est une puissance d’insistance : l’ennemi le plus monstrueux de l’Afrique est le damné « sous-développement », qui dépouille la majorité des peuples du continent et constitue un facteur alarmant des conflits. Il passe par des itinéraires variables d’un pays à l’autre. N'obéissant à nul dogme universel, l'antidote à ce poison opposant est le « développement ». Il n'a qu’une seule ambition : vaincre à plate couture la bête et son alliée maléfique, la misère endémique, qui n’est pas une fatalité naturelle mais une manifestation d’origine purement humaine (3).
Échecs du mimétisme démocratique
Au-delà d’élections présidentielles africaines, qui semblent porter en elles l’hostilité brutale et la calamité capitale, le défi hautement urgent à relever est celui des réformes destinées à soigner un corps social malade. Dans ces conditions, l’excès dans les mots et les actes est toxique. Comme aimait égratigner la fierté afro-futile l’un des célèbres présidents françafricains, Jacques Chirac, natif de Paris et ancien chef d’État, « La démocratie est un luxe pour l’Afrique ». Et renchérit-il, « Le multipartisme est une sorte de luxe que ces pays en voie de développement n’ont pas les moyens de s’offrir » (4), car ils sont en butte à des enjeux autrement cardinaux et radicaux.
Plus de trente-cinq ans après, la réalité sociopolitique du continent « saigné », où sévit l’extrême pauvreté selon l’indice international de parité réelle du pouvoir d’achat (5), ne donnerait-elle pas raison à Chirac au regard d'élections ruineuses en ressources financières et humaines, manifestement sacrifiées sur l’autel poisseux des luttes de pouvoir ? Les échecs du mimétisme démocratique des parangons importés, en marge des problématiques copieusement différentes, seraient-ils au-dessus de tout soupçon ? Ne faudrait-il pas plutôt imaginer des modèles de gouvernance authentiquement africains ?
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Aikins ER, Mahdi M. « Défaillances du système électoral en Afrique : cinq facteurs alarmants », ISS Africa, 07/05/2024.
(2) Ligo K. « Nelson Mandela lors d'un discours à Soweto, Afrique du Sud, le 12 juillet 2008 », Global Citizen, 03/12/2020.
(3) Boutat A. « Pour l’unité nationale et le progrès social », Mediapart, 26/10/2025.
(4) Priestley P. « Jacques Chirac - Discours à la réunion de l'Association internationale des maires francophones à Abidjan, février 1990 », TV5 Monde Info, 24/12/2021.
(5) Ventura L. « Poorest Countries in the World 2025 », Global Finance, September 11, 2025.