L’extrait rappelé supra de l'allocution prononcée par le 26e président de la République française, le 26 juillet 2007, à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a suscité des controverses qui tournent autour de l'absence de repentance pour les crimes commis par l’Hexagone durant la colonisation, de l'ignorance de l’histoire africaine et de l'arrogance affichée par l’ancien chef d’État. Le piètre discours est certes offensant, mais l’affront ne date pas du règne de Sarkozy. Il sillonne la politique françafricaine du général de Gaulle à Macron, en passant par Mitterrand et Chirac. S’il est vrai que le plus jeune président de l’histoire de la République de France a confessé, depuis 2017, que la colonisation est un odieux crime contre l’humanité, le paternalisme de Macron, dans ses relations avec l’Afrique, n’échappe pas à l'habitude tenace de ses prédécesseurs. Il n’en reste pas moins que le continent n'est pas au-dessus de tout soupçon. Il a aussi sa part de responsabilité dans les malheurs subis, appesantis après les proclamations des indépendances par une sorte d'incidence massive des prévarications élitaires de la fortune des nouveaux États et par une forme de réceptivité passive au néocolonialisme ombrageux.
Maux si sévères et si variés
Le pillage allochtone a décidément été complété par le brigandage autochtone, dans un continuum de mépris des peuples assujettis. Pataugeant ainsi dans la misère boueuse du combat pour exister, la pauvre Afrique n’a cessé de souffrir de pluriels abâtardissements des esprits et d'innombrables travers des postcolonies : identités critiques, mœurs atypiques, sociétés chaotiques, déconstructions étatiques, coups de force cycliques, discriminations interclaniques, dictatures politiques, catastrophes écologiques, guerres ethniques, faux-semblants systémiques, corruptions endémiques, paupérismes chroniques… (2). Il en résulte des maux si sévères et si variés qu’il semble illusoire de pronostiquer leur prompte rémission à la faveur des thérapies qui viendraient avec grâce de l’Asie, de l’Europe ou de l’Amérique. En réalité, les maux éprouvés requièrent d’autonomes médications indigènes, mieux adaptées à chaque contexte politico-socio-économique. Dans ces conditions particulières, à quand la guérison espérée de l’Afrique meurtrie ? Nul n’en saurait vaticiner !
Cependant, à l’inverse des propos de Nicolas Sarkozy, le passé ne condamne pas fatalement l'avenir de « l’homme africain ». Et celui-ci ne reste pas « immobile au milieu d'un ordre immuable où tout est écrit d'avance ». Comme chaque individu, il connaît des hauts et des bas. Son fardeau distinctif est celui d'un lourd héritage, marqué par l'esclavagisme, le colonialisme et le néocolonialisme. À l'instar d'autres zones du globe, son continent a été touché par le micro-organisme SARS-CoV-2 dès 2020. Cinq ans après une contraction du produit intérieur brut (PIB) de 2,7 %, la croissance attendue en 2025 est de 3,8 %. Elle est vraisemblablement insuffisante, compte tenu des enjeux encourus. Et la progression souhaitable nécessite à fond une diversification économique et une nette intégration des chaînes d’approvisionnement à confortable valeur ajoutée. Il s’y ajoute, par surcroît, l’urgence d’un renforcement des échanges intra-africains, qui demeurent encore aujourd'hui restreints à environ 16 % des flux commerciaux totaux, nonobstant une envolée de 7,7 % en 2024.
Entraves à l'innovation
Par ailleurs, près de la moitié des Nations sur la cinquantaine que compte l'Union africaine connaissent une inflation excessive à deux chiffres. Les intérêts des dettes du continent sont estimés à 64,3 % du PIB global en 2025 et absorbent dorénavant 29,2 % des recettes publiques, contre 20,3 % en 2020. La situation varie toutefois selon les macro-régions en présence (3). L’Afrique orientale est première avec une croissance projetée de 5,9 % en 2025. L’Afrique de l’Ouest maintient un taux de 4,3 %, soutenu par la mise en production de nouveaux gisements de gaz, de pétrole et d’or. L’Afrique du Nord devrait enregistrer un taux de croissance de 3,6 %, en dépit des désaccords persistants de voisinage. En Afrique centrale, ce taux ralentirait à 3,2 %, et l’Afrique australe ne croîtrait que de 2,2 %.
L'un des défis prédominants à relever serait, pour chaque pays, de s’ancrer résolument dans des projets locaux et micro-régionaux, plus maîtrisables par leur taille réduite et moins dispendieux que les décevants méga-projets ou « éléphants blancs », quasiment tous importés et représentant de fortes entraves à l’innovation endogène incrémentale (4). Les projets intranationaux à inputs technologiques conquérables gagneraient à être entrepris par les collectivités ou les communautés territoriales, qui partagent des intérêts communs et des liens socioculturels. En conséquence, ils s'inscriraient dans une perspective visant à répondre à des besoins concrets de proximité spatiale, avec des actions prédéfinies et des interactions spécifiques dans divers domaines vitaux comme l’eau, la santé, l’infrastructure, l’agriculture, l'éducation, l’énergie, la sécurité et l'environnement.
Réveil déterminé
Aussi l’Afrique doit-elle se réveiller après tant d’ères de cauchemars entretenues par les dominations étrangères et les seigneuries qui se sont succédé depuis la violation européenne de la Terra incognita en Alkebulan au XVe siècle. Un réveil déterminé qui serait ainsi articulé autour de l’exploitation judicieuse de ses potentialités naturelles et humaines, distinctement concurrentielles à celles d’autres parties de la planète. Les principes majeurs de la performance managériale y seraient des exigences fondamentales. En effet, lorsque la funeste malgouvernance s’incruste dans les sociétés vivantes, la possibilité de faire prospérer ces dernières devient mécaniquement vaine.
Dans ce cadre devrait-il également émerger une véritable volonté d’intégrité civique et une saine responsabilisation croissante de la jeunesse, à travers des pédagogies revisitées de la citoyenneté et du développement durable. Pour que l'essor de toute collectivité soit effectif, il faudrait bien que l'effort fût partagé parmi ses principales forces vives. Enfin, la « violence légitime » de l’État devrait venir à la rescousse des autorités constituées et, le cas échéant, s’imposer radicalement pour le changement vertueux des mentalités et des comportements. Attendu que, sans rupture capitale avec des esprits d’inhibition et attitudes de régression, le progrès est chimérique.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Bernard Ph. « Le faux pas africain de Sarkozy », Le Monde, 28/08/2007.
(2) Boutat A. « Pourquoi l’Afrique devrait-elle engager sa propre révolution industrielle ? », Mediapart, 01/11/2020.
(3) BAD. Perspectives économiques en Afrique 2025, Rapport de la Banque africaine de développement, 2025.
(4) Boutat A. « Innovation : un défi de maîtrise industrielle », Mediapart, 03/12/2020.