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Billet de blog 30 juillet 2016

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Les gris-gris de l'État : remplacer la laïcité par la neutralité

J'écris au nom des enfants en mouvement, nés ici ou ailleurs, qui ne comprennent rien à la « République » et qui voudraient que l'État substitue au terme « laïcité » le terme de neutralité. La neutralité crée de l'adhésion. La laïcité crée des combats, souvent violents. Ouverte, fermée ou dogmatique.Les mots inventés créent leurs propres scénarios. Ils ne sont jamais neutres.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis née à Paris par hasard. J'aurai dû naître à Genève. Pas de regrets. Si, bien sûr, le passeport helvétique a la valeur de ce qui est rare, mais quelques mois plus tard j'étais déjà dans un autre train en partance pour ailleurs. J'écris au nom de ces enfants en mouvement, nés ici ou ailleurs, qui ne comprennent rien à la « République ».

De mon enfance à Londres, je garde un souvenir de véritable liberté, de mixité ethnique mais aussi d'une mixité séculière et religieuse joyeuse, avec des morning prayers partagées sans nécessité d'appartenir à une quelconque religion. 

Lorsque je revins à Paris j'avais dix-huit ans. Si je n’avais jamais compris le pouvoir d’incantation de la « République » avant, je le compris encore moins pendant ces années là. Ce terme évoquait une supériorité politique, morale et philosophique qui dans la pratique m'apparaissait imperceptible pour ne pas dire inexistante. En quoi Paris était-il plus attrayant, plus libre, plus vivant, plus démocratique que Londres? Ou que beaucoup d'autres lieux ? Je ne voyais pas. Certes, j'aimais les universités avec des frais d'inscription réduits et les établissements ouverts à tous comme le Collège de France et l'École Pratique des Hautes Études. Mais à Oxford des amis avaient la clef de la bibliothèque d'où ils rentraient et sortaient avant et après minuit. Tous les pays ont leurs réussites. La république n'en avait pas plus que les autres. Les enfants venus d'ailleurs ne cessent d’observent et de comparer. Ils voient que la République a ses réussites mais ils comprennent de moins en moins, qu'au fil des ans, les hommes politiques répètent ce mot comme nos arrières grands-mères répétaient des Ave Maria. Le mot est devenu un gri-gri. Un fétiche. Le pays France a disparu. Il ne reste plus que le gri-gri. Que penser de ce glissement sémantique ? Est-ce une invocation magique ou est-il prémonitoire et annonce-t-il une véritable disparition ?

Parfois nous aurions aimé entendre le terme "fédération" ou "confédération". Le terme aurait été en accord avec l'engagement apparemment irrévocable de la France dans l'Union Européenne. Mais non. Ce pays a construit un univers politique avec des allégories, des révolutions et des mémoires romaines. Nous savons pourtant à quel point il est dangereux de s'adresser au réel avec des objets idéels. Ce transfert symbolique, à qui l'antiquité a donné tant de lettres de noblesse, a créé une situation où le pays omet de s'expliquer avec réel et le présent. Il oublie ses propres citoyens et  ceux qui viennent d'ailleurs. 

Au terme "républicain" s'ajoute celui de "laïcité". Pourquoi n'avoir jamais parlé de Neutralité ? Si le réel primait sur les transferts de sacralité, l'État parlerait à coup sûr de « neutralité ». Combien de français demandent une simple neutralité d'état ? Je n'en ai jamais connu ni entendu. Seuls les enfants venus d'ailleurs observent comment dans un pays qui aime tant se raconter des histoires, on a supprimé tous les livres saints des écoles pour en inventer un autre appelé « laïcité ». Les personnalités médiatiques nous racontent tous les jours que la « laïcité » sauvera la République. Mais les enfants venus d'ailleurs, du grand nord ou du sud, sont convaincus que si l'État n'avait pas inventé un mot comme Mao a inventé le maoïsme, ou Marx le marxisme, mais utilisé un concept clair et serein comme la neutralité, nous l’aurions tous aimé et compris sans faire de contresens. La neutralité crée de l'adhésion. La laïcité crée des combats, souvent violents au sein des mêmes armées qui la défendent. Ouverte, fermée ou dogmatique. Les mots inventés créent leurs propres scénarios. Ils ne sont jamais neutres. Ils ont leurs propres dogmes, la théologie de leurs clans, leur propre fil narratif. Si nous voulons la paix nous devrons utiliser des mots qui n'entravent pas la paix.

Combien d'entre vous comprennent que les enfants venus d'ailleurs ont les oreilles qui bourdonnent face à ces gris-gris trop massés, trop de fois serrés comme des doudous. Les gris-gris sont épuisés. Pourquoi la république et la laïcité seraient-elles des principes plus admirables que les principes égalitaires et démocratiques de l'Islande, de la Finlande, de la Suède ou les valeurs des indiens Kogis qui n'ont jamais eu besoin de faire la guerre pour exister? 

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