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Billet de blog 13 février 2018

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Et si j'étais un Bernard l'ermite ?

Encore un article tout à fait nombriliste, en plus ne pas être récent. Écrit en 2015, en clinique psychiatrique, accompagné vers Cogito'z, par une psychiatre intéressante, bien que peu connaisseuse en "zèbres", comme je le disais à l'époque. Cette tentative, sous forme de licence poétique d'auto-fiction, en dis long sur ma volonté et mon désir de questionner "l'hypersensibilité" d'alors.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je vais vous dire comment je vois les choses... La vie l'univers et le reste, en 42 points... Enfin non, je vais plutôt vous dire comment je nous perçois... Enfin vous... Et puis moi.

Contrairement à vous, je suis mal fini. Ce n'est pas facile à comprendre, mais je vais essayer de vous y aider… Je ne réagis pas simplement, pas. «normalement », pas "comme les autres", dans les situations du quotidien, dans la vie. Je réagis trop, ou trop peu, c'est selon, c'est comme ça. Je suis trop, ou trop peu, c'est selon, c'est ainsi. Et bien souvent je suis de trop, dans les faits ou dans les sensations, je n'y peux rien.

Bizarrement et sans que je n'en connaisse le coupable, on aura oublié de me doter d'un contenant. Je ne connais pas mes limites, fiables, stables, sécurisantes et rassurantes. Même si je suis un humain, je suis comme un Bernard l’Hermite, qui cherche à vivre au milieu des crevettes, des crabes et des langoustes… Les autres me ressemblent et me sont différents. Je suis mou, spongieux, transparent. Je ne suis pas étanche. Tout en moi est poreux… Et tout peux me traverser.

Je peux trouver une coquille, dure et solide, qui me protégera. Je ne sentirai plus rien si l'on me marche dessus. Je n'aurai plus peur d'être balayé par une vague, d'être envoyé contre un rocher. Je rebondirai sur les obstacles, puis retomberai un peu plus loin. Et puis aussi, je serais capable de côtoyer les gens... C'est agréable qu'on vous trouve beau ! Même lorsque les autres ne se rendent pas compte qu'ils s'extasient devant une coquille, qui n'est pas vous, en fait. Ça peut faire du bien de ne pas être seul, si l'on ne passe pas son temps à souffrir.

Mais au fil du temps, il faudra bien que je l'admette... Je ne ressentirai plus le monde, la vie qui m'entoure, la brise qui me caresse. Je serai éloigné du monde, loin de tout et de tou-te-s. Pour porter la coquille, il faut "jouer" la coquille. Il faut ne regarder ni ses travers ni ses imperfections. Une fois qu'on l'a ramassée, il faut la nourrir, l'entretenir, la renforcer. On doit passer outre ses incohérences ou ses bizarreries.

Cette coquille me plaira, un temps. Elle sera forte, colorée, belle. Puis elle deviendra encombrante, trop lourde. Je percevrai la froideur lisse de sa nacre, la rugosité blessante de son enveloppe. Elle deviendra trop petite et étouffante. Elle perdra ses couleurs pour un gris terne et ennuyeux. Ses arrêtes me blesseront. En sortant la tête, je ne percevrai plus qu'un monde fade et lointain… Mais son intérieur d'un blanc sale et glauque ne sera plus un refuge, seulement une prison.

Cette coquille, si elle m'a semblé séduisante et protectrice, restera étrangère… Elle n'a pas été faite pour moi, c'est celle d'un autre. Je pourrais alors la laisser au bord du chemin. Je me sentirai léger, souple. Le vent se rappellera a moi, tel une caresse, je pourrais même planer dessus. Flottant au gré des éléments, je serai enivré du monde qui s’étend à perte de vue. Si quelqu'un-e s'approche, avec bienveillance et douceur, je me livrerai aux plaisirs du contact. Je ressentirai ses baisers me parcourir, sa chaleur me remplir tout entier.

Je gagnerai alors en confiance ! Si le monde m'a fait nu et fragile, c'est sûrement avec une bonne raison ! Je cheminerai dans la légèreté, m'essayant a toutes les aventures qui se proposent. Me trouvant des complices, des compagnons, nous avancerons tou-te-s ensembles ! Mais il faudra bien que je constate que je suis différent. Survivre au milieu d'eux est un exercice risqué, bien que pourtant aussi souvent plaisant.

Les autres ont hérités de carapaces, ou alors de peaux dures et d'écailles, ou encore de mucus luisants, poisseux, colorés et empoisonnés. C'est difficile d'être constamment heurté, irrité et malade en côtoyant les autres. Alors, lassé des coups blessants des carapaces, fatigué de l'irritation due au frottement des peaux dures et des écailles, éreinté d'avoir la migraine ou la nausée en touchant les sécrétions toxiques, je prendrai mes distances.

Je resterai tout de même près du groupe (au moins en pensée), qui m'est cher. C'est avec lui que j'ai connu la légèreté et l’enthousiasme. Je le suivrai, juste un peu derrière, pour prendre moins de risques. Mais lorsque les autres ne seront plus autour de moi, offrant leur protection, je sentirai le vent froid et sec, insupportable à ma peau délicate.

Les bruits et les odeurs deviendront autant de signes de danger, tapis tout autour. Je serai ensuqué quand il fait chaud, mais transi quand la température baisse. Mon épiderme sera dur et cassant quand il fait sec, mais je deviendrai moite et lourd en présence d'humidité. J'accumulerai les douleurs et la fatigue, jusqu'à ne plus pouvoir suivre le groupe. Je me résignerai alors à le laisser partir, à le regarder s'éloigner.

Je resterai seul, épuisé, blessé. Chaque sensation me fera peur. Est ce un prédateur qui s'approche discrètement ? Est ce la maladie, le feu, le froid, le vide, ou même la mort, qui s'approche pour me saisir ? Je recommencerai à avancer, pour fuir, fuir tout et tout le monde. C'est alors qu'un coup de vent m'emportera, me glaçant, puis me plaquant contre une vague, étourdissante, qui m'écrasera sur la plage. Je regarderai autour de moi… Ouf, je suis passé tout près du rocher. Tiens, quelle jolie coquille ! Son refuge est doux et spacieux ! On s'y sent au chaud ! Un parfait endroit pour cicatriser !

Ce qui vous rends joyeux, ou joyeuses, me galvanise. Ce qui vous plaît, me transcende. Ce qui vous donne de l'entrain, cela me porte et me donne la sensation de pouvoir déplacer des montagnes. Ce qui vous embête me dévaste et me rend odieux. Ce qui vous amuse m'attise et m'enivre, mais ce qui vous rends plus forts me brise. Ce qui vous touche me déstabilise. Ce qui vous blesse me terrasse. Les personnes qui vous plaisent me rendent éperdument amoureux. Bref, je réagis toujours a l'excès. Je suis excessif dans les sensations, dans les intentions comme dans les réactions.

Je suis même excessif dans la façon de gérer tout ça. Si autour de moi se dresse une coquille, elle est inflexible, incontournable et à toute épreuve. Je ne vous verrai plus, ne vous connaîtrai plus, ne pourrai plus vous aimer ni vous détester. Par contre, si je reste nu, je vous aimerai éperdument, ou vous détesterai de tout mon être. Je vénérerai vos bonnes actions et maudirai vos erreurs. Je serai réceptif a tout, tout le temps, que je le veuille ou non. C'est comme ça, je suis un Bernard l’Hermite.

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