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Billet de blog 24 février 2018

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Méritocrachat... Ou autre forme de légitimation de l'injustice sociale.

Gardez vous donc votre bienveillance! On a ce qu'on mérite, paraît-il... C'est un poncif dont l'utilisation se retrouve partout, une croyance bien utile pour arborer une posture de "progrès social". Puisque nous serions égaux à la naissance, puisque notre société offrirait à tous et toutes de gravir l'ascenseur social, pourquoi questionner les formes et les extravagances de cette "réussite" ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mais encore, pourquoi s'attarder sur celles et ceux qui échouent? Pourquoi s'acharner à lutter pour préserver l'idée désuète de solidarité institutionnalisée, sans autre besoin de légitimité et de reconnaissance nécessaire que d'être né-e-s ? Si notre société est profondément juste, pourquoi brider les réussites éventuelles avec un état qui ne serait plus qu'une lourde et contraignante machine dépassée? Pourquoi freiner les meilleurs avec une solidarité organisée envers les "suivants" ? Pourquoi le premier de cordée devrait il continuer d'attendre le reste du groupe, voir même à porter celles et ceux qui "ne sont rien".

L'idéologie du libéralisme économique à remis en cause des valeurs qui semblaient avoir trouvées un sens et une cohérence, au fil de siècles de luttes des "plus faibles". On parle aujourd'hui des "assistés", des "charges sociales", comme si la construction de cette solidarité organisée relevait de l'injustice. Et parallèlement, alors que le respect matériel et effectif de chacun-e, de son droit à la vie, est attaqué de toutes parts... Il nous est paradoxalement expressément demandé de faire preuve de politesse, de bienséance, de cordialité et de déférence envers toutes et tous... Comme si l'usage d'un respect factice, l'application sémantique d'une "considération" de pure forme, allait compenser l'attaque direct aux droits fondamentaux de tou-te-s et chacun-e.

Mais si nos "libres penseurs" ont su dépasser ces "charges psychiques", essentiellement ideologiques, qui entravaient la course à la réussite individuelle, beaucoup d'entre nous savent qu'ils ne réussiront certainement pas, socialement, matériellement, selon les critères généralement admis. Il a donc fallut leur faire accepter la résignation. On a retiré du langage courant les notions d'exploitation, de cotisations, dont les connotations restaient intellectuellement difficilement contestables. Désormais, on exploite paisiblement, pendant que d'autres se complaisent à être d'innommables et indignes assistés. Après avoir travaillé durement au lessivage de notre langage courant, il était enfin possible de se consacrer aux objectifs qui devaient nous transcender toutes et tous, la réussite individuelle et forcenée. Et pendant qu'on "libéralise" l'exploitation, qu'on rationalise la domination, on réglemente et l'on "rentabilise" l'assistance.

C'est alors que survient un événement marquant, pour notre capacité de communication et d'élaboration collective, que sont les dérives spiritualistes de la CNV. Dans un imaginaire collectif empreint de psychanalyse, ou chacun-e doit se concentrer à obtenir ce qui est mérité, comme à mériter ce qui est obtenu... C'est la communication elle même qui serait devenue violence. Ce ne serait donc plus les concepts, portés par les mots, qui seraient violents... Mais leur simple expression. Alors, plutôt que de réfléchir aux concept sous-jacents, il était devenu nécessaire de travailler ces mots, plutôt que sur les maux eux mêmes.

Celles et ceux qui ont déjà lu ma prose savent que je ne suis pas effrayé par son éventuelle violence. Si le fond de ce que j'ai à dire est cohérent, mais potentiellement violent, alors je choisirai les mots qui s'y accordent. Mais mon chemin, comme le vôtre, est émaillé de rencontres, ce qui m'a donné l'occasion de côtoyer des adeptes de cette Communication Non Violente... Celles et ceux qui choisissent de travailler la forme, pour ne pas trop risquer de se confronter au fond. Pourtant, il me semble souhaitable de se souvenir que nous sommes également concernés par le fond, voir même, qu'il est indispensable d'être solidaires de celles et ceux qui le toucheront, le fond. Et nous devons nous souvenir que le conflit nécessite une certaine violence, alors que toute negotiations, que toute avancée sociale, ne peut être produite que par le compromis qu'engendre la résolution d'un conflit.

La CNV, sous sa forme "spirituelle" quand on regarde bien, c'est un signe évident de formes d'interactions déplorables... En premier lieu car c'est avant tout un travers de groupes humains qui ont perdus de vue le sens et l'utilité première du conflit. Côtoyer d'autres humains, c'est vivre des conflits, des tensions, des divergences d'intérêt, qui résident d'abord sur le fond, pas dans la forme. Lisser le language, "pacifier" la forme, c'est donc généralement au mieux une diversion, mais au pire une impasse, ou l'on se perd.

Si ma source n'est pas très fiable (c'est une observation empirique, aussi peu valable que d'autres, quoi), j'ai croisé au fil des ans nombre de gens affichés comme ceinture noire de CNV... Exprimant et diffusant pourtant une violence sourde, permanente, enrobée de fioritures et exprimée au "je"... Des extrémistes de la forme, paradoxalement superficiels sur le fond, lorsqu'iels n'en sont pas totalement dénué-e-s. Indice: les personnes dont la préoccupations principale est d'atténuer l'expression de la violence ne sont que rarement celles qui la maîtrisent intérieurement... Ni même celleux qui la subissent pleinement, dont la préoccupation principale sera de l'affronter ou de la fuir.

Mais venons enfin au fond, si je puis dire, car le fait de dire "je", ou de ponctuer un échange de formules polies, voir policées, n'est pas un problème en soi. Le problème principal, pour moi, dans la posture psychologisante, idéologique et sociologique, que je retrouve très souvent, dans le "développement personnel" (c'est aussi vrai, d'ailleurs, dans une grande partie du milieu "écolo")... Est la limitation des actions qu'impose cette forme, qui finit par ressembler à un macramé de slogans du genre: "Les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, se changer soi pour changer les autres", ou autres métaphores du colibris, etc. (il y est d'ailleurs rarement mentionné la fin du compte originel, où le colibris meurt, seul, évidemment sans avoir contenu l'incendie !)

Ce verbiage m'est au fil du temps devenu insupportable, je vais donc m'en expliquer... C'est la négation de toute forme de pensée systémique, ainsi que du concept même de politique, au passage... Cette posture très actuelle, politiquement correcte, qui individualise les problématiques, répond parallèlement aux envies de faire de grandes choses, comme à la sensation d'en être totalement impuissant. Alors, quitte à dire peu et à se contenter de l'impuissance, autant au moins le faire paisiblement, non?

L'histoire des humain-e-s, qu'on le veuille ou non, est essentiellement une succession de violences et de conflits... Ce qui fait d'ailleurs de la génération des baby-boomers occidentaux des individus singuliers, au regard de l'espèce entière. C'est la première, ainsi sûrement (sous cette forme) que la dernière, "génération dorée". Je veux dire par là que ce sont les seuls, historiquement, pour lesquels l'idée de méritocratie, ou d'ascension sociale, à globalement eut un sens (légitimement ou non). Je dis bien a eut, sciemment, car s'il n'a plus de cohérence potentielle aujourd'hui, je crois que s'en laisser convaincre n'était alors pas totalement incohérent.

Croire que notre société, dans son ensemble, allait paisiblement améliorer sa situation, était alors un mirage crédible. Parmi les fruits de cette croyance illusoire se trouve le dogme que l'on a intitulé "libéralisme". Et désormais, bien que ce mirage soit totalement dissipé, même s'il devient évident que les suivants ne sauraient plus y croire... Il nous est demandé, courtoisement mais fermement, de respecter leur mirage, de constater gentiment et de contester paisiblement. Si nous n'aurons certainement pas collectivement accès aux mêmes conditions de vie, aux mêmes espoirs, il nous faudrait pourtant choisir de supporter calmement les méandres de nos cheminements, qu'eux au moins puissent terminer leur voyage illusoire en paix.

On a, durant ce laps de temps, abandonné le socialisme aux libéraux... Ainsi qu'une foule de rudes apprentissages économiques, élaborés dans la souffrance et la durée des combats. On a également abandonné la laïcité aux chrétiens, ou autres religieux. Cette génération, oubliant que leurs acquis avaient été forgés au prix de rudes batailles, complexes, successivement à des guerres tellement horribles que soumettre les puissants était devenu non négociable... Et oubliant également, au passage, que le pacifisme avait produit, entre autres, la collaboration, puis tolérés les camps de concentration (je parle ici des camps français)... Cette génération s'est assemblée, donc, dans un fatras idéologique totalement incohérent, autant que dangereux, autour des puissants, dont le meilleur exemple contemporain serait sûrement Daniel Cohn-Bendit, feu Dany le rouge.

Mais à bien regarder, les seules avancées qui émaillent ponctuellement cette histoire, celle de tou-te-s, des hommes et des femmes, c'est lorsque le groupe décide de porter, collectivement, la construction d'un système élaboré de gestion de cette violence... J'ai bien écris gestion, donc expression, pas attenuation ou dissimulation. Par exemple, l'économie est violente par essence, car s'y confrontent en permanence les intérêts des un-e-s et des autres. Cependant, la dérégulation actuelle des systèmes économiques correspond à un retour à l'âge de pierre, en terme idéologique et social, comme en terme de justice, donc plus généralement de gestion collective des violences.

Pour zoomer, un peu, les "cadres sup" occidentaux, qui travaillent "l'expression de leur violence", tout en votant Macron, sont la quintessence du mépris de classe et de la violence institutionnalisée. Tout comme la majorité exploitée, qui a consciencieusement appris à se définir comme "classe moyenne", ne semble plus être qu'une masse silencieuse, aveugle et obéissante. Mais heureusement, tout cela commence à se voir... Alors pour encaisser ce regard sur soi même, finalement bien peu glorieux, on travaille l'acceptation... On se construit une image individuelle bienveillante, lisse et respectueuse. Quand bien même il n'est plus possible ni légitime d'attendre quelque respect concret que ces soit en retour.

En cas de besoin, on peut avoir recours aux stratagèmes éculés, par exemple ceux des religions monothéistes... Celles ci sont bien élaborées, en terme de responsabilité individuelle, d'acceptation, ou de poncifs du style "le plaisir ça se mérite", de ritualisation d'une soumission à une autorité infondée et détestable, ou même encore pour pointer des responsabilités individuelles, pour culpabiliser chacun-e, plutôt que de travailler pour plus de justice sociale. Et lorsqu'il devient trop difficile d'être réceptif aux dogmes locaux, on peut "exotiser" tout cela, orientaliser, toltekiser... Comme si on ne savait pas, par moultes occasions et observations, que le bouddhisme par exemple, au fil des siècles, a accompagné et s'est associé aux pires structures sociales pyramidales, aux systèmes de castes les plus violents, ainsi qu'à une discrimination permanente, incontestable, de la naissance à la mort... Ou même plus récemment à la tentative de génocide des rohingya

Le conflit, pondéré, mais porté et choisi, est le seul moyen qui permette aux humains de dépasser les divergences d'intérêt. Par exemple, l'histoire du féminisme n'est faite que de batailles, individuelles et collectives... De femmes qui se sont battues pour porter un pantalon, ou accessoirement pour prouver leurs valeurs intellectuelles, en affrontant de face un ensemble qui sans elle serait demeuré hostile, immobile et discriminatoire. Et même s'il reste tellement à faire, ce qui a été fait l'a toujours été dans la confrontation et la violence, à chaque fois. C'est en imposant au plus grand nombre de justifier sa propre violence et ses discriminations que parfois le plus puissant faiblit, ne parviens plus à justifier, puis recule.

L'idée même de la responsabilité individuelle, lorsqu'on traite d'un sujet social, est un non sens. La simple énonciation du fait qu'on "a ce qu'on mérite" est devenue insupportable. Il est pourtant évident que c'est un crachat au visage de toutes les victimes d'injustices, de discriminations et de violences... Et la seconde guerre mondiale avait entérinée le fait que les pires violences sont souvent celles que l'on a institutionnalisées... Lorsqu'il n'y a donc même pas UN responsable, à qui faire face... Mais seulement un ensemble de responsables, qui se défendront individuellement de n'être majoritairement pas coupables, mais seront pourtant tous responsables.

Il faut arrêter avec la méritocratie, ça n'existait déjà pas lorsque les humain-e-s étaient mille fois moins nombreux qu'aujourd'hui ! De tout temps, il s'est trouvé des mégalos, des arrivistes, des psychopathes, pour violenter, soumettre, discriminer, à leur profit. Les monarchies, les empires, les cultes comme les structures politiques, ont tendues constamment à produire des systèmes coercitifs, articulés sur les dominations, injustes et violentes. Celles et ceux qui "réussissent" ne le méritent pas, en aucun cas, jamais ! Dans la meilleure des éventualités, ils ou elles ont eu de la chance, c'est tout... Et les autres cas, bien majoritaires, sont ceux qui ont nécessités qu'on spolie, qu'on vole et violente, sciemment.

On en est aujourd'hui à avoir un système économique basé sur la nuisance... Les traits de la psychopathie sont dix fois plus répandus chez les traders que dans le reste de la population. On a construit un modèle economique, un modèle "de société", où se foutre de l'impact qu'on aura sur les autres est un facteur de réussite décisif et assumé... Alors pour les autre traders, les non psychopathes, reste l'acceptation, de ce que l'on est comme de ce que l'on fait, pour parvenir à concurrencer "les meilleurs", c'est à dire les plus dénués de considération pour leurs semblables.

L'humanité se meurt de la responsabilité individuelle... Elle pourrit du refus de penser le système, du refus de se battre, de porter les conflits, haut et fort, pour que l'ensemble limite le potentiel de nuisance de chacun. Je suis désolé si mes mots semblent violents, agressifs et/ou méprisants, aux "âmes" les plus "sensibles"... Mais je n'en peux plus du dénit de réalité généralisé et de l'appel à la responsabilité ou au mérite individuel ! Je le vomis chaque jour, je le fuis en m'enfermant chez moi, mais en aucun cas je ne le tolérerai davantage.

Alors oui, nous sommes tous responsables, collectivement, de l'état des lieux... Mais certain-e-s le sont tout de même plus que d'autres. Surtout lorsqu'ils ou elles diffusent un discours nauséabond, depuis leur place de privilégié. La seule réponse possible sera conflictuelle, violente, car les privilèges et les dominations ne se déposent jamais dans le calme et la douceur... L'ampleur de la violence qui en découle est seulement corrélée à celle des injustices qui ont été produites au préalable. L'insurrection succède et provient très généralement de la soumission aveugle qui l'a précédée... L'histoire règle constamment des comptes avec elle même.

Il est possible de se battre avec éthique, sans violence dirigée vers des sous groupes ou des individus, sans souffrance excessive, dès lors que l'on accepte à temps de se battre... Ce qui devient de plus en plus difficile alors qu'on laisse s'accumuler l'injustice et la rancoeur. Certes, nous sommes séparément impuissants, alors que l'injustice est le lot de tou.te.s et chacun.e.s. Mais au regard du monde qui nous entoure et de la société, qui nous a précédée... Elle que l'on laisse lentement et rigoureusement dépérir... Il faudra un jour arrêter de parler de mérite et de responsabilité individuelle ! Il le faudra, inévitablement, pour cesser de justifier l'injustice. Viendra alors la nécessité d'admettre la responsabilité collective, d'admettre que l'ascenseur social fonctionnait par paliers, mais n'avait aucune corrélation avec le mérite.

Il deviendra évident que celles et ceux qui ont réussis ne le méritaient pas, pas plus que les autres, en tout cas... Alors que les victimes et les laissés pour compte méritaient mieux, sans exceptions. Reste à espérer que ce temps n'aura pas laissé croître trop la rancœur, pas trop s'accumuler l'injustice, enfler la souffrance, pour que soit encore possible la maîtrise du conflit et la contention des violences. Ce qui est sûr, c'est que si l'on continue de céder aux forts l'usage de la "violence". Si l'on persévere à miser sur la forme, sur le polissage individuel, pour cette contention, il me reste de tout cœur à nous souhaiter bonne chance... Mais avec bien peu d'espoir !

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