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Billet de blog 23 novembre 2019

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L'anonyme rebelle (3): Laisser s'entendre des voix plurielles

Il s'agit de libres réflexions sur la politique de nos jours (ou la dépolitisation de cette même politique). Ouvertes à la critique argumentée, il ne s'agit pas de thèse à venir et à défendre. Tout au plus, un point de vue... parmi d'autres (et c'est ce "parmi d'autres" qui m'importe plus...)

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Qu’il s’agisse des travailleurs, descendant dans les rues, occupant leur lieu de travail ainsi que les lieux de décision, pour la défense de leur emploi et pour celle de leur salaire ; qu’il s’agisse d’intermittents du spectacle et de précaires qui s’opposent à telle ou telle disposition sociale négociée entre partenaires dits, par la voie réglementaire qui en organise la représentativité, représentatifs (qui, eux-mêmes, forts de leur « légitimité » représentative, entendent conserver leurs prérogatives[1]) et qui en appellent au public pour évoquer alors un grand « Nous » qui, par de telles négociations, serait menacé ; qu’il s’agisse de fonctionnaires s’emportant contre telle ou telle réforme de leur statut ; ou bien encore, de militants associatifs et citoyens de tout horizon qui manifestent contre le régime de rétention d’étrangers entrés illégalement sur le territoire national ou bien contre l’inflation du nombre de caméras de vidéosurveillance et qui entendent ainsi revendiquer un droit à la vie privée dans l’espace public ; ou bien, enfin, de groupuscules ou d’élus qui, tous les recours juridiques et administratifs étant, par ailleurs, épuisés, dénoncent des projets d’aménagement du territoire dits « pharaoniques » ; les médias et réseaux sociaux internet s’en font largement l’écho. Mais à bien y regarder de près, dans le compte-rendu même de ces mouvements, tout semble à ce point si diversifié, si différencié que l’idée même d’une convergence des luttes apparaît alors plus suspecte de stratégie militante et partisane – un pur slogan ! – que révélatrice d’une intention réelle d’unification des luttes. Comme si, à quelque niveau que ce soit, les problèmes devaient être sériés pour être traités et qu’une réponse n’était possible que dans cette série différenciée des éléments ainsi mis à jour. Les uns ne sont pas les autres et la division comme stratégie de gouvernementalité : voilà bien des poncifs par quoi l’on entend résoudre les questions, à l’occasion de débats ou d’interpellations, quand il ne s’agit pas de discréditer et de rendre inaudible ce qui, alors, s’exprime. Mais peut-on à ce point exclure une dimension de la mise en question ainsi formulée toutes les autres qui, ponctuellement comme par éruption, se révèlent dans nos espaces publics ? Y-a-t-il à ce point un décalage, une distance au point que la problématique de l’intégration de l’étranger n’ait rien à nous dire sur l’intégration de quiconque, étranger, européen ou national, dans le commun d’une société ? Mettre à jour la question des conditions de travail et d’ascension sociale et professionnelle des femmes est-il si éloigné de celle de tout individu, homme ou femme, surdiplômé ou non, qui ambitionne l’entrée dans l’emploi et le monde du travail ? Révéler la situation invivable de telles « minorités » se résout-il seulement à, tout d’abord, circonscrire la minorité en question et « son » problème et, par la suite, à aménager, par la magnanimité du législateur, les dispositions juridiques et législatives comme s’il s’agissait d’octroyer, un peu par bonus, beaucoup par compassion, une mesure généreuse de tolérance ? En somme, si la diversité est légitime à revendiquer, au nom de sa singularité propre, ses droits, les droits des uns ne sont-ils pas aussi le droit de tous ? Le singulier est-il si différent du commun ? En somme, la démocratie même n’est-elle pas dans cette dissonance éruptive des voix singulières, dans la dissidence à travers des « scènes contemporaines » d’insoumission, non pas dans une perspective de rupture mais avec l’horizon de travailler au commun ?

Le « recours aux forêts ».

C’est une des caractéristiques du Rebelle. Cette métaphore que développe Ernst Jünger n’est pas sans rappeler le retrait de Thoreau dans la forêt de Walden, tout autant, d’ailleurs, que la crainte inspirée par les habitants des forêts, hordes de sauvages venus, dans les temps anciens, dévaster les champs, villages et bourgs. Mais, dans son essai de 1951, Le Traité du Rebelle, Jünger ne se contente pas d’une étude littéraire comparée ou d’une dissertation d’historien. De façon, significative, alors que l’Allemagne se reconstruit et que s’opposent l’Est et l’Ouest, il commence son propos par une critique de la démocratie formelle, d’élection et du nombre. Nos sociétés, laisse-t-il entendre, ont beau organiser, par le suffrage, la prise de position des électeurs, le résultat, comparable en cela aux simulacres d’élections en régime autoritaire, qui culminent à des taux d’adhésion inestimables (plus de 98%), n’est pas différent de ce que nous avons appelé plus haut le court-circuit de la  démocratie. Si l’élection renvoie au cérémonial de la prise de position, en conscience, de l’électeur ; si le vote inspire « un sentiment d’assurance, et même la conscience d’un pouvoir, celle dont s’accompagne l’acte volontaire et libre, accompli dans la sphère du droit »[2], demeure cette impression que tout est déjà joué d’avance et que le plébiscite totalitaire n’est que la continuation de l’élection libre de nos sociétés démocratiques. C’est contre ce plébiscite[3] que se lève le Rebelle, d’abord sous la forme de l’abstention, puis sous celle du vote nul : dans les deux cas, le Rebelle décide de n’accorder aucun crédit aux possibilités politiques offertes et affirme un non qui, s’il vise l’institution, n’est guère inquiétant, pour autant qu’il soit marginalisé. « De là naît une résistance – non seulement celle d’un électeur, mais d’un habitant sur cent. »[4] Pour Jünger, le rebelle, outre qu’il pose l’acte de sa dissidence, est d’abord homme/habitant et, accessoirement, électeur/citoyen. Le « recours aux forêts » n’est pas une fuite, et le Rebelle n’est pas le proscrit qui subit la sentence de la loi et du système. C’est la liberté même, le dernier mot que le Rebelle[5] oppose au système. Quant à la forêt, métaphore littéraire, elle « est partout présente. Il existe des forêts au désert comme dans les villes, où le Rebelle vit caché sous le masque de quelque profession. Il existe des forêts dans sa patrie, comme sur tout autre sol où peut se déployer sa résistance.»[6] Tirant les leçons de Thoreau retiré à Walden, le recours aux forêts, sous le plume de Jünger, devient alors cette épreuve par laquelle l’individu entré en rébellion s’éprouve lui-même, éprouve la moralité de l’homme en lutte contre un ordonnancement du monde vis-à-vis duquel il ne peut donner son assentiment.

Cette figure intemporelle, ainsi que le note Henri Plard pour traduire le terme Waldgänger qu’emploie Jünger, dans l’édition originale, est celle qui entre en dissidence, quel qu’en soit le contexte. Autrement dit, qui fait de son acte un acte politique, au sens plein du terme. Non sans quelques élans qui idéalisent le geste, comme l’on pourrait d’ailleurs idéaliser la révolution et la rupture qu’elle inaugure, passant ainsi sous silence la continuité institutionnelle qu’elle préserve, la dissidence réactive et remet en scène la réappropriation de l’espace politique. La forêt, pour aussi hostile qu’elle soit, n’est pas tant, pour l’auteur, le lieu sauvage et inhabité que cet espace plein où le rebelle se ressource, afin, si son acte triomphe, de réaménager l’espace de nos villes comme celui de nos existences. Il s’agit, en effet,  de faire valoir, qu’en dépit « des professeurs de droit civil [et des] maîtres du droit public »[7], c’est bien « la liberté [qui] pèse plus lourd dans sa balance. »[8]

Dans cette perspective, Jünger reconnaît alors que ce qui est en jeu se situe sur cette ligne de partage entre les institutions sociales et le pouvoir souverain de l’individu[9]. Sous cet aspect, la théorie rebelle, comme le geste, redistribue les rôles et les paroles au sein de l’espace politique. Elle œuvre très certainement à une réhabilitation de la position qu’exprime l’hétérodoxie de l’insoumis en le confrontant, conflictuellement, à l’orthodoxie du droit. Par là, elle ouvre à un espace politique qui, s’affrontant à l’espace institutionnel public, en reconfigure, même vainement, les contours. Le recours aux « forêts » peut alors se dire de ce moment où le droit est saisi par le droit lui-même.

Une telle perspective embarrasserait les juristes : elle serait l’annonce d’une faillite du droit qui rendrait impossible toute règle. Pour autant, elle n’est pas sans rapport avec la question de la possibilité du droit qui, dans le cadre d’une communauté instituée, rend compte de l’adhésion des uns et des autres à cette même communauté. S’inspirant du modèle américain – seul cadre institutionnel, selon Hannah Arendt, en 1970, autorise, malgré quelques aménagements, ce qu’elle développe sous l’expression de « désobéissance civile » -, donner   son « consentement tacite généralisé à la constitution »[10] n’implique pas l’accorder à toute loi ou disposition réglementaire de politique générale, pas plus qu’il n’équivaut au délit que commet le délinquant de droit commun. C’est par ces distinctions que Hannah Arendt envisage la désobéissance civile. Il nous faut ici en rappeler les éléments qui en constituent les caractéristiques essentielles.

C’est d’abord par une série de figures opposées qu’elle parviendra à la définition de ce type d’action politique. L’acteur de la désobéissance civile n’est, en effet, ni un Socrate des temps modernes qui, comme lui, s’en prendrait non pas au système mais aux juges dont il est la victime, ni une imitation de Henry David Thoreau qui, selon elle, « s’est placé sur le terrain de la conscience individuelle et des obligations imposées par cette conscience morale, sans invoquer la question des rapports de la conscience du citoyen avec la loi. »[11]. Il n’est pas un révolutionnaire[12], et encore moins, nous l’avons dit, un délinquant de droit commun qui, quand il viole les lois, le fait pour son propre intérêt. Même si, dans tous les cas, la sanction de la loi est attendue. Par ailleurs, elle précise à plusieurs reprises que l’acteur de la désobéissance civile ne peut être un individu isolé. Pour elle, en ces périodes (1970) de résistance contre la guerre du Vietnam, le mouvement de désobéissance civile est un « phénomène de masse », entendons : non pas le fait d’un individu, atomisé et séparé de tous les autres membres de la communauté, mais d’un groupe. « La désobéissance civile ne peut se manifester et exister que parmi les membres d’un groupe. »[13] Plus tard, elle reviendra sur cet aspect en soulignant qu’il ne peut y avoir de désobéissance civile sans une association volontaire dans une communauté qui, n’étant pas une communauté d’intérêts (recherchant la reconnaissance de son intérêt propre et circonscrit), met au défi les autorités, fait le procès du dysfonctionnement normatif et fait valoir un droit contre le droit institué.

Dans la perspective adoptée, Arendt signale qu’à ne pas saisir la dimension essentiellement collective de la désobéissance civile ainsi que la qualité des opinions véhiculées[14], on méconnaît tout à fait la dimension politique de tels actes, comme aussi leur nécessité proprement démocratique. Hannah Arendt avoue qu’il serait bien difficile, pour un système juridique, de reconnaître un droit à la désobéissance civile. Mais, cette difficulté n’est pas un argument suffisant pour ne laisser, au sein d’un cadre de lois et de normes, une place. Elle conforte, en effet, le contrat tacite entre le citoyen et la communauté dont il est le membre et elle fait du dissensus non pas une pathologie (ce sont les institutions elles-mêmes qui souffrent de leurs propres carences) mais, au contraire, une réactivation de ce contrat. Et c’est bien ce que note Etienne Balibar quand, dans sa lecture de l’essai de Arendt, il fait valoir que non seulement l’acte de désobéissance civile abolit la verticalité de l’autorité politique qui est jugée défaillante ou fautive d’outrepasser ses prérogatives, mais il tente de restaurer la légalité même au prix et au risque de l’illégalité[15]. En somme, à travers l’acte de désobéissance civile, il s’agit d’introduire l’illimitation et l’indétermination de l’arché politique en faisant passer le jugement du côté du citoyen quelconque et anonyme et ne pas le laisser réserver à l’autorité politique. A cet égard, le recours aux forêts, loin d’être la rupture et la marginalisation dont on pourrait facilement l’accuser, est le moment essentiel et la réactivation, la redynamisation de ce qui fait la communauté : son idée régulatrice.

En insistant sur la dimension nécessairement collective de la désobéissance civile, Hannah Arendt nous invite ainsi à penser le groupe, même informel, comme acteur politique à part entière. Le groupe, par sa dimension d’association horizontale, aménage l’égalité. Consciente des dangers que peut représenter cette égalité et que, avant elle, Tocqueville avait mis en avant[16], elle insiste sur cette dimension groupusculaire et dénonce, par la même occasion, la méprise et l’erreur des juristes sur les différentes affaires qu’ils sont amenés à instruire. « Car, précise-t-elle, il doit leur être particulièrement difficile de voir dans celui qui fait acte de désobéissance civile le membre d’un groupe et non simplement celui qui viole individuellement la loi et fait déjà en puissance figure d’inculpé. »[17] En fait, ce qu’elle met ici en relief, c’est que si la justice et les tribunaux ont besoin d’individualiser le tort, et donc de désigner et nommer celui qui le commet, l’acte politique est d’abord ceux d’anonymes réunis pour et dans une même association politique. L’égalité n’est pas le masque des activistes politiques : si elle est la condition, qui se met en scène et se prolonge dans la solidarité des associés, c’est qu’elle ne requiert aucun nom, aucune identité personnelle. L’acte de désobéissance civile n’a pas de signature. Il est la responsabilité de tous, et tous les participants en sont l’auteur.

Cette perspective de l’anonymat doit retenir notre attention. En dissociant, au début de son essai, l’acte de désobéissance civile de l’objection de conscience, Arendt préparait le terrain. En renvoyant l’objection à un pur cas de conscience personnelle, elle prévient que ce n’est pas le débat entre les consciences qui fait le sens commun, à l’œuvre dans l’acte de désobéissance civile. Au sujet des prescriptions de conscience,

« sur le plan politique et juridique, une justification de ce genre comporte deux graves défauts. En premier lieu, elle ne saurait être généralisée, car elle doit demeurer subjective pour garder sa validité. Une autre conscience pourrait trouver fort léger le poids d’un acte qui, personnellement, nous paraîtrait insupportable. Il en résulte que les consciences individuelles se dressent les unes contre les autres. […] Mais il existe une autre difficulté, sans doute plus sérieuse : à supposer que cette conscience ne se définisse que sur un plan purement profane, il faudrait penser que l’homme possède, non seulement le don inné de distinguer le bien du mal, mais encore qu’il s’intéresse à lui-même, car l’obligation ne peut résulter que d’un intérêt de ce genre. Et l’on ne saurait dire qu’un tel intérêt va de soi. Nous savons bien que les êtres humains sont capables de réfléchir – de dialoguer avec eux-mêmes – mais combien sont-ils, ceux qui se livrent à cette peu profitable entreprise ? La seule chose qu’il nous soit permis d’affirmer est que l’habitude de penser, de réfléchir au sens et aux conséquences de ses actes ne dépend nullement de la position sociale, de l’éducation ou de la valeur intellectuelle des individus. »[18]

Par ailleurs, du côté de la réception publique de ce retrait individuel qu’imposerait sa conscience, il serait facile de n’y voir que l’excentricité d’un marginal. Ou encore : facile d’aménager  les systèmes réglementaires afin d’accueillir l’objection de conscience, lui faire place au rang des conduites normalisées, mais aussi, de ce fait, lui retirer non pas sa signification personnelle, mais sa dimension politique. En somme, de court-circuiter la parole individuelle qui énonce la décision de se retirer et de se soustraire d’un cadre de conduites que la personne estime injuste et indigne. Si nous voulons conserver et appréhender la nature proprement politique de la désobéissance civile, nous devons reconnaître que « nous avons affaire en fait à des minorités organisées qui s’opposent à des majorités présumées passives, bien qu’elles ne soient nullement « silencieuses ». Il me paraît indéniable que, sous la pression des minorités, l’état d’esprit et l’opinion de ces majorités se sont considérablement modifiés. »[19]

Autrement dit, c’est souligner l’effet contagion de la désobéissance civile et c’est cette contagion qui, à la fois, peut inquiéter les gouvernants comme donner au message véhiculé une force d’impact dans l’espace politique. A cet égard, l’acte n’a rien à voir avec l’exemplarité d’une conduite accomplie par tel ou tel et qu’il s’agirait, si l’on y consent, de reproduire en l’imitant.

Parler d’exemplarité ici n’a rien d’innocent. Le terme renvoie, en fait, à une valeur que l’acteur dit exemplaire entend consacrer. En définitive, il prescrit un ordre des choses et c’est bien cet élément prescriptif qui oriente toute son action. D’une certaine façon, la figure socratique, en acceptant le verdict des juges qu’il dénonce par ailleurs (la justice, certes, mais pas comme ils l’exercent), ne fait que réaliser l’ordre de la loi sans laquelle il n’aurait pas le nom qui est le sien. Et donc son identité. Conduite morale, elle est d’autant plus cohérente qu’elle s’inscrit dans un ordre des choses consenti et qui, par son comportement, doit être maintenu. Condamnant l’opinion, les normes qui réalisent l’articulation entre les domaines de la légalité, de la morale, de la religion et du social, Socrate demeure le produit de la loi qui le fait citoyen d’Athènes. Aussi, même s’il affiche la force de sa liberté de penser, « Socrate fait remarquer que l’injustice dont il est victime n’est pas due à la loi, mais à son application par des hommes qui ont mal jugé, qui l’ont pris, à tort, pour un corrupteur de la jeunesse. Socrate, par sa pratique philosophique, s’en prend aux normes et aux nomoi, mais en les distinguant des lois de la Cité athénienne pour lesquelles il a un véritable respect, dont il analyse rationnellement le bien fondé. »[20] Mais s’il le fait en son nom propre, s’il agit ainsi qu’il le revendique, c’est qu’il place la citoyenneté, l’identité à la cité, au-dessus de tout et, notamment, de ce qui le délierait de l’acte fondateur du consentement. L’exemplarité est alors de ne pas y renoncer, tout aussi critique et dissident que l’on soit face à la manière dont le contrat se perpétue et s’aménage. C’est bien là ce qui caractérise l’élément prescriptif de la conduite exemplaire. S’il y a un « cette justice-là, mais pas en mon nom », ce nom est celui d’un modèle de vertu et de courage qui, s’il est suivi, restaurera peut-être les noms mêmes de la justice bafouée comme de celui qui a pu en dénoncer les abus. Peu importe d’ailleurs que la conduite soit suivie, peu importe le nombre de celles et de ceux qui s’en inspireront et tenteront de la mettre en scène, l’acte dissident de Socrate n’est pas celui d’un insoumis et encore moins un acte de destitution. S’il est critique et rebelle, il reste solitaire… ce qui lui confère son exemplarité. Comment alors comprendre l’acte d’insoumission qui est celui d’un groupe et celui d’anonymes réunis ?

De l’insoumission.

Qu’elle soit dissidente et individuelle – mais Claude Lefort, depuis son article paru dans Libération, en 1977, «  Les dissidents sociétiques et nous », nous prévenait de nous méfier de l’effet d’optique grossissant que l’emploi médiatique du terme « dissident » produit[21] - ou qu’elle soit collective, l’insoumission, par des anonymes, que nous évoquons impose une séquence de rupture politique qui, indépendamment de son succès, dans les faits comme dans les esprits, est soit l’objet d’une disqualification radicale et d’une répression militaire, soit l’ouverture et la tentative de re-signification du contrat qui lie l’insoumis à la communauté.

Insoumis, c’est, par exemple, le colonel Marie-Georges Picquart. Antisémite, chef du 2e Bureau, le service de renseignement militaire, il n’eût de cesse de travailler à disculper Dreyfus et à faire valoir la culpabilité de ses supérieurs. Maurice Blanchot, dans Les intellectuels en question – Ebauche d’une réflexion[22], s’en inspire pour définir l’intellectuel, qu’il soit écrivain ou non : « contrairement à son nom, souvent [il] ne sait pas grand-chose, mais du moins s’en tient à une idée simple selon laquelle il y a une exigence qu’il faut maintenir envers et contre tout. C’est cette simplicité qui fait sa force, mais exaspère aussi, parce qu’elle semble si haute qu’elle fait fi des circonstances. Elle aboutit à cette extrême prétention d’être juge des juges et d’investir d’une autorité supérieure ceux mêmes qui affirment ne pouvoir s’en réclamer d’aucune. »[23] Ce n’est donc pas par rapport au savoir, à un savoir ou une certaine expertise, que se caractérise l’autorité de l’intellectuel et ses œuvres intellectuelles ne sont que de peu de poids[24], sur la scène publique, contrairement à cette « extrême prétention d’être juge des juges » et ainsi, de renverser l’ordre de l’institution. Telle est avant tout la force et la puissance de sa décision, certes personnelle, mais où s’affirme d’abord le souci du commun et des autres (de « ceux mêmes qui affirment ne pouvoir s’en réclamer d’aucune »). Et s’il ne fait pas de la politique son métier, s’il ne s’en désintéresse pourtant pas, c’est qu’il est « comme un guetteur qui n’est là que pour veiller, se maintenir en éveil, attendre par une attention active où s’exprime moins le souci de soi-même que le souci des autres. »[25] Le souci des autres ne s’entend pas ici d’un pur altruisme : il a davantage le sens de la communauté des uns et des autres, de la pluralité des voix singulières qui donnent vie à cette communauté.

On pourrait, certes, lire une sorte de mise en voix comme de mise en scène de la parole de l’intellectuel, porte-parole de ces autres qui ne disposeraient pas du langage adéquat ou, en se faisant porte-voix, démunis des ressources qui en assureraient l’audience. Mais ce serait se méprendre sur la nature même de la décision et les intentions qui l’amènent à parler et à entrer sur la scène. Par ailleurs, il semble que ce « souci des autres » passe aussi par l’anonymat paradoxal qu’une rapide histoire de ce qu’on appelle « Le manifeste des 121 »[26] rend compte. Pour ce qui nous concerne, ce n’est pas tant le texte du Manifeste qui nous importe ici que les intentions qui ont présidé à son élaboration et que Blanchot tente de démêler[27].

Dès 1958 et l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, un certain nombre d’intellectuels veulent intervenir. Parmi eux : Dionys Mascolo, Jean Schuter, Robert Antelme, Louis-René Des Forêts. Blanchot, après un court séjour à Eze, rentre sur Paris et, travaillant avec Mascolo à la revue Le 14 Juillet, prend conscience de « la certitude (ou le pressentiment) d’une fondation de la pensée par insoumission »[28]. Ce qui, déjà, donne le ton de la déclaration de 1960. « Cet esprit d’insoumission […], attachement paradoxal à la loi républicaine, transgression éphémère mais nécessaire et régulièrement re-fondatrice du lien communautaire, n’a de vérité qu’à se fonder sur des principes essentiels : « le respect des vivants et des morts, l’hospitalité, l’inviolabilité de l’être humain, l’imprescriptibilité de la vérité. »[29] Au printemps 1960, des protagonistes du « Réseau Jeanson »[30], dix-huit militants français et six algériens, sont arrêtés et incarcérés. Par ailleurs, des actes d’insoumission, dans l’armée, et de désertion se multiplient. Dès le début de l’écriture du Manifeste, il y a la volonté claire de donner à ces actes la légitimité qu’ils ne trouvent pas devant les autorités militaires et judiciaires. Entre avril et juin 1960, quinze versions du Manifeste seront en circulation et retravaillées, Blanchot intervenant à partir de la neuvième et récoltant, fin du printemps et durant l’été  de cette même année, les signatures. Par quelques indices, les Ecrits politiques de Blanchot nous sont utiles pour saisir ce qu’il faut comprendre par « signature », qui, en définitive, ne doit pas en être une.

Ce texte est une prise de position, non pas tant pour ou contre la guerre d’Algérie[31], non pas pour ou contre le F.L.N. et les mouvements révolutionnaires de l’époque, mais une prise de position face à l’Etat français et contre lui. Il ne s’agit pas de nier « l’autorité de l’Etat en toutes circonstances. [La Déclaration] dénonce, au contraire, le pouvoir actuel comme anarchique et non fondé sur une autorité véritable. »[32] Autrement dit, la Déclaration introduit ici un premier renversement de la charge accusatrice : ce n’est pas le jeune français appelé à combattre en Algérie et qui refuse l’ordre de mobilisation qui est en cause, mais l’Etat français qui, en lui intimant l’ordre de rejoindre les rangs des soldats français, l’invite à « [favoriser] bon gré mal gré les desseins antidémocratiques des chefs d’armée et [à contribuer] ainsi lui-même à briser sa liberté politique. »[33] Autre renversement, celui-ci dans l’ordre de la souveraineté : le pouvoir de l’autorité étatique est qualifié et dénoncé d’anarchique, par là-même disqualifié en tant que démocratique. L’insoumission n’est pas l’invitation au désordre et la revendication du chaos : ceux-ci sont déjà installés et sont le fait de « la transformation du pouvoir militaire en pouvoir politique. »[34] Il s’agit donc bien d’inverser l’ordre des responsabilités et, par là, l’ordre chronologique dans l’historiographie de ce qui est appelé la « Guerre d’Algérie ». Par ailleurs, la dénonciation opérée ici n’est pas une pure protestation de circonstance dirigée contre un système politique – ne viserait-elle que la personne de De Gaulle. Elle est bien, Blanchot le répète plusieurs fois, un énoncé qui en appelle à la démocratie quand les actions gouvernementales sont jugées antidémocratiques. Appel qui s’ancre dans un « acte de jugement » le plus intransigeant qui soit puisqu’il s’impose par le « refus extrême »[35]. C’est-à-dire, Etienne Balibar le développe ainsi, le refus au risque de la mort elle-même. Mais refus aussi, parce que s’inaugure, dans l’acte même de cette Déclaration et à travers le contenu de ce jugement, une nouvelle définition du Droit. Celle-ci ne pouvant s’élaborer que dans une insurrection, non pas morale, mais politique et juridique. L’insoumission est donc bien ce moment où le droit est saisi par le droit lui-même.

« Je dis bien Droit et non pas Devoir, comme certains, d’une manière irréfléchie, auraient voulu que s’exprime la Déclaration, sans doute parce qu’ils croient qu’une formulation d’un devoir va plus loin que celle d’un droit. Mais cela n’est pas : une obligation renvoie à une morale intérieure qui la couvre, la garantit et la justifie ; quand il y a un devoir, on n’a plus qu’à fermer les yeux et l’accomplir jusqu’à l’aveuglement : alors tout est simple. Le droit, au contraire, ne renvoie qu’à lui-même, à l’exercice de la liberté dont il est l’expression ; le droit est un pouvoir libre dont chacun, pour lui-même, vis-à-vis de lui-même, est responsable et qui l’engage complètement et librement : rien n’est plus fort, rien n’est plus grave. C’est pourquoi il faut dire : droit à l’insoumission ; chacun en décide librement. »[36]

On voit bien ce qui s’engage : s’il revient à chacun de se décider par rapport à l’insoumission, ce n’est pas seulement un cas de conscience. C’est, par cet emploi et les précisions que Blanchot en donne, la question de l’étendue de mon pouvoir vis-à-vis des institutions. Mais il précise tout aussitôt : cette insoumission n’est pas générale et ne peut se généraliser. Elle reste circonscrite : « droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. » Généraliser un tel droit aurait affaibli considérablement l’acte même de ce jugement. Ce n’est pas un droit contre l’autorité en soi. Dans les circonstances, ce droit répond à l’absence de légitimité des autorités. Précisons encore cette « extrême prétention » : ce n’est pas un droit contre le droit, mais un droit qui fonde le droit en tant que tel. « Le droit à l’insoumission désigne le droit qui se fonde et, ou se maintient, dans ce refus et à partir de ce refus : le droit de ne pas être opprimé et de n’être pas oppresseur. »[37] Ou, en suivant la lecture qu’en propose Etienne Balibar : « Avec le texte de Blanchot – comme peut-être, d’une autre façon, avec Arendt – nous avons la pure revendication du droit négatif contre la négation du droit, hic et nunc dans l’urgence de la conjoncture. »[38] Autrement dit : re-signifier ce que doit être le droit, mais aussi ce que peut être notre relation, individuelle, au droit.

A certains qui, alors, reprochaient aux « signataires » un texte de circonstance et une intention opportuniste de reconnaissance médiatico-politique, comme d’ailleurs au juge qui interroge Blanchot sur sa « signature », celui-ci balaie d’un revers de main la question de l’auteur. Il ne s’agit pas ici d’un pur geste littéraire de l’écrivain qui revendique pour la littérature « le droit à la mort »[39], ainsi que l’effacement silencieux de l’auteur[40]. Cette disqualification de l’auteur est, en la circonstance, un acte politique, dans la continuité de la Déclaration. Au juge qui lui demande s’il en est l’auteur, Blanchot aura deux réponses. Pour  la première : « la démarche qui consiste à diviser les responsabilités, à chercher à établir une pseudo-hiérarchie de responsabilité, est une démarche fondamentalement erronée, elle méconnaît la vérité de tout texte collectif, signé collectivement : à savoir que « chacun en a sa part et tous l’ont tout entière ». Tout ce que vous chercherez à me faire dire qui ira contre cette affirmation qui est le sens de tout texte collectif, sera faux, et je le révoque par avance[41] La seconde, alors que le juge lui fait comprendre qu’avec ce texte il est coupable du délit d’incitation à l’insoumission, il rétorque : « Non seulement je ne me reconnais pas coupable, mais je dis que c’est vous juges, vous gouvernement, qui vous rendez coupables d’un usage abusif et illicite des mots trahison et insoumission, lorsque vous les appliquez dans la situation actuelle, caractérisée et par la guerre scandaleuse d’Algérie et par la transformation, du fait de cette guerre, de l’armée en puissance politique – situations où les obligations civiques traditionnelles n’ont plus cours. »[42] Peu importe donc qui signe !

Il nous faut insister sur cette revendication de non-signature. Elle n’est pas une parade et ne relève pas d’une stratégie de défense. Si la Déclaration dénonce le pouvoir, elle s’adresse d’abord à ceux qui, appelés sous les drapeaux, refusent cet appel. Dans cette optique, elle entend, nous l’avons déjà dit, conférer une légitimité à ceux qui défient l’injonction militaire. Et si l’on se reporte au texte de la Déclaration, elle n’oblige pas, ne prescrit rien mais, considérant que « chacun doit se prononcer sur ce qu’il est désormais impossible de présenter comme des faits divers de l’aventure individuelle », elle signifie que

« Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.

Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.

La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. »[43]

Dans les circonstances de l’époque, le texte prend position. Il n’est toutefois pas une posture, notamment révolutionnaire. Si l’on entend par révolution l’institution d’un ordre nouveau, le texte ne le revendique pas pour lui-même. Son efficacité est ailleurs, qui déstabilise l’ordre établi qui, de son côté, ne peut y répondre qu’avec l’autorité de ses concepts, de ses étiquettes et classes (coupables, déserteurs, insubordination), par quoi il réaffirme son autorité. « Je ne me reconnais pas coupable, dit Blanchot. L’ironie de la parole c’est qu’il l’est tout de même bien dans le cadre de la distribution des rôles à laquelle procède le juge. Mais l’ironie vient aussi de cette distribution qui est elle-même, à l’encontre du pouvoir judiciaire, redistribuée et les coupables de l’institution judiciaire, à travers cette transgression de Blanchot, ne le sont plus. En somme, ce qui est en jeu ici, dans cette insoumission qui saisit le droit par la négation du droit, c’est qu’il n’est plus alors possible de le concevoir comme indépendant et d’envisager l’autorité politique et judiciaire comme ayant le seul monopole de dire la justice, même si la mise en scène de l’accusation semble en renforcer le trait. Ainsi, s’opposent deux types de voix : celle de l’agent (le juge) dont l’office et la mission est de garantir l’ordre public et de dire le droit au mépris du droit lui-même ; celle singulière de l’intellectuel, qui se revendique anonyme, qui n’a d’autre force que cette « extrême prétention à dire le juste », pour ce qu’il est et devrait être. Si la première ne reconnaît, pour la seconde, aucune raison d’être, inversement, la seconde dénie à la première l’exercice même de son office et de sa juridiction. Ce « négatif du droit » qu’elle produit, à l’encontre de la « négation du droit », n’est pas l’abolition du droit mais, seulement, et ce n’est pas mince, la négation de ce que le droit ne peut pas être, sauf à consentir à la violence à laquelle, en l’état, l’institution nous condamne. En ce sens l’efficacité de la Déclaration est de faire entendre une parole de destitution du pouvoir. En effet, en dénonçant la liberté bafouée par le pouvoir militaro-politique, elle fait entrer sur scène l’Autre du pouvoir.

Dans le texte de la Déclaration, cet Autre du pouvoir n’est pas désigné, n’est pas nommé. Il n’est pas du tout question d’un peuple ou du Peuple souverain sur lequel la Déclaration de 1789 s’appuie et auquel la théorie du contrat fait référence. Le texte de la Déclaration évoque « un mouvement très important qui se développe en France », « de plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis », «  beaucoup de Français sont venus à remettre en cause le sens de valeurs et d’obligations traditionnelles », « la conduite des Français qui estiment… ». La seule mention au peuple français est introduite pour justifier au nom de qui le pouvoir français opprime le peuple algérien. On comprend bien vite que ce « nom du peuple » est, pour Blanchot, une référence fallacieuse. Par ailleurs, le dernier alinéa de la Déclaration évoque « la cause du peuple algérien ». Mais dans l’énoncé même, ce n’est pas tant l’Algérien ou le Français en tant que tels qui sont désignés pour leur contribution à la ruine du système colonial. C’est d’abord et avant tout, et par une généralisation du propos qu’on ne retrouve pas ailleurs dans le texte, le fait et « la cause de tous les hommes libres ».

Qui sont ces hommes libres ? Ils sont entrés spontanément en résistance, « en marge de tous partis officiels, sans leur aide et, à la fin, malgré leur désaveu », « en dehors des cadres et des mots d’ordre préétablis »[44]. Autrement dit : qui n’ont pas attendu que 121 personnes, intellectuels comme artistes, célèbres ou non, interviennent dans l’espace public. Le supposer, comme voudraient le penser les autorités françaises, serait un anachronisme. Le méconnaître serait méconnaître ce qui, en l’âme et conscience de chacun, fait valoir l’intransigeant refus de servir. Ces hommes libres sont bien alors cet Autre du pouvoir judiciaire comme médiatico-politique qui, dans leur position et leur refus tout singulier, manifeste ce droit légitime de n’être ni oppresseur ni opprimé. Ils reconfigurent le partage des responsabilités comme du pouvoir et leur force, même isolée, est d’introduire une séquence de rupture.

Il faut approfondir cette reconfiguration et cette rupture. Il y a dans l’attitude du juge quelque chose qui échoue. Même si le pouvoir en place met tout en œuvre pour saisir le numéro de la revue des Temps modernes et pour empêcher la diffusion du texte, le numéro 173-174, août-septembre 1960, paraîtra bien, avec, en page de couverture, la mention en gras « numéro spécial après saisie ». En lieu et place du texte de la déclaration, deux pages blanches, suivies de deux autres pages où se juxtaposent le nom des signataires. L’exercice de la censure d’Etat a bien opéré. Mais, loin d’avoir été aussi efficace que le pouvoir en place l’espérait, cet exercice s’est tout aussitôt retourné contre son auteur. Aux 121 signataires, ce double numéro, amputé non seulement du texte de la Déclaration mais aussi de témoignages ayant trait aux événements d’Algérie (pas moins de 80 pages), réussit à trouver son public et à réunir de nouvelles signatures. Entre août et novembre 1960, au gré des éditions, les 121 sont devenus 255. Car cette censure, plutôt que de faire taire, ne laisse pas sans voix ceux qu’elle désigne comme coupables.

Dans le palais de justice, elle leur permet même de retrouver voix et de subvertir l’interpellation judiciaire en l’inversant comme en la re-signifiant. Autrement dit, Blanchot, devant son juge, reconquiert le pouvoir que le premier entend lui dénier. Par là, ce n’est pas celui qu’on dit qui est !

[1] Lors du dernier conflit des intermittents, en cet été 2014, il n’était pas rare d’entendre les partenaires signataires de l’accord social contesté signaler que renoncer à cet accord reviendrait à renoncer au paritarisme…. Autrement dit, s’il y a bien une chose que la contestation ne peut remettre en cause, c’est l’intérêt des partenaires sociaux à le rester.

[2] E. Jünger, Le Traité du rebelle, trad. Henri Plard, éd. Christian Bourgeois, coll. « Choix essais », 1995, p. 11.

[3] « L’électeur est pris dans ce paradoxe d’être invité à une libre décision par une puissance qui, pour sa part, n’a nullement envie d’observer les règles du jeu. C’est la même puissance qui lui extorque des serments, tout en vivant de leur violation. » Op. citée, p. 25

[4] Op. citée, p. 32.

[5] « Le Rebelle est l’individu concret, agissant dans le cas concret. Il n’a pas besoin de théories, de lois forgées par les juristes de parti pour savoir où se trouve le droit. Il descend jusqu’aux sources de la moralité, que n’ont pas encore divisées les canaux de l’institution. » Op. citée, p. 125

[6] Op. citée, p. 116.

[7] Op. citée, p. 130.

[8] Op. citée, p.131.

[9] « En considérant ici l’événement, non « sur le navire », mais du point de vue du recours aux forêts, nous le portons devant le tribunal de l’individu souverain. A lui de décider ce qu’il faut tenir pour son bien propre, et comment il le défendra. En un temps comme le nôtre, il fera bien de se découvrir le moins possible. Il aura donc à distinguer, dans son inventaire, les biens qui ne méritent pas un sacrifice, et ceux pour lesquels il vaut la peine de lutter. Ce sont les biens imprescriptibles, les propriétés véritables. » Op. citée, p. 137.

[10] Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, « La désobéissance civile », éd. Pockett, 1970, p. 90.

[11] Op. citée, pp. 61-62. Pour Arendt, il s’agit plus d’un cas d’objection de conscience : « Ainsi, les prescriptions de la conscience se rapportent à l’intérêt que l’on porte à sa propre personne. Prends bien garde, nous disent-elles, d’accomplir un acte en compagnie duquel tu ne pourrais pas vivre. C’est ce même raisonnement qui conduisit « Camus à faire ressortir la nécessité de s’opposer à l’injustice afin de préserver son bien-être et sa santé mentale ». » (p. 66)

[12] Mais plutôt l’acteur d’une « situation révolutionnaire – qui, bien entendu, ne conduit pas toujours, loin de là, à la révolution » (p. 71)

[13] Op. citée, p. 57.

[14][14] « Il faut néanmoins […] retenir qu’il s’agit, dans ce cas, de minorités organisées, suffisamment importantes, non seulement par leur nombre, mais par la qualité de leur opinion, pour qu’il soit dangereux de les négliger. » (p. 78 ; c’est l’auteure qui souligne)

[15] « Mais elle [la désobéissance civile] ne vise pas non plus le simple fait qu’un régime en proie à une crise de légitimité doive faire face à des phénomènes d’insubordination et d’illégalité croissante. En un sens, c’est tout le contraire : il s’agit de mouvements collectifs qui, dans une situation bien déterminée et avec des objectifs limités, abolissent la forme « verticale » de l’autorité au profit d’une association « horizontale », de façon à recréer les conditions d’un consentement libre à l’autorité de la loi. » Etienne Balibar, La Proposition de l’égaliberté, « Arendt, le droit aux droits et la désobéissance civique », éd. PUF, coll. « Actuel Marx – Confrontation », p. 215

[16] « Il n’est pas nécessaire de rappeler les anciens débats sur les mérites et les périls de l’égalité, sur les avantages et les inconvénients de la démocratie, pour se rendre compte que tous les mauvais démons pourraient de nouveau se déchaîner si le modèle premier des contrats d’association – celui d’un engagement mutuel assorti de l’impératif moral pacta sunt servada – devait être définitivement abandonné. » Hannah Arendt, p. 99.

[17] Op ; citée, p. 100.

[18] Op. citée, pp. 66-67.

[19] Op. citée, p. 100.

[20] Maryvonne David-Jougneau, Socrate dissident – Aux sources d’une éthique pour l’individu-citoyen, éd. Actes Sud, 2010, p.155

[21] « Nous ne pouvons circonscrire la dissidence à une couche sociale, celle des intellectuels, ou à l’une de ses strates, les intellectuels non-conformistes. » Il précisait plus loin : « Combien y a-t-il de gens privés de liberté en U.R.S.S. ? Boukovsky répond : deux cents millions. […] Disons donc que les dissidents, quel que soit leur statut social et quel que soit leur langage sont, du seul fait qu’ils incarnent l’Autre de la société totalitaire, les représentants de toutes les couches opprimées. » Claude Lefort, « Les dissidents soviétiques et nous », in L’invention démocratique, éd. Fayard, 1994, p. 179 et 180.

[22] Edition Fourbis, 1996.

[23] Op. citée, pp 36-37.

[24] Blanchot note, plus haut : « l’intellectuel n’est donc pas un spécialiste de l’intelligence : spécialiste de la non-spécialité ? L’intelligence, cette adresse de l’esprit apte à faire croire qu’il en sait plus qu’il ne sait, ne fait pas l’intellectuel. » Op. citée, p. 13

[25] Ibidem.

[26] Le texte de la Déclaration se trouve en annexe.

[27] Il s’agit de textes publiés ou non, de courriers ou de notes, qui accompagnent le texte du Manifeste, et qui sont réunis dans le recueil Maurice Blanchot – Ecrits politiques 1953-1993, éd. Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF », 2008.

[28] Citation in Christophe Bident, Maurice Blanchot – partenaire invisible, éd. Champ Vallon, coll. « essai biographique », 1998, p. 385.

[29] Ibidem.

[30] Réseau organisé autour du Francis Jeanson : il s’agissait de militants français qui opéraient pour le compte du F.L.N. afin de récolter des fonds et des faux papiers. Au mois de février 1960, leur procès est annoncé pour le mois de septembre de la même année. 

[31] La Déclaration dit : « Ni guerre de conquête, ni guerre de « défense nationale », la guerre d’Algérie est à peu près devenue une action propre à l’armée et à une caste qui refusent de céder devant un soulèvement dont même le pouvoir civil, se rendant compte de l’effondrement général des empires coloniaux, semble prêt à reconnaître le sens. ». Maurice Blanchot – Ecrits politiques 1953-1993, p.51.

[32] « La déclaration n’est pas un manifeste de protestation », Op. citée, p.70

[33] Ibidem.

[34] Op. citée, p.71.

[35] « Toute la force de la Déclaration est dans la simplicité de ce mot : insoumission. L’insoumission est le refus extrême. » Op. citée, p. 71

[36] Dans un entretien avec Madeleine Chaspal, Op. citée, p. 60. Blanchot rappelle aussi que le tribunal de Bordeaus, en 1953, avait condamné des officiers français pour ne s’être pas insurgés contre les ordres allemands, lors de la Seconde Guerre mondiale, instituant ainsi, du point de vue juridique, une droit à l’insoumission.

[37] « La déclaration n’est pas un manifeste de protestation », op. citée, p. 71.

[38] Etienne Balibar, « Blanchot l’insoumis », in Citoyen sujet et autres essais d’anthropologie politique, éd. PUF, coll. « Pratiques/théoriques », p. 451.

[39] Son essai « la littérature et le droit à la mort », in La part du feu.

[40] Dans une lettre à Globe : « oui, le silence est nécessaire à l’écriture. […] de là aussi, que l’auteur en tant que Je, doit faire le plus possible abstraction de soi. Il n’a pas à survivre, et s’il vit, en principe personne ne le sait et peut-être non plus, lui-même. » Maurice Blanchot, écrits politiques, op.citée, p. 246.

[41] « Interrogatoire avec le juge », op.citée, p.84. Je souligne.

[42] Op. citée, p. 87.

[43] Extraits de la Déclaration, op. citée, p. 53.

[44] Expressions de la Déclaration, Maurice Blanchot, écrits politiques, op. citée, p. 52.

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