Déjouer la résignation, retour sur une victoire électorale par François Ruffin - Le Monde Diplomatique -
Dans ma profession de foi aux électeurs, j’écrivais donc : « Demain, comme député, je ne vous promets pas la lune. (…) En revanche, je m’engage à ça : devant les ministres, devant les PDG, je ne me dégonflerai pas. Je ne courberai pas l’échine. Je ne serai le petit soldat ni d’un gouvernement ni d’un parti. Je ferai entendre votre voix. (…) Si vous m’accordez l’écharpe tricolore, ma voix sera alors forte de vos milliers de voix. Pour les secouer, ma légitimité sera renforcée. Devant eux, grâce à vous, je tremblerai moins. Je serai fier de vous représenter. »
Au soir du premier tour de la présidentielle, Mme Le Pen obtient 29 % des voix dans la circonscription ; M. Macron, 23 %. M. Jean-Luc Mélenchon arrive juste derrière, à 22 %, en tête dans les quartiers populaires, loin derrière dans les campagnes. Un pour cent d’écart, ça se rattrape ! Il nous faudrait simplement vaincre l’« abstention différentielle » des pauvres, des ouvriers, des jeunes, qui délaissent les premiers les urnes. Vaincre, surtout, l’inertie qui, toujours, fait des législatives une vague donnant une vaste majorité au président, à base de « Il faut bien lui donner sa chance… ».
À l’issue du premier tour, nous laminons le FN : 16 % pour lui, 24 % pour nous. À Flixecourt, une municipalité communiste où Mme Le Pen avait triomphé quelques semaines plus tôt, nous obtenons 41 % des voix. Dans la circonscription, le candidat macroniste caracole loin devant nous, à 34 %. Nous avons 4 000 voix de retard. Mais c’est déjà une victoire : c’est démontré, les classes populaires, même celles des campagnes, peuvent revenir à gauche. Les ouvriers ne sont pas condamnés au vote d’extrême droite.
La nuit même, nous imprimons à 70 000 exemplaires un tract de quatre pages : « Dites non à Macron ! Dimanche, faites barrage à la finance ! » Durant la journée, nous faisons du porte-à-porte, grimpons les cages d’escalier, avec frénésie. Et le soir, chaque soir, nous organisons une manifestation festive. Aucune minute ne sera perdue. Le lundi, nous serons quatre-vingts, avec fanfare, tambours, casseroles et sono, à Saint-Maurice. Le lendemain, nous manifestons à la fois à Abbeville et à Amiens. Et puis à Longueau, à Flixecourt, à la Salamandre, à Rouvroy, au Soleil-Levant. La veille du scrutin, nous distribuons des poèmes, et affichons « Laissez parler votre cœur » sur la banderole.
Dimanche 18 juin, nous l’emportons avec 56 % des voix, 74 % à Flixecourt. En une semaine, nous avons gagné 10 000 bulletins. D’où sortaient-ils ? Comment sommes-nous parvenus à motiver notre camp, malgré une puissante abstention ? Qu’est-ce qui les a convaincus ? Dans notre débauche d’initiatives, laquelle s’est révélée efficace ? Et, surtout, que pourrait-on reproduire ailleurs ?