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Billet de blog 3 juin 2018

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En guerre – pour la préemption salariale !

Frédéric Lordon, 21 mai 2018 : " On ne résiste à la puissance suffocante du film de Stéphane Brizé (En guerre) qu’à y discerner une place vide, la place du discours manquant. Il faut absolument y voir cet espace inoccupé, et la possibilité de le remplir, l’espace d’une réponse, c’est-à-dire d’un discours à déployer, opposable aux impossibilités montrées par le film ....."

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Illustration 1

Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 21-05-2018

C’est insupportable, car ce que montre le film, c’est la force d’un ordre institutionnel capable de se donner raison à lui-même, un ordre qui mure portes et fenêtres, qui bouche toutes les issues pour ne laisser subsister que sa vérité. Lorsque les économistes stipendiés, les experts de service, les éditorialistes débiles et les patrons odieux disent qu’« il n’y a pas d’alternative », c’est vrai. C’est vrai parce que les structures ont été aménagées pour que ce soit vrai. Lorsqu’ont été installés la déréglementation financière et le pouvoir actionnarial, le libre-échange commercial au mépris de toute norme sociale et environnementale, la libéralisation du régime des investissements directs, c’est-à-dire de la localisation des sites industriels (à laquelle on ajoutera celle des sièges sociaux), il est exact que tout est joué ou presque, et qu’en effet il n’y a plus d’alternative. En somme, la disparition des alternatives, ça s’organise.

........

Toutes les fois où des salariés choisissent autre chose que leur destruction, le ministère de la propagande intégrée est là, entier, écumant, pour leur tomber dessus : France 2, BFM, France Info (la BFM étiquetée « service public »), France Inter dont les matinaliers s’égosillent à chaque occasion pour savoir si tout de même on ne condamne pas ces violences. Car voilà : il faut « condamner les violences ». En 2010, Pujadas, à l’aise, croit pouvoir se faire en petite foulée le syndicaliste des Conti après le passage des ordinateurs de la sous-préfecture de Compiègne par la fenêtre. Le malheureux : il ne sait pas qu’il est tombé sur un os. L’os s’appelle Xavier Mathieu et lui, qui ne pratique pas la reptation comme l’autre, a une colonne vertébrale. Ici, coup d’arrêt : le tribunal des procureurs médiatiques, c’est fini. L’ère des condamnations sélectives « des violences », c’est terminé. Voulez-vous parler « des violences » ? C’est parfait, examinons-en donc le tableau d’ensemble. Mais c’est ce que le ministère de la propagande qui s’ignore ne veut en aucun cas ! Lui, ce qui l’intéresse, ce sont les chemises de DRH et rien d’autre. Qu’on lui donne une voiture de PDG sur le toit comme dans le film de Brizé, là oui, sa joie est faite. Mais le film, précisément, a le mauvais goût de montrer aussi tout ce qui conduit à la voiture à l’envers – car elle ne s’y est pas mise toute seule, et l’hypothèse de la sauvagerie naturelle des ouvriers n’y suffit pas non plus. Loi générale : les gens font des choses parce qu’on leur a fait des choses. Or, ici, les choses qu’on leur a faites, on les voit. Du coup, les choses qu’ils font, on les comprend – au double sens du terme même. Si le film de Brizé est étouffant quand il semble nous laisser sans issue, il est politiquement salutaire quand il restaure les images manquantes, les images antécédentes – celles que les médias prennent bien soin de ne jamais montrer, pour que surtout jamais on ne comprenne.

......

Des dossiers préfectoraux au vent, des vitrines brisées, des sacs de nuggets en déshérence, c’est très grave. Goodyear : divorces par dizaines, naufrages individuels dans l’alcoolisme, surendettements, maisons vendues, 750 salariés sans solutions, RSA. Seize suicides aussi. Les médias avaient parlé du « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. À seize suicidés chez Goodyear, on passe le seuil technique du « saccage » ? on ne le passe pas ?… On ne l’a pas passé. L’humanisme étendu souffre plus pour les nuggets ou les ordinateurs, dont il est vrai qu’on ne souligne pas assez la cause.

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