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« La dernière ressource de la bourgeoisie est le fascisme, qui remplace les critères historiques et sociaux par des normes biologiques et zoologiques de façon à se libérer de toute restriction dans la lutte pour la propriété capitaliste », écrivait Léon Trotsky. Difficile de ne pas faire le parallèle avec les risques que la situation actuelle fait peser sur l’état démocratique de la France, suite aux élections législatives de juin 2022. Difficile aussi de ne pas voir, derrière la sincérité du vote des électeurs, la mise en place d’un climat médiatique et politique qui a permis à la confusion et à l’exaspération de devenir le guide des citoyens, en votant aussi massivement pour des députés d’extrême-droite.
Cela n’est pas une surprise en tant que tel : les scores régulièrement hauts de Marine Le Pen aux deux récentes élections présidentielles, ainsi que la bollorisation progressive de l’espace public et médiatique, n’ont fait que rendre banales, voire normales, les idées de l’extrême-droite. Petit à petit, les commentateurs y ont participé : en cherchant les causes d’un tel vote, en légitimant les sentiments qui se cachaient derrière, en infantilisant les électeurs et en naturalisant leur choix, l’éditocratie française a, quasiment collectivement, permis que le Rassemblement National devienne un parti comme un autre – avec des idées comme les autres. Peu importe que ces idées mette littéralement en danger la vie de milliers de personnes et porte atteinte aux droits fondamentaux, après tout, tant que les intérêts tranquilles et confortables d’une majorité de français sont en sécurité.
Evidemment, il y aurait beaucoup à dire sur le programme de l’extrême-droite (en agglomérant à la fois le Rassemblement National et le zemmourisme de Reconquête !), mais cela n’a plus d’intérêt à ce stade. Ces narratifs sont en train de gagner du terrain, malgré leur antiféminisme, leur homophobie, leur racisme, leur antisémitisme, leur islamophobie, leur transphobie, leur classisme, leur spécisme. Malgré la gravité de ces discriminations et de ces formes de domination, l’espace médiatique a fini par faire passer la revendication de droits fondamentaux pour de simples caprices communautaristes – et pour, in fine, des détails électoralistes qui mèneraient la République à sa perte. Si tant est que le terme de République ait encore un sens, d’ailleurs.
Bien sûr, les coupables sont multiples : le Rassemblement National est d’ailleurs, assez paradoxalement, presque un gagnant par contumace. De la zemmourisation des thématiques des plateaux de chaînes d’info en continu, en passant par l’éditocratie de café du commerce qui gangrène un nombre de plus en plus importants de quotidiens et d’hebdos, sans parler de la galaxie du Printemps Républicain qui continue à faire semblant d’être de gauche en portant des discours nauséabonds et confusionnistes, sous couvert de fulgurance intellectuelle germanopratine, c’est un ensemble assez vaste d’individus et d’instances qui ont, patiemment, déroulé le tapis rouge aux idées d’extrême-droite – et donc, ultimement, à sa représentation parlementaire. Mais tous ces individus et toutes ces instances partagent bien évidemment une particularité : ils sont représentatifs d’une bourgeoisie dont les intérêts économiques, politiques et sociaux ne seront (pour l’instant du moins) jamais mis en danger par cette extrême-droite qui a appris à enrober ses discours immondes de politesses républicaines.
Mais alors, quel rapport avec le climat ? En quoi cela concerne-t-il l’écologie ou l’environnement ? C’est en fait très simple, et il y a une réelle opposition frontale entre la montée de l’extrême-droite dans les démocraties et l’urgence à appliquer des politiques qui répondent au changement climatique. A partir du moment où l’extrême-droite sert des intérêts de classe, et que cette classe n’a pas vocation à modifier le système qui la sert pour répondre au changement climatique, alors les choses sont très claires. Quand on sait que les catastrophes climatiques vont entraîner de massives vagues de migration forcées, avec des populations totalement démunies qui vont devoir trouver de nouvelles terres pour vivre, alors on comprend parfaitement en quoi l’extrême-droite risque de séduire certains électeurs : non pas en répondant à l’urgence climatique, mais en apportant une réponse brutale et accélérationniste à ses conséquences.
Lorsque l’on ne souhaite pas réduire les inégalités économiques et sociales, en entretient de facto des privilèges écocidaires qui nourrissent la crise climatique. Lorsque l’on menace la diversité linguistique et culturelle, alors que l’UNESCO a déjà largement montré à quel point celle-ci est consubstantielle de la biodiversité dans le monde, alors on entretient la crise climatique. Lorsque l’on souhaite répondre à l’égalité nécessaire des droits humains et des droits du vivant par la répression, l’obsession sécuritaire et la violence des traitements, alors on maintient des systèmes de domination qui entretiennent la crise climatique. Lorsque l’on transforme les nécessités écologiques locales en réflexes naturalistes qui reposent sur l’essentialisation des peuples et des rapports entre humains, alors on entretient la crise climatique.
Face à l'accumulation de crises à venir, toutes liées à l’urgence climatique dont la bourgeoisie a parfaitement conscience, la défense de ses intérêts sera toujours une force irrésistible. Et s'il faut embrasser les thèses de l’extrême-droite au passage, et bien soit, après tout, le "en même temps" peut tout embrasser. Sauf la gauche, puisque celle-ci menace ces mêmes intérêts de classe. Et de fait : ma crainte face à l'urgence climatique, ce n'est pas l'émergence d'une "dictature verte", comme je l'ai expliqué au cours d'entretiens donnés pour la sortie d'Ecoarchie ; ce type de régime fantasmé n'a aucune chance d’aboutir, pour des raisons propres à notre acculturation forte à ce système qui nous conduit à la catastrophe, mais autour duquel notre vie est toute entière construite.
Ce qui est à craindre, tout au contraire, c'est un vote repli identitaire et sécuritaire face à la multiplications des crises liées au climat. Se battre pour le climat et le vivant, nécessairement, c’est se battre contre un système qui est désormais prêt à utiliser tous les ressorts à sa disposition, y compris les plus violents et les plus abjects, pour survivre. Pour le climat, nous ne pouvons faire autrement que faire le choix de l’écoféminisme, de l’antifascisme, de la radicalité sociale et économique. Notre rôle, désormais, est de faire sécession : l’hésitation n’est plus permise face à un système qui, au mieux, offrira greenwashing et techno-solutionnisme comme uniques réponses à une catastrophe qui nous menace toutes et tous.