IL FAUT REVOQUER LES SANCTIONS CONTRE JEAN LASALLE ET L’ANNULATION DU VOTE DANS SA COMMUNE
Alejandro Teitelbaum*
Les décisions du Conseil Constitutionnel d'annuler le vote du 2ème tour de l’élection présidentielle dans la commune de Lourdios-Ichère au motif que le député Jean Lassalle a rendu publique dans le bureau de vote sa décision de s'abstenir et celle de la Procureure de la République de Pau qui a ouvert une procédure pénale contre lui, sont arbitraires et doivent être révoquées.
Le Conseil Constitutionnel a déclaré que « M. Lassalle a, d’une part, ainsi méconnu les dispositions de l’article L. 49 du Code électoral prohibant la diffusion de messages à caractère de propagande électorale la veille et le jour du scrutin et, d’autre part, par son comportement, porté atteinte au respect dû à la dignité des opérations électorales auxquelles il a participé en qualité de candidat au premier tour. Ces agissements ont, eu égard à la notoriété de M. Lassalle dans la commune de Lourdios-Ichère et à sa qualité de député et d’ancien maire, été de nature à altérer la sincérité du scrutin dans cette commune. Il y a lieu, par suite, indépendamment des éventuelles poursuites pénales susceptibles d’être engagées, d’annuler les suffrages exprimés dans cette commune. »
Le Professeur Richard Ghevontian à écrit :
La notion de « sincérité du scrutin » est, sans doute, l'une des plus répandues du droit électoral. Le juge électoral, quel qu'il soit, l'utilise très fréquemment dans ses décisions et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c'est son respect ou son atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du contentieux en cours.
Au cœur même du droit électoral, la notion de sincérité du scrutin souffre cependant d'une sorte de défaut de visibilité.
Si sa perception « macroscopique » est relativement simple, elle s'avère beaucoup plus complexe lorsque l'on passe au niveau « microscopique ».
Vue de loin, on peut définir la sincérité du scrutin comme le révélateur de la volonté réelle de l'électeur. Dès lors que celle-ci ne peut pas être connue de manière certaine, et donc qu'il est impossible de connaître avec certitude le choix majoritaire des électeurs, l'élection est annulée par le juge
Toute la question est alors de savoir ce qui permet de garantir cette sincérité du scrutin. Et il faut bien reconnaître qu'ici, la réponse n'est pas aisée tant les cas retenus par la jurisprudence sont nombreux et variés.
En réalité, en y regardant de près, on s'aperçoit que cette notion en apparence éclatée trouve son unité autour du respect d'un certain nombre de principes fondamentaux du droit électoral que l'on peut intégrer, pour reprendre l'expression de Pierre Garrone, dans le « patrimoine électoral européen ».
Ces principes sont : l'égalité, la liberté et le caractère secret du vote. Ils sont d'ailleurs si importants qu'ils font l'objet, dans la plupart des démocraties respectueuses de l'État de droit d'une consécration constitutionnelle.
Ainsi, la Constitution française de 1958, proclame-t-elle dans son article 3 alinéa 3 que « le suffrage est universel, égal et secret ». Même si cet article ne fait pas référence de manière expresse à la liberté de suffrage, celle-ci est implicite : toute violation de cette liberté serait, en effet, directement contraire au principe démocratique réaffirmé à l'article premier de la Constitution. (Richard Ghevontian - Professeur à la Faculté de droit et science politique d'Aix-Marseille - GERJC-CNRS UMR 6055, Directeur de l'IEFEE -CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 13 (DOSSIER : La sincérité du scrutin) - Janvier 2003)
Le Conseil Constitutionnel dit que M. Lasalle a violé l’article 49 du Code Électoral, bien que l’acte accompli par M. Lassalle dans le bureau de vote ne figure pas dans cet article
Même si c'était le cas, ce que M. Lassalle a fait, c'est de revenir publiquement sur sa décision de voter blanc et - sans troubler l'ordre public – de s'abstenir, en faisant usage de sa liberté d'expression, qui a une hiérarchie constitutionnelle.
Compte tenu de l'imprécision de la notion de "sincérité du scrutin" signalée par le professeur Ghevontian et de la non-correspondance des agissements de M. Lassalle avec les faits décrits à l'art. 49 du Code électoral, le droit constitutionnel à la liberté d'expression doit prévaloir.
Et, bien sûr, il est absolument inapproprié d'engager une procédure pénale contre M. Lassalle, ce qui violerait surtout le principe "nullum crimen, nulla poena sine lege" ou principe de la légalité.
Celui-ci est un principe fondamental garanti par les articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par l’article 111, alinéa 3 du Code Pénal, et par l´article 11, alinèa 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Ce principe de légalité des peines va venir regrouper cinq idées différentes. Tout d’abord, l’interdiction pour le juge de créer le droit. Le juge ne peut pas punir un fait non prévu et non réprimé par la loi pénale. Ce dernier est alors tenu de se référer aux textes pour les peines légalement pénales d’une part et applicables de l’autre. Ensuite, le processus d’incrimination pénal suppose la nécessité de traduire juridiquement les faits et de rechercher le texte qui leur correspond et leur est applicable.
Le franc parler de M. Lassalle dérange l'establishment. La question reste de savoir si les décisions du Conseil constitutionnel et de la Procureure sont politiques ou si elles sont le résultat de lacunes dans la connaissance de certains principes fondamentaux du droit.
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