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Billet de blog 2 avril 2024

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La complicité de génocide dans la jurisprudence des TPI

En l’absence de définition conventionnelle, la notion de «complicité de génocide » a soulevé des difficultés et divergences d’interprétation au sein de la jurisprudence des deux tribunaux pénaux internationaux (TPI)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LA COMPLICITÉ DE GÉNOCIDE DANS LA JURISPRUDENCE

DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

Par Daniel Dormoyet

Marina Yetongnon∗∗

Revue Québécoise de droit international

En l’absence de définition conventionnelle, la notion de «complicité de génocide » a soulevé des difficultés et divergences

d’interprétation au sein de la jurisprudence des deux tribunaux pénaux internationaux (TPI), le Tribunal pénal international pour l’ex-

Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), notamment en ce qui concerne la mens rea. En effet,

alors que certains jugements du TPIR ont considéré la notion de «complicité dans le génocide » , telle que prévue aux articles 4 (3) e)/

2 (3) e) des deux statuts des TPI comme une forme de participation distincte de celle «d’aide et d’encouragement » au génocide

découlant des articles 7 (1)/ 6 (1), d’autres décisions des deux tribunaux ont plutôt conclu que les éléments de la mens rea de la

complicité dans le génocide sont identiques à ceux de l’aide et l’encouragement au génocide. C’est cette dernière approche que

semble désormais adopter les décisions récentes des deux juridictions. S’agissant de l’actus reus, alors que la «complicité dans le

génocide » exige un acte positif, l’ «aide et l’encouragement au génocide » peut prendre la forme d’une omission. Un simple

encouragement ou soutien moral apporté à l’auteur principal, comme des déclarations verbales ou même une simple présence en tant

que «spectateur approbateur » sur les lieux du crime, peuvent suffire.

En l’absence de définition conventionnelle, la notion de « complicité de génocide » a soulevé des

difficultés et divergences d’interprétation au sein de la jurisprudence des deux tribunaux pénaux

internationaux (TPI), le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal

international pour le Rwanda (TPIR), notamment en ce qui concerne la mens rea. En effet, alors que

certains jugements du TPIR ont considéré la notion de « complicité dans le génocide », telle que prévue aux

articles 4 (3)e)/2 (3)e) des deux statuts des TPI comme une forme de participation distincte de celle

« d’aide et d’encouragement » au génocide découlant des articles 7 (1)/6 (1), d’autres décisions des deux

tribunaux ont plutôt conclu que les éléments de la mens rea de la complicité dans le génocide sont

identiques à ceux de l’aide et l’encouragement au génocide. C’est cette dernière approche que semble

désormais adopter les décisions récentes des deux juridictions. S’agissant de l’actus reus, alors que la

« complicité dans le génocide » exige un acte positif, l’« aide et l’encouragement au génocide » peut

prendre la forme d’une omission. Un simple encouragement ou soutien moral apporté à l’auteur principal,

comme des déclarations verbales ou même une simple présence en tant que « spectateur approbateur » sur

les lieux du crime, peuvent suffire.

In the absence of a conventional definition, the notion of “complicity in genocide”, specifically regarding

mens rea, raised difficulties and divergent interpretations in the jurisprudence from the two International

Criminal Tribunals (ICT): the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY) and the

International Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR). In fact, whereas certain decisions of the ICTR

considered the notion of “complicity in genocide”, pursuant to article 4 (3)e)/2 (3)e) of the two statutes of

the ICT, as a form of participation distinct from one who “aids and abets” genocide, which is based on

articles 7 (1)/6 (1); other decisions from the two tribunals concluded instead that the elements of mens rea

in “complicity in genocide” is identical to that of “aiding and abetting” genocide. This latter approach

seems to be adopted in the recent decisions of the two jurisdictions. With regard to actus reus, where

“complicity in genocide” demands a positive act, “aiding and abetting” genocide can take the form of an

omission. Simple encouragement or moral support given to a principal actor, such as verbal declarations or

even presence as an approving spectator at the scene of the crime, can suffice.

∗ Professeur, Chaire Jean-Monnet à l’Université Paris-Sud 11; président du Réseau francophone de droit

international (RFDI) et directeur du Collège d’études internationales (EA 2712). L’auteur peut être

rejoint à l’adresse suivante <danieldormoy@aol.com>.

∗∗ Doctorante à l’Université Paris-Sud 11, rattachée au CEI et membre du RFDI. L’auteure peut être

rejointe à l’adresse suivante <marinayetongon@aol.com>.

82 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

Après le colloque que nous avions organisé les 1er, 2 et 3 décembre 1998 à

l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des

droits de l’homme et de la Convention pour la prévention et la répression

du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948 par l’Assemblée

générale des Nations unies, et les regards croisés que nous avions portés

sur ce crime, sa prévention et sa répression1, nous avions pensé avec Katia

Boustany organiser, plus tard, un autre colloque, pour suivre les nouveaux

apports de la jurisprudence et traiter des questions que nous n’avions pu

alors aborder. Nous avons pensé rendre hommage à Katia en traitant une

de ces questions laissées en suspend et sur laquelle nous aurions tant aimé

pouvoir encore croiser avec elle nos regards et être ses complices.

* * *

La complicité est un mode particulier de participation criminelle qui existe

dans l’ensemble des systèmes juridiques qu’ils soient de droit romano-civiliste ou

inspirés de la common law. Elle fait partie intégrante du droit international pénal

depuis les jugements de Nuremberg. S’appuyant sur diverses sources

conventionnelles et des jugements consécutifs à la Seconde Guerre mondiale, la

Chambre de première instance, dans l’affaire Tadic, a eu l’occasion de souligner que

le concept de responsabilité pénale individuelle directe et de « culpabilité individuelle

pour avoir assisté, aidé et encouragé, ou participé » à une entreprise ou à un acte

criminel, trouve un fondement en droit international coutumier2.

L’étude de la complicité est particulièrement complexe comme l’indiquent

l’absence de définition conventionnelle consistante de la notion ainsi que les

difficultés et divergences d’interprétation qu’elle a suscitées au sein de la

jurisprudence des deux tribunaux pénaux internationaux (TPI), le Tribunal pénal

international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le

Rwanda (TPIR), notamment en ce qui concerne le génocide. Néanmoins, une

première définition sommaire permet de retenir que la complicité est une forme de

responsabilité qui implique qu’un individu s’associe à un crime, sans accomplir

personnellement les éléments constitutifs dudit crime3. Cela suppose donc une

pluralité de participants intervenant à divers titres dans la réalisation d’une même

entreprise délictueuse4. Pour autant, il ne faut pas confondre la complicité avec la

1 Katia Boustany et Daniel Dormoy, dir., Génocides, Bruxelles, Bruylant, 1999.

2 Le Procureur c. Dusko Tadic, T-94-1-T, Jugement (7 mai 1997) aux para. 666-669 (TPIY, Chambre de

première instance) [jugement Tadic].

3 Le Procureur c. Milomir Stakic, IT-97-24-T, Jugement (31 juillet 2003) au para. 533 (TPIY, Chambre

de première instance) [jugement Stakic]; The Prosecutor v. Radoslav Brdjanin, IT-99-36-T, Jugement

(1er septembre 2004) au para. 727 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement Brdjanin]; The

Prosecutor v. Vidoje Blagojevic and Dragan Jokic, IT-02-60-T, Jugement (17 janvier 2005) au para.

776 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement Blagojevic et Jokic].

4 Voir notamment, Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, 7e éd., t. 1, Paris, Cujas, 1997

aux pp. 678-679; Philippe Conte et Patrick Maistre du Cambon, Droit pénal général, 7e éd., Paris,

Armand Colin, 2004 à la p. 233.

Complicité de génocide 83

participation à une « entreprise criminelle commune » à proprement parler, qui

constitue une forme de « commission » au sens des articles 7 (1) et 6 (1) des statuts

des deux TPI5, le participant à cette entreprise étant responsable en tant que coauteur,

à la différence de la complicité qui est une forme de responsabilité accessoire6. En

effet, la doctrine considère parfois que la complicité est une criminalité d’emprunt

dans la mesure où, en soi, l’acte de complicité n’est pas pourvu de criminalité propre

mais emprunte sa criminalité à l’acte de l’auteur de l’entreprise délictueuse. La

criminalité du complice n’apparaît alors que lorsque l’infraction a été réalisée par

l’auteur principal7. En conséquence, pour qu’une personne soit reconnue complice de

génocide, il faut d’abord apporter la preuve d’un génocide au-delà de tout doute

raisonnable8. Cela ne signifie pas pour autant que l’auteur principal présumé du

génocide doive nécessairement être identifié, appréhendé ou jugé avant que son

complice ne soit poursuivi mais simplement qu’il est nécessaire d’établir que l’auteur

5 Statut du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, Doc. off. C.S., 48e sess., Annexe (1993), en ligne :

TPIY <http://www.un.org/icty/legaldoc-f/basic/statut/statute-feb06-f.pdf>; Statut du Tribunal pénal

international pour le Rwanda, Doc. off. C.S. (1994), Annexe, en ligne : TPIR <http://69.94.11.53/

FRENCH/basicdocs/statutef.html> [Statut du TPIR]. Pour les articles dont les dispositions sont

identiques dans les statuts des deux TPI, nous indiquerons systématiquement en premier l’article dans

le Statut du TPIY et en second, l’article équivalent dans le Statut du TPIR. Ainsi, pour éviter les

répétitions des mots « Statut du TPIY » et « Statut du TPIR », nous écrirons par exemple :

« articles 7 (1)/6 (1) ».

6 Dans les cas où il s’avèrerait inadéquat d’engager la responsabilité de l’accusé pour complicité de

manière à ne pas sous estimer son implication criminelle, la jurisprudence a recours à la responsabilité

sur le fondement d’une « entreprise criminelle commune » (ECC). Ainsi, dans l’arrêt Tadic, la

Chambre d’appel a fait une distinction nette entre, d’une part, un acte commis en vue de réaliser

l'objectif ou le dessein commun de commettre un crime et, d’autre part, le fait d’aider ou d’encourager

la perpétration d’un crime. Sans rentrer dans les détails, on peut signaler que d’après la jurisprudence :

- dans le cas de la complicité, contrairement à l’ECC, il n’est pas nécessaire de prouver l’existence

d’un plan concerté; - le complice commet des actes qui visent spécifiquement à aider, encourager ou à

fournir un soutien moral en vue de la perpétration d’un crime spécifique (meurtre, extermination, viol,

torture, destruction arbitraire de biens civils, etc.), et ce soutien a un effet important sur la perpétration

du crime. En revanche, dans le cas d’une ECC, il suffit que le participant commette des actes qui visent

d’une manière ou d’une autre à contribuer au projet ou à l’objectif commun; - s’agissant de la

complicité, l’élément moral requis est le fait de savoir que les actes commis par le complice

contribuent à la perpétration d’un crime spécifique par l’auteur principal. Par contre, dans le cadre

d’une participation à une ECC, c’est-à-dire d’une coaction, l’élément moral requis est l’intention de

réaliser un but commun à laquelle vient s’ajouter la possibilité pour le coauteur de prévoir que des

crimes qui n’étaient pas envisagés dans l’objectif criminel commun étaient susceptibles d’être commis.

Voir notamment, The Prosecutor v. Dusko Tadic, IT-94-1-A, Arrêt (15 juillet 1999) au para. 229

(TPIY, Chambre d’appel) [Arrêt Tadic]; Le Procureur c. Milorad Krnojelac, IT-97-25-A, Arrêt (17

septembre 2003) aux para. 31-33 (TPIY, Chambre d’appel) [arrêt Krnojelac]; Le Procureur c. Mitar

Vasiljevic, IT-98-32-A, Arrêt (25 février 2004) au para. 102 (TPIY, Chambre d’appel) [arrêt

Vasiljevc]. Dans le jugement Kvocka, la Chambre a également précisé qu’un complice dans le cadre

d’une ECC, dont les actes, initialement, aident à la réalisation du dessein criminel ou en facilitent

l’accomplissement de toute autre manière, peut atteindre un degré d’implication tel qu’il en devient un

coauteur. Le Procureur c. Miroslav Kvocka (Camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje), IT-98-

30/1, Jugement (2 novembre 2001) aux para. 249, 255 et 262 (TPIY, Chambre de première instance)

[jugement Kvocka].

7 Voir notamment Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, Jugement (2 septembre 1998) au

para. 528, (TPIR, Chambre de première instance) [jugement Akayesu]; Le Procureur c. Alfred

Musema, ICTR-96-13, Jugement et sentence (27 janvier 2000) aux para. 169-170 [jugement Musema].

8 Jugement Akayesu, ibid. au para. 530; jugement Musema, supra note 7 au para. 173.

84 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

ou les auteurs principaux ont bien commis les actes pour lesquels la responsabilité du

complice est engagée9.

Les articles incriminant le génocide dans les statuts du TPIY (article 4) et du

TPIR (article 3) reprennent textuellement l’article II de la Convention sur la

prévention et la répression du crime de génocide10 qui définit ce crime, mais

également son article III qui énumère différents modes de participation au génocide.

Outre le génocide, commis par l’auteur principal, l’article III de ce traité réprime

l’entente, la tentative, l’incitation directe et publique et enfin la complicité dans le

génocide. La reprise de cette dernière disposition par les articles 4 (3) du Statut du

TPIY et 2 (3) du Statut du TPIR11, a suscité des difficultés d’interprétation et des

divergences au sein de la jurisprudence des TPI, notamment en ce qui concerne la

complicité de génocide, objet de notre étude12.

La difficulté d’interprétation vient notamment du fait qu’en dehors des

articles 4 (3)/2 (3), il existe par ailleurs dans les statuts des deux TPI une disposition

générale relative à la responsabilité pénale individuelle, applicable à l’ensemble des

crimes énumérés dans ces statuts, qui couvre à la fois la responsabilité des auteurs

principaux ou des coauteurs et celle des complices (articles 7 (1)/6 (1))13. Selon cette

disposition, « Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute

autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux

articles 2 à 5 [2 à 4] du présent statut est individuellement responsable dudit crime ».

Il semble résulter de cette disposition qu’une personne pourrait être responsable de

génocide, dès lors qu’elle aurait planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de

tout autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter le génocide.

Toutefois, si l’on compare les articles 4 (3)/2 (3) aux articles 7 (1)/6 (1), on s’aperçoit

que certaines formes de responsabilités visées aux articles 4 (3)/2 (3), se recoupent

avec celles citées dans les articles 7 (1)/6 (1). En l’absence de définitions dans les

deux statuts, il semble alors difficile d’établir une distinction claire entre « la

complicité dans le génocide » des articles 4 (3)/2 (3) et « l’aide et l’encouragement »

au génocide qui découle des articles 7 (1)/6 (1).

9 Jugement Akayesu, ibid. au para. 531; jugement Musema, supra note 7 au para. 174; Le Procureur c.

Zlatko Aleksovski, IT-95-14/1-A, Arrêt (24 mars 2000) (TPIY, Chambre d’appel) au para. 165 [arrêt

Aleksovski]; jugement Blagojevic et Jokic, supra note 3 au para. 726.

10 9 décembre 1948, 78 R.T.N.U. 277 [Convention sur le génocide]. Article II : Dans la présente

Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de

détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre

de membres du groupe; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c)

Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction

physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert

forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

11 Aucune disposition spécifique de ce type n’a été prévue pour les autres crimes entrant dans la

compétence matérielle des deux TPI.

12 Le terme « complicité de génocide » sera utilisé comme une notion générique englobant à la fois « la

complicité dans le génocide » et « l’aide et l’encouragement au génocide ».

13 Notons cependant que les articles 4 (3)/2 (3), qui ne traitent que des formes de responsabilité propres

au génocide, prévoient certaines formes de responsabilités qui ne figurent pas dans les

articles 7 (1)/6 (1). Il s’agit notamment de « l’entente en vue de commettre le génocide » et de « la

tentative de génocide.

Complicité de génocide 85

Si l’aide et l’encouragement permettent de retenir la responsabilité pour

complicité de génocide, quelle signification faut-il alors donner à la « complicité dans

le génocide »? Ce qui est certain, c’est que le même fait reproché à un accusé ne peut

être à la fois constitutif de génocide et de complicité de génocide. Ces deux formes de

participation, lorsqu’il s’agit des mêmes faits, sont alternatives ou s’excluent

mutuellement14. Par contre, la relation entre la disposition générale sur la complicité

et la disposition spécifique au crime de génocide n’a pas toujours été abordée de

manière claire dans la jurisprudence des TPI. L’objet de cette étude sera alors de

tenter de distinguer la manière dont ces deux notions sont appréhendées par la

jurisprudence des TPI tant au niveau de la mens rea (I) que de l’actus reus (II).

  1. La mens rea de la complicité de génocide

La question de l’élément moral de la complicité a longtemps divisé la

jurisprudence. Devant la complexité de la question, certains jugements du TPIR ont

considéré que la notion de « complicité dans le génocide » telle que prévue aux

articles 4 (3)e)/2 (3)e) est une forme de participation distincte de celle « d’aide et

d’encouragement » au génocide découlant des articles 7 (1)/6 (1) (A), alors que

d’autres décisions des deux tribunaux ont plutôt conclu que les éléments de la mens

rea de la complicité dans le génocide sont identiques à ceux de l’aide et

l’encouragement au génocide (B)15. Cette approche divergente se retrouve notamment

dans les affaires Akayesu16 ou Ntakirutimana17 d’un côté, et les affaires Krstíc18,

Semenza19 ou encore Kajelijeli20 de l’autre.

14 La pratique antérieure de l’Accusation consistait à poursuive sur la base des même faits un accusé pour

génocide et complicité de génocide. Les actes d’accusation actuels mettent en cause les accusés pour

génocide et, subsidiairement, pour complicité de génocide. La jurisprudence est constante sur cette

question de concours de qualification criminelle. Voir notamment, jugement Akayesu, supra note 7 aux

para. 468 et 532; jugement Musema, supra note 7 au para. 291; Le Procureur c. Ignace Bagilishema,

ICTR-95-1A-T, Jugement (7 juin 2001) au para. 67 (TPIR, Chambre de première instance) [jugement

Bagilishema]; Le Procureur c. Sylvestre Gacumbitsi, ICTR- 2001-64-T, Jugement (17 juin 2004) au

para. 295 (TPIR, Chambre de première instance) [jugement Gacumbitsi]. On remarquera cependant

que, dans son plaidoyer de culpabilité, Jean Kambanda s’est déclaré coupable à la fois de génocide et

de complicité de génocide sur la base des mêmes faits et que la Chambre a retenu ces deux

qualifications en même temps, Le Procureur c. Jean Kambanda, ICTR-97-23-S, Jugement et sentence

(4 septembre 1998) au para. 40 et verdict (TPIR, Chambre de première instance).

15 Sur la question, voir notamment, Guénaël Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals,

Oxford, Oxford University Press, 2005 aux pp. 257-261; Chile Eboe-Osuji, « “Complicity in

Genocide” Versus “Aiding and Abetting Genocide” » (2005) 3 J.I.C.J. 56 aux pp. 61-67 [Eboe-Osuji].

16 Jugement Akayesu, supra note 7. Voir également, jugement Gacumbitsi, supra note 16 aux para. 286-

288.

17 The Prosecutor v. Elizaphan and Gerard Ntakirutimana, ICTR-96-10 et ICTR-96-17-T, Jugement et

sentence (19 février 2003) au para. 787 (TPIR, Chambre de première instance) [jugement

Ntakirutimana].

18 Le Procureur c. Radislav Krstic, IT-98-33-T, Jugement (2 août 2001) (TPIY, Chambre de première

instance) [jugement Krstic].

19 Le Procureur c. Laurent Semenza, ICTR-97-20-T, Jugement (15 mai 2003) (TPIR, Chambre de

première instance) [jugement Semenza].

20 Le Procureur c. Juvénal Kajelijeli, ICTR-98-44A-T, Jugement (1er décembre 2003) (TPIR, Chambre

de première instance) [jugement Kajelijeli].

86 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

  1. « Complicité dans le génocide », « aide et encouragement » au génocide :

des notions distinctes?

Dans l’affaire Akayesu, selon la Chambre, une des distinctions possible entre

la complicité dans le génocide et l’aide et l’encouragement au génocide repose sur la

mens rea qui leur est applicable. D’après elle, lorsqu'on est en présence d'une

personne accusée d'avoir aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un

génocide, il est nécessaire de prouver que cette personne était bien animée du dol

spécial du génocide, à savoir qu'elle a agi dans l'intention de détruire en tout ou en

partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. En revanche, la

même exigence n'est pas requise dans le cas du complice dans le génocide21. Dans ce

dernier cas, il suffit que la personne ait aidé ou assisté, en connaissance de cause, une

ou plusieurs autres personnes à commettre le génocide22. Cependant, la position de la

Chambre est loin d’être claire puisque qu’elle relève que dans beaucoup de systèmes

juridiques l'aide et l'encouragement sont constitutifs d'actes de complicité mais,

« toutefois, bien qu'ils s'apparentent aux éléments matériels constitutifs de la

complicité, ils sont, de par eux-mêmes, constitutifs d'un des crimes visés aux articles

2 à 4 du Statut, dont notamment le génocide ». Aussi, la Chambre en tire-t-elle

comme conséquence qu’en présence d'une personne accusée d'avoir aidé et encouragé

à planifier, préparer ou exécuter un génocide, il est nécessaire de prouver que cette

personne était bien animée du dol spécial du génocide23. Il est vrai qu’à la lecture des

articles 4/2 des deux statuts, on peut naturellement avoir tendance à considérer que

l’exigence, formulée à l’article 4(2)/2 (2), d’une intention spécifique de la part de

l’auteur du génocide s’applique à tous les actes prohibés énumérés aux

articles 4 (3)/2 (3), y compris à la complicité dans le génocide24.

Cette volonté de distinguer les deux notions peut éventuellement s’expliquer

par l’application de la règle de l’effet utile25 selon laquelle « l’interprétation qui

rendrait un acte nul et sans effet ne peut être admise »26. Entre deux interprétations,

21 Jugement Akayesu, supra note 7 aux para. 485, 546-547; jugement Ntakirutimana, supra note 17 au

para. 787.

22 Ibid. aux para. 485, 540-545.

23 Ibid. au para. 485.

24 Le Procureur c. Radislav Krstic, IT-98-33-A, Arrêt (19 avril 2004) au para. 142 (TPIY, Chambre

d’appel) [arrêt Krstic].

25 Voir notamment, Affaire de l’Usine de Chorzow (Allemagne c. Pologne) (1928), C.P.J.I. (sér. A) no 8;

Affaire du détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), [1949] C.I.J. rec. 4; arrêt Tadic, supra note 6

au para. 282.

26 Voir notamment Charles Rousseau, Traité de droit international public, t. 1, Paris, Sirey, 1971 aux

  1. 270-272, où l’auteur cite notamment Emeric de Vattel. Outre le principe, l’auteur rappelle

également la limite à l’application de cette règle. Selon lui, « il serait en effet impossible à un juge ou à

un arbitre international de réviser, de rectifier ou de compléter un texte par voie d’interprétation sous

prétexte de donner aux instruments juridiques en cause leur effets maximum »; voir également Affaire

du Sud-ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), [1966] C.I.J. rec. 6;

Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie (deuxième

phase), Avis consultatif, [1950] C.I.J. rec. 221. Dans cet avis, la Cour exprime, à la p. 229, que « [l]e

principe d’interprétation exprimé par la maxime ut res magis valeat quam pereat, principe souvent

désigné sous le nom de principe de l’effet utile, ne saurait autoriser la Cour à entendre la clause de

Complicité de génocide 87

l’interprète retiendra celle qui donne un sens, un plein effet à chaque terme27. Dans le

cas de la complicité de génocide, il appartiendrait donc au juge d’interpréter les

articles 4 (3)e)/2 (3)e) et 7 (1)/6 (1) de manière à donner à chacune de ces dispositions

son effet utile, plutôt que de privilégier l’interprétation qui les considèrerait comme

redondantes. Ainsi, selon un auteur, l’approche adoptée dans l’affaire Akayesu serait

la plus conforme au principe de l’effet utile28.

  1. « Complicité dans le génocide », « aide et encouragement » au génocide :

des notions équivalentes ou complémentaires?

L’approche des juges dans l’affaire Krstic a été différente. La chambre de

première instance a simplement considéré que certaines formes de responsabilité

pénale individuelle énumérées à l’article 4 (3) du Statut recoupent celles de

l’article 7 (1)29. Ce chevauchement serait une conséquence liée à une reprise mot pour

mot de l’article III de la Convention sur le génocide30. Un raisonnement similaire a

été tenu dans l’affaire Semenza où les juges, s’appuyant sur le jugement Krstic, ont

perçu la reprise de cet article III comme superfétatoire et ont souligné l’existence d’un

chevauchement entre, d’une part, l’infraction de « génocide » prévue à

l’article 2 (3)a) et le fait de « commettre » visé à l’article 6 (1) et, d’autre part, entre la

« complicité » visée à l’article 2 (3)e) et les formes de responsabilité du complice

prévues à l’article 6 (1) lorsqu’ils s’appliquent au génocide31. La Chambre a rappelé

dans cette affaire que dans la mesure où la jurisprudence antérieure a défini le terme

« complicité » comme l’aide, l’encouragement, l’incitation et la fourniture de moyens

apportés à l’auteur du crime32, il n’y a dès lors pas de différence par essence entre la

complicité visée à l’article 2 (3)e) et la définition au sens large donnée à l’expression

« aider et encourager » de l’article 6 (1)33. Elle en déduit logiquement que la mens rea

règlement des différends insérées dans les traités de paix dans un sens qui, contredirait sa lettre et son

esprit ».

27 Pour une étude plus détaillée, voir notamment Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public,

Paris, Montchrestien, 2006 aux pp. 174-175.

28 Eboe-Osuji, supra note 15 à la p. 61. Mais l’auteur reconnaît que l’approche opérée par la Chambre

dans cette affaire n’est pas exempte de toute critique.

29 Jugement Krstic, supra note 18 au para. 640; arrêt Krstic, supra note 24 au para. 138; jugement

Blagojevic et Jokic, supra note 3 au para. 679.

30 Jugement Krstic, ibid. au para. 640. Voir également William Schabas, The UN International Criminal

Tribunals - The Former Yugoslavia, Rwanda and Sierra Leone, Cambridge, Cambridge University

Press, 2006 aux pp. 183-184.

31 Jugement Semenza, supra note 19 au para. 391. Sur la complicité de génocide dans le jugement

Semenza, voir Roman Boed, « Current Developments in the Jurisprudence of the International

Criminal Tribunal for Rwanda: Judgment of a Trial Chamber in the Case of The Prosecutor v. Laurent

Semenza » (2003) 2 I.C.L.R. 405 aux pp. 408-410.

32 Jugement Semenza, ibid. au para. 393; jugement Bagilishema, supra note 14 aux para. 69-70; jugement

Musema, supra note 7 aux para. 177 et 179; jugement Akayesu, supra note 7 aux para. 533, 535 et 537.

33 Jugement Semenza, ibid. au para. 394. La Chambre s’appuie sur les affaires suivantes : jugement

Akayesu, ibid. au para. 546 (où le Tribunal a relevé qu’« aider et encourager […] s’apparentent aux

éléments matériels constitutifs de la complicité »). Voir également le jugement Krstic, supra note 18 au

para. 640.

88 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

requise pour « la complicité dans le génocide »34 et celle requise pour « l’aide et

l’encouragement » au génocide sont identiques35. L’accusé devant agir

intentionnellement sachant qu’il apporte un appui substantiel à la perpétration du

génocide36. La Chambre d’appel, dans l’arrêt Krstic, précise même que, finalement, la

complicité dans le génocide englobe l’aide et l’encouragement au génocide37.

Dans la décision Stakic, relative à la demande d’acquittement déposée en

application de l’article 98 bis du Règlement de preuve et de procédure38, la Chambre

de première instance a elle aussi analysé la question des relations existant entre les

articles 7 (1) et 4 (3) de son statut. Selon elle, deux approches sont possibles. Soit

l’article 4 (3) peut être considéré comme une disposition spéciale (lex specialis) et

l’article 7 (1) comme une disposition générale (lex generalis), auquel cas en vertu du

principe lex specialis derogat legi generali, l’article 4 (3) devrait avoir priorité sur la

règle générale; soit, il est possible de faire entrer dans le cadre de l’article 4 (3) les

formes de participation envisagées à l’article 7 (1)39. La Chambre conclut que comme

cela a été souligné dans l’affaire Semanza, en réalité, il n’y a pas de réelle différence

entre la complicité dans le génocide et la définition large de l’aide et de

l’encouragement au génocide40.

34 Jugement Semenza, ibid. au para. 394. Voir également, jugement Bagilishema, supra note 14 au

para. 71; jugement Musema, supra note 7 aux para. 180 et 181; jugement Akayesu, supra note 7 au

para. 545.

35 Jugement Semenza, ibid. au para. 394. Voir également, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed

Ruzindana, ICTR-95-1-A, Arrêt (1er juin 2001) au para. 186 (TPIR, Chambre d’appel) [arrêt

Kayishema et Ruzindana]; jugement Bagilishema, ibid. au para. 32; Le Procureur c. Clément

Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, Jugement (21 mai 1999) aux para. 201 et 205 (TIPR,

Chambre de première instance) [jugement Kayishema et Ruzindana]. Voir également, arrêt Aleksovski,

supra note 9 au para. 162; Le Procureur c. Mitar Vasiljevic (jugement Visegrad), IT-98-32, Jugement

(29 novembre 2002) au para. 71 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement Vasiljevic]; Le

Procureur c. Milorad Krnojelac, IT-97-25-T, Jugement (15 mars 2002) aux para. 75 et 90 (TPIY,

Chambre de première instance) [jugement Krnojelac]; jugement Kvocka, supra note 6 aux

para. 255 et 262; Le Procureur c. Dragoljub Kunarac et Radomir Kovac, IT-96-23-T et IT-96-23/1-T,

Jugement (22 février 2001) au para. 392 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement Kunarac];

Le Procureur c. Anto Furundzija, IT-95-17/1-T, Jugement (10 décembre 1998) au para. 249 (TPIY,

Chambre de première instance) [jugement Furundzija].

36 Jugement Semenza, ibid. au para. 395. Pour une comparaison entre les jugements Semenza, condamné

pour complicité dans le génocide, et Ntakirutimana, condamné pour aide et encouragement au

génocide, voir jugement Furundzija, ibid. aux para. 235-249; jugement Brdjanin, supra note 3 au

para. 729; jugement Stakic, supra note 3 au para. 533; jugement Blagojevic et Jokiv, supra note 3 aux

para. 726 et 777; Le Procureur c. Zejnil Delalic (arrêt Celebici), IT-IT-96-21, Arrêt (20 février 2001)

au para. 352 (TPIY, Chambre de première instance) [arrêt Delalic]; Le Procureur c. Tihomir Blaskic,

IT-95-14-A, Arrêt (29 juillet 2004) au para. 48 [arrêt Blaskic]; Larissa Van Den Herik et Elies Van

Sliedregt, « Ten Years Later, the Rwanda Tribunal Still Faces Legal Complexities: Some Comments

on the Vagueness of the Indictment, Complicity in Genocide, and Nexus Requirement for war

Crimes » (2004) 17 Leiden J. Int’l L. 537 aux pp. 544-551.

37 Arrêt Krstic, supra note 24 au para. 139; jugement Blagojevic et Jokiv, supra note 3 au para. 777.

38 Doc. off. TPIY, 1994, Doc. NU IT/32/Rev. 29, en ligne : TPIY <http://www.un.org/icty/legaldocf/

basic/rpe/IT032Rev39f.pdf>.

39 Voir également arrêt Krstic, ibid. au para. 395.

40 Le Procureur c. Milomir Stakic, IT-97-24-T, Décision relative à la demande d’acquittement

(31 octobre 2002) au para. 48 (TPIY, Chambre de première instance); jugement Stakic, supra note 3 au

para. 531; jugement Semanza, supra note 19 au para. 394.

Complicité de génocide 89

Un des arguments opposés au raisonnement des juges des affaires Krstic et

Semenza est celui tiré du principe de l’effet utile41, évoqué ci-dessus. À notre avis, il

semble dans ce cas que l’approche du jugement Krstic soit plus pertinente, puisque la

Chambre considère que l’article 4 (3) du Statut du TPYI prévoit certaines formes de

responsabilité comme « l’entente en vue de commettre le génocide » ou « la tentative

de génocide », qui ne figurent pas dans l’article 7 (1). En incluant cet article dans le

Statut, ses auteurs ont donc fait en sorte que la compétence du Tribunal s’étende à

toutes les formes de participation au génocide42, même si la conséquence en est que

certaines formes de participation au génocide énumérées à l’article 4 (3) du Statut se

retrouvent dans l’article 7 (1). Il résulte de cette interprétation que chaque article a

ainsi son utilité et qu’ils ont un caractère complémentaire.

Quoiqu’il en soit, la tendance actuelle de la jurisprudence des deux TPI ne va

pas dans le sens du jugement Akayesu. D’après cette tendance, si l’individu qui

« commet » un crime en tant qu’auteur principal doit être animé de la mens rea

requise pour ce crime, en revanche, dans le cas de la complicité et notamment de la

complicité de génocide, que l’on se place du point de vue des articles 4 (3)e)/2 (3)e)

ou des articles 7 (1)/6 (1), l’intention criminelle n’exige pas la preuve d’une intention

génocidaire. Elle requiert simplement que le complice ait l’intention de fournir une

assistance43 ou, tout au moins, qu’il ait conscience que cette assistance peut-être une

conséquence possible et prévisible de son comportement44. Il doit toutefois avoir

connaissance des éléments essentiels du crime commis par l’auteur principal, y

compris l’intention qui animait ce dernier45. Dès lors, il sera tenu responsable pour

tout ce qui résulte naturellement de la perpétration de l’acte en question46.

Dans le cas particulier du « spectateur approbateur » dont la présence est

passive sur les lieux du crime47, celui-ci doit savoir que sa présence sera interprétée

par l’auteur de l’infraction comme un encouragement ou un appui48. La mens rea

41 Eboe-Osuji, supra note 15 aux pp. 59-60.

42 Jugement Krstic, supra note 18 au para. 640.

43 Kayishema et Ruzindana, supra note 35 au para. 186; arrêt Tadic, supra note 6 au para. 229 (iv);

jugement Tadic, supra note 3 aux para. 667 à 669 et 675 et s.; arrêt Vasiljevic, supra note 6 au

para. 102; arrêt Blaskic, supra note 36 au para. 45; jugement Blagojevic et Jokic, supra note 3 au

para. 727.

44 Jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 32; Le Procureur c. Timohir Blaskic, IT-95-14-T,

Jugement (3 mars 2000) au para. 286 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement Blaskic].

45 Jugement Semenza, supra note 19 au para. 387-388; arrêt Kayishema et Ruzindana, supra note 35 au

para. 186; jugement Kayishema et Ruzindana, supra note 35 au para. 201 et 205; jugement

Bagilishema, supra note 14 au para. 32; arrêt Ntakirutimana, supra note 17 aux para. 500-501; arrêt

Aleksovski, supra note 9 au para. 162; jugement Vasiljevic, supra note 35 au para. 71; arrêt Vasiljevic,

supra note 6 au para. 142; arrêt Krnojelac, supra note 6 au para. 52; jugement Krnojelac, supra

note 35 aux para. 75 et 90; jugement Kvocka, supra note 6 aux para. 255 et 262; jugement Kunarac,

supra note 35 au para. 392; jugement Furundzija, supra note 35 au para. 249; jugement Blagojevic et

Jokic, supra note 3 aux para. 727, 779, 782; arrêt Krstic, supra note 24 au para. 140. Contra jugement

Ntakirutimana, supra note 17 au para. 787; jugement Akayesu, supra note 7 aux para. 485 et 547. Voir

également William Schabas, Genocide in International Law - The Crime of Crimes, Cambridge,

Cambridge University Press, 2000 aux pp. 300 et s.

46 Jugement Tadic, supra note 2 au para. 692; jugement Blagojevic et Jokic, ibid. au para. 777.

47 Voir ci-dessous, II. B.

48 Jugement Semenza, supra note 19 au para. 389; jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 36.

90 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

requise peut s’inférer des circonstances, notamment des agissements antérieurs de

l’accusé, de l’impunité garantie à l’auteur ou encore des encouragements verbaux

prodigués49.

Précisons enfin, qu’en général, le mobile n’est pas un élément déterminant

de la responsabilité en cas d’infraction. D’ailleurs, il n’y a aucune référence au mobile

dans les articles 4 (2)/3 (2) ou 7 (1)/6 (1). Il peut en revanche, une fois la culpabilité

établie, être un des facteurs pris en compte pour atténuer ou aggraver la peine. Ainsi,

s’il est avéré que l’accusé a participé à l’infraction qui lui est reprochée à contrecoeur,

sous la pression du groupe et qu’il a de surcroît fait preuve de compassion à l’égard

de la victime, le tribunal y verra probablement une circonstance atténuante qui

influencera la condamnation50.

  1. L’actus reus de la complicité de génocide

L’élément matériel de la complicité peut consister en une action ou une

omission et peut être antérieur ou concomitant au crime de l’auteur principal. La

Chambre de première instance, dans l’affaire Tadic, constate ainsi que « le fait que la

participation à la perpétration du crime n’exige pas une présence ou une assistance

physique effective semble avoir été bien accepté aux procès des crimes de guerre de

Nuremberg »51. L’examen de la jurisprudence indique donc que l’aide matérielle n’est

pas toujours nécessaire. Dans certaines circonstances, la mise en confiance, le soutien

moral ou l’encouragement apporté aux auteurs au moment de la perpétration du

génocide peut-être un moyen de faciliter la perpétration du crime et est donc

susceptible de constituer l’actus reus de la complicité de génocide.

  1. L’actus reus de la complicité dans le génocide

Les formes que peut emprunter la complicité dans le génocide sont

quasiment similaires dans les systèmes de common law et de droit romano-civiliste52.

Cependant, en l’absence d’une définition de la notion par l'article 2 (3)e) du

Statut et en présence de différences terminologiques entre les différents systèmes

criminels, la Chambre a constaté dans l’affaire Akayesu que s’agissant de l’actus reus

de la complicité, trois modes de participation du complice ressortent de la plupart des

49 Jugement Bagilishema, ibid.. au para. 36.

50 Le Procureur c. Zejnil Delalic (jugement Celebici), IT-96-21, Jugement (16 novembre 1998) au

para. 1235 (TPIY, Chambre de première instance). Voir également Alex Obote Odora, « Complicity in

Genocide as Understood Through the ICTR Experience » (2002) 2 I.C.L.R. 375 aux pp. 388-389.

51 Jugement Tadic, supra note 2 au para. 679; Le Procureur c. Zlatko Aleksovski (Vallée de la Lasva), IT-

95-14/1, Jugement (25 juin 1999) au para. 62 (TPIY, Chambre de première instance) [jugement

Aleksovski].

52 Selon la Chambre dans le jugement Akayesu, supra note 7 au para. 527, « [l]es formes de participation

de la complicité que sont “aid and abet, counsel and procure” recoupent dans une large mesure les

formes de participation à la complicité en Civil Law que sont l'aide et l'assistance, la fourniture de

moyens ».

Complicité de génocide 91

systèmes civilistes : la complicité par instigation, la complicité par aide et assistance

et la complicité par fourniture de moyens53. Par ailleurs, elle précise que ces divers

modes de participation se retrouvent dans le système criminel rwandais et n’hésite pas

à s’appuyer sur le code pénal rwandais pour définir les trois formes de participation

criminelle constitutives de complicité dans le génocide qu’elle a retenues, soit :

- la complicité par fourniture de moyens, tels des armes, instruments ou

tout autre moyen ayant servi à commettre un génocide, le complice

ayant su que ces moyens devaient y servir;

- la complicité par aide ou assistance sciemment fournie à l'auteur d'un

génocide dans les faits qui l'ont préparé ou facilité;

- la complicité par instigation, qui sanctionne la personne qui, sans

directement participer au crime de génocide, a donné instruction de

commettre un génocide, par dons, promesses, menaces, abus

d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, ou a

directement provoqué à commettre un génocide. [Nos italiques.]54

Cette jurisprudence relative à l’élément matériel de la complicité dans le

génocide a été suivie dans de nombreuses autres affaires du TPIR telles que

Musema55 ou Bagilishema56.

Il ressort également de l’affaire Akayesu, qu’en principe, la complicité dans

le génocide exige un acte positif, c'est à dire un acte de commission, alors que ce n’est

pas nécessairement le cas de l'encouragement qui peut consister en une abstention ou

une omission57.

  1. L’actus reus de l’aide et de l’encouragement au génocide

Dans l’affaire Semenza, la Chambre a jugé que les vocables « aider » et

« encourager » renvoient à des concepts juridiques différents58. Elle définit ainsi le

terme « aider », comme le fait d’apporter son soutien à quelqu’un, tandis

qu’« encourager », consiste à favoriser, conseiller ou provoquer le crime59. La

Chambre reconnaît cependant que les deux termes sont souvent employés

conjointement et compris comme un seul et même concept juridique renvoyant à tout

acte d’assistance, de soutien ou d’encouragement à la perpétration d’un crime60, aussi

53 Ibid. au para. 533.

54 Ibid. aux para. 534 et 537.

55 Jugement Musema, supra note 7 au para. 179.

56 Jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 69.

57 Jugement Akayesu, supra note 7 aux para. 536 et 548; jugement Blagojevic et Jokiv, supra note 3 au

para. 726; arrêt Blaskic, supra note 36 au para. 47.

58 Jugement Semanza, supra note 19 au para. 384; jugement Akayesu, supra note 7 au para. 484.

59 Jugement Semanza, ibid. au para. 384; jugement Ntakirutimana, supra note 17 au para. 787; jugement

Akayesu, supra note 7 au para. 484.

60 Arrêt Kayishema et Ruzindana, supra note 35 au para. 186; jugement Kayishema et Ruzindana, supra

note 35 aux para. 200-202; jugement Ntakirutimana, supra note 35 au para. 787; jugement

92 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

longtemps qu’existe l’intention requise61. En effet, cette assistance peut prendre la

forme d’actes matériels mais ne nécessite pas nécessairement la présence physique ou

l’aide matérielle du participant62. Un simple encouragement ou soutien moral apporté

à l’auteur principal peut suffire63, il peut s’agir de déclarations verbales ou même

d’une simple présence en tant que « spectateur approbateur » sur les lieux du crime64,

autrement dit une omission65. La complicité peut-être retenue dès lors que l’intéressé

est déclaré « concerné par le massacre »66.

Ainsi, dans les jugements Furundzija et Akayesu, il a été admis que l’actus

reus peut constituer une aide sous forme de soutien moral, comprise comme une

présence sur les lieux du crime d’une personne disposant d’une certaine autorité.

Dans l’affaire Furundzija, la Chambre a déduit de l’affaire de la Synagogue qu’un

« spectateur approbateur qui est tenu par les autres auteurs du crime en si haute estime

que sa présence vaut encouragement, peut être reconnu coupable de crime contre

l’humanité »67. Cependant, lorsqu’elle est le fait d’une personne subalterne,

l’« approbation tacite » pourrait ne pas être suffisante pour caractériser l’actus reus68.

De même, dans le jugement Akayesu, la Chambre a considéré que le fait que l’accusé,

bourgmestre d’une commune où ont été commises des atrocités, occupe ce poste était

déterminant pour sa responsabilité pénale au titre de la complicité. La Chambre a jugé

qu’au regard de l’article 6 (1) du Statut, l’accusé a aidé et encouragé à commettre des

actes de violence sexuelle en permettant qu’ils soient commis à l’intérieur ou près du

bureau communal, alors qu’il était présent dans les locaux ou en sa présence, et en

facilitant la commission de ces actes par les paroles d’encouragement qu’il a

prononcées à l’occasion d’autres actes de violence sexuelle qui, vu son autorité,

donnaient clairement à entendre que les actes de violence sexuelle étaient

Bagilishema, supra note 14 aux para. 33 et 36; jugement Musema, supra note 7 aux para. 125 et 126.

Voir également jugement Akayesu, supra note 7 au para. 484.

61 Jugement Tadic, supra note 2 au para. 689.

62 Voir jugement Tadic, ibid. aux para. 678-687; jugement Aleksovski, supra note 51 au para. 62;

jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 33.

63 Voir jugement Furundzija, supra note 35 aux para. 199 et s.; jugement Bagilishema, supra note 14 au

para. 33.

64 Jugement Semenza, supra note 19 au para. 385; arrêt Kayishema et Ruzindana, supra note 35 aux para.

201 et 202; jugement Kayishema et Ruzindana, supra note 35 au para. 198; jugement Aleksovski, supra

note 51 au para. 63.

65 Arrêt Tadic, supra note 6 au para. 229; arrêt Vasiljevic, supra note 6 au para. 102; jugement Blagojevic

et Jokic, supra note 3 au para. 726.

66 Jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 33. Voir également jugement Tadic, supra note 2 au

para. 691.

67 Jugement Furundzija, supra note 35 au para. 205-207; jugement Bagilishema, supra note 14 au

para. 34. Voir également Kai Ambos, « Article 25 – Individual Criminal Responsibility » dans Otto

Triffterer, dir., Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court. Observers’

Notes, Article by Article, Baden-Baden, Nomos, 1999, 351 aux pp. 481-482.

68 Jugement Furundzija, ibid. au para. 208, où le Tribunal fait référence à l’affaire du Défilé du chariot à

cochon entendue par la Cour suprême allemande dans la zone d’occupation britannique après la

Seconde Guerre mondiale, où l’accusé, habillé en civil, avait assisté en spectateur, à un « défilé » au

cours duquel deux opposants politiques s’étaient vu infliger une humiliation publique. L’accusé avait

été déclaré non coupable. D’après les juges de l’affaire Furundzija, s’il est possible que l’accusé n’ait

pas fait preuve de la mens rea requise, en tout état de cause, sa position subalterne faisait que

l’« approbation tacite » qu’il avait manifestée ne suffisait pas à établir l’actus reus.

Complicité de génocide 93

officiellement tolérés, sans quoi ces actes n’auraient pas été perpétrés69. Enfin, dans

l’affaire Aleksovski, la Chambre a estimé qu’en tant que directeur de la prison de

Kaonik et assistant aux sévices infligés systématiquement aux détenus sans jamais s’y

opposer, l’accusé ne pouvait qu’être conscient que cette approbation tacite serait

interprétée comme une marque de soutien et d’encouragement par les auteurs de ces

exactions. Dans ces circonstances, la Chambre a conclu qu’Aleksovski avait contribué

substantiellement au mauvais traitement des détenus70.

Il ressort donc de cette jurisprudence que la présence effective sur les lieux

du crime ou à proximité de celui-ci n’est pas suffisante pour établir la complicité du

« spectateur approbateur », à moins qu’il ne soit démontré qu’elle a pour effet de

légitimer ou d’encourager de manière importante les agissements de l’auteur principal

et donc qu’elle soit interprétée par celui-ci comme une approbation de sa conduite71.

Autrement dit, pour établir une responsabilité pour complicité de génocide sur ce

fondement, il faut démontrer ou déduire des éléments de preuve indirects ou autres,

que la présence a lieu en connaissance de cause et exerce un effet direct et substantiel

sur la perpétration du génocide72. Cette présence, en particulier celle d’une personne

dotée d’une autorité, constitue un indice sérieux, mais non déterminant, d’une marque

de soutien ou d’encouragement aux auteurs du crime73.

Lorsque la responsabilité de l’accusé peut être doublement mise en cause sur

le fondement des articles 7 (1)/6 (1) et 7 (3)/6 (3) pour les mêmes faits, cette

complicité par omission peut parfois coïncider avec la responsabilité du supérieur

hiérarchique. Dans le jugement Krnojelac par exemple74, la Chambre a considéré

qu’elle avait dans ce cas toute latitude pour choisir la base sur laquelle engager la

responsabilité. Cette complicité a des traits communs avec la responsabilité du

supérieur hiérarchique en ce sens qu’elles requièrent toutes deux i) une personne

ayant un statut d’autorité, ii) une inaction et iii) un crime sous-jacent commis par une

tierce personne. Notons cependant que la complicité par omission n’exige pas

nécessairement qu’un lien de subordination existe entre l’accusé et l’auteur de

l’infraction. Néanmoins, on constate que dans les cas où ce lien existe il peut y avoir

une confusion entre la complicité par omission et la responsabilité du supérieur

hiérarchique75.

69 Jugement Akayesu, supra note 7 au para. 693; jugement Furundzija, supra note 35 au para. 209;

jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 35.

70 Jugement Aleksovski, supra note 51 au para. 87.

71 Jugement Kunarac, supra note 35 393; jugement Kvocka, supra note 6 aux para. 257-259; jugement

Furundzija, supra note 35 au para. 232; jugement Vasiljevic, supra note 35 au para. 70. Voir

également, jugement Tadic, supra note 2 au para. 689; jugement Aleksovski, supra note 51 au para. 64.

72 Jugement Tadic, ibid. au para. 689.

73 Jugement Kvocka, supra note 6 au para. 257; jugement Aleksovski, supra note 51 au para. 65; jugement

Akayesu, supra note 7 au para. 693.

74 Jugement Krnojelac, supra note 35 au para. 173.

75 Sur cette question, voir notamment Elies van Sliedregt, The Criminal Responsibility of Individuals for

Violations of International Humanitarian Law, La Haye, T.M.C. Asser Press, 2003 aux pp. 192-196.

Voir également, Le Procureur c. Tihomir Blaskic, IT-95-14, Décision sur l'exception préjudicielle

soulevée par la Défense aux fins de rejeter l'acte d'Accusation pour vices de forme (4 avril 1997) au

para. 31 (TPIY, Chambre de première instance); jugement Krstic, supra note 18 au para. 605.

94 (2007) Revue québécoise de droit international (Hors-série)

La jurisprudence relative à l’actus reus, qu’il s’agisse de la complicité dans

le génocide ou de l’aide et de l’encouragement au génocide, montre que l’assistance

peut prendre plusieurs formes. Ce qu’il faut retenir c’est qu’elle doit avoir un effet

important sur la perpétration du génocide sans pour autant en être nécessairement un

élément indispensable, une condition sine qua non76. Par ailleurs, sauf dans le cas du

« spectateur approbateur », l’assistance peut être fournie avant, pendant ou après la

commission du crime et il n’est pas nécessaire que l’accusé soit présent au moment

des faits77. Elle peut, par exemple, consister à fournir les moyens du crime ou à

promettre d’effectuer certains actes une fois l’infraction terminée. D’après la

jurisprudence, ces comportements peuvent clairement constituer une incitation ou un

encouragement pour l’auteur de l’acte criminel. Ainsi, l’acte contribuant à la

perpétration et l’acte constituant la perpétration proprement dite peuvent être

géographiquement et temporellement déconnectés78.

Ainsi, la jurisprudence des TPI a-t-elle permis d’apporter d’importantes

précisions sur les contours de la complicité de génocide, venant notamment relativiser

la distinction entre « complicité dans le génocide » et « aide et encouragement au

génocide ». On notera que l’article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale

internationale79 définissant le crime de génocide se contente de reproduire l’article II

de la Convention sur le génocide de 1948, sans reprendre son article III qui énumère

les différents modes de participation au crime, évitant ainsi les problèmes

d’interprétation liés à une superposition des textes. Est donc applicable au génocide,

comme à l’ensemble des crimes énumérés dans le Statut de Rome, l’article 25,

disposition générale relative à la responsabilité pénale individuelle, que la Cour

mettra en oeuvre dans le prolongement des approches développées par les TPI.

76 Voir jugement Tadic, supra note 2 au para. 689; jugement Furundzija, supra note 35 aux para. 209,

212-234; jugement Bagilishema, supra note 14 au para. 33; jugement Vasiljevic, supra note 35 au para.

70.

77 Jugement Aleksovski, supra note 51 au para. 62; jugement Blaskic, supra note 44.

78 Jugement Aleksovski, ibid. au para. 62; jugement Tadic, supra note 2 au para. 689; jugement

Bagilishema, supra note 14 au para. 33; jugement Semenza, supra note 19 au para. 385; jugement

Vasiljevic, supra note 35 au para. 70; arrêt Blaskic, supra note 36 au para. 48.

79 17 juillet 1998, 2187 R.T.N.U. 59.

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