LES SOCIÉTÉS TRANSNATIONALES, MAÎTRES DU MONDE
Alejandro Teitelbaum *
Pour saisir les caractéristiques essentielles de la société contemporaine, il est essentiel de comprendre le rôle central joué par les sociétés transnationales.
Depuis que les sociétés transnationales ont commencé à être étudiées en détail il y a plus de cinquante ans et jusqu'à aujourd'hui, deux approches fondamentales du rôle qu'elles jouent dans le monde contemporain ont émergé. Stephen Hymer a écrit : "...Nous devons noter que la firme multinationale soulève plus de questions que la théorie économique ne peut en répondre. Les FMN sont généralement de grandes entreprises opérant sur des marchés de concurrence imparfaite et la question de leur efficacité est celle de l'efficacité de la prise de décision oligopolistique, un domaine dans lequel la plupart des économistes du bien-être échouent, surtout si l'on part du principe que la concurrence alloue efficacement les ressources et qu'il existe une harmonie des intérêts entre la maximisation du profit et l'intérêt général. En outre, les FMN soulèvent à un niveau assez élevé des questions politiques et sociales telles que l'exploitation, l'aliénation, la domination, ainsi que les relations ou l'interdépendance entre les entreprises et les États-nations (y compris la question de l'impérialisme), qui ne peuvent pas être analysées en termes purement économiques".[1]
En revanche, dans un rapport publié par Business Week en 1970, on peut lire ce qui suit : "L'économie mondiale est plus productive et inventive que tout ce qui a jamais existé. Les hommes d'affaires (américains) et leurs collègues d'autres pays industrialisés la créent à l'aide d'un nouveau type d'organisation : la firme multinationale. Des centaines de ces entreprises dépassent les frontières nationales pour produire des biens et des services à l'étranger afin de satisfaire les consommateurs du monde entier. Contrairement à leurs prédécesseurs, les sociétés commerciales des siècles passés, les FMN assurent la mobilité des facteurs de production - capital, technologie et techniques de gestion - ainsi que des marchandises. Ils favorisent la croissance et le profit... ils mobilisent de nouvelles masses de capitaux, développent des ressources inutilisées et offrent de nouvelles opportunités aux talents. Le résultat a été d'augmenter le niveau de vie dans les pays industrialisés et en développement"[2].
L'écrivain français Jean-François Revel, de l'Académie française, a écrit dans le magazine Le Point d'octobre 2001 que si le revenu moyen de la population des pays du tiers monde a augmenté de 1950 à 1985, c'est grâce au capitalisme et au libéralisme[3].
Revel est un écrivain, pas un économiste, mais il a commis deux erreurs impardonnables dans cet article, même pour un "dilettante" des questions sociales. En effet, la production a augmenté et, dans une certaine mesure, les conditions de vie se sont améliorées dans les pays du tiers-monde entre les années 1950, 1960 et 1980, mais.. : 1) cela s'est passé avant que le modèle capitaliste néolibéral ne soit pas imposé à l'échelle mondiale et lorsqu'il a été imposé, la croissance économique de ces pays a stagné et les conditions de vie d'une bonne partie de leur population ont commencé à se dégrader, 2) Revel parle du "revenu moyen", mais pas du revenu par couches de la population, ce qui est ce qu'il est intéressant de connaître, de savoir comment le revenu est distribué, ce qui permet d'établir que durant les dernières décennies la richesse s'est concentrée de plus en plus dans une infime minorité au détriment des grandes majorités.
David Korten écrit : "Robert Reich, secrétaire américain au travail de le gouvernement de Clinton, expliquait dans son livre The Work of Nations (1991) que la mondialisation économique promue avec tant de succès par les institutions de Bretton Woods a conduit les classes les plus aisées à dissocier leur intérêt de celui de la nation et, par là même, à ne se sentir ni intéressées ni redevables d'aucune manière envers leurs voisins moins favorisés. L'infime minorité des très riches a formé une alliance apatride dans laquelle l'intérêt général se confond avec les intérêts financiers de ses membres. Cette séparation s'est produite presque partout, à tel point que la distinction entre les pays du Sud et du Nord n'a plus aucune signification. La division n'est plus entre les pays mais entre les classes. Quelle que soit l'intention, les politiques fructueuses des institutions de Bretton Woods ont inexorablement permis aux très riches de s'approprier les richesses du monde entier aux dépens de leurs semblables, des autres espèces et de la viabilité des écosystèmes de la planète »[4].
Il convient aussi de citer un paragraphe d'un livre écrit par un groupe d'économistes français en 1983, car il constitue une prévision exacte de la société actuelle : "L'aboutissement de la réglementation des monopoles privés à l'échelle mondiale conduira à une restructuration drastique et sans doute irréversible des États-nations. Ils deviendront des territoires amorphes dont les fonctions économiques seront déterminées de l'extérieur par des oligopoles internationaux. Ces territoires seront à la fois de grands espaces ouverts et des espaces fragmentés. Une structure dualiste sera imposée, composée d'un secteur "moderne" et d'un secteur "traditionnel". Dans la première, qui sera largement internationalisée, seront concentrés les sièges des grands groupes, les industries de haute technologie, les grandes institutions d'enseignement, les cadres et ingénieurs les mieux formés, eux-mêmes très mobiles et parlant la même langue, les laboratoires et tout le complexe des médias internationaux. Le secteur "traditionnel" rassemblera la masse de la population, faiblement rémunérée et peu qualifiée, engagée dans les tâches sous-traitées par le secteur moderne dans lequel, peut-être, un temps de travail plus court sera compensé par la réduction de la couverture des besoins sociaux, ce qui sera préféré au chômage dont le taux sera élevé"[5].
Les approches de Hymer et Korten et les prévisions de Michalet et al. correspondent à notre avis aux problèmes réels posés par les sociétés transnationales dans le monde d'aujourd'hui, contrairement à la vision angéliste et/ou apologétique de Business Week, vision que partagent encore aujourd'hui les élites économiques et politiques et leurs conseillers, y compris dans certains milieux universitaires, non seulement des écrivains comme Revel, mais aussi des juristes, des économistes et des auteurs de best-sellers.
Beaucoup persistent à appeler le système socio-économique actuellement dominant "mondialisation néo-libérale", comme s'il s'agissait d'une maladie temporaire et curable du capitalisme.
La soi-disant mondialisation néolibérale n'est rien d'autre que le système capitaliste réel actuel, c'est-à-dire le résultat de l'évolution du capitalisme jusqu'à son stade impérialiste agressif et guerrier.
Elle a commencé il y a six siècles avec l'expansion des États européens en Amérique, en Asie et en Afrique, où ils ont décimé les populations, se sont emparés des ressources naturelles et ont exploité le travail humain.
On peut citer, à différentes époques, le génocide et l'écocide en Amérique centrale et dans les Caraïbes dénoncés par Bartolomé de las Casas [6], la guerre de l'opium en Chine[7], la dépossession brutale du continent africain pendant le colonialisme et le néocolonialisme d'aujourd'hui.
Tous ces éléments ont contribué de manière significative à l'expansion du système capitaliste dans les pays centraux[8].
"Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, aussi longtemps qu'il le veut, de produire ce qu'il veut, de s'approvisionner et de vendre où il veut, avec le minimum d'obligations en termes de droit du travail et d'accords sociaux" (Percy Barnevick, ancien président d'ABB Asea Brown Boveri et membre de la Table ronde européenne des industriels).
Les activités et les méthodes de travail des sociétés transnationales évoluent en permanence.
Certains auteurs[9] soutiennent que les sociétés transnationales existent depuis la fin du Moyen Âge, citant comme exemples la banque Médicis, la Compagnie des Indes, etc., bien qu'ils établissent à juste titre une différence qualitative entre ces sociétés et les sociétés transnationales d'aujourd'hui. Serge Latouche déclare : "Un fait nouveau est que depuis les années 1970, non seulement le capital commercial et bancaire a été systématiquement mondialisé, donnant naissance au marché financier mondial, mais le capital industriel l'a également été".
En effet, dans la période pré-monopolistique et concurrentielle du système capitaliste, on distinguait trois processus relativement autonomes : a) le processus de production ; b) le processus de circulation et c) le processus de réalisation de la production, chacun étant régi par ses propres capitaux : le capital industriel, le capital commercial et le capital bancaire, les deux derniers extrayant leur part de profits (plus-value) du seul capital productif : le capital industriel[10].
Mais avec l'essor du capitalisme monopoliste, qui s'est consolidé dans la seconde moitié du 20e siècle avec la révolution scientifique et technique (électronique, ordinateurs, etc.), deux événements fondamentaux ont eu lieu dans l'économie mondiale : le rôle hégémonique assumé par le capital financier dans le système capitaliste et la disparition de la concurrence en tant que mécanisme autorégulateur (ou relativement autorégulateur) du marché. Les sociétés transnationales deviennent les structures de base du système économico-financier mondial actuel et remplacent le marché comme méthode d'organisation du commerce international[11]. Cela ne signifie pas que la concurrence entre les grands oligopoles n'est plus féroce, malgré l'existence de l'Organisation mondiale du commerce, censée arbitrer les conflits.
Les relations entre les sociétés transnationales sont une combinaison d'une guerre incessante pour le contrôle de marchés ou de sphères d'influence, de rachats forcés ou consensuels, de fusions et d'acquisitions, et de la tentative permanente mais jamais réussie d'établir entre elles des règles privées et volontaires de fair-play. Car la véritable loi suprême des relations entre les sociétés transnationales est "dévorer ou être dévoré".
Ainsi, lorsque nous entendons aujourd'hui parler du marché et que "le fonctionnement de l'économie doit être laissé aux forces du marché", il faut comprendre que le fonctionnement de l'économie (et de la société en général) doit être soumis à la stratégie décidée par le capital monopolistique transnational incarné par les sociétés transnationales, dont l'objectif fondamental est de maximiser ses profits, en s'appropriant par tous les moyens les fruits du travail, de l'épargne et des connaissances traditionnelles et scientifiques de la société humaine.
Dans les pays périphériques, mais aussi dans les pays centraux, la mobilité des entreprises transnationales (la possibilité de changer rapidement de lieu d'implantation d'un pays à l'autre) limite le pouvoir de négociation collective des travailleurs qu'elles emploient : l'entreprise menace de se retirer du lieu d'implantation ou de segmenter sa production en différents endroits si elle juge les demandes des travailleurs excessives, ou les entreprises "délocalisent" tout simplement leurs usines dans des pays où les salaires sont moins élevés.
D'autre part, les vêtements et les produits électroniques fabriqués à bas prix dans la "périphérie" mondiale et exportés aux pays développés servent à réduire le coût de la main-d'œuvre dans ces derniers[12].
Il faut tenir compte que les écarts de salaires entre les pays "centraux" et les pays "périphériques" d'Asie, d'Amérique latine et d'Europe de l'Est sont de l'ordre de 10 à 1 et parfois même de 20 à 1, mais les niveaux de productivité tendant à s'égaliser.
Ces processus de délocalisation ne se produisent pas seulement des pays riches vers les pays pauvres, mais aussi entre les pays pauvres : les sociétés transnationales délocalisent leurs usines des pays où les salaires sont très bas vers d'autres pays où les salaires sont encore plus bas.
L'économiste François Chesnais, dans la préface du livre de Claude Pottier "Les multinationales et la mise en concurrence des salariés", écrit :
"Les groupes industriels multiplient les expériences technologiques et organisationnelles qui leur permettent d'obtenir des niveaux de productivité élevés dans les NPI (nouveaux pays émergents) et en Europe orientale. Ceux-ci ne sont pas exactement les mêmes que dans les pays d'origine, mais ils sont beaucoup plus élevés qu'auparavant et ne cessent d'augmenter"... "ils cherchent à profiter de la situation extraordinairement favorable offerte par cette convergence "miraculeuse" entre la croissance de la productivité et le maintien de disparités très marquées en matière de salaires, de conditions de travail (santé et sécurité) et de niveaux de protection sociale"...
"Les pays dits "en voie de développement" ont toujours représenté pour les entreprises des pays industriels au centre du système capitaliste mondial une réserve de main-d'œuvre sur laquelle elles peuvent compter selon leurs besoins, au rythme et à l'échelle qui leur conviennent. Pendant la phase (1950-1975) de croissance rapide des économies encore autocentrées et de la production fordiste, il a fallu "importer" cette main-d'œuvre, organiser des flux migratoires vers les métropoles industrielles. C'était déjà une façon d'établir la concurrence entre les salariés, mais avec des limites strictes. Les relations politiques et sociales internes ont empêché les immigrants d'être complètement exclus des systèmes de protection sociale » [13].
Ce sont les conséquences de la "main invisible du marché" et de la "libre concurrence" à l'échelle mondiale, y compris la libre concurrence sur les coûts de la main-d'œuvre, avec ses perdants et ses gagnants. Les perdants sont les dizaines de millions de travailleurs qui sont laissés à la rue ou contraints d'accepter des conditions d'emploi dégradées.
Lorsque nous parlons du "système capitaliste", nous ne faisons pas seulement référence à ses aspects économico-financiers, mais à l'ensemble du système de domination, avec ses composantes économico-financières, mais également à ses composantes politiques, militaires, sociales, idéologiques, culturelles, communicationnelles et "informationnelles".
Il n'y a pas un capitalisme malade de la mondialisation néo-libérale et du bellicisme et un autre capitalisme "possible" ou utopique, stable et efficace, qui fonctionnerait sans heurts, sans crises, sans militarisme et sans guerre, sans poussées néo-fascistes.
Les rapports entre l'activité des grandes sociétés transnationales, la criminalité financière, la criminalité organisée transnationale et le financement des activités terroristes est un sujet très actuel et en même temps très vaste, que nous ne traiterons pas ici, en nous référant à une partie de la littérature[14].
Le sujet des sociétés transnationales et de leur rôle dans le monde contemporain est très complexe car il nécessite non seulement l'analyse d'un phénomène changeant et multiforme, mais aussi la compréhension du système qui gravite autour de ces sociétés, composé des élites dirigeantes nationales et des responsables des organisations internationales, d'une partie du monde universitaire et intellectuel, de la quasi-totalité des grands médias de masse, des organisations non gouvernementales, etc.
En définitive, il s'agit de voir comment l'immense pouvoir des sociétés transnationales vide la démocratie représentative de tout contenu et a imposé son hégémonie, non seulement économique, mais aussi politique, idéologique et culturelle à l'échelle mondiale. En effet, un pouvoir mondial transnational que personne n'a élu, a été érigé et imposé aux États nationaux, et qui repose fondamentalement sur le fait qu'il détient la propriété concentrée à grande échelle du capital sous ses différentes formes, qu'il a les élites politiques à son service inconditionnel et que, si les circonstances l'exigent, il peut compter sur la force militaire des grandes puissances.
Nous devons commencer par considérer les sociétés transnationales pour ce qu'elles sont réellement : des groupes économiques privés, dont les intérêts sont distincts, voire contradictoires, de ceux d'autres groupes sociaux : grandes, moyennes et petites entreprises nationales, travailleurs industriels, paysans, professionnels, intellectuels, etc. L'énorme pouvoir des sociétés transnationales et leur présence dominante dans toutes les sphères de l'activité humaine leur ont permis, entre autres, de subordonner les politiques des États et des institutions internationales intergouvernementales à leurs propres stratégies.
Il convient donc de réfléchir à la manière dont les êtres humains, qui "naissent libres et égaux en dignité et en droits", retrouvent, dans le cadre d'une société démocratique et participative, le pouvoir de décider de leur propre destin. --------
*Auteur de La armadura del capitalismo: El poder de las sociedades transnacionales en el mundo contemporáneo. Editorial Icaria. Espagne, 2010
NOTES
[1]Hymer, The efficiency (contradictions) of multinational corporations", The American Economic Review, mai 1970, (no. 2, p.441)
[2] Business Week, 19 décembre 1970, "Special Report : The Multinationals ride a rougher road", p. 57.
[3] Jean-François Revel, Le terrorisme, fauteur de pauvreté, in Le Point magazine, numéro spécial "affaires" en collaboration avec le magazine Business Week, Paris, 12 octobre 2001, p. 67.
[4] David C. Korten, L'échec des institutions de Bretton Woods, in Le procés de la mondialisation, édité par Edward Goldsmith et Jerry Mander, éditions Fayard, Paris, mars 2001, p. 91 (édition originale anglaise : The Case again the globalisation).
[5] Michalet, C.A., Delapierre, Madeuf y Ominami, Nationalisations et Internationalisation….Ed. La Découverte/Maspero, París, 1983.
Pour approfondir :Wladimir Andreff et Renaud du Tertre, Des firmes multinationales à la mondialisation :l’apport de Charles-Albert Michalet. https://books.openedition.org/pupo/2729?lang=fr
[6] La conquête espagnole des Caraïbes et de l’Amérique provoque dès le début du XVIe siècle un véritable ethnocide. Ainsi, à cause d’épidémies, de massacres et de mauvais traitements, la population indigène d’Hispaniola (Haïti), estimée à un million avant sa « découverte », est réduite à quelques milliers d’individus dans les années 1510. L’exploitation des Indiens repose sur le système de l’encomienda, qui livre une terre et ses habitants à un colon espagnol. Une voix s’élève alors, celle de Bartolomé de Las Casas : Très brève relation de la destruction des Indes
[7] Les guerres de l’opium sont des conflits commencés en 1839 et 1856 motivés par des raisons commerciales qui opposèrent au xixe siècle la Chine de la dynastie Qing, voulant interdire le commerce de l’opium sur son territoire, au Royaume-Uni qui voulait l’imposer en paiement des marchandises qu’elle importait.
La défaite de l’armée chinoise en 1860 contre l’armée britannique alliée à celles des États-Unis et de la France, obligea la Chine à concéder le territoire de Hong Kong pour 99 ans à la Grande-Bretagne.
Depuis 1773, le Royaume-Uni disposait du monopole de la vente d’opium en Chine. Le Royaume-Uni cherche alors à affaiblir la Chine et à la forcer à l’ouverture aux puissances étrangères1. À titre de réponse, en 1800, la Chine interdit la culture du pavot pour réduire l’hégémonie du Royaume britannique sur le marché chinois, mais le Royaume-Uni importa alors le pavot d’Inde pour continuer à alimenter le marché chinois. Le conflit fit émerger des tensions provoquées par le renforcement des lois anti-opium du gouvernement Qing en réponse à l’intensification par les Britanniques de leurs exportations illégales en Chine de l’opium qu’ils produisaient dans l’Inde britannique.
[8] Cela a déjà été brillamment décrit il y a 175 ans par Marx et Engels dans le Manifeste communiste :
La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés des Indes Orientales et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, le commerce colonial, la multiplication des moyens d'échange et, en général, des marchandises donnèrent un essor jusqu'alors inconnu au négoce, à la navigation, à l'industrie et assurèrent, en conséquence, un développement rapide à l'élément révolutionnaire de la société féodale en dissolution. L’ancien mode d'exploitation féodal ou corporatif de l'industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure que s'ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande; la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein de l'atelier même. Mais les marchés s'agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l'industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes. La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l'Amérique. Le marché mondial accéléra prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication. Ce développement réagit à son tour sur l'extension de l'industrie; et, au fur et a mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan les classes léguées par le moyen âge.
[9] Serge Latouche, La mondialisation démystifiée, dans Le procès de la mondialisation , édité par Edward Goldsmith et Jerry Mandler, ed. Fayard, Paris, mars 2001, p. 12.
[10] Christian Palloix, L'économie mondiale capitaliste et les firmes multinationales, T. II, éd. François Maspero, Paris, avril 1975, p. 103
[11] Palloix, op. cit. pp. 106-107, citant Stephen Hymer (The efficacy (contradictions) of multinational corporations in The American Economic Review, mai 1970, n° 2, p. 441).
[12] Le coût de la force de travail est représenté par le salaire du travailler que le permet d'acheter tout ce dont lui et sa famille ont besoin pour vivre en fonction de leur statut social, plafonné pour le pouvoir d'achat de son salaire.
[13] François Chesnais, Préface au livre "Les multinationales et la mise en concurrence des salariés" de Claude Pottier. Edit. L'Harmattan, Collection travail et mondialisation, Paris, mai 2003.
[14] Voir : Eva Joly, Notre affaire à tous, Ed. Les Arènes, Paris, juin 2000 ; Nicolas Queloz, ¿A-t-on encore des raisons de distinguer les criminalités économique et organisée ? en noir, gris, blanc, Les cahiers de la sécurité intérieure n° 36, Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, La Documentation Française, Paris, deuxième trimestre 1999 ; Bernard Bertossa, procureur général de Genève, Benoit Dejemeppe, procureur général de Bruxelles et les juges français Eva Joly, Jean de Maillard et Renaud Van Ruymbeke, Les " boîtes noires " de la mondialisation financière, in Le Monde, 10 mai 2001 ; Denis Robert et Ernest Backes, Révélation$ , Les Arènes, février 2001 ; Richard Labévière, Les dollars de la terreur. Les Etats-Unis et les islamistes ; éditions Grasset, 1999. Réimprimé en septembre 2001 ; Alejandro Teitelbaum, Prévention, répression et criminalisation des violations des droits économiques, sociaux et culturels et du droit au développement : le problème de l'impunité, octobre 2001 (mimeo), etc.