LA DROITE A LA MAÎTRISE DU DÉBAT POLITIQUE, QUI TIENT LIEU AU RAS DE PAQUERETTES. LE CAS DE L’ABAYA
En tant que gardienne du système dominant, la droite peut compter sur le soutien de ses composantes économique-financières, institutionnelles, répressives, idéologiques, culturelles et communicationnelles.
À cela s'ajoutent l'expérience et le savoir-faire de la droite acquis au cours de siècles d'exercice du pouvoir.
Quelles que soient les divergences tactiques et stratégiques et les ambitions personnelles en leur sein, il existe à droite un dénominateur commun qui les trouvera finalement unis : la préservation du système capitaliste.
La gauche cumule les inconvénients : son manque de cohérence idéologique, et l’insuffisance de la formation politique de la plupart de ses dirigeants et militants, résultat d’un milieu académique et intellectuel dominé par les idéologies réactionnaires, peu propice à une formation politique cohérent, à contenu scientifique et révolutionnaire[1].
La gauche tombe dans le piège, se soumet aux tactiques de la droite et s'empêtre dans des débats sur des questions secondaires ou sans rapport avec les préoccupations et les problèmes des grandes majorités travailleuses, de leurs familles et des pauvres en général.
Ceci, peut être attribué à la désorientation de la plupart de la gauche, qui s'abstient -par méconnaissance ou par choix- d’agir utilisant la méthodologie adéquate qui consiste en analyser les phénomènes sociales en tenant compte de tous ses facteurs déterminants et interagissants : sa structure économico-sociale, les tendances idéologiques et culturels hégémoniques et la division en classes sociales objectivement antagonistes : les capitalistes et les travailleurs.
Prendre directement connaissance des faits là où ils se produisent, dans un échange permanent et mutuellement enrichissant avec les travailleurs et les classes populaires en général, fait partie essentielle de cette méthodologie, dans laquelle les deux parties sont à la fois enseignants et élèves.
Une partie de la gauche - la gauche dite réformiste - évite consciemment d'aborder les questions visant à proposer un changement radical de la société.
Le résultat, voulu et obtenu par la droite et l'extrême droite, est le manque d'un débat de fond éclairant sur les questions qui affligent la grande majorité de la population.
Une preuve en est le débat autour de l'interdiction de l'abaya.
D'une part, on peut affirmer qu'il s'agit d'une tactique de la droite pour tenter de détourner l’attention des gens des problèmes qui les affligent et qui s'aggravent de plus en plus. Mais en outre, si, par hypothèse, on admet que l'interdiction de l'abaya est une tentative du Gouvernement de lutter contre l'obscurantisme à l'école, il est injustifiable qu'elle ne vise que l'islamisme et que soit réduite à un problème vestimentaire.
Toutes les religions ont des composantes irrationnelles et obscurantistes, de même que d’autres idéologies non confessionnelles jouissant d’une vaste emprise sur la pensée collective.
La droite attribue à une certaine façon de s'habiller la vertu de véhiculer une idéologie qui sape les fondements de la République, qu'il faut combattre et interdire par des lois, des décrets et des circulaires.
C'est une sorte d'intégrisme de droite. Les jeunes filles qui – probablement avec une finalité identitaire [2] - portent à l’école certains costumes, auraient des pouvoirs surnaturels qui mettraient en péril les valeurs fondamentales de la République. Un peu comme les sorcières de Salem[3].
Certains appellent cette tendance l'islamophobie, qui fonctionne pour l'instant comme un terrorisme idéologique pour combattre la gauche et sert en pratique à violer la liberté d'expression.
Avec le temps, les boucs émissaires changent mais les objectifs restent semblables.
Il ne faut pas oublier que la « judéo phobie », aboutit aux fours crématoires, qui, selon J.M. Le Pen étaient "... un point de détail de l'histoire de la deuxième guerre mondiale".
Cette politique, clairement liberticide, se manifeste dans divers aspects de la vie quotidienne, elle tend à s'accentuer et on ne sait pas quand elle s'arrêtera.
Il n'est pas inutile de rappeler que : " Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde ".
Malgré l'avalanche d'"experts juristes" que dans les oligopoles médiatiques argument a faveur de la légalité des lois, décrets et circulaires liberticides[4], il est évident qu'ils violent les instruments juridiques fondamentaux nationaux et internationaux qui consacrent la liberté d'expression, y compris celle de pratiquer une religion :
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, arts 10 et 11 ; Constitution de la République française, art.1 ; Loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État. L’école devient laïque, c'est-à-dire non confessionnel. Pas les élèves ; Déclaration universelle des droits de l'homme, Article 2 par.1 et Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Art 18, par.1.
On parle tout le temps de "l'école de la République". On peut se demander si elle existe vraiment. Parce qu'une école de la République doit disposer d'enseignants bien rémunérés, motivés, ayant une bonne formation pédagogique et de solides connaissances dans leurs matières respectives, capables d'intéresser les élèves à l'apprentissage de l'histoire, de la logique, des mathématiques, des sciences sociales et naturelles : physique, chimie, géographie, biologie, géologie, astronomie, écologie, etc. Afin qu'ils acquièrent une bonne éducation et un esprit critique, notamment face aux croyances et fanatismes raciaux et religieux, et qu'ils apprennent, entre autres, que tous les êtres humains sont égaux, sans distinction de sexe, de couleur, de race ou de religion. Rien de mieux pour l'éducation des enfants et des jeunes que d'apprendre la convivialité avec leurs camarades, quelle que soit leur religion ou leur apparence.
Et qu'ils apprennent à répondre aux dogmes religieux comme Laplace a répondu à Napoléon quand celui-ci lui demanda pourquoi son Traité de mécanique céleste, ne mentionnait pas Dieu : « Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Il expliqua plus tard que Dieu étant une hypothèse qui explique tout mais ne prédit rien, il n'est pas utilisable dans le cadre de la science.
Le démantèlement de l'enseignement, délibérément programmé par les classes dominantes et leurs valets politiques,[5] compromet profondément l'éducation des jeunes générations et en fait des sujets soumis et malléables de la dictature du grand capital. Les jeunes doivent se former avant tout comme êtres humains, avertis, avec de l‘esprit critique et pas seulement comme main d’œuvre qualifié ou non qualifié.
Le bilan actuel est globalement négatif [6] comme résultat d'un processus qui a commencé à s'accélérer il y a près d'un demi-siècle avec la désintégration de la gauche et l'occupation progressive de l'espace idéologique et culturel par des courants qui ont adultéré l'histoire et enterré la pensée logique, rationnelle, humaniste et révolutionnaire condensée dans l'Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, élaborée sous la direction de Diderot et de d'Alembert. Et que la Révolution de 1789 a intégré à la culture française.
Le passage progressif des Lumières aux ténèbres était bien résumé il y a déjà 43 ans dans la couverture du numéro 392 de la revue Critique de janvier 1980: L'année politico philosophique - le comble du vide. Où, à la page 52, on peut lire la phrase suivante du philosophe Jacques Bouveresse:
“Il y a eu une époque ou quelqu’un qui aurait utilisé a peu près exclusivement des catégories aussi relatives et subjectives que le plaisir ou l’ennui pour justifier ses adhésions et ses exclusions philosophiques aurait été pris pour un aimable plaisantin et invité poliment à s’occuper d’autre chose. Mais, Dieu merci, nous ne sommes plus là depuis longtemps. Il faut, d’ailleurs, être juste envers Benoist et reconnaître qu’il n’a rien inventé dans ce domaine. Cela fait déjà un certain temps que les voix les plus autorisées et les plus influents nous expliquent que la philosophie n’a pas de pires ennemis que l’esprit de sérieux, le désir du vrai, la logique, le goût de la précision et la volonté ridicule de justifier ce qu’on affirme par des véritables arguments… ».
Depuis des décennies, des chapelles conservatrices contrôlent l'enseignement supérieur et ont supprimé la liberté académique. Un exemple est ce qui s'est passé dans les sciences économiques[7].
Comme le souligne Alain Accardo (Notre servitude involontaire, Edit. Agone, France, 2001, Pag. 50 y ss.) cette hégémonie idéologique-culturelle est également maintenue et consolidée de manière plus subtile et moins visible à travers toutes les activités humaines, sociales, culturelles, idéologiques et même scientifiques, en formatant la conscience de la grande majorité des gens.
A New York, les mosquées peuvent diffuser l’appel à la prière sans autorisation préalable.
Le maire de Londres est musulman et le Ramadan est célébré dans la ville décoré et illuminé pour l’occasion. Démonstration que la tolérance et la convivialité sont possibles en sociétés multiculturelles, même affligés par différents problèmes sociaux.
En France, les idées matérialistes et rationnelles des Lumières et de la Révolution ont été radiées de la culture par les classes dirigeantes et les intellectuels à leur service, à tel point que l'école publique - selon le Gouvernement – est vulnérable et ne peut résister ni tolérer la présence des jeunes filles portant des robes longues et amples.
Il faut faire un effort et porter le débat à l’essentiel : comment combattre et mettre hors d´état de nuire l’hégémonie idéologique et culturelle des classes dominantes.
Les organisations de gauche (à mon avis, sont celles dont l'objectif stratégique est l'abolition du système capitaliste) devraient s'abstenir de s'engager dans le débat métaphysique sur le caractère religieux ou non de certains vêtements, continuer a utiliser les ressources juridiques permises par le système pour attaquer la légalité des interdictions et, surtout, remettre en cause le système idéologique dominant qui génère de telles aberrations.------------------
Pour approfondir le sujet: Frédéric Orobon, Devrait-on avoir à choisir entre laïcité libérale et laïcité républicaine ? Dans Revue du MAUSS 2017/1 (n° 49), pages 307 à 318 https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2017-1-page-307.htm
[1] Voir: Teitelbaum, El colapso del progresismo y el desvarío de las izquierdas. https://www.surysur.net/teitelbaum-el-colapso-del-progresismo-y-el-desvario-de-las-izquierdas/
[2] On peut établir un parallèle avec les gens qui, pour se donner une identité, choisissent certaines façons de s’habiller, de se maquiller ou couvrent leurs corps avec des phrases et dessins.
[3] En 1692, Salem est une petite commune sans histoires. En quelques mois son destin bascule, lorsque des centaines de personnes sont accusées de sorcellerie et 20 d’entre elles sont condamnées à mort au terme de procès sordides.
[4] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 et autres lois et décrets concordants. Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève.
[5] Il s'agit pas seulement d'un manque de ressources humaines et matérielles, mais aussi d'un déficit qui se creuse depuis des années dans les méthodes d'enseignement et de recherche, en raison des tendances obscurantistes qui dominent dans les sciences sociales et même dans certaines des sciences dites "dures".
[6] Voir: Teitelbaum, France, bilan idéologique et culturel, https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/290822/france-bilan-ideologique-et-culturel
[7] Voir: : Le Monde Diplomatique, Police de la pensée économique à l’Université. Juillet 2015,