LFI : TROP D'ERREURS, IDEOLOGIQUES, STRATEGIQUES ET TACTIQUES. CONTINUATION DU DÉPÉRISSEMENT DU PS ET DU PCF. MOLLESSE IDEOLOGIQUE DE L’EELV
Delphine Batho (sur l’adoption de la loi immigrants)
Beaucoup de digues ont sauté, souvent par lâcheté. Des erreurs politiques ont été commises. Il ne reste aux écologistes et à la gauche que les yeux pour pleurer. Les manœuvres parlementaires ne peuvent pas remplacer les principes politiques.------
Le passage progressif des Lumières aux ténèbres était bien résumé il y a déjà 44 ans dans la couverture du numéro 392 de la revue Critique de janvier 1980: L'année politico philosophique - le comble du vide. Où, à la page 52, on peut lire la phrase suivante du philosophe Jacques Bouveresse:
“Il y a eu une époque ou quelqu’un qui aurait utilisé a peu près exclusivement des catégories aussi relatives et subjectives que le plaisir ou l’ennui pour justifier ses adhésions et ses exclusions philosophiques aurait été pris pour un aimable plaisantin et invité poliment à s’occuper d’autre chose. Mais, Dieu merci, nous ne sommes plus là depuis longtemps. Il faut, d’ailleurs, être juste envers Benoist et reconnaître qu’il n’a rien inventé dans ce domaine. Cela fait déjà un certain temps que les voix les plus autorisées et les plus influents nous expliquent que la philosophie n’a pas de pires ennemis que l’esprit de sérieux, le désir du vrai, la logique, le goût de la précision et la volonté ridicule de justifier ce qu’on affirme par des véritables arguments… ».[1]
La progression de l’extrême droite, y compris dans les "grandes démocraties occidentales" avec leur aile fasciste, où des milices organisées pratiquant la violence sont impliquées, n'est pas un phénomène passager, et encore moins un phénomène anodin.
Le facteur aggravant est que la variante la plus réactionnaire recueille le consensus d'une grande partie de la population, malgré qu'elle souffre de la crise économique et qu'elle soit victime de l'exploitation et de l'oppression capitalistes.
Non sans lien avec ce paradoxe - les pauvres faisant confiance aux plus riches qui les exploitent –à laquelle contribue le délitement politique et idéologique des partis de gauche traditionnels, PS [2]et PCF[3], qui ont perdu la plupart de leurs adhérents et sympathisants. Et les errements des nouvelles gauches. La représentation et l’influence politiques de la gauche, dont les formations traditionnelles risquaient de disparaître, a donc été réduite au minimum.
LFI a alors émergé, avec un programme alternatif à celui des classes dirigeantes au pouvoir et sa proposition de ce qui s'est avéré être le NUPES, qui, outre le fait de dépasser en partie les ambiguïtés et les renoncements programmatiques du PCF, du PS et d'EELV, leur offrait une bouée de sauvetage face à la perspective de leur quasi-disparition des instances électives.
LFI et NUPES ont suscité un écho positif chez de nombreuses personnes aux idées de gauche, mais elles ont perdu leur enthousiasme initial en constatant le fonctionnement de ces deux instances, alourdies par leurs idéologies dominantes et, en particulier LFI, par leur organisation gazeuse et verticaliste.
LFI, en contradiction avec sa proposition de transformer/démocratiser l'appareil d'État, semble confier dans les institutions existantes –fonctionnelles à la préservation du statu quo capitaliste- pour obtenir des changements positifs dans la situation politique, économique et sociale, extrêmement dégradée. Et commet des erreurs stratégiques et tactiques[4] qui ne contribuent pas à modifier les rapports de force au sein de la population. Dans le cadre de l'attention quasi obsessionnelle qu'elle consacre aux échéances électoraux.
Les élections et les campagnes électoraux sont des objectifs valides mais doivent toujours être conditionnés a l’objectif stratégique d'aider à construire avec las clases populaires une grande organisation dont les membres prennent progressivement conscience que les conflits entre classes antagonistes son inhérentes au système dominant.
Il ne s'agit pas seulement de dire aux gens qu'il y a une poignée de milliardaires qui fraudent même le fisc. Et que la plupart des gens vivent mal ou très mal. Ils le savent déjà.
Il faut expliquer clairement les mécanismes inhérents au système capitaliste qui produisent ces résultats.
Car une grande partie de ces majorités - mentalement façonnées par l'idéologie et la culture du système capitaliste - sont convaincues que les grands capitalistes jouent un rôle essentiel dans la société, parce qu'ils font fonctionner l'économie, "fournissent" des emplois [5] et sont un exemple à imiter pour leur esprit d'initiative.
Oublier cette priorité et avoir toujours l'œil sur les sondages électoraux a conduit LFI à commettre de graves erreurs tactiques comme bloquer le débat sur les retraites et rejeter le projet Darmanin sur les migrations.
Conséquence d'une idéologie brumeuse, dépourvue de la rigueur propre à une analyse des faits selon la méthode matérialiste, historique et dialectique. En oubliant par exemple la question de l'autre face du problème migratoire : une partie de sa population contrainte de quitter sa patrie comme conséquence de la politique coloniale et néocoloniale séculaire de la France et d’autres grandes puissances en Afrique : le pillage dévastateur de ses ressources humaines et naturelles, les agressions armées et l’assassinat de leurs leaders indépendantistes.
Oubli délibéré pour ne pas heurter la sensibilité, aux relents chauvins, de ceux qui se réfèrent à l'histoire de France avec bénéfice d'inventaire ? [Acceptation de la succession à concurrence de l'actif net"].
J'ai l'impression que ceux qui ont l'obligation de connaître exactement les mécanismes et les dynamiques de l’AN et du Sénat et du Parlement européen ne les connaissent pas ou agissent comme s'ils ne les connaissaient pas, parce qu'ils évaluent comme des victoires des décisions qui sont loin d'être appliquées, sans aucune valeur positive ou de contenu sans importance. Et ils ne savent apparemment pas comment mesurer les conséquences negatives de l'emploi d'une tactique particulière.
Ils ont même célébré le rejet du projet Darmanin, dont les conséquences catastrophiques, désormais évidentes, étaient prévisibles. Rejet qui a fermé la porte à un long débat parlementaire qui aurait servi de plateforme pour expliquer le caractère profondément réactionnaire du projet de loi.
Il est inadmissible que Mme Panot et quelques autres aient dit qu'ils voulaient éviter le débat afin que la droite n'ait pas l'occasion d'avancer ses arguments xénophobes et racistes. Si les instances délibératives du système ne servent pas de tribune pour débattre et expliquer, la fonction pédagogique des organisations de gauche s'en trouve quelque peu affaiblie et la partie la plus substantielle de cette fonction en est affectée : le dialogue et l'échange permanents avec les classes populaires.
"Ainsi, en pensant aux classes subalternes qui tentent de s'éduquer à l'art du gouvernement, Gramsci peut parler d'une relation d'hégémonie qui est aussi, nécessairement, 'une relation pédagogique'. Il s'agit cependant d'une pratique pédagogique dans laquelle "le lien entre le maître et l'écolier est un lien actif, fait de relations réciproques et [dans lequel], par conséquent, chaque maître est toujours un écolier, et chaque écolier, un maître" (Gramsci, Cahiers...1331).
LFI annonce que va saisir le Conseil constitutionnel. Sa confiance dans les institutions bourgeoises, destinées à préserver le système, semble indestructible.
Il faut garder à l'esprit l'avertissement d'Engels dans l'introduction de 1891 à La guerre civile en France : "(...) une vénération superstitieuse de l'État et de tout ce qui s'y rattache, vénération superstitieuse qui s'enracine dans les consciences d'autant plus facilement que l'on est habitué dès l'enfance à penser que les affaires et les intérêts communs à toute la société ne peuvent être gérés et sauvegardés autrement que comme ils l'ont été jusqu'à présent, c'est-à-dire au moyen de l'État et de ses fonctionnaires bien payés....".
Il faut finir avec l'autosatisfaction. Il faut se remettre en question en dialoguant et en apprenant des gens du terrain.
Il ne s'agit pas alors d'"améliorer" l'État, mais de le démanteler et de le transformer a des formes institutionnelles totalement différentes, qui donnent le pouvoir de décision à ceux qui travaillent. Ce qui n'est pas pareil que voter de temps en temps pour donner un long mandat irrévocable à des politiciens professionnels.
Les rapports de production capitalistes doivent être abolis, en socialisant les instruments et les moyens de production et d'échange.
En d'autres termes, se projeter vers un socialisme démocratique et participatif consistant en un système fondé sur la propriété sociale ou collective des instruments et des moyens de production et d'échange et sur des formes institutionnelles permettant l'intervention active et consciente des individus et des collectivités dans la prise de décision à tous les niveaux et à toutes les étapes, depuis la détermination des objectifs et des moyens pour les atteindre jusqu'à leur mise en œuvre et au contrôle et à l'évaluation des résultats.
Ce devrait être le projet de ceux qui veulent vraiment un changement radical de la société conduisant à la libération et à la réalisation de l'être humain en tant que tel.
Ils devraient le préfigurer dans leurs propres organisations, abandonnant la forme « gazeuse » et vertical de haut en bas, et en établissant un registre des adhérents, avec la rotation périodique de leurs dirigeants et la participation organique de tous leurs membres aux décisions.
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Lectures recommandées :
Mathieu Dejean, Sciences Po, l'école de la domination. Edit. La Fabrique. 2023
Le Monde Diplomatique , La domination des orthodoxes stérilise le débat public
Police de la pensée économique à l’Université. Juillet 2015
NOTES
[1] Voir :Jacques Bouveresse, Prodiges y vertiges de l’analogie. Edition actualisée et augmentée. 2022.
[2] Viré au libéralisme droitier avec Mitterrand en 1983 et dynamité par Hollande
[3] Une grande partie de l'électorat ouvrier du PCF a migré vers le FN/RN.
[4] Lors du débat parlementaire sur le relèvement de l'âge de la retraite, LFI a choisi d'utiliser la tactique du blocage et du happening au lieu de se servir de l'AN comme d'une plateforme pour expliquer à la population le contenu réactionnaire et antipopulaire du projet du gouvernement.
[5] En fait, ce sont les travailleurs qui "donnent" leur force de travail aux patrons. Et les patrons achètent la force de travail à crédit, car ils paient- en partie seulement car ils gardent la plus-value ou profit - au bout d'un certain temps d'utilisation de la force de travail (y compris les compétences spécifiques) du travailleur.