aleteitelbaum (avatar)

aleteitelbaum

retraité

Abonné·e de Mediapart

425 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 novembre 2025

aleteitelbaum (avatar)

aleteitelbaum

retraité

Abonné·e de Mediapart

Carl Schmitt et Léon Trotsky : un contrepoint à la crise de la démocratie,

aleteitelbaum (avatar)

aleteitelbaum

retraité

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous trouverez ci-dessous le prologue de Matías Maiello à son nouveau livre, Carl Schmitt et Léon Trotsky : un contrepoint à la crise de la démocratie, du fascisme et de la révolution, récemment publié par Ediciones IPS.

L'intensité de l'antagonisme est une caractéristique déterminante du politique. Après la chute du mur de Berlin, elle a semblé se transformer en son contraire, devenant le signe d'une époque définitivement révolue. L'émergence de ce que Tariq Ali a appelé le centre extrême a semblé s'imposer dans les démocraties néolibérales. Le maintien du statu quo est devenu l'objectif quasi exclusif d'un large éventail de partis politiques, réduits à l'état de morts-vivants (Ali, 2015). Inspirée par Carl Schmitt, Chantal Mouffe a mis en garde contre la nécessité de réévaluer la notion d'antagonisme pour un retour au politique. La disparition des anciennes oppositions ami-ennemi pourrait conduire à une profonde déstabilisation des sociétés occidentales (Mouffe, 1999). Mais il s'agissait là d'une reconnaissance partielle de la dimension antagoniste du politique, un agonisme où l'ennemi devient l'adversaire. Le postulat était celui d'un « nous » constituant une communauté politique adhérant aux valeurs éthiques et politiques démocratiques. La notion d'intensité associée à la politique est restée marginale.

Le paysage de ces dernières années semble résister, avec une intensité croissante, à cette délimitation du politique. D'une part, la nouvelle droite émerge à l'échelle mondiale (Stefanoni, 2021). Parallèlement à ce phénomène, l'usage – et souvent le détournement – ​​du terme « fascisme » a fait son retour dans le discours politique courant . Certains auteurs parlent de « post-fascisme » (Traverso, 2018), d'autres de « nouveau fascisme » (Lazzarato, 2020). D'autre part, depuis le Printemps arabe de 2011, de vastes mouvements de mobilisation, plus ou moins violents, se sont multipliés dans de nombreux pays. Ces soulèvements sont devenus une composante incontournable de la situation mondiale (Maiello, 2022). Le spectre des guerres, du militarisme et des conflits internationaux plane également sur la scène internationale. Le génocide perpétré à Gaza en est aujourd'hui l'expression la plus brutale. Pour sa part, la guerre en Ukraine, depuis 2022, a engendré une mutation du phénomène guerrier par rapport aux décennies précédentes, fondée sur l’implication – directe ou indirecte – des grandes puissances des deux côtés.

L’intensité du politique semble faire un retour inattendu sur la scène. Dans ce contexte, les développements que nous présentons ci-dessous découlent de l’intuition qu’un contrepoint entre Léon Trotsky et Carl Schmitt, en tant que penseurs de l’intensité du politique, peut nous offrir des éléments utiles pour mieux comprendre et mettre en perspective certains aspects de la réalité actuelle. Cette même considération s’applique au moment historique précis dans lequel nous situons notre enquête : l’Allemagne de Weimar et, en particulier, ses années de crise la plus aiguë, lors de son ascension (1918-1923) et de sa chute (1929-1933). Ce choix n’est pas arbitraire. Marquée par la révolution, la crise de la démocratie et la montée du fascisme, cette période fut non seulement l’un des moments les plus significatifs du drame historique du XXe siècle, mais aussi un véritable laboratoire pour de nombreuses questions cruciales pour la compréhension du politique. Oliver Marchart, s’appuyant sur Laclau, souligne que :

Si l’histoire de la pensée politique est aussi celle de l’oubli du politique (interprété comme le jeu stratégique avec la contingence ou, comme le concevait Machiavel, avec la fortune), ce n’est qu’à certains moments, en particulier à l’époque machiavélienne, que le calcul stratégique est devenu la source de valeurs substantielles (et non l’inverse)  [ 1 ] . Cependant, ces moments ont joué un rôle marginal dans la pensée politique occidentale (2011 : 76).

Interrogé sur l'événement immédiat qui a conduit à l'émergence du concept pur de politique dans la pensée allemande du XXe siècle, Marchart se réfère à une observation d'Hannah Arendt : « Ce qui s'est passé en Allemagne après la Première Guerre mondiale, c'est la rupture d'une tradition – une rupture qu'il fallait reconnaître comme un fait accompli, une réalité politique, un point de non-retour… » (2011 : 83). Ce point de non-retour fut la défaite de l'Empire lors de la guerre et la révolution allemande de 1918-1919, suivies d'une confrontation soutenue entre forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires qui dura jusqu'à la fin de 1923 et resurgit après la crise de 1929.

Ainsi, le choix du moment historique et des auteurs présentés ici témoigne d'un intérêt pour l'intensité du politique. D'une part, la République de Weimar, considérée comme la plus grande expérience de démocratie bourgeoise de l'époque, qui débuta par une révolution et s'acheva par une contre-révolution. D'autre part, Trotsky, penseur de la révolution, et Schmitt, penseur de la réaction mais aussi de la contre-révolution  [ 2 ] . Arno Meyer affirme que « la contre-révolution est l'autre moitié de la révolution » (2014 : 63). En quelque sorte, le contrepoint que nous présentons ci-dessous conçoit les interventions théoriques et politiques de Schmitt et de Trotsky comme deux moitiés qui, réunies, se comprennent mieux.

Partant de ce postulat, nous aborderons une série de concepts chez les deux auteurs, non pas comme objets de recherche visant à recréer les vicissitudes qu'ils ont subies au fil du temps à travers différents penseurs, mais comme autant d'évolutions propres à Trotsky et Schmitt en tant que penseurs individuels. Nous ne présupposons ni une cohérence automatique ni une dispersion intrinsèque de leurs écrits. Nous cherchons plutôt à identifier leurs différents moments clés, leurs points de tension, tant par rapport à leur propre pensée qu'à des éléments qui la dépassent. Notre analyse textuelle ne se limitera pas au textualisme . Nous accorderons une attention particulière au contexte, notamment au contexte historique et politique, en considérant les différentes conjonctures survenues dans l'Allemagne de Weimar. Comme le soulignait Schmitt en 1955 :

Chaque action, chaque acte humain est la réponse à une question posée par l'histoire. Une situation historique est incompréhensible dans la mesure où elle n'est pas appréhendée comme un appel perçu par les êtres humains, et également comme la réponse de ces derniers à cet appel. Chaque parole humaine est une réponse. Toute réponse tire son sens de la question à laquelle elle répond et demeure dénuée de sens pour celui qui ignore la question. Le sens de la question réside, à son tour, dans la situation concrète où elle est formulée (Schmitt, 1995a : 534)  [ 3 ] .

Le contexte commun de la République de Weimar, marqué par la révolution et la contre-révolution, a fourni aux deux auteurs un répertoire de questions communes. Leurs réponses, bien que souvent contradictoires, révèlent fréquemment une certaine symétrie. Tous deux sont intervenus, tant sur le plan théorique que politique, dans la situation en Allemagne à cette époque. Schmitt, en tant que figure intellectuelle reconnue, est devenu progressivement un membre actif des cercles du pouvoir. Proche du général Kurt von Schleicher, qui exerçait une influence considérable sur les affaires de l'État durant ces années, il a dirigé la défense juridique du Reich lors du coup d'État institutionnel contre la social-démocratie prussienne en 1932. Par la suite, il a cherché à se faire une place au sein du Troisième Reich, aux côtés d'Hermann Göring. Trotsky, quant à lui, était l'un des principaux dirigeants de l'Internationale communiste. À ce titre, il était lié à la direction du Parti communiste d'Allemagne jusqu'en 1923. Après son exil d'URSS, déjà à la tête de l'Opposition de gauche internationale, il a cherché à influencer les communistes allemands depuis l'exil.

Nous partons de ce carrefour politique et théorique particulier qu'est l'Allemagne de Weimar, mais nous nous efforçons d'éviter un contextualisme unilatéral où le texte serait réduit à un simple reflet du contexte. Parallèlement, nous considérons Schmitt et Trotsky comme des acteurs politiques, et leurs textes comme des interventions imprégnées des événements historiques qui les ont façonnés. Cette approche rejoint celle formulée par Perry Anderson dans *Battlefields* (1992) et adoptée dans ses travaux d'histoire intellectuelle, à commencer par son ouvrage * Les Antinomies d'Antonio Gramsci* (1981)  [ 4 ] . Nous reprenons ici l'idée de contrepoint , au sens où Ricardo Laleff Ilieff l'entend dans son livre * The Political and Defeat* (2020), à propos de Schmitt et Gramsci, afin d'obtenir un résultat original qui dépasse la simple somme des interventions. Dans ce cas, la forme du contrepoint – qui comprend à la fois la différence et ce qui relie les deux antagonistes – sera marquée par la confrontation entre deux pôles, celui de la révolution et celui de la contre-révolution, derrière lesquels se cachent ces questions communes qui, pour les deux auteurs, acquièrent une dimension historique décisive.

Cette comparaison entre Schmitt et Trotsky débute par une lacune importante et une asymétrie majeure. Cette lacune tient au fait qu'à notre connaissance, une étude comparative des deux hommes, telle que celle que nous avons entreprise, ne dispose ni de précédents significatifs ni de recherches exhaustives, se fondant uniquement sur des références partielles. À l'exception de quelques passages où Schmitt fait explicitement référence à Trotsky – dans * La Dictature * (2003) ou * Les Fondements historico-spirituels du parlementarisme dans sa situation actuelle * (2008) –, leurs œuvres respectives ne se recoupent pas directement. Elles se recoupent toutefois sur le plan politique et théorique, dans la mesure où Schmitt désigne le communisme comme le principal « ennemi public », tandis que Trotsky perçoit le « bonapartisme allemand » – et le nazisme – comme le principal danger pour la classe ouvrière.

En revanche, l'asymétrie significative que nous avons évoquée tient à l'abondante bibliographie consacrée à Schmitt et à ses travaux durant la crise de Weimar, et à la rareté des ouvrages analysant systématiquement les écrits de Trotsky sur l'Allemagne. Ce constat est d'autant plus frappant que, selon Perry Anderson, ces textes sont « sans équivalent dans les annales du matérialisme historique » (1987 : p. 120) en tant qu'études concrètes d'une conjoncture politique.

Ce travail ne vise pas à proposer une interprétation inédite de l'œuvre de Schmitt, mais plutôt à revisiter – et parfois à combiner – les différentes interprétations formulées par d'autres auteurs sur chaque sujet abordé. Parmi la vaste bibliographie consacrée à son œuvre, des auteurs tels que Jorge Dotti (2000 ; 2001 ; 2002a ; 2002b ; 2008) et Gopal Balakrishnan (2000) ont particulièrement influencé notre lecture de Schmitt, pour des raisons différentes. Dans le premier cas, cela tient au fait qu'il fut le principal représentant de la pensée schmittienne en Argentine ; dans le second, cela tient au lien particulier qu'il établit entre l'œuvre de Schmitt et les conflits de son époque. Par ailleurs, compte tenu des liens qu'ils établissent entre certains courants de pensée marxistes et Schmitt, les approches de José Aricó (1984) et de Mario Tronti (1981 ; 2016) ont alimenté la controverse quant à la définition du rapport spécifique avec Trotsky présenté dans ces pages. Dans le même temps, nous avons incorporé des éléments présents dans les interprétations de Giuseppe Duso (1981), Antonio Negri (2015), Carlo Galli (2011 ; 2018), Ricardo Laleff Ilieff (2020 ; 2023) et Andrés Rosler (2023 ; 2024), entre autres auteurs dont les travaux ont des liens particulièrement pertinents avec divers thèmes abordés dans cet article.

Concernant les écrits de Trotsky sur l'Allemagne de Weimar, la plupart de ses textes abordent une conjoncture spécifique, examinent un paysage politique et s'attachent à définir des perspectives tactiques et stratégiques. Cette approche est classique dans la théorie politique marxiste, remontant à des ouvrages tels que *La Lutte des classes en France* et * Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte *. Pour analyser ces textes d'un point de vue théorique, nous nous sommes largement appuyés sur nos travaux antérieurs, co-écrits avec Emilio Albamonte, * Stratégie socialiste et art militaire* (2017), ainsi que sur * De la mobilisation à la révolution* (Maiello, 2022). Nous mobilisons également des éléments développés dans divers ouvrages – biographiques, historiques et théoriques – qui ont le mérite d'explorer en profondeur des aspects de l'œuvre politique et théorique de Trotsky et/ou d'utiliser des sources pertinentes pour reconstituer sa pensée. Parmi les principaux, il convient de mentionner ceux de Perry Anderson (1981), Daniel Bensaïd (2017), Isaac Deutscher (2020a; 2020b; 2020c), Jean-Jacques Marie (2009), Pierre Broué (1988; 2020a; 2020b) et John Riddell (2011; 2015).

Dans ce cadre, nous proposons un contrepoint asymétrique. Notre lecture, tant pour Schmitt que pour Trotsky, adopte une perspective spécifique et, à certains égards, complémentaire entre les deux auteurs. Il s'agit en quelque sorte de conjuguer une lecture politique de l'œuvre de Schmitt, éclairée par le contrepoint avec celle de Trotsky, avec une lecture théorique de l'œuvre de Trotsky, dans une perspective de théorie politique, fondée sur le contrepoint avec celle de Schmitt. Ce contrepoint asymétrique  [ 5 ] comporte une dimension méthodologique qui invite à appréhender leurs œuvres respectives dans le cadre d'une confrontation. Celle-ci est liée à leur appartenance contemporaine à des pôles opposés de l'échiquier politique, appréhendée, au sens schmittien, comme une relation ami-ennemi.

Contrairement aux approches de la relation entre Schmitt et le marxisme, telles que l'analyse de José Aricó (1984) sur Schmitt et Marx, cet ouvrage ne vise pas à combiner des aspects spécifiques de l'œuvre des deux auteurs au sein d'un cadre théorique unique. En ce sens, il se rapproche d'approches comme le contrepoint établi par Laleff Ilieff (2020) entre Schmitt et Gramsci, qui ne cherche ni à « gramscianiser » Schmitt ni à « schmittianiser » Gramsci  [ 6 ] . Nous adoptons une considération similaire lorsque nous abordons la relation entre Trotsky et Schmitt. Nous ne cherchons pas non plus à trouver chez Schmitt un complément théorique à Trotsky, ni inversement, comme cela pourrait être le cas pour Mario Tronti (1981), qui voit chez l'auteur du * Concept du politique* le secret de l'autonomie du politique qui faisait défaut au marxisme.

Pour notre contrepoint, nous nous inspirons de l'intuition de Fredric Jameson (2010), selon laquelle définir le politique en termes d'amis et d'ennemis pourrait s'interpréter, d'un certain point de vue, comme une appréhension déformée de la révolution elle-même, en tant que phénomène où la dimension collective de la vie humaine apparaît comme une structure centrale. Dans cette perspective, nous commençons par déterminer le caractère antagoniste des points de vue des deux auteurs sur la crise de la République de Weimar et établissons un contrepoint entre leurs conceptualisations issues des pôles opposés de la lutte politique. Ainsi, l'approche commune de Schmitt et Trotsky ne nous conduit ni à une combinaison ni à une complémentarité, mais plutôt à une repolitisation spécifique du développement historique du concept même de politique.

Dans le chapitre 1, nous débuterons notre exploration en prenant pour toile de fond la Révolution russe de 1917 et la Révolution allemande de 1918-1919. Nous commencerons par les analyses respectives de Schmitt et de Trotsky sur le contexte historique de leur époque et son rapport aux théories traditionnelles de l'État, avant de nous concentrer sur deux de leurs ouvrages : * La Dictature * de Schmitt et *Terrorisme et Communisme * de Trotsky. Nous analyserons leurs conceptions respectives de la souveraineté populaire et leurs approches de la nature de l'ordre politique moderne, ainsi que leurs perspectives sur le problème du pouvoir constituant. Nous établirons une comparaison entre les concepts schmittiens de « dictature souveraine » et de « dictature commissaire » et les développements trotskyens de la notion de « double pouvoir » ou de « souveraineté multiple », le tout dans le contexte historique des origines de la Constitution de Weimar. Nous analyserons également la question de l'assimilation constitutionnelle du pouvoir constituant et, sur la base de ces éléments, nous tenterons d'élucider en quel sens on peut parler de deux perspectives antagonistes sur la République de Weimar chez Schmitt et Trotsky.

Au chapitre 2, nous analyserons l'œuvre de Schmitt et de Trotsky durant la période allant de la révolution allemande de 1918-1919 à la fin du processus révolutionnaire en 1923. Nous établirons un parallèle entre la conception schmittienne du passage d'une souveraineté conçue en termes de légitimité à la centralité de la décision souveraine et les développements trotskyens concernant le passage d'un « fétichisme parlementaire » à une décision insurrectionnelle. Dans les deux cas, nous partagerons le postulat que les situations exceptionnelles permettent d'expliquer ce que les situations normales ne peuvent révéler. Nous comparerons également l'approche schmittienne de la médiation politique, à travers les concepts de complexio oppositorum et de « pouvoir neutre », aux développements trotskyens sur le front uni comme genèse des conseils, et sur les organisations du mouvement ouvrier comme bastions de la démocratie prolétarienne au sein de la démocratie bourgeoise. Enfin, nous analyserons leurs approches respectives de la crise historique du parlementarisme et du problème de la représentation. L'opposition entre individualisme libéral et homogénéité démocratique dans la conception schmittienne et trotskyienne de l'hétérogénéité du peuple et du problème de l'exclusion démocratique. Enfin, nous aborderons un contrepoint spécifique concernant différentes notions de représentation – selon la distinction schmittienne entre « Vertretung » et « Repräsentation » – du point de vue de chaque auteur.

Au chapitre 3, dans le contexte historique de la République de Weimar, relativement stable entre 1924 et 1928, nous comparerons l'idée schmittienne de l'acte de décision constituante comme critère d'interprétation avec la notion trotskyenne de mécanismes politiques de la révolution, également comme critère d'interprétation. Nous examinerons aussi leurs approches respectives du rapport entre les principes d'identité et de représentation, la manière dont ils abordent les problèmes du pluralisme et de la désignation de l'ennemi, ainsi que l'idée de la guerre comme justification ultime de la dichotomie ami-ennemi et le caractère existentiel des confrontations politiques. Nous analyserons la distinction trotskyenne entre tactique et stratégie et explorerons les parallèles possibles avec la distinction schmittienne entre « politique » et « le politique ». À partir de ces éléments, nous proposerons une hypothèse sur la politisation du développement historique du concept de politique, en lien avec le débat sur les enjeux du conflit mondial : États-nations ou lutte des classes. Enfin, nous aborderons les analyses des deux auteurs concernant Machiavel et la notion de politique en période de transition historique.

Au chapitre 4, nous nous concentrerons sur la période allant de la crise finale de la République de Weimar en 1929 à la consolidation du nazisme en 1934. Nous commencerons par le concept schmittien de « gardien de la Constitution » et son lien avec le droit à la résistance, en le confrontant à la perspective trotskiste. Nous analyserons l’approche de chaque philosophe quant à l’identification du peuple à l’État. Dans ce cadre, nous comparerons le concept schmittien de « gardien de la Constitution » au concept trotskiste de « pré-bonapartisme », en cherchant à identifier leurs similitudes et leurs différences, ainsi qu’en comparant la notion trotskiste de « fétichisme constitutionnel » à la notion schmittienne de « plus-value politique ». Nous établirons un autre parallèle entre leurs approches respectives du problème de la centralisation de l’État, en nous concentrant sur la relation conflictuelle entre la Land de Prusse et le Reich durant cette période. Nous tenterons ensuite de comparer leurs conceptions du « bonapartisme » (Trotsky) et de l’« État qualitatif » (Schmitt). Enfin, nous aborderons la différence spécifique entre leurs analyses du nazisme, celle de Schmitt s’appuyant sur ses écrits postérieurs à l’arrivée au pouvoir d’Hitler.

Enfin, en nous appuyant sur les résultats du contrepoint établi dans les chapitres précédents, nous analyserons les symétries et les asymétries entre les réflexions de Schmitt et de Trotsky sur le politique. À partir de cette comparaison, nous reviendrons sur l'examen de la politisation du développement historique du concept de politique qui oppose ces deux auteurs. Enfin, nous proposerons une lecture plus complète de leur comparaison en intégrant à notre contrepoint leurs approches respectives de l'œuvre du général prussien Carl von Clausewitz, afin d'éclairer leurs principales divergences d'interprétation concernant les phénomènes politiques qui ont caractérisé toute la période de la République de Weimar et, en particulier, le nazisme.

NOTES DE BAS DE PAGE


1 ]  Dans l’approche d’Ernst Cassirer, avec Machiavel : « Le monde politique a perdu son lien non seulement avec la religion ou la métaphysique, mais aussi avec toutes les autres formes de la vie éthique et culturelle de l’homme. Il se retrouve seul, dans un espace vide » (2004 : 166).


2 ]  Dans son livre Reactionary Modernism. Technology, Culture and Politics in Weimar and the Third Reich , Jeffrey Herf inclut Carl Schmitt dans la constellation du « modernisme réactionnaire » qui cherchait à concilier les idées anti-modernistes, romantiques et irrationnelles du nationalisme allemand avec la rationalité des moyens et des fins grâce à la technologie moderne (1990 : 18).


3 ]  Traduction selon Andrés Rosler (2023 : 94).


4 ]  Pour une analyse de cette approche, voir Roggerone (2018) pp. 58 et seq.


5 ]  L’asymétrie dont il est question diffère, par exemple, de celle qui existe dans la guerre asymétrique, où la disproportion des forces entre les camps opposés implique, d’une part, une armée aux capacités considérables et, d’autre part, des groupes armés aux ressources matérielles plus limitées. Dans le cas de notre contrepoint, l’asymétrie ne se rapporte pas aux ressources dont dispose chaque auteur, mais à la manière dont chacun les a développées, d’une part sur le plan tactique et stratégique, et d’autre part sur le plan de la conceptualisation théorique et politique.


6 ]  Pour une analyse comparative des conceptualisations d’Antonio Gramsci et de Léon Trotsky, voir : Dal Maso, Juan (2018).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.