LE COMBAT POUR LE DROIT - Der Kampf um das Recht
Alejandro Teitelbaum
Le droit n’est l'outil du changement social, mais il est un outil de ce changement, notamment dans le sens où, bien utilisé, il peut aider les personnes à prendre conscience de leurs droits, personnels et collectifs et faire avancer quelques aspects isolés, a condition que n’affectent les intérêts fondamentaux du pouvoir économique en place. National et transnational.
En d'autres termes, les changements positifs dans les structures socio-économiques sont le résultat de la lutte organisée et consciente des larges masses du peuple et leur forme juridique en est le reflet. Et non l'inverse.
La preuve en est l'échec répété des initiatives visant à élaborer des règles contraignantes pour fournir un cadre juridique aux activités des grandes entreprises.
Par exemple, depuis plus de 40 ans, dans les Nations unies (et dans d'autres organisations) on tente en vain de fournir un cadre juridique contraignant pour les activités des sociétés transnationales.
1)Dans les années 1970, la Commission sur les sociétés transnationales du Conseil économique et social a élaboré un projet de code de conduite pour les sociétés transnationales, qui a finalement, sous la pression des grandes entreprises, été abandonné ;
2) Le même sort a été réservé à un projet de code de conduite sur le transfert de technologie qui a été discuté à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED-UNCTAD);
3) En 1998, la Sous-Commission des droits de l'homme des Nations Unies a adopté une résolution créant un groupe de travail chargé d'examiner les activités des sociétés transnationales en relation avec le respect des droits de l'homme et d'envisager des projets de normes contraignantes pour régir la conduite des sociétés transnationales.
A été en grande partie le résultat d'un travail intensif de deux organisations non gouvernementales, le Centre Europe Tiers Monde et, par l'intermédiaire de l'auteur de cette note, de l'Association américaine de juristes, qui s'est traduit par la publication d'un document de 145 pages en 1995[1] et la tenue de deux séminaires internationaux interdisciplinaires.
Le premier séminaire s’est tenu en novembre 1996 au Palais des Nations Unies, à Genève et le deuxième a eu lieu en avril 1997 à l’Université Carlos III de Madrid, Les deux rencontres ont accueilli des professeurs d’universités d’Argentine, du Canada, du Chili, d’Espagne, et d’Italie ainsi qu’à titre privé des fonctionnaires du Centre pour les droits de l’homme des Nations Unies, de la CNUCED, de l’OIT et un membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de la ONU.
Le groupe de travail étant déjà en place, nous avons tenu une réunion de deux jours avec lui et organisé un troisième séminaire international interdisciplinaire en Suisse les 4 et 5 juin 2001, dont les actes ont été publiés sous le titre
Les activités des sociétés transnationales et la nécessité de leur encadrement juridique, que l'on peut trouver dans le site : https://www.gitpa.org/web/Actes%20.pdf.
La Sous-commission a approuvé le projet de normes en 2003 qui, en plus d'autres lacunes, ne comprenait pas le caractère obligatoire. La Chambre de commerce internationale, un conglomérat de grandes entreprises, a publié un document très critique du projet, affirmant qu'il n'y avait pas besoin de telles normes.
Finalement, le rejet des entreprises a prévalu et la Commission des droits de l'homme a enterré le projet en 2005, et a approuvé une résolution invitant le Secrétaire général des Nations unies à nommer un rapporteur spécial pour traiter de la question, lequel a fini par rédiger une déclaration de "bons principes", approuvée par la Commission. En adoptant cette résolution, les États membres de la Commission, à la quasi-unanimité, y compris ceux dont avec des gouvernements dites "progressistes", ont cédé aux pressions des sociétés transnationales.
4) En 2014, un nombreux groupe d'ONG, avec le soutien de certains États, ont réussi à faire adopter par le Conseil des droits de l'homme, lors de sa session de juin 2014, une résolution dans laquelle le Conseil a décidé de " créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé, entre autres, d'élaborer un instrument juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises dans le cadre du droit international des droits de l'homme ". Depuis lors, il ya des réunions périodiques et, comme d'habitude, on peut prévoir que le résultat sera nul[2] car telle est la volonté des sociétés transnationales et des gouvernements qui les servent. Dans d'autres domaines, nous pouvons mentionner :
1)Le rejet, lors de la discussion du statut de la Cour pénale internationale à Rome en 1998, de la proposition faite par le gouvernement français d'inclure les personnes morales dans le statut. Cette proposition n'a été soutenue que par une seule ONG, la Fondation Lelio Basso. Toutes les autres ONG - un millier environ - présentes à Rome se sont abstenues de soutenir la proposition française afin de ne pas irriter les Etats-Unis pour qu'ils acceptent le Statut. Finalement, les États-Unis n'y ont jamais adhéré. Inclure les personnes morales dans le statut signifiait ouvrir la porte à la poursuite par la Cour pénale internationale des sociétés transnationales impliquées dans de graves violations des droits de l'homme.
2) Les obstacles que les représentants des employeurs au sein de l'Organisation internationale du travail mettent à l'établissement de normes contraignantes pour les STN.
3) Au niveau local, la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés transnationales. En février 2017, le Parlement français a adopté une loi sur le devoir de vigilance des sociétés transnationales (loi nº 2017-399), techniquement imprécise, mais qui prévoyait des sanctions pour les entreprises. Mais, à la demande de la droite parlementaire, le Conseil constitutionnel français, a déclaré inconstitutionnelle la partie de la loi qui prévoyait des sanctions.
Droit de l'environnement.
Le combat pour le droit, sert à mettre les gouvernements face à ses responsabilités et à les exposer à l'opinion publique comme serviteurs du pouvoir économique transnational.
La responsabilité internationale de l'État pour les effets nocifs transfrontaliers des activités menées par des parties privées dans les limites de sa juridiction ou sous son contrôle est établie par la jurisprudence, par diverses conventions internationales, dont la Convention des Nations Unies sur l'utilisation des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation[3], et a fait l'objet de travaux de la Commission du droit international des Nations Unies sur les thèmes "Responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite" et "Responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d'activités qui ne sont pas interdites par le droit international"[4]. Dans la jurisprudence internationale, la sentence arbitrale rendue en 1941 dans l'affaire Trail Smelter (États-Unis c. Canada) est bien connue. Il y est déclaré que selon les principes du droit international... aucun État n'a le droit d'utiliser ou de permettre l'utilisation de son territoire de telle sorte que le territoire d'un autre État ou les personnes ou les biens qui s'y trouvent subissent des dommages..... L'arrêt a établi la responsabilité de l'État (Canada) où opérait la société à l'origine du dommage et la responsabilité de la société elle-même[5]. La Cour internationale de justice, dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 concernant la légitimité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, a déclaré : "L'obligation générale des États de veiller à ce que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle respectent l'environnement dans les autres États fait désormais partie des règles du droit international de l'environnement". La Cour s'est prononcée dans le même sens dans son arrêt du 25 septembre 1997 dans l'affaire Gabcikovo-Nagymaros, paragraphe 53. Il existe des instruments internationaux contraignants, traitant principalement de la protection de l'environnement, qui établissent la responsabilité de l'auteur du dommage et, en général, la responsabilité subsidiaire de l'État s'il n'a pas pris de mesures préventives pour éviter les effets nocifs de ces activités. Il s'agit notamment du principe 21 de la déclaration de Stockholm de 1972 sur l'environnement humain, réaffirmé par les résolutions 2995 (XXVII), 3129 (XXVIII) et 3281 (XXIX) de l'Assemblée générale (Charte des droits et devoirs économiques des États), la déclaration de Rio de 1992 sur l'environnement et le développement, qui est considérée comme jus cogens[6], la convention des Nations unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 1982), la convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux (Helsinki, mars 1992), la Convention de Bâle de 1989 sur les déchets dangereux, leur transport et leur élimination transfrontières (en vigueur depuis mai 1992), la Convention de Bamako de 1991 sur les déchets dangereux, la Convention d'Helsinki de 1992 sur les effets transfrontières des accidents industriels, la Convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile découlant d'activités dangereuses pour l'environnement, la Convention de Rotterdam de 1998 sur les pesticides et autres produits chimiques dangereux, en vigueur depuis février 2004 (110 ratifications en octobre 2006), etc. , En décembre 1999, les États parties à la convention de Bâle de 1989 ont adopté un protocole sur la responsabilité et l'indemnisation des dommages résultant du transport et de l'élimination des déchets dangereux (www.basel.int). L'article 16 du Protocole stipule : "Le Protocole ne porte pas atteinte aux droits et obligations des parties contractantes en vertu des règles du droit international général concernant la responsabilité des États". La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP) est entrée en vigueur en mai 2004.
La Cour internationale de justice a créé une chambre environnementale en 1993. Lauterpacht a déclaré que le principe sic utere tuo ut alienum no laedas (utiliser sa propriété de manière à ne pas causer de dommages à la propriété d'autrui), "n'est pas moins applicable aux relations entre Etats qu'aux relations entre individus ; ... c'est l'un de ces principes généraux de droit ... que la Cour internationale de Justice doit appliquer en vertu de l'article 38 de son Statut" (voir Annuaire de la Commission du droit international, 1994, Vol. II, Partie 2, Chap. V).----------------------------------------------------------------------------------
[1] Prevención y sanción de las violaciones a los derechos económicos, sociales y culturales y al derecho al desarollo: El problema de la impunidad.
[2] Voir: https://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article1635; https://www.cetim.ch/les-communautes-affectees-et-les-mouvements-sociaux-demandent-instamment-de-remettre-les-negociations-sur-les-rails-face-a-une-nouvelle-menace-de-diversion-du-processus/
[3] Convention adoptée le 21 mai 1997
[4] Rapport de la Commission du droit international, 52e session (juillet-août 2000), Assemblée générale, Supplément n° 10 (A/55/10) et rapports précédents. En 2001, la CDI a finalisé le projet d'articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite et l'a transmis à l'Assemblée générale des Nations Unies, qui a adopté la même année la résolution 56/83 Responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, dont l'annexe contient le projet d'articles adopté par la CDI. Le texte peut être consulté sur le site de la Commission du droit international : www.un.org/law/ilc/index.htm. Nations Unies : Recueil des sentences arbitrales, vol. III, p. 1905 et suivantes.
[5] Pollution transfrontière. https://www.erudit.org/fr/revues/ei/1980-v11-n3-ei3002/701072ar.pdf
Naciones Unidas: Recueil des sentences arbitrales, vol. III, pág. 1905 y ss.
[6] Le jus cogens est une norme impérative du droit international général. Il s'agit d'une règle acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble comme une règle qui n'admet pas d'accord contraire et qui ne peut être modifiée que par une règle ultérieure du droit international général ayant le même caractère (art. 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).