ZEMMOUR ET LE BLACK-OUT IDEOLOGICO- CULTUREL
Au début de la campagne pour l'élection du futur président de la France, on assiste à une situation inédite : le débat s'articule autour des déclarations du non-candidat Eric Zemmour, qui semble avoir été
placé par le plus concentré du capital hégémonique comme pion ou joker dans le poker électoral, afin d'assurer la continuité du système existant, quel que soit l'élu. Macron, sous-fifre du capital financier, ou quelqu'un d'autre.
Il est incontestable que les déclarations de Zemmour sont inspirées de la poubelle nazie-fasciste.
Voyons ce qu’il en est.
Zemmour oppose à l'État de droit, qui pour lui est le gouvernement de l'oligarchie judiciaire, et "des textes vagues tels que la Déclaration universelle de droits l'homme ".à ce qu'il appelle le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ce Il est donc clair que le gouvernement du peuple que revendique Zemmour est celui prôné par le droit national-socialiste (nazi) allemand dans lequel la notion de peuple est raciale, puisque le peuple est composé uniquement d'aryens purs à l'exclusion des métis et autres races inférieures. Et la loi écrite est subordonnée au «sentiment sain du peuple» (“gesundes Volksempfinden”) organisé autour de l'idée de base Ein volk, ein Reich, ein Führer (un seul peuple, un seul État, un seul chef ”).
Avec cette plateforme, Zemmour parle de l'immigration et déclare - en manipulant les chiffres - que la France est submergée par l'immigration et est en danger de mort.
Zemmour essaye donc non seulement de convaincre en s'appuyant sur les idées de la « bête immonde » mais tente également de terroriser ses auditeurs et lecteurs en prédisant la mort imminente de la France submergée par les immigrés. Et on sait que les personnes terrifiées sont incapables de raisonner.
Le fait que Zemmour - un homme plat et sans envergure – fasse ces propositions exécrables n'est pas en soi d'une grande importance.
Mais afin que Zemmour puisse jouer efficacement son rôle de pion ou joker dans la campagne électorale, la branche communicationnelle du pouvoir politique économique, les oligopoles médiatiques, lui servent très largement de tribune, lui donnant du "temps de cerveau humain disponible", selon l'expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors directeur général du groupe TF1, à propos de la publicité pour Coca Cola.Et la grande majorité de la classe politique passe une grande partie de son temps à commenter les propos de Zemmour escamotant les véritables problèmes sociaux, politiques, économiques, culturels, éducatifs (contenu et qualité de l'enseignement), écologiques et de santé publique dont souffre le peuple français depuis des décennies et que Zemmour ignore comme s'ils n'existaient pas. Mais qui font partie de la vie quotidienne des français. Au contraire de la rengaine zemourienne de la "grandeur de la France"[1].Cette classe politique qui veut obtenir le vote des citoyens, guidée par la stratégie "plus à droite que moi, tu meurs". Et qui n'exclut pas comme hypothèse d'augmenter l'escalade répressive du macronisme si les majorités populaires réagissent massivement dans le but de changer radicalement un système en état de décomposition avancée. Mais ce qui est inquiétant, c'est qu'une certaine partie de la population (gonflée dans les sondages manipulés pour orienter le vote des hésitants) adhère à ces abominations.Il y a des réactions salutaires comme celles qui s'emploient à rappeler la monstrueuse période de nazi-fascisme qu'a vécu la France sous l'occupation allemande aidée par les collaborationnistes du régime de Vichy dirigé par Pétain et ses milices.Mais cette approche est, en partie, erronée, car il ne s'agit pas d'une simple réédition des débuts du nazi fascisme.Une autre approche erronée, parce que biaisée, est celle de ceux qui s'engagent dans une étude détaillée des écrits et des dires de Zemmour comme le feraient des spécialistes du Coran ou de la Bible. Ce qu'il convient de faire, c'est de rechercher et de découvrir les racines de cette pandémie idéologique en analysant les nombreux facteurs qui ont déterminé son émergence et sa rapide propagation.
C’est, en réalité, le résultat d'un processus qui a commencé il y a presque un demi-siècle avec le délitement de la gauche et l'occupation progressive de l'espace idéologique culturel par des courants qui ont adultéré l'histoire et enterré la pensée logique, rationnelle, humaniste et révolutionnaire, condensée dans l'Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers réalisé sous la direction de Diderot et de d'Alembert. Portée au terrain des faits avec la Révolution de 1789.
Le passage progressif des Lumières aux ténèbres était bien résumé il y a déjà 41 ans dans la couverture du numéro 392 de la revue Critique de janvier 1980: L'année politico philosophique - le comble du vide. Où, à la page 52, on peut lire la phrase suivante - avec un ton ironique - de Jacques Bouveresse:
“Il y a eu une époque ou quelqu’un qui aurait utilisé a peu près exclusivement des catégories aussi relatives et subjectives que le plaisir ou l’ennui pour justifier ses adhésions et ses exclusions philosophiques aurait été pris pour un aimable plaisantin et invité poliment à s’occuper d’autre chose. Mais, Dieu merci, nous ne sommes plus là depuis longtemps. Il faut, d’ailleurs, être juste envers Benoist et reconnaître qu’il n’a rien inventé dans ce domaine. Cela fait déjà un certain temps que les voix les plus autorisées et les plus influents nous expliquent que la philosophie n’a pas de pires ennemis que l’esprit de sérieux, le désir du vrai, la logique, le goût de la précision et la volonté ridicule de justifier ce qu’on affirme par des véritables arguments… »[2].
Les porte-parole de ces courants idéologiques régressifs dominants sont, entre autres, Michel Foucault, Bernard Henry Lévy, Alain Finkelkraut, André Gluksman et Alain Badiou[3]. Tous imprégnés de la philosophie heideggérienne[4].
Nous nous arrêterons à Michel Foucault, qui perdure en « maître à penser » et est une espèce de modèle représentatif des idéologies dominantes en France.
Michel Foucault s'est déclaré héritier des idées d’Heidegger et de Nietzsche:
«Tout mon développement philosophique a été déterminé par ma lecture d’Heidegger. Mais je reconnais que c'est Nietzsche qui a prévalu »[5].
Foucault, était d'accord avec Heidegger dans le rejet de «l'humanisme bourgeois» qui, selon ce dernier, avec son anthropocentrisme et son rationalisme restreint la liberté de «penser l'être». John Weightman, qui était professeur de langue et de littérature françaises au Kings College de Londres et au Westfield College de l'Université de Londres, dans un livret intitulé Ne pas comprendre Michel Foucault, (en espagnol: http: //www.arcadiespada. es / wp-content / uploads / 2008/08 / fuco.doc) se concentre sur l'analyse du livre de Foucault Les mots et le choses. Weightman écrit que dans la prose littéraire française et l'écriture savante, il était rare pour un penseur de se livrer à un manque de logique ou de obscurité dans la présentation de ses idées et que cette tradition a disparu avec des gens comme Barthes, Lacan, Foucault et Derrida qui ont engendré un changement qui a rapidement atteint leurs nombreux disciples. Dans certains domaines spéculatifs, la clarté traditionnelle française a été remplacée, à des degrés divers, par l'obliquité, la préciosité et l’hermétisme. Ce «chaos expositif de Foucault» comme l'appelle Weightman, est cependant conforme à l'idée de liberté de Foucault, qui consisteà libérer la pensée de tous les liens, y compris ceux imposés par le rationalisme et la pensée logique.Howard Richards, professeur de recherche en philosophie à Earlham College, Richmond, États-Unis, dans une classe qu'il a donnée à l'Université de Chilile 23 octobre 2010 avec le titre Michel Foucault aujourd'hui[6], il en fit un portrait complet.Dans un passage, il a dit:…. "Tout lecteur de tout ouvrage de Foucault, à tout moment de sa vie, est surpris, ou devrait être surpris, par son indifférence totale à ce que nous appelons habituellement (avec une simplification vulgaire) la méthode scientifique… Cependant, le monde académique considère Foucault comme un expert sur les différents sujets qu'il a étudiés: la psychiatrie, la médicine, l'histoire de la science, le système pénal, divers aspects de la politique, la jurisprudence, l´histoire, l’économie; la sexualité et autres. Les résultats sont pris au sérieux dans toutes les universités du monde ».C'est cela le tapis rouge qui a rendu possible l'émergence de phénomènes aberrants tels que le cas Zemmour.
Comme le souligne Accardo, cette hégémonie idéologique-culturelle est également maintenue et consolidée de manière plus subtile et moins visible à travers toutes les activités humaines, sociales, culturelles, idéologiques et même scientifiques, en formatant la conscience de la grande majorité des gens[7].
Cela a contribué à faire perdre du terrain à la pensée logique et rationnelle. La conséquence a été la progression de l'irrationalisme, l'abandon de la réflexion et la perte de l'esprit critique. A quoi contribuent efficacement la surconsommation de téléphones portables et autres appareils électroniques et la twitterisation du langage[8].
Cela s'est produit parce qu'à chaque époque les idées dominantes sont les idées des classes dominantes, qui ont à leur disposition les mécanismes appropriés pour le faire.
En effet, dans les médias culturels, idéologiques, politiques, scientifiques et «communicationnels», il y a une sorte de sélection ou de hiérarchisation - entre spontanée et provoquée - du prestige ou de la renommée de certaines personnes, où elles occupent presque toujours les premières positions - et bénéficient d’une «discrimination positive» en termes de couverture médiatique, d’emplois, de subventions et de récompenses – ceux qui ont en commun de ne pas remettre en cause le système capitaliste actuel et de le considérer comme immuable et inhérent à la société humaine: il n'y a pas d'alternative (le thatchérien TINA). Et d'évaluer comme le meilleur le système politique élitiste faussement appelé «démocratie » qui est maintenant dans un état de décomposition avancée [9].En France, les porteurs de ces idées ont profité de leur position dominante pour écarter du milieu dans lequel ils agissent (universitaires et autres) la méthode d'investigation des phénomènes sociaux, qui consiste en l'étude sans préjugés des structures socio-économiques, génératrices de classes antagonistes d'exploiteurs et exploités et d'imposer le quasi monopole de leurs idéologies irrationnelles et conservatrices.On peut, peut-être, commencer à sortir du bourbier si les gens se mettent à lire : 1) Les mots écrits sur les frontons des Mairies de France : Liberté, Égalité, Fraternité ; 2) les premiers paragraphes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; et 3) Le Préambule et l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme.Puis ils ferment le portable, éteignent la télévision et commencent à penser, à raisonner et à réfléchir au contenu profond de ces textes et à la manière de les mettre en pratique.Puisque ce sont les valeurs qu'il faut défendre et pour lesquelles il faut se battre[10].
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[1] Zemmour utilise le même style épique imprégné de racisme qui faisait école dans le Troisième Reich. Voir Victor Klemperer, Lingua Tertii Imperii, La langue du Troisième Reich. Reflexiones de un filólogo. Editorial Minúscula, Barcelone, 2001. Voir aussi Alejandro Teitelbaum Servitude (in)volontaire et manipulation des esprits. https://www.alainet.org/fr/articulo/210448. C'est le style employé par Heidegger (maître à penser des philosophes français les plus influents) dans son discours lorsqu'il a assumé en 1933 le rectorat de l'université de Fribourg. Le texte intégral du discours de Heidegger peut être consulté en espagnol sur le site http://www.heideggeriana.com.ar/textos/textos.html
Il faut rappeler que Heidegger a prononcé ce discours quatre mois après l'investiture d'Hitler comme chancelier du Reich, le 30 janvier 1933. Et que son antisémitisme profond a été clairement révélé lors de la publication de ses Carnets noirs en 2014.
[2] Bouveresse a écrit un libre à ce sujet: Prodiges et vertiges de l’analogie. Raisons d’Agir Editions. 1999.
[3] A. Badiou, ancien maoïste et présumé ultra-gauchiste, qui affirme sans hésitation dans le livre Heidegger: Nazisme, femmes et politique, que «Heidegger est le plus grand philosophe du XXe siècle».
[4] Heidegger postule en finir avec l'humanisme hérité de la philosophie grecque par les Encyclopédistes français et avec ses bases philosophiques anthropocentriques et rationalistes. En revanche, Heidegger ne propose pas un nouvel humanisme, mais plutôt de passer d'un «animal rationnel» à un être qui pense être «là où l'être est capable d'être une pensée». Cela signifie un transit qui serait réservé à ceux qui sont capables de «penser l'être». En d'autres termes, les «purs aryens», à l'exclusion des «races inférieures»: juifs et autres.
Il y a donc une cohérence dans tout le travail de Heidegger, entre son irrationalisme aux connotations théologiques et mystiques et ses idées élitistes et racistes, prêchées depuis la chaire du Recteur de l´Université de Freiburg en 1933/34, avec la carte du parti nazi en poche.
[5] Foucault, Dits et Écrits, Gallimard, Paris 1994, pág. 1522. Cité por Aymeric Monville, Misère du nietzschéisme de gauche, de Georges Bataille à Michel Onfray. Les Editions Aden, Brussels 2007, pág. 66.
[6] http://agitandolasneuronas. blogspot. fr/2011/01/howard-richards-michel-foucault-hoy. html
[7] Alain Accardo, Notre servitude involontaire, Edit. Agone, France, 2001, pag. 50 y ss.
[8] Michel Desmurget fournit des statistiques sur les effets extrêmement néfastes de la télévision, de la surconsommation et l'usage du langage twitter sur les enfants et adolescents français. Voir : Desmurget, TV Lobotomie, la vérité scientifique sur les effets de la télévision, Edit J'Ai Lu, Paris, réédition septembre 2013 et Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital. 2019.
[9] Alejandro Teitelbaum, La Democracia “Representativa” en Estado de Descomposición Avanzada
« Representative" Democracy in a State of Advanced Decomposition https://www.jussemper.org/Resources/Democracy%20Best%20Practices/representativedemocracyind.html
[10] Pas ceux que les élites dirigeantes invoquent vaguement sans les définir comme «valeurs de la République ». Nous pensons qu'ils commettent un lapsus (faute de frappe) car ce qu'ils défendent, ce sont les vOleurs de la République comme cela est devenu plus clair que jamais avec la gestion de la pandémie qui a plongé des multitudes dans la misère et enrichi de façon exponentielle les Big pharma, leurs actionnaires et une infime minorité des plus riches.
Voir:
-L'appropriation des connaissances et les bénéfices du Big Pharma au temps du coronavirus – CADTM
http://www.cadtm.org/L-appropriation-des-connaissances-et-les-benefices-du-Big-Pharma-au-temps-du
-La pandémie révélateur et accélérateur d'une crise générale. Le cas de la France https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/060421/la-pandemie-comme-revelateur-et-accelerateur-dune-crise-generale
-The Pandemic as a Manifesto of a General Crisis of the Capitalist System. The case of France
https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/010821/pandemic-manifesto-general-crisis-capitalist-system
-La pandemia como revelador de una crisis general y prolongada del sistema capitalista. El caso de Francia.
https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/110421/la-pandemia-como-revelador
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Gaston Crémieux , Éric Zemmour, glaive et bouclier de l’extrême droite
https://www.leddv.fr/analyse/eric-zemmour-glaive-et-bouclier-de-lextreme-droite-20211007
-Serge Halimi, Éric Zemmour et les échos de l’histoire