LA DETTE EST PRESQUE ENTIÈREMENT CONSTITUÉE DE CAPITAL FICTIF CRÉÉ PAR LE CAPITALISME FINANCIER INTERNATIONAL, SPÉCULATIF ET PARASITAIRE , AU DÉTRIMENT DE L'IMMENSE MAJORITÉ DE LA POPULATION. DONC, ELLE EST ILLÉGITIME ET IL NE FAUT PAS LA PAYER.
Alejandro Teitelbaum
I. EN 1969, UNE DÉCISION DE JUSTICE D’UN TRIBUNAL DE MINNESOTA A RÉVÉLÉ LA NATURE DU CAPITAL FINANCIER.
Le litige opposait un particulier, M. Daly, à une banque, la First National Bank of Montgomery, son créancier hypothécaire. Lorsque M. Daly a pris du retard dans ses paiements à la Banque, celui-ci a voulu récupérer la maison. Daly a fait valoir que dans l'hypothèque, il n'y avait pas de contrepartie de la part de la Banque, puisque celle-ci ne possédait pas l'argent de l'hypothèque, le montant du prêt ayant été créé de toutes pièces au moment où le crédit a été autorisé. En d'autres termes, en créditant dans ses comptes que 14 000 dollars ont été accordés à Daly, la banque a créé de l'argent et ne l'a pas retiré d'un actif préexistant. La Banque n'est pas allée dans sa chambre forte pour retirer cette somme en billets de banque pour la prêter à Daly. Dans son jugement, le Tribunal a fait droit à la demande de Daly selon laquelle le contrat d'hypothèque était nul parce qu'il manquait une contrepartie légitime de la part de la Banque. Par conséquent, la demande de la Banque de prendre possession de la maison de M. Daly n'avait aucun fondement juridique [1].
II. Le processus qui a conduit à la position hégémonique actuelle du capital financier a commencé avec la constitution des grandes sociétés transnationales, résultat de la concentration et de l'accumulation du capital, ce qui a conduit à la formation de grands oligopoles et monopoles dont la base financière s'est consolidée à partir de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle avec la fusion du capital industriel et du capital bancaire. Les grands monopoles transnationaux ont renforcé leurs finances en se constituant en sociétés par actions, qui absorbent l'épargne populaire en émettant des actions (parts du capital et des bénéfices - ou des pertes - de l'entreprise) et des obligations (titres de créance sur l'entreprise qui rapportent également des intérêts).
Jusqu'à ce que la suprématie planétaire actuelle du capital financier soit atteinte à la suite d'un changement profond de l'économie mondiale à partir des années 1970, moment qui marque la fin de l'État-providence, caractérisé par la production de masse et la consommation de masse, cette dernière étant stimulée par l'augmentation tendancielle des salaires réels et par la généralisation de la sécurité sociale et des autres prestations sociales. C'est ce que les économistes appellent le modèle "fordiste", d'inspiration keynésienne, caractérisé dans la production par le travail à la chaîne (taylorisme), qui a débuté aux États-Unis et s'est répandu en Europe surtout après la Seconde Guerre mondiale.
L'épuisement du modèle de l'État-providence est dû à plusieurs facteurs, dont deux se détachent : la reconstruction d'après-guerre, qui avait été le moteur de l'expansion économique, a pris fin et la consommation de masse a eu tendance à stagner ou à diminuer, tout comme les bénéfices des entreprises. Le "choc" pétrolier du début des années 1970 a également joué un rôle.
Pour donner un nouvel élan à l'économie capitaliste et inverser la tendance à la baisse du taux de profit, il est devenu nécessaire d'incorporer les nouvelles technologies (robotique, électronique, informatique) dans l'industrie et les services, ce qui exige d'importants investissements en capital.
Quelqu'un devait payer la facture. C'est ainsi qu'a débuté l'ère de l'austérité et les sacrifices (gel des salaires, détérioration des conditions de travail et hausse du chômage) qui ont accompagné les restructurations industrielles. Dans le même temps, la révolution technologique dans les pays les plus développés a stimulé la croissance du secteur des services et a entraîné le déplacement d'une partie de l'industrie traditionnelle vers les pays périphériques, où les salaires étaient - et sont - beaucoup plus bas.
Dans ces conditions, la "mondialisation néolibérale" a pris forme: le passage d'un système d'économies nationales à une économie dominée par trois centres mondiaux: les États-Unis, l'Europe et la Chine.
Avec l'incorporation de nouvelles technologies, la productivité a énormément augmenté, c'est-à-dire que la production, dans le même temps de travail, est devenue beaucoup plus élevée.
Deux possibilités s'ouvrirent: soit on encourageait la consommation de masse de biens traditionnels et nouveaux à l'échelle mondiale par une politique salariale expansive, une politique sociale à la manière de l'État-providence, on réduisait le temps de travail en fonction de l'augmentation de la productivité pour tendre vers une situation de plein emploi et on reconnaissait des prix internationaux équitables pour les matières premières et les produits des pays pauvres, soit on maintenait et on augmentait les marges bénéficiaires en maintenant les salaires, le niveau d'emploi et les prix des produits des pays du tiers monde à un bas niveau.
La première option aurait été réalisable dans un système d'économies nationales, où la production et la consommation ont lieu principalement sur le territoire et où le pacte social de facto entre les capitalistes et les salariés en tant que consommateurs est envisageable. Mais dans le nouveau système "mondialisé", la production est destinée à un marché mondial de "clients solvables" et le pouvoir d'achat de l’ensemble de la population du lieu de production n'a plus d'intérêt.
Dans les conditions d'une mondialisation accélérée, les détenteurs du pouvoir économique et politique à l'échelle mondiale, avec leur vision de l'"économie mondiale" et du "marché global", parièrent sur la deuxième alternative (bas salaires, bas niveaux d'emploi, liquidation de la sécurité sociale, bas prix des matières premières, etc.) afin d'augmenter leur taux de profit.
Cette option a eu pour effet d'accentuer les inégalités sociales au sein de chaque pays et au niveau international, créant ainsi une nette différenciation de l'offre et de la demande de biens et de services. La production et la fourniture de biens étaient orientées non pas vers le peuple en général, mais vers les "clients solvables". Ainsi, l'offre de produits de luxe a énormément augmenté et l'offre de nouveaux produits tels que les ordinateurs et les téléphones portables a trouvé une grande masse de clients dans les pays riches et de nombreux clients dans la première périphérie pas trop pauvre. Pendant ce temps, les biens essentiels à la survie (nourriture, services de santé, médicaments, logements dignes de ce nom, etc.) sont restés hors de portée de la grande majorité du secteur le plus pauvre de la population mondiale : plus de trois milliards d'êtres humains vivant avec moins de l'équivalent de 3 dollars par jour.
L'idée de service public et d'un droit irrévocable aux biens essentiels pour vivre avec un minimum de dignité a été remplacée par l'affirmation que tout doit être soumis aux lois du marché [2].
De faibles taux de croissance économique ont alors prévalu, car un marché relativement étroit imposait des limites à la production, et le phénomène des grandes masses de capital oisif (y compris les pétrodollars) est apparu, car il ne pouvait être investi de manière productive.
Mais pour les propriétaires du capital (particuliers, banques, institutions financières), il était inconcevable de le laisser dans un coin sans le faire fructifier.
IV. Ainsi, le rôle de la finance au service de l'économie, intervenant dans le processus de production et de consommation (avec des crédits, des prêts, etc.) a été relégué au nouveau rôle du capital financier: produire des profits sans participer au processus de production.
Ce dernier aspect est essentiellement réalisé de deux manières.
D'une part, les investisseurs institutionnels, les gestionnaires de fonds de pension, les compagnies d'assurance, les organismes de placement collectif et les fonds d'investissement achètent des actions d'entreprises industrielles, commerciales et de services[3]. Ces groupes financiers s'impliquent ainsi dans les décisions politiques des entreprises afin de s'assurer que leurs investissements produisent les rendements élevés attendus en leur imposant des stratégies à court terme. Et l'autre façon dont le rôle du capital financier spéculatif s'accroît est que les groupes financiers (fonds d'investissement, etc.) investissent dans la spéculation (par exemple avec des produits financiers dits dérivés) et que les entreprises industrielles, commerciales et de services font de même avec une partie de leurs bénéfices, au lieu d'investir dans des investissements productifs.
Ainsi, la pratique consistant à faire des profits en créant des produits financiers ou en acquérant des produits existants et en spéculant avec eux, s'est répandue.
Outre les produits financiers traditionnels (actions et obligations), de nombreux autres ont été créés. Il s'agit notamment des produits financiers dérivés, qui sont des papiers dont la valeur dépend ou "dérive" d'un actif sous-jacent et qui sont placés à des fins spéculatives sur les marchés financiers. Les actifs sous-jacents peuvent être une matière première (produits de base et denrées alimentaires, pétrole, cuivre, maïs, soja, etc.), un actif financier (une devise) ou même un panier d'actifs financiers.
Ainsi, les prix des matières premières et des denrées alimentaires essentielles ne dépendent plus uniquement de l'offre et de la demande, mais du prix de ces papiers spéculatifs, et les denrées alimentaires peuvent augmenter (et augmentent) de manière déraisonnable, au détriment de la population et au profit des spéculateurs.
Par exemple, lorsqu'on annonce la production de biocarburants, les spéculateurs "anticipent" que le prix des produits agricoles (traditionnellement destinés à l'alimentation) va augmenter et le papier financier (produit dérivé) qui les représente, voit alors son prix augmenter, ce qui se répercute sur le prix réel payé par le consommateur pour les aliments.
Les investissements dans les produits financiers comportent différents niveaux de risque. Afin de couvrir ces risques, on a inventé une gamme complexe de produits financiers qui gonflent la bulle de plus en plus loin de l'économie réelle[4].
Avec cette "économie internationale de la spéculation", comme l'appelle Drouin, l'accumulation de grandes quantités de capitaux dans quelques mains s'est accélérée au détriment surtout des travailleurs, des retraités et des petits épargnants.
Dans le cas des participations du capital financier (fonds de pension, compagnies d'assurance, fonds d'investissement, banques, etc.) dans les industries et les services, la rente élevée exigée et obtenue par ce capital est basée sur la dégradation des conditions de travail dans ces industries et services. C'est un phénomène bien connu : lorsqu'une entreprise annonce des licenciements, ses actions montent.
En effet, dans la période pré-monopolistique et concurrentielle du système capitaliste, on distinguait trois processus relativement autonomes : a) le processus de production ; b) le processus de circulation ; et c) le processus de réalisation de la production, chacun étant régi par ses propres capitaux : le capital industriel, le capital commercial et le capital bancaire, les deux derniers - dit Palloix - extrayant leur part de profits (plus-value) du seul capital productif : le capital industriel [5].
On prétend justifier l'énorme accumulation de profits par le capital financier par des théories selon lesquelles l'argent et les autres produits financiers sont créateurs de valeur. Mais l'argent n'est pas une valeur mais représente une valeur. Et que la valeur n'est créée que dans l'économie réelle et que l'argent en lui-même ne peut pas générer de valeur. Le professeur Jean Maria Harribey a écrit dans Le Monde du 3 juillet 2001 que cette prétendue création de valeur par le capital financier n'est rien d'autre que l'appropriation de la valeur créée par l'économie réelle. Cette appropriation de la valeur, écrit Harribey, prend deux formes. La première correspond à une détérioration des conditions d'emploi (bas salaires, horaires flexibles, emplois précaires, chômage) de telle sorte que la valeur prétendument créé ne profite pas aux travailleurs et ne fait qu'accroître les profits du capital. La deuxième façon dont cette appropriation de la valeur a lieu est une répartition inégale entre le capital productif et le capital financier, au profit de ce dernier. En effet, les gestionnaires du capital financier qui ont des intérêts dans les activités productives exigent un niveau de revenu minimum qui, dans de nombreux cas, ne peut pas être obtenu en maintenant des conditions de travail décentes et une répartition équitable des bénéfices entre le capital productif et le capital financier. Ainsi, en plus de l'expropriation traditionnelle des fruits du travail par le capital dans le processus de l'économie réelle (obtention de la plus-value), le capital financier spéculatif exproprie aussi les fruits du travail sans participer à ce processus. En plus de ces mécanismes "légaux" visant à obtenir une part toujours plus grande de la valeur créée dans la sphère productive, le capital financier s'approprie directement la part des travailleurs, des retraités et des petits épargnants, commettant de véritables escroqueries.
Par exemple, aux États-Unis, le géant transnational de l'énergie Enron s'est déclaré en faillite, reconnaissant une dette de 40 milliards de dollars, et a laissé son personnel (12 000 personnes) dans la rue, qui a également été dépouillé de son capital de retraite, investi dans des actions de l'entreprise elle-même. Dans d'autres faillites de grandes banques ou de groupes financiers transnationaux, des milliers de petits épargnants ont vu s'évaporer le fruit de nombreuses années d'efforts, voire de privations. Après Enron, d'autres affaires similaires ont suivi, comme celle de WorldCom, impliquant les deux plus grandes banques américaines : Citygroup et JP Morgan Chase[6]. Dans le cas de WorldCom, un petit épargnant qui avait acheté pour 10 000 dollars d'actions en mars 2000 a découvert en juillet 2002 que ses actions ne valaient plus que 200 dollars (Dépêche AFP du 21/07/02). Une situation semblable s'est aussi produite dans certaines transnationales basées dans d'autres pays, comme Vivendi et d'autres en France. L'action Vivendi s'échangeait à 141,60 le 10 mars 2000 et ne valait plus que 9,30 le 16 août 2002 et 26,11 en janvier 2021.
Les scandales financiers révélés dans le courant de l'année 2002 ont causé des pertes énormes aux plus grands fonds de pension américains. Calpers, qui gère l'argent de 1.300.000 fonctionnaires californiens, CalSTRS (687.000 enseignants dans le même état) et Lacera (132.000 employés à Los Angeles) ont perdu 318 millions de dollars à cause de la faillite de WorldCom (plus de 7 milliards de dollars évaporés). Le fonds de pension des fonctionnaires de l'État de New York (112 milliards de dollars d'actifs) a perdu 300 millions de dollars dans la faillite de WoldCom.
D'autres moyens par lesquels le capital financier transnational peut s'approprier de manière parasitaire les fruits du travail des autres, c'est-à-dire sans intervenir dans le processus productif, sont la privatisation de la sécurité sociale, qui a été reprise par des fonds de pension privés, le remplacement d'une partie du salaire ou d'une autre rémunération du personnel des grandes entreprises par des actions ou des options sur des actions de la même entreprise (stock options), etc. qui sont différentes manières de voler ou d'escroquer, comme on peut le lire dans un livre des économistes Labarde et Maris[7].
En quelques années, les produits financiers dérivés (futures, options, forwards [8], swaps, etc.) à des fins spéculatives ou censés couvrir des risques se sont multipliés de façon exponentielle et leur montant est devenu astronomique et totalement détaché de l'économie réelle. Tous ces produits financiers circulent, en fait, comme de la monnaie, de sorte que le rôle de la monnaie dans la représentation des valeurs créées dans le processus de production a été totalement faussé, puisque le rapport entre les valeurs réelles créées dans le processus de production et les valeurs fictives circulant sur le marché financier est de l'ordre de 10 à 1 et de 20 à 1, selon différentes estimations.
Cela produit une véritable hypertrophie totalement incontrôlée de la sphère financière et crée un énorme capital fictif, comme Marx l'a appelé et analysé dans le volume III du Capital[9].
Les intérêts sur des prêts, et les prêts eux-mêmes[10], contribuent aussi à l’augmentation du capital fictif.
Un exemple- très dommageable pour tout un peuple- d’utilisation de capital fictif avec un prêt et de son augmentation avec les intérêts –usuraires- du prêt. En pleine crise grecque, le 29 avril 2010, Eric Woerth, alors ministre du gouvernement français, expliquait cyniquement sur France Inter : "En aidant la Grèce, nous nous aidons nous-mêmes. Les 6 milliards d'euros [prêtés par la France à la Grèce] ne proviennent pas des caisses de l'État. Ils sont empruntés [sur les marchés financiers] à un taux d'intérêt de 1,4 ou 1,5 % et prêtés aux Grecs à environ 5 %. Donc nous gagnons à l'opération. C'est bon pour le pays, c'est bon pour la Grèce et surtout c'est bon pour la zone euro. Nous devons rassurer les marchés. C'est toujours comme ça, il faut rassurer les marchés [...] il faut mettre en place un filet de sécurité public".
En effet, lorsque les marchés "deviennent nerveux", il faut les "rassurer" en leur assurant des profits plus élevés et, si nécessaire, avec un "filet de sécurité public" (destiné à sauver les banques et autres institutions financières avec l'argent de l'État, c'est-à-dire des contribuables). Mais lorsque c'est le peuple qui devient nerveux à cause des politiques d'austérité qui lui sont imposées, on le rassure d'abord en lui racontant qu'"il n'y a pas d'alternative" et s'il descend dans la rue pour protester, on le "rassure" à coups de gaz lacrymogènes, de matraques et de flashs balls.
Les scandales financiers révélés dans le courant de l'année 2002 ont causé des pertes énormes pour les plus grands fonds de pension américains, qui ont décidé de poursuivre les responsables, notamment Enron et son commissaire aux comptes Arthur Andersen. La réaction ex post facto du gouvernement américain, qui a adopté la loi sur la responsabilité en matière d'audit des entreprises le 25 juillet 2002, dans le seul but de freiner le "krach" boursier, était nécessaire pour rétablir un minimum de confiance du public, après que Bush eut déclaré publiquement : "Les scandales ont trahi le peuple américain. Les investisseurs ont perdu leur argent, les retraités leur sécurité et les travailleurs leur emploi. La pratique d'affaires malhonnêtes équivaut au vol et à la fraude...".
Fin 2008, le "scandale" Bernard Madoff, le "mouton noir" de la finance, auteur d'une escroquerie de quelque 50 milliards de dollars avec son fonds d'investissement "Bernard Madoff Investment Securities", est devenu public. Toujours très respecté dans les milieux financiers, Madoff est devenu président du NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotation), la plus grande bourse électronique des États-Unis. Lorsque le scandale a éclaté, Madoff menait depuis de nombreuses années l'opération dite de "pyramide financière", qui consistait à verser des dividendes très élevés à certains investisseurs avec l'argent d'autres investisseurs. La pyramide financière organisée par Madoff, un mécanisme inventé aux Etats-Unis par un italien nommé Ponzi il y a environ 90 ans et bien connu des médias financiers, ne pouvait pas être ignorée par la Securities and Exchange Commission (SEC), qui avait également reçu des rapports d'anomalies dans le groupe financier de Madoff. La complicité de la SEC, au moins par omission, était manifeste. À tel point que plusieurs victimes de Madoff ont intenté des procès contre la SEC.
Il est intéressant de noter que les emplois de conseiller juridique des grandes entreprises qui ont commis d'énormes fraudes et celui de superviseur de la transparence des opérations financières à la tête de la SEC américaine sont interchangeables : Harvey Pitt[11], nommé par Bush à la tête de la SEC, était l'avocat de nombreuses entreprises de Wall Street, dont le cabinet de conseil Arthur Andersen, complice de la fraude Enron (The Washington Times, 3 juillet 2002). Si la pyramide Madoff a eu de tels effets internationaux et à une telle échelle, c'est parce qu'elle a bénéficié de la collaboration (complicité) d'importantes banques et organisations financières de différents pays qui ont fonctionné comme des courroies de transmission : elles recevaient l'argent des investisseurs et le réinvestissaient dans le groupe Madoff sans en informer leurs clients. Certains de ces investisseurs ont intenté des procès contre ces mêmes banques ou groupes financiers.
Toutes ces faillites, opérations frauduleuses, scandales financiers, fuites de capitaux, etc., qui ont eu lieu au vu et au su (et avec la complicité) des gouvernements, qui n'ont pas utilisé les mécanismes de contrôle à leur disposition, signifient un pillage phénoménal des ressources d'immenses masses de la population et la concentration de ces ressources dans les grands centres du pouvoir économique et financier transnational.
LE PAIEMENT DE LA DETTE EXTÉRIEURE (réelle ou supposée) par les pays périphériques contribue dans une large mesure à alimenter les coffres du capital financier transnational.
Il s'agit du système financier - dont les idées centrales sont la déréglementation et la libre circulation des capitaux - qui a accompagné une profonde mutation de l'économie mondiale à partir des années 1970. Jusqu'alors, il existait une séparation claire entre les pouvoirs attribués aux différentes institutions chargées des services financiers. Mais, depuis le début des années 1980, on assiste à un vaste mouvement de déréglementation. La distinction entre monnaie et actifs financiers s'estompe, les frontières entre les différents segments de marché - marché monétaire, marché du crédit à moyen terme, marché financier, etc. disparaissent. La spécialisation des acteurs financiers disparaît. Les frontières entre les banques commerciales, dont la fonction principale est de recevoir des dépôts et d'accorder des prêts, et les banques d'investissement, qui participent à l'introduction en bourse de sociétés, à la conception et à l'exécution d'offres publiques d'achat, de fusions, de ventes de divisions entières entre sociétés, d'émissions obligataires, de grandes opérations de négociation sur les marchés financiers, etc. sont de plus en plus floues, voire effacées. La séparation traditionnelle entre les agents de change et les intermédiaires financiers disparaît et l'intermédiation bancaire classique pour obtenir des capitaux d'emprunt est réduite, car ceux-ci peuvent être acquis par l'émission de différents types de titres placés directement sur le marché.
En quelques années, les produits financiers dérivés (futures, options, forwards, swaps, etc.) à des fins spéculatives ou censées couvrir des risques se sont multipliés de façon exponentielle et leur montant est devenu astronomique et entièrement détaché de l'économie réelle[12].
C'est dans ce cadre que surviennent des crises financières comme celle de 2008, qui se distingua des crises cycliques classiques du capitalisme dans lesquelles, après une période plus ou moins longue de croissance économique, la production dépassait les possibilités du marché (surproduction). Ce type particulier de crises spécifiquement financières ne sont pas des crises de surproduction, mais elles produisent de graves "effets collatéraux" sur l'industrie et le commerce. Ces crises ont le capital monétaire comme centre de gravitation et se déplacent donc dans l'orbite des banques, de la bourse et de la finance. Bien que les conséquences soient similaires : les entreprises font faillite, les licenciements se généralisent et le chômage augmente, la concentration monopolistique s'accentue jusqu'à ce que l'économie se reconstruise sur les décombres de la crise, qui laisse un cortège de victimes parmi les travailleurs et les employeurs. Les chocs financiers actuels, dit Chesnais[13], sont le résultat d'une configuration
spécifique du capitalisme dans sa phase actuelle. Elle n'est pas le résultat, comme dans les crises capitalistes "classiques" jusqu'au milieu du XXe siècle, d'une chute brutale de la production et des échanges. Ce à quoi nous assistons, poursuit Chesnais, c'est à une interaction particulière entre la sphère de la production et celle de la finance. D'une part, on constate une baisse régulière et durable du taux de croissance dans les pays les plus industrialisés, que l'on peut décrire comme une surproduction chronique que les grands groupes oligopolistiques parvient généralement à contrôler par des mesures dans la sphère de la production et par l'hypertrophie de la sphère financière. En d'autres termes, si la production n'augmente pas à un rythme élevé et que le chômage augmente, le taux de profit que les capitalistes réalisent dans la sphère de la production a tendance à stagner ou à baisser, et si les gens s'appauvrissent (chômage et salaires gelés), ils consomment moins, c'est-à-dire que le marché, où les capitalistes réalisent leur profit, se rétrécit. La "solution" capitaliste à ces deux problèmes (baisse du taux de profit et menace d'une crise de surproduction due au rétrécissement du marché de consommation) consiste en l'hypertrophie et la dérégulation du système financier qui leur permet, d'une part, de déposséder les travailleurs et les petits épargnants dans la sphère financière, compensant ainsi la baisse du taux de profit dans la sphère productive, et, d'autre part, d'étendre énormément le crédit afin de créer un pouvoir d'achat artificiel dans les classes inférieures qui vivent endettées et s'endettent de plus en plus. Jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus payer leurs dettes, auquel cas les "solutions" capitalistes aux contradictions inhérentes au système cessent de fonctionner et des crises financières se produisent, car le système réel, c'est-à-dire la sphère de la production et de l'échange et sa contradiction fondamentale (l'appropriation privée sous forme de plus-value qui s'interpose entre la production sociale et la consommation sociale) refont surface : le mirage de la prospérité est terminé et les pauvres sont plus pauvres qu'avant.
Ce sont les moyens par lesquels le capital transnational a maintenu et conserve un taux de profit élevé et un rythme accéléré d'accumulation et de concentration malgré une croissance économique lente et l'existence d'un marché restreint.
L'hégémonie du capital financier est-elle une caractéristique permanente du système, comme le soutenait Hilferding (Le capital financier,1910), ou une phase transitoire du système capitaliste, comme disait Sweezy? (Theory of Capitalist Development, 1942). Sweezy se soit plus tard rapproché des positions de Hilferding (Sweezy, The Triumph of Finance Capital. 1994).
Il ne fait aucun doute que la base permanente de l'économie capitaliste est le capital productif, sans lequel le capital financier (hégémonique ou non) ne pourrait exister.
C'est pourquoi le grand capital transnational ne se contente pas de jouer le rôle principal dans le système financier, mais exerce également des activités productives dans les domaines les plus divers : de l'extraction de matières premières à la prestation de services de toutes sortes (banques, assurances, santé, communications, information, fonds de pension, etc.) en passant par la production d'une grande variété de biens : biens de consommation immédiate comme les aliments, biens durables comme les voitures, etc. et également dans la recherche dans tous les domaines, en particulier dans celui des technologies avancées : électronique, génie génétique, etc.
L'industrie de l'armement est toujours intéressée à vendre sa production, à tester ses nouveaux produits en conditions réelles (guerres du Golfe, de Yougoslavie et d'Afghanistan, agression en Irak, agression à Gaza, guerre d’Ukraine, etc.) et à étendre ses marchés, par exemple par l'incorporation de nouveaux pays dans l'OTAN.
La guerre est un choix récurrent du capital monopoliste en période de crise économique, car c'est un moyen de réactiver la production industrielle sans avoir besoin de réactiver la demande (l'État achète la production d'armements avec l'argent des contribuables sans les consulter et la population de l'ennemi choisi "consomme", d'ailleurs involontairement, les bombes qui sont larguées sur leurs têtes). Et après la guerre, les grands monopoles de l'industrie civile monopolisent les activités de reconstruction et d'"aide humanitaire".
La guerre serait la forme la plus radicale de la "destruction créatrice" (Schumpeter) inhérente au capitalisme.
D'autres formes de "destruction créatrice" qui profitent au grand capital sont les crises, les grandes catastrophes naturelles et les catastrophes sanitaires telles que les épidémies et les pandémies.
La dette publique est un gigantesque système de transfert au capital financier des valeurs créées par le travail humain et un mécanisme de dépossession du patrimoine national[14].
En bref, le capital financier transnational fonctionne comme une pompe aspirant la richesse produite par le travail à l'échelle mondiale[15] et est le facteur déterminant de la politique économique et sociale hégémonique qui viole les droits humains fondamentaux dans les domaines de l'alimentation, de la santé, de l'environnement, de l'éducation, du logement, etc.
Avec leur salaire, qui est une valeur réelle, le fruit de leur travail, les travailleurs doivent payer pour survivre des prix gonflés par le capital fictif, spéculatif et parasitaire, qui ne représente aucune création de valeur.
Au niveau international, le blanchiment d'argent provenant d'activités illicites: trafic de drogue, proxénétisme international, trafic d'enfants, tourisme sexuel, etc., forme un tout avec le commerce de biens et de services et les activités financières internationales "légales" [16]. Même le financement d'activités terroristes. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont mis au premier plan la question des canaux de financement des activités terroristes par le biais de divers circuits financiers, bien que cette question avait déjà fait l'objet d'une Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme du 9 décembre 1999. De nombreuses activités terroristes à grande échelle, y compris celles promues par les grandes puissances, sont financées par des circuits financiers légaux et illégaux. Par exemple, dans l'affaire "Iran-Contra" concernant le financement d'activités terroristes contre le Nicaragua (Affaire Iran-Contra. Rapport des commissions du Congrès. U.S. House of Representatives Select Committee et U.S. Senat Select Committee, 100e Congrès, 1re session, Washington, 1987). Le trafic de drogue est entré en jeu dans cette même affaire : la Sous-commission des relations extérieures sur le terrorisme, les stupéfiants et les opérations internationales, dirigée par le sénateur John Kerry, a publié son rapport le 13 avril 1989, documentant que le gouvernement américain avait recruté des trafiquants de drogue, utilisé leurs avions pour "approvisionner les Contras", et que ces avions partaient en Amérique centrale avec des armes et revenaient avec de la drogue. Ceux qui apparaissent aujourd'hui, à la suite des attentats aux États-Unis, comme des ennemis mortels, l'incarnation réciproque du "Bien" et du "Mal", ont longtemps eu - et ont encore dans une large mesure - des liens financiers étroits et des objectifs communs (en Afghanistan contre l'occupation soviétique, en Bosnie en soutenant les musulmans bosniaques contre les Serbes, au Kosovo et au Monténégro en finançant, en équipant et en formant l'UCK).
Les capitaux générés directement par activités criminelles (trafics divers)
et les capitaux destinés à des activités criminelles passent par les mêmes circuits financiers que les capitaux légaux, comme le soulignaient dans un article du quotidien français Le Monde du 10 mai 2001[17] le procureur général de Genève, Bernard Bertossa, le procureur général de Bruxelles, Benoit Dejemeppe et les juges français Eva Joly, Jean de Maillard et Renaud Van Ruymbeke, commentant le livre "Révélations" de Denis Robert et Ernest Backes (edit. Les Arènes, février 2001). Ces deux auteurs soutiennent que dans les mécanismes opaques des chambres de compensation internationales se cachent non seulement une des clés de la mondialisation financière, mais aussi celle de la mondialisation criminelle.
Dans l’article de Le Monde, les juges soutiennent la thèse de Robert et Backes selon laquelle, contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, ce capital criminel est parfaitement détectable dans les circuits financiers.
Les liens entre le crime et le pouvoir économique ont imprégné l'appareil d'État, non seulement par la corruption, mais aussi par une sorte de symbiose entre le pouvoir économique, le crime et l'appareil d'État.
Même la fraude sur les matières premières dans l'industrie alimentaire fait également partie de ce système mafieux[18].
En ce qui concerne le contrôle des paradis financiers, la fameuse "liste noire" (désormais en différentes nuances de couleur) des paradis fiscaux qui a été établie par l'OCDE n'a servi à rien. La raison est très simple : de nombreux paradis fiscaux (qui ne figurent pas sur les listes) se trouvent sur le territoire des grandes puissances ou sont contrôlés par elles : la City de Londres, l'île de Jersey, l'île de Man, l'État du Delaware aux États-Unis, Monaco, Macao, Hong Kong, les îles Caïmans, etc. Et ceux qui utilisent les paradis fiscaux, ce sont les grandes entreprises transnationales, les grandes banques et leurs clients, les groupes financiers, qui sont intouchés et intouchables. En outre, la "liste noire" ou la "liste grise" est comme une porte tournante. Tu entres, tu sors. Mais le G20 a même laissé pour plus tard la question des sanctions contre les paradis fiscaux. Selon un auteur, le professeur Michael Krätke [19], on estime que les personnes les plus riches ont environ 30 % de leur patrimoine placé dans des centres financiers offshore. Plus d'un cinquième (23 %) de tous les dépôts bancaires dans le monde sont détenus dans des paradis fiscaux, soit au moins 3 000 milliards (3.000.000.000.000) de dollars selon des estimations prudentes. Près de 50 % des transactions financières transfrontalières dans le monde passent par eux. M. Krätke indique que, selon une analyse prudente du Tax Justice Network, les capitaux cachés dans les paradis fiscaux échappent à l'impôt à hauteur de 250 à 300 milliards de dollars chaque année. C'est une bonne partie de l'argent qui manque pour relancer l'économie, augmenter le pouvoir d'achat des plus pauvres et améliorer de manière générale la situation des 3 milliards de personnes dans le monde qui vivent avec 2,5 dollars par jour.
Comme l'a souligné Eva Joly, plutôt que de contrôler les paradis fiscaux, il faudrait contrôler directement les finances des grandes entreprises, des groupes financiers et des banques qui les utilisent. Eva Joly, qui était jusqu'en 2002 juge d'instruction en France chargée d'enquêter sur les grandes "affaires" et qui a démissionné en raison des pressions politiques qu'elle subissait pour bloquer son action, a écrit : "...Je pensais que nous avions affaire à une criminalité superficielle, marginale, accidentelle, une sorte de manque de moralité individuelle. Aujourd'hui, je suis certaien que la criminalité financière est ancrée dans l'économie et qu'elle jette une ombre sur notre avenir" (c'est nous qui soulignons)[20].
Le document "Stop Crime. La criminalité transnationale perturbe le développement et la paix", publié par le Département de l'information des Nations unies en avril 1995, à l'occasion du 9e Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, commence par noter que : "capitalisant sur les tendances économiques dominantes des années 90 - mondialisation et libéralisation - la criminalité transnationale est désormais un facteur d'une importance considérable dans la finance mondiale, capable d'exercer une influence négative sur le sort de pays entiers à des stades critiques de leur développement économique et social". L'une des lignes directrices des politiques d'ajustement du FMI a été la libéralisation des systèmes financiers, ce qui ouvre un large champ aux activités criminelles dans ce domaine en toute impunité. La mondialisation de l'économie et de la finance, leur déréglementation presque totale et l'utilisation de moyens électroniques qui ignorent les frontières nationales, montrent qu'il n'existe pas d'organes supranationaux démocratiques capables de contrôler et de réglementer plus ou moins efficacement les activités économiques et financières. Ce n'est pas la société civile qui fixe les règles de fonctionnement de l'économie mondiale, mais le capital transnational, soutenu par les élites dirigeantes des pays les plus industrialisés et avec la complicité des élites subalternes des pays pauvres, qui profitent également de cette situation. Ainsi, une grande partie des activités financières et économiques à grande échelle, qu'elles soient légales, semi-légales ou illégales, répondent exclusivement aux intérêts de ces minorités dominantes et entraînent des violations généralisés des droits humains[21] .
CES DERNIÈRES ANNÉES, UN NOUVEL ACTEUR - LA CRYPTO-MONNAIE - EST ENTRÉ DANS LE MONDE DU CAPITAL FICTIF. Il est caractérisé par sa totale indépendance vis-à-vis de l'économie réelle et son fonctionnement arbitraire, qui n'est soumis à aucune règle ni à aucun contrôle efficace. Économistes de différentes tendances l'évaluent très négativement.
Pour Jean Tirole, qui signe une tribune dans le Financial Times, le bitcoin est un « un actif sans valeur intrinsèque » et « sans réalité économique ». Il s’inquiète, comme d’autres grands noms de la finance, de la montée en puissance de la crypto-monnaie et de la frénésie qui s’est emparé des particuliers, un phénomène qu’il qualifie de « pure bulle » financière, rappelant que sa valeur a été multipliée par 30.000 depuis 2011. Il estime d’ailleurs que « son prix pourrait carrément tomber à zéro si la confiance dans le système venait à disparaître ».
Pour Koen De Leus (BNP Paribas, Belgique) « Les banques centrales n’ont aucun contrôle.Une monnaie a trois fonctions : c’est un moyen d’échange, un outil de comptage et un moyen de stockage de la valeur, rappelle l’économiste en chef de la banque BNP Paribas. Comme moyen d’échange, on pourrait encore utiliser le bitcoin, oui. Mais vu les énormes fluctuations, cela ne convient plus du tout comme unité de compte. Au moment de régler vos achats, vous courrez le risque de payer jusqu’à 20 % de plus ou de moins pour un même produit si vous l’achetez le matin ou le soir ».
Paul Jorion (sociologue et anthropologue) « C’est un jeu de Monopoly ! ». Il n’est rien d’autre qu’une « caricature de monnaie » visant à « miner les Etats » et les autorités publiques au sens large. « Les porte-paroles du bitcoin sont en effet des militants: ils s’affirment libertariens. Ce qu’ils cherchent, c’est abattre les Etats qui sont pour eux l’ennemi. Le bitcoin est un symbole de leur combat », dit-il. Au-delà de cette lecture politique du phénomène, le bitcoin ne présente pas les caractéristiques fondamentales d’une monnaie, ajoute Paul Jorion. Il n’est pas adossé à une richesse économique clairement déterminable, ce sont surtout des circuits criminels qui l’alimentent.
Geert Noels, specialiste de l’économie et la finance : « Dans un récent rapport, la FED indiquait que le système bitcoin pouvait à terme jouer un rôle important dans le système financier et les échanges internationaux. Le fait que la banque centrale américaine se penche sur le phénomène lui donne, ainsi qu’aux autres crypto-monnaies, une certaine crédibilité », estime l’économiste. Cela étant, Geert Noels juge également que le bitcoin présente pour le moment toutes les caractéristiques d’une devise hyper-spéculative pouvant s’effondrer du jour au lendemain”.
Les faits confirment les évaluations précédentes.
Genesis compte parmi les plus grosses entreprises de prêts en crypto-monnaies. Reuters rapportait en décembre 2022 que l’entreprise avait prêté l’équivalent de plus de 130,6 milliards de dollars durant l’année. Mais, malgré sa taille, c’est tout d’abord la faillite de 3 Arrows Capital (3AC) qui l’a fragilisée : elle aurait à ce moment-là perdu « plusieurs centaines de millions de dollars », selon CoinDesk.
L’implosion de FTX en novembre 2022 qui a porté le coup final à Genesis. FTX, qui était la 2ème plus importante plateforme d’échange de crypto-monnaie au monde, a brutalement fait faillite après la révélation que l’entreprise avait une très mauvaise gestion des fonds de ses clients. Dans la débâcle, Genesis a perdu encore de l’argent : elle a expliqué avoir perdu l’accès à 175 millions de dollars.
Aujourd’hui, Genesis doit plus de 3,5 milliards de dollars à ses créanciers.
Sam Bankman-Fried, dit « SBF », fondateur de FTX, a été arrêté aux Bahamas et inculpé par la justice américaine, a indiqué le procureur de New York mardi 13 décembre 2022. Considérée comme l'une des principales plateformes d'échange de cryptomonnaies au monde, FTX n'a soudainement plus été en mesure début novembre de reverser à ses clients l'argent qu'ils y avaient déposé.
Pour John Ray, nouveau patron de FTX, les ex-dirigeants de la plateforme en faillite ont fait preuve d'une « défaillance complète » à tous les niveaux de contrôle, dépensant sans vraiment compter l'argent de leurs clients. A première vue, « l'effondrement du groupe FTX semble résulter de la concentration absolue du contrôle entre les mains d'un très petit groupe d'individus grossièrement inexpérimentés et pas très calés, qui n'ont mis en oeuvre aucun des systèmes ou des contrôles requis pour une société à laquelle sont confiés l'argent ou les actifs d'autres personnes », a souligné le responsable.
L'enquête a déjà démontré que les actifs déposés par les clients sur FTX étaient mélangés à ceux de la société de courtage et d'investissements dans les cryptos Alameda, également fondée par Sam Bankman-Fried. Et Alameda a allègrement pioché dans les fonds des clients de FTX pour faire des paris risqués.
BIBLIOGRAPHIE
Aristote, La politique, livre I, chapitre III, 2; Ethique à Nicomaque. Livre V, La justice dans les transactions : La monnaie.
Karl Marx - Le Capital, Livre premier, Section 1, Chapitre I, La marchandise, 1. Les deux facteurs de la marchandise : la valeur d'usage et la valeur (Substance de la valeur, Ampleur de la valeur ; Volume III, Section 5. Dédoublement du bénéfice en intérêt et en bénéfice commercial ; Chapitre XXV Crédit et capital fictif ; Salaires, prix et bénéfice. 1865).
Rudolf Hilferding, Le capital financier. https://www.marxists.org/francais/hilferding/1910/lcp/hilf_lcp.pdf
François Chesnais, La mondialisation financière, (François Chesnais., editor) ed. Syros, Paris, 1996, Cap. 8.
Michel Drouin, Le système financier international, Edit. Armand Colin, Paris, janvier 2001.
Paul Sweezy, Theory of Capitalist Development, 1942.
Philippe Labarde et Bernard Maris, La bourse ou la vie, la grand manipulation des petits actionnaires, edit. Albin Michel, París, mai 2000.
Michel Husson, Les fausses promesses de l'épargne salariale, en Le Monde Diplomatique, février 2000.
Whitney Tilson, Stock options, perverse incentives, en www.fool.com/news/foth/2002/foth020403.htm, 03/04/02.
Eva Joly, Notre affaire à tous, Les Arènes, Paris, juin 2000, p. 183 ; Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre, juillet 2003, Les Arènes
Richard Labévière , Les dollars de la terreur, Les Etats-Unis et les islamistes, Grasset.1999.
René Passet, Mondialisation financière et terrorisme. Enjeux Planète, 2002.
Renaud Van Ruymbeke, Offshore, Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux. Les liens que libèrent, 272 pages. Novembre 2022.
Cédric Durand, Le capital fictif : Comment la finance s'approprie notre avenir. Edit. Les Praires ordinaires. Novembre 2014
NOTES
[1] Alejandro Nadal. Jugement final sur l'argent. La Jornada. 2012. https://www.jornada.com.mx/2012/12/19/opinion/030a1eco. https://criminalbankingmonopoly.wordpress.com/montgomery-vs-daly/
[2] La transnationalisation du capital et de la production est le résultat de la mondialisation de l'économie, promue par le grand capital financier et industriel dans la recherche de l'augmentation de ses benefices, en profitant des diverses "avantages comparatifs" : bas salaires, accessibilité et bas prix des matières premières, etc. Cette politique a conduit à des processus de désindustrialisation dans les pays fortement industrialisés, par exemple, dans des branches des produits essentiels comme les médicaments et le materiel electronique. En la Union Européenne, en quelques trente années, l'importation des principes actifs pour les médicaments - essentiellement en provenance de la Chine et de l' Inde - est passée de 20 % à 80 %. (https://www.tf1info.fr/sante/huit-substances-actives-de-medicament-sur-dix-fabriquees-hors-de-l-ue-comment-en-est-on-arrive-la-2129869.html). Ce processus de désindustrialisation a pu compter avec la soumission des gouvernements nationaux aux décisions du capital transnational.
[3] Les fonds d'investissement collectent des fonds auprès de fonds de pension, d'entreprises, de compagnies d'assurance, de particuliers, etc., et les utilisent pour acheter des entreprises industrielles, commerciales ou de services, qu'ils conservent si elles sont très rentables ou pour des raisons stratégiques ou, si elles sont déficitaires ou non rentables, ils les "nettoient" en licenciant du personnel, puis les revendent avec une marge bénéficiaire considérable. Les achats sont réalisés en utilisant ce que l'on appelle le Leverage Buy-out (LBO), que l'on pourrait traduire par "rachat par effet de levier", qui consiste à financer l'achat avec une partie de leurs fonds propres (généralement 30 %) et une autre partie (les 70 % restants) avec des prêts bancaires, garantis par les actifs de la société acquise. En 2020, les cinq premiers fonds communs de placement au monde étaient les suivants : Blackrock : 7 000 milliards de dollars ; Vanguard : 5 700 milliards de dollars ; Schwab : 4 300 milliards de dollars ; State Street : 3 100 milliards de dollars ; Morgan : 2 600 milliards de dollars. Dont, un total de 22700 milliards de dollars. (22.700. 000 000 000 000).
Soit l’équivalent à quelques 2,8 millions de dollars pour chacun des 8 mil millions d’habitants du monde.
[4] François Chesnais, La mondialisation financière, (François Chesnais., editor) ed. Syros, Paris, 1996, Cap. 8.
Michel Drouin, Le système financier international, Edit. Armand Colin, Paris, janvier 2001.
[5] Christian Palloix, L'économie mondiale capitaliste et les firmes multinationales, T. II, éd. François Maspero, Paris, avril 1975, p. 103.
[6] En août 2005, l'ancien directeur financier de Worldcom, Scott Sullivan, a été condamné à cinq ans de prison pour son rôle dans la plus grande fraude comptable de l'histoire des entreprises américaines. M. Sullivan a également joué un rôle important en tant que témoin "clé" contre l'ancien président de Worldcom, Bernie Ebbers, qui a lui-même été condamné à 25 ans de prison. Sullivan a été reconnu coupable de complot, de fraude en matière de valeurs mobilières et de fausse déclaration financière. La société de télécommunications Worldcom s'est effondrée en 2002 après une fraude comptable de 11 milliards de dollars. "Sullivan était l'architecte de la fraude chez Worldcom", a déclaré la juge fédérale américaine Barbara Jones en prononçant le verdict. L'effondrement de Worldcom a été la plus grande faillite d'entreprise de l'histoire des États-Unis. Près de 20 000 travailleurs ont perdu leur emploi à la suite du dépôt de bilan. La société est sortie de la faillite en 2004 et est désormais connue sous le nom de MCI.
[7] Philippe Labarde y Bernard Maris, La bourse ou la vie, la grand manipulation des petits actionnaires, edit. Albin Michel, París, mai 2000. Voir aussi Michel Husson, Les fausses promesses de l'épargne salariale, en Le Monde Diplomatique, février 2000.
[8] Un contrat forward ou forward agreement est un contrat à terme, il est donc considéré comme un produit dérivé. Il s'agit d'un accord d'achat ou de vente d'un actif à un prix et une date future précisés dans le contrat, il n'y a donc aucun échange monétaire à la signature du contrat.
[9] Karl Marx, Le Capital - Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, § 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts. Chapître XXIII . L’intérêt et le profit d’entreprise ; Capital Vol. III Partie V, Division des bénéfices en intérêts et bénéfices de l'entreprise. Capital portant intérêt. Chapitre 25. Crédit et capital fictif.
[10] Qui ne sont pas des transferts d'argent, mais des écritures comptables. Voir au paragraphe I la décision du First National Bank of Montgomery, Minnesota.
[11] M. Pitt a été en poste d'août 2001 à novembre 2002, date à laquelle il a démissionné après avoir été mêlé à plusieurs scandales, notamment la nomination de l'ancien directeur de la CIA William Webster à la présidence d'un nouveau comité de surveillance comptable sans informer les commissaires de la SEC que M. Webster avait été accusé de fraude par les actionnaires d'une société dont il présidait le comité d'audit
[12] En 1997, Robert Merton et Myron Scholes ont reçu le prix Nobel d'économie. Scholes est le créateur, avec Black, d'une méthode mathématique "infaillible" pour prévenir les risques financiers. Merton et Scholes étaient les conseillers de Long-Term Capital Management (LTCM), un important gestionnaire de fonds spéculatifs. Mais la méthode Scholes-Black n'a pas empêché LTMC de faire faillite en 1998 et a finalement été sauvée par une injection de 3,5 milliards de dollars provenant de 14 grandes banques. C'est pourquoi nous parlons de produits financiers "prétendument" destinés à couvrir les risques. Les hedge funds sont un panier de valeurs mobilières à haut rendement et à haut risque placées sur le marché financier.
[13] La mondialisation financière , (François Chesnais., editor) ed. Syros, Paris, 1996, Cap. 8.
[14] -F. Chesnais - Quelques réflexions sur la dette publique.https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-24-ete-2020/debats/article/quelques-pistes-de-reflexion-sur-la-dette-publique
-France - Dette publique 2021 | countryeconomy.com
Date Dette totale (M. €) Dette totale (M. $) Dette (%PIB) Dette par habitant
2021 2.813.087 3.297.467 112,90% 41.579 € 48.738 $
2020 2.648.147 3.019.230 114,60% 39.141 € 44.626 $
2019 2.374.942 2.659.500 97,40% 35.192 € 39.408 $
-Les Économistes atterrés. La dette publique_ Précis d’économie citoyenne- Janvier 2021. Seuil.
Les auteurs déconstruisent les idées reçues les plus tenaces sur ce sujet : la dette publique est un fardeau pour les générations futures ; la France vit au-dessus de ses moyens, etc. Ce faisant, ils produisent un petit manuel sur le budget de l’État, les modalités de son financement, les limites et les erreurs d’interprétation du ratio dette/PIB, la distinction entre bonne et mauvaise dette, la façon dont la dette publique enrichit les riches ou peut être utilisée comme un instrument de domination.
Ils explicitent aussi les moyens qui permettraient aux États d’affronter la récession en évitant le retour contreproductif des cures d’austérité : restructuration et monétisation de la dette, sortie de la dépendance aux marchés financiers et nouveau rôle de la Banque centrale, réforme fiscale redistributive et écologique, politique budgétaire au coeur de la transition écologique. Ces propositions, soumises au débat citoyen, entendent faire de la dette publique un instrument au service du bien commun.
Les auteurs :Eric Berr (université de Bordeaux), Léo Charles (université Rennes 2),Arthur Jatteau (université de Lille), Jonathan Marie (université Sorbonne Paris Nord) et Alban Pellegris (université Rennes 2) sont membres des Économistes Atterrés.
[15] Les 100 premiers propriétaires d'actifs dans le monde totalisent 144 978 409 214 982 $ (145 000 milliards de dollars).https://www.swfinstitute.org/fund-rankings. Entre le début de la pandémie en mars 2020 et la fin de l'année 2021, la fortune des cinq français les plus riches a augmenté de 173 milliards d'euros, selon Oxfam (PDF). L’equivalent à environt cent millions de SMIC.
[16] La grande évasion fiscale des multinationales continue. Plus de 1 000 milliards de dollars. Cette somme, calculée par l’Observatoire européen de la fiscalité, correspond aux profits transférés par des grandes entreprises dans des paradis fiscaux sur la seule année 2022. Et les efforts des Etats pour mieux les taxer risquent de ne pas changer grand-chose. https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html
[17] Le Monde, Les « boîtes noires » de la mondialisation financière. 10 mai 2001.
Renaud Van Ruymbeke, dans son livre Offshore, Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux. Editions Les liens que libèrent. Novembre 2022, écrit: L’évasion fiscale pratiquée par les multinationales, la fraude fiscale ou l’optimisation exercées à une grande échelle, la corruption de dirigeants et chefs d’État, l’argent de la mafia et des trafiquants de drogue ont un point commun : ils empruntent les mêmes circuits et ont recours aux paradis fiscaux. Renaud Van Ruymbeke a été pendant près de vingt ans juge d’instruction spécialisé au pôle financier du tribunal de Paris. Fort de son expérience, il nous invite à le suivre dans les arcanes de ce monde opaque. Au fil des années, il a appris à en maîtriser les rouages et explique ici avec force d’exemples leur histoire et leur fonctionnement, mais également pourquoi il est si compliqué d’appréhender ceux qui y ont recours. La situation géopolitique actuelle l’illustre ironiquement: les pays occidentaux se retrouvent bien incapables de geler les avoirs détenus par les oligarques russes… dans des paradis fiscaux pourtant situés sur leurs territoires. Mais lorsque de sommets en conférences internationales, la lutte contre le blanchiment est érigée en priorité absolue et que l’on annonce la fin des paradis fiscaux, la duplicité du monde occidental atteint son paroxysme. Car la fraude fiscale internationale ne s’est jamais aussi bien portée. Elle assèche les États qui se privent de ressources importantes et maintiennent un état d’injustice flagrant.
[18] Christophe Brusset, Vous êtes fous d'avaler ça ! Un industriel de l'agroalimentaire dénonce. Des matières premières détournées aux marchandises trafiquées, en passant par les contrôles d'hygiène contestés, Christophe Brusset dénonce les nombreux maux dont il a été, pendant vingt ans, le complice ou le maître d'œuvre dans les coulisses de l'industrie alimentaire. Paprika indien rempli de grains de poivre, thé vert de Chine traité aux pesticides, faux safran marocain, fromages transformés en bœuf, confitures de fruits sans fruits, origan coupé en feuilles d'olivier, etc.; Ingrid Kragl (Foodwatch) Manger du faux pour de vrai - Les scandales de la fraude alimentaire. https://www.foodwatch.org/fr/actualites/2021/plongee-au-coeur-de-la-fraude-alimentaire-scandales-mafia-et-supermarches-au-menu-de-blast-qui-invite-ingrid-kragl/
[19] Michael Krätke, Les paradis fiscaux. Publié par Sin Permiso http://www.sinpermiso.info/textos/index.php?id=1716. 2 mars 2008.
[20] Eva Joly, Notre affaire à tous, Les Arènes, Paris, juin 2000, p. 183. En juillet 2003, Eva Joly a publié un autre livre : Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre, Les Arènes, dans lequel elle raconte les persécutions et les menaces dont elle a été victime alors qu'elle enquêtait sur l'affaire ELF. Voir également Christian de Brie, Dans l'archipel planétaire de la criminalité financière, dans Le Monde Diplomatique, avril 2000). En février 2002, la juge Eva Joly a annoncé sa retraite de la magistrature. Son annonce a été précédée de quelques jours par une annonce similaire du juge Eric Halphen et la nouvelle de la mutation, à sa demande, du juge Laurence Vichnievsky à d'autres fonctions. Un an plus tôt, la juge Anne José-Fulguères avait quitté la magistrature. Ils ont tous traité de la corruption et des affaires de grande envergure, et ont tous dénoncé les fortes pressions qu'ils subissaient de la part des milieux politiques et économiques.
21 Richard Labévière , Les dollars de la terreur,1999. Il y « défend la thèse d’un financement du terrorisme islamique par des circuits bien connus des services américains ».Il estime que les bailleurs de fonds du terrorisme sont connus depuis longtemps, et il affirme que « toutes les enquêtes conduisent aux monarchies pétrolières du Golfe. Les Panama Papers ont montré que l’argent transitait par des places offshore; René Passet, Mondialisation financière et terrorisme. 2002; Montebourg et Peillon. Rapport de la Mission d’information commune sur les obstacles au contrôle et la repression de la delinquance financiere et du blanchiment des capitaux en Europe. Assemblée Nationale.2000-2001.