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Billet de blog 18 janvier 2024

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MARX, LE CAPITAL ET LA MÉTHODE DIALECTIQUE

C'est là un inconvénient contre lequel je ne puis rien entreprendre, si ce n'est d'avertir et d'armer à l'avance les lecteurs soucieux de vérité. Il n'y a pas de voie royale en science, et seuls ont une chance d'atteindre ses sommets lumineux ceux qui ne craignent pas de se fatiguer en gravissant ses sentiers escarpés.

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Actualité de Lénine dans le 100e anniversaire de sa mort

MARX, LE CAPITAL ET LA MÉTHODE DIALECTIQUE

Encarna Ruiz Galacho

Dans la diffusion de la lecture de Das Kapital, favorisée par la crise capitaliste actuelle, la publication du livre du professeur Diego Guerrero, Un résumé complet de Le Capital de Marx, (Madrid, Maia, 2008) occupe une place exceptionnelle. D'une part, en raison de son importance pour la diffusion de la plus grande œuvre de Karl Marx (Trèves 1818 - Londres 1883) et, d'autre part, parce que, contrairement aux résumés qui ont été produits depuis l'époque de Marx, et qui sont nombreux, il ne se limite pas au livre I (1867), qui a été, comme on le sait, le seul à avoir été publié du vivant de Marx. Parmi ces résumés figure celui, émouvant pour ainsi dire, de l'anarchiste italien Carlo Cafiero (1878), qui, sous le titre Le capital à la portée de tous, a été réédité en Espagne en 1977.

Contrairement aux résumés existants, l'effort de Diego Guerrero a été complet, puisqu'il s'agit ni plus ni moins d'une synthèse des trois volumes du Capital, qui, comme il le souligne à juste titre, constitue sans aucun doute une "nouveauté absolue" :

il est très louable de convertir une œuvre monumentale en un livre de poche, de sorte que personne ne puisse s'échapper en prétendant qu'il ne peut pas faire face au tome. Outre la synthèse elle-même, ceux qui souhaitent en savoir plus sur le sujet l'ont à portée de main, car ce Résumé comprend quatre annexes d'un grand intérêt pour contextualiser et aider l'étude. Il s'agit de : "Le parcours de Marx jusqu'au Capital (inachevé)", "Résumés précédents du Capital", "Bibliographie sur Marx et le marxisme", et une liste exhaustive de "revues marxistes et autres ressources Internet". Tout cela constitue, il va sans dire, une démonstration superlative d'érudition et de mise à jour sur le sujet.

Diego Guerrero, comme le savent nos lecteurs, est un économiste marxiste renommé en Espagne et à l'échelle internationale, avec à son actif une vaste trajectoire de publications et d'essais, dont beaucoup ont été reproduits dans Laberinto depuis la première heure de notre revue. Dans le numéro 29 de Laberinto, nous avons reproduit son Introduction à ce Résumé complet, intitulé Économie et philosophie dans le Capital de Marx : la théorie de la valeur travail (TLV). Dans cette introduction, nous le rappelons, sont soutenues une série de thèses et de conclusions qui mettent en valeur et louent la figure scientifique et révolutionnaire de Karl Marx.

Plus délicate est l'approche de Diego Guerrero concernant la relation entre Marx et les marxismes, étant donné que dans les rangs communistes, les orthodoxies et les hétérodoxies ont leur propre histoire, et qu'hier et aujourd'hui ne sont pas la même chose.

Bien que si nous limitons la question à avoir ou non le Capital comme livre de chevet, nous devrons admettre que la plupart des marxistes risquent de ne pas s'en sortir bien. Dans certains cas, parce que la "Bible de la classe ouvrière", comme le vieil Engels appelait avec optimisme le Capital dès 1885, beaucoup de ceux qui se sont réclamés et se réclament encore de Marx ne l'ont même pas vu, et dans d'autres cas parce qu'ils l'ont lu mais ont échoué dans ce que j'appelle la "compréhension de la lecture". Au point que le livre Pour lire le capital (1967) de Louis Althusser et de son équipe est passé à la postérité comme l'exemple parfait de ce qu'il ne faut pas lire. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi la lecture en question ne lui a été d'aucune utilité pour résoudre la question de "la crise du marxisme" de si lugubre mémoire.

Il est à regretter, et je le regrette vraiment, que Diego Guerrero n'ait aucune sympathie pour le marxisme du révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Oulianov, Lénine, qui a été considéré et doit continuer à être considéré comme le disciple le plus complet de Karl Marx, puisque Lénine ne s'est pas contenté de gloser les textes de Marx, ni de faire des lectures coraniques du Capital, mais a développé la pensée de Marx dans tous les domaines qui étaient à la portée du parti bolchévique russe : philosophique, économique et politique. Lénine a apporté le marxisme à l'événement historique sans pareil du XXe siècle et de l'histoire de l'humanité, à savoir l'ouverture de la transition du capitalisme au communisme, menée par la grande révolution bolchevique russe (1917). En d'autres termes, il est allé là où Marx n'a pas pu de son vivant, pour transformer la cruelle défaite de la Commune de Paris (1871) en la victorieuse Révolution d'Octobre (1917), comme l'a souligné à juste titre Alain Badiou, entre autres. Ce que les bolcheviks ont fait ensuite, après la mort de Lénine, est une tout autre affaire. Car si Marx est incontestablement le colosse de la critique scientifique et révolutionnaire du capitalisme, c'est Lénine qui a mis les chèvres du capitalisme dans l'enclos, si l'on peut dire. Cela explique notamment pourquoi il n'y a pas de récupération savante de Lénine, mais une réjouissance générale à le traiter comme un "chien mort".

Une question pour laquelle nous devrions également suivre l'exemple donné par Marx dans Le Capital à l'égard de Hegel, le grand philosophe idéaliste allemand, que Marx avait critiqué dans son œuvre de jeunesse, et dont il s'est publiquement revendiqué comme disciple, dans son œuvre de maturité, qui est, précisément, Le Capital. Dans l'épilogue de la deuxième édition allemande (1873), Marx rapporte comment il avait critiqué, quand c'était à la mode, il y a 30 ans, "le côté mystificateur de la dialectique hégélienne", mais que maintenant, en revanche, alors que Hegel, "le grand penseur" était traité de "chien crevé", il n'avait pas hésité à se proclamer ouvertement son disciple, et avait flirté "dans le chapitre sur la théorie de la valeur, avec le mode d'expression qui lui était caractéristique".

Marx ajoute :

La dialectique était à la mode allemande sous sa forme mystifiée parce qu'elle semblait transfigurer l'existant. Sous sa forme rationnelle, elle est un scandale et une horreur pour la bourgeoisie, parce qu'elle englobe dans la compréhension positive de l'existant aussi et en même temps la compréhension de sa négation, de son déclin nécessaire, elle conçoit toute forme devenant dans le flux du mouvement, c'est-à-dire aussi sur son côté périssable, elle ne se laisse impressionner par rien et est par essence critique et révolutionnaire.

Dans ce long Épilogue, Marx fait référence à l'incompréhension de sa méthode dialectique et aux reproches que lui ont fait les revues des positivistes français et allemands qui condamnent l'hégélianisme qu'ils trouvent dans la méthode de Marx, ce qu'ils font dire à Marx :

La méthode appliquée dans le Capital a été peu comprise, comme le montrent déjà les conceptions réciproquement contradictoires que l'on s'en fait.

Ainsi la Revue positiviste de Paris me reproche, d'une part, de traiter l'économie de façon métaphysique et, d'autre part - tu l'as deviné - de me limiter à une simple décomposition critique du donné au lieu de prescrire des ordonnances (comtistes ?) pour la figuration de l'avenir. (...)

Marx trouve plus juste la recension faite par un rédacteur russe du Messager européen de Saint-Pétersbourg (mai 1872), destinée à gloser sur la méthode du Capital, dans laquelle il voit une reconnaissance de la méthode dialectique, et qui lui donne l'occasion de pointer la distinction entre le mode d'investigation et le mode d'exposition. Et surtout de montrer la différence entre sa méthode dialectique employée dans le Capital et la dialectique hégélienne :

Ma méthode dialectique est par son fondement non seulement différente de la hégélienne, mais son contraire direct. Pour Hegel, le processus de pensée, auquel sous le nom d'Idée se transforme même en sujet autonome, est le démiurge du réel, qui ne consiste qu'en sa manifestation extérieure. Dans mon cas, inversement, l'idéal n'est rien d'autre que la matière transposée et traduite dans la tête de l'homme.

Et la Préface de la première édition française (mars 1872) reproduit la lettre au citoyen Maurice La Châtre, dans laquelle Marx insiste sur la nouveauté de sa méthode d'analyse :

'J'applaudis à votre idée de publier la traduction de Das Kapital en tranches périodiques. Sous cette forme, l'ouvrage sera plus accessible à la classe ouvrière, et pour moi, cette considération passe avant toute autre.

Voilà le bon côté de sa médaille, mais voici l'inconvénient : la méthode d'analyse que j'ai employée, et qui n'a pas encore été appliquée aux questions économiques, rend la lecture des premiers chapitres assez ardue, et il est à craindre que le public français, toujours impatient d'une conclusion, désireux de connaître les rapports entre les principes généraux et les questions immédiates qui l'excitent, ne soit rebuté par le fait qu'il ne peut sauter cela dès le début.

C'est là un inconvénient contre lequel je ne puis rien entreprendre, si ce n'est d'avertir et d'armer à l'avance les lecteurs soucieux de vérité. Il n'y a pas de voie royale en science, et seuls ont une chance d'atteindre ses sommets lumineux ceux qui ne craignent pas de se fatiguer en gravissant ses sentiers escarpés.

Mais rien ou peu de ces questions intéressaient les dirigeants des partis socialistes ou sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale (1889-1914), qui se considéraient comme les héritiers de Marx et pour lesquels le Capital semblait être un livre d'histoire, et qui, en philosophie, préféraient Kant à Hegel.

Au début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), face à la faillite de la Deuxième Internationale, V.I. Lénine, alors réfugié en Suisse, produit entre 1914 et 1915 ce qu'il appelle une lecture "matérialiste" de l'œuvre philosophique de Hegel, que Marx avait revendiquée dans Le Capital et que la Deuxième Internationale avait ignorée. Certains auteurs (E. Balibar, par exemple) ont souligné non seulement l'ampleur de la croisée des chemins à ce moment-là, mais aussi le fait que face à la trahison du marxisme qu'impliquait le vote des crédits de guerre pour le parti social-démocrate allemand, deux figures éminentes du marxisme révolutionnaire, Rosa Luxemburg et V.I. Lénine, sont retournées à leurs études, la première au Manifeste communiste de Marx et Engels, et le second à l'étude de la dialectique hégélienne.

À cette étude intensive de près d'un an, Lénine répondra de manière concluante par son célèbre aphorisme critique et autocritique :

Aphorisme : il est impossible de comprendre pleinement le Capital de Marx et notamment son premier chapitre si l'on n'a pas étudié et compris l'ensemble de la Logique de Hegel. Par conséquent, aucun des marxistes des 50 dernières années n'a compris Marx.

Comme on le sait et il est bon de le rappeler, dans les partis de la Deuxième Internationale, le chef philosophique était le Russe G. Plekhanov, à qui l'on doit la curieuse locution "matérialisme dialectique" en 1891, et que Lénine après ses études de la dialectique hégélienne n'hésite pas à qualifier de "matérialisme vulgaire". Le philosophe Lénine ne peut pas non plus oublier que sept ans plus tôt, il avait publié un ouvrage Marxisme et Empiriocriticisme (1908), qu'il n'aurait peut-être pas écrit de la même manière après son étude de la dialectique hégélienne. À tel point qu'il a continué à insister sur ce point, et que deux ans avant sa mort, Lénine (1870-1924) a conseillé aux rédacteurs de Sous la bannière du marxisme :

L'étude systématique de la dialectique hégélienne à partir d'une position matérialiste, c'est-à-dire à partir de la dialectique que Marx a appliquée en pratique dans le Capital et dans ses œuvres historiques et politiques.... .

Et il ne serait pas déplacé de demander à ce stade : qu'est-ce que la dialectique pour Lénine ? Pour Lénine comme pour les autres marxistes, la dialectique est la doctrine de l'unité des contraires. Mais la question n'est pas simplement cette reconnaissance de l'identité négative dans les lois du monde objectif, nous dit Lénine, mais aussi sa reconnaissance dans les lois de la pensée. Dans la mesure où sans ces dernières, les premières ne peuvent être comprises. Et d'où il découle, comme le dit Lénine, que :

La dialectique est la théorie de la connaissance de Hegel et du marxisme. Voilà l'essentiel de la question à laquelle Plekhanov, sans parler des autres marxistes, n'a pas du tout prêté attention.

Les recommandations méthodologiques de Lénine se situent donc aux antipodes de ces althusséristes qui ne réclamaient rien de moins que de supprimer le premier chapitre "hégélien" du Capital-I, afin de "faciliter" la compréhension du Marx de la maturité. Ou ceux qui se demandent encore pourquoi Marx commence le Capital par la marchandise,en tant que produit de la pensée. Et l'importance que Marx accorde à ce "début scientifique", comme s'il s'agissait de quelque chose de maniaque.

Par ailleurs, le fait que les études de Lénine sur Hegel et l'impérialisme aillent de pair ne signifie nullement que Lénine était un nouveau venu dans l'économie politique marxiste, ou que toute sa contribution à la pensée économique se limite à son travail sur l'impérialisme. Bien au contraire. Lénine a commencé son militantisme révolutionnaire au sein de la social-démocratie russe par un ouvrage que tout marxiste conséquent aimerait avoir pour lui, avec une analyse du capitalisme qui était, dans son cas, Le développement du capitalisme en Russie (1899). Cet ouvrage sera suivi de plusieurs autres ouvrages économiques qui, compte tenu de l'immensité de la paysannerie russe au début du XXe siècle, porteront sur les questions agraires, dans lesquels il développera l'analyse de Marx sur la rente foncière dans Le Capital-III.

Qui plus est, l'œuvre de Lénine qui suit immédiatement son étude de Hegel n'est pas L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), mais Nouvelles données sur les lois régissant le développement du capitalisme dans l'agriculture (décembre 1915), avec laquelle il réfute ceux qui mettent en doute les prédictions de Marx et falsifient les données sur la concentration de la propriété foncière. Et bien sûr, pour conclure, se trompent lourdement ceux qui discréditent ou caricaturent L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, "ébauche populaire", comme dirait Lénine, et qui a largement contribué à la sortie de l'internationalisme prolétarien de l'impasse dans laquelle l'avait plongé la trahison social-démocrate et au réveil révolutionnaire des luttes de libération des peuples dominés par les empires coloniaux et néocoloniaux. Que Marx n'aurait rien fait d'autre, me semble-t-il, à sa place.

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