Haïti : histoire d'un génocide et d'un écocide – Par Alejandro Teitelbaum
Le 13/07/2021
Par Alejandro Teitelbaum
PRÉFACE DU 18/04/2025
Il était prévisible que la référence à la dette de la France envers Haïti par un fou moral comme Macron déboucherait sur la création d'une commission d'historiens dont la tâche exclut la question des réparations, mais dont les conclusions finiront, comme d´habitude, à la poubelle présidentielle.
La « folie morale » c’est un type de trouble mental consistant en la manifestation d'émotions et de comportements anormaux, dépourvus de fondement moral, en l'absence apparente de déficience intellectuelle, d'hallucinations ou de délires.
James Cowles Prichard, ethnologue britannique de l'époque victorienne, a utilisé cette expression en 1835 pour désigner un trouble psychique temporaire (tendant à la chronicité), qui relève de la sphère affective et consiste essentiellement en un engourdissement ou une privation du sentiment moral, une perversion morbide des émotions, des comportements et des impulsions, sans altération des facultés intellectuelles du sujet, ni apparition d'épisodes de délire, de fantasmes ou d'hallucinations maladives.
Le psychiatre espagnol Emilio Mira i López (1896-1964. Cuatro gigantes del alma, Manual de psicología jurídica) a identifié les fous moraux comme des personnes qui savent qu'elles commettent le mal et s'en vantent, et qui, bien que les connaissant très bien, sont capables d'inventer les « vérités et les raisons » les plus étranges pour enfreindre les normes morales.-------------
Haïti : histoire d'un génocide et d'un écocide – Par Alejandro Teitelbaum
Le 13/07/2021
Il ne s'agit pas « d'aider » Haïti (dans les faits, les promesses de dons n'ont été que très peu tenues), mais de respecter son peuple (entre autres, que ce soit le peuple haïtien et non l'OEA et l'ONU qui élise les autorités haïtiennes) et de lui rendre ce qui peut l'être de tout ce qui lui a été spolié en 500 ans.
Lorsque Colomb arriva en 1492 sur l'île qu'il baptisa Hispaniola (Haïti et Saint-Domingue), il découvrit un véritable jardin d'Eden occupé par une importante population indigène qui vivait en paix. Mais à partir de 1500, la déforestation de l'île commença afin de permettre aux conquérants de cultiver la terre et d'éliminer physiquement les indigènes, qui furent remplacés par des Africains réduits en esclavage.
C'est ainsi qu'au début du XXIe siècle, la superficie des forêts, qui occupait 80 % du territoire au moment de la conquête, a été réduite à 2 % en Haïti et à 30 % à Saint-Domingue, avec des conséquences écologiques et climatiques dramatiques[1].
La première République d'Amérique latine et des Caraïbes et la première République noire au monde.
Il y a un peu plus de 200 ans, le 1er janvier 1804, la population haïtienne a aboli l'esclavage et proclamé une République indépendante.
L'abolition de l'esclavage en Haïti a fait craindre que l'exemple ne fasse tache parmi les esclaves des possessions coloniales européennes voisines et aux États-Unis, où l'esclavage a existé jusqu'à la guerre de Sécession, dans les années 1860. Pour cette raison, Haïti a connu une longue période d'isolement international.
En 1802, Napoléon, qui avait l'intention de rétablir l'esclavage dans les colonies, envoya en Haïti une expédition militaire de 24 000 hommes sous le commandement du général Leclerc, qui réussit dans un premier temps à obtenir l'obéissance d'une partie des Haïtiens en leur faisant la fausse promesse de ne pas rétablir l'esclavage.
Toussaint Louverture, avec une autre partie des Haïtiens, ne se laissa pas tromper et combattit les Français avec un succès mitigé.
Mais lorsque la nouvelle de l'arrestation de Toussaint Louverture et de son exil en France, ainsi que du rétablissement de l'esclavage dans d'autres colonies comme la Guadeloupe, se répandit, les rebelles reprirent les combats avec plus de vigueur et finirent par vaincre l'armée envoyée par Napoléon et entrer dans Port-de-Prince en octobre 1803. Les forces françaises, qui avaient perdu plusieurs milliers d'hommes, leur commandant, le général Leclerc, et plusieurs autres généraux, ont évacué l'île en décembre 1803.
Depuis lors, les Haïtiens ont dû subir des invasions, comme celle des États-Unis de 1915 à 1934, et des dictatures sous le haut patronage des États-Unis (Duvalier père et fils, ce dernier étant de retour en Haïti alors qu'Aristide est interdit de retour[2]), des coups d'État et de nouvelles invasions.
Lorsque Aristide, le premier président démocratiquement élu de l'histoire haïtienne, a pris le pouvoir en février 1991, il a proposé d'augmenter le salaire minimum de 1,76 à 2,94 dollars par jour. L'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a critiqué cette initiative, affirmant qu'elle entraînerait une grave distorsion du coût de la main-d'œuvre.
Les sociétés américaines d'assemblage implantées en Haïti (c'est-à-dire la quasi-totalité des sociétés étrangères) ont souscrit à l'analyse de l'USAID et, avec l'aide de la CIA, ont préparé et financé le coup d'État contre Aristide en septembre 1991[3]. La réaction internationale (l'embargo) et le chaos interne ayant paralysé les activités des entreprises américaines en Haïti, les troupes de ce pays ont rétabli Aristide au pouvoir en 1994, tout en garantissant l'impunité et une retraite confortable aux chefs militaires putschistes.
Les forces armées des États-Unis, qui sont intervenues en Haïti avec l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies, se sont emparées dans ce pays de la documentation relative aux violations des droits de l'homme commises par la dictature militaire et probablement des preuves de l'intervention de la CIA. Les autorités américaines continuent de retenir cette documentation, malgré les demandes qui leur ont été adressées à plusieurs reprises[4].
En 2004, le scénario de 1991 s'est répété, avec Aristide, qui avait été réélu en 2001, discrédité politiquement, assiégé économiquement par les États-Unis et étouffé par le Fonds monétaire international. Cette fois, l'expulsion d'Aristide a été orchestrée par les États-Unis, avec la France en second rôle, et légitimée a posteriori par le Conseil de sécurité. Aristide avait en outre eu l'imprudence de réclamer à la France le remboursement de l'« indemnité » versée par Haïti au XIXe siècle, estimée à 21 milliards de dollars au taux actuel.
En effet, la France a fait payer à Haïti son indépendance.
En 1814, la France a exigé de Haïti une indemnité de 150 millions de francs-or, qu'elle a réduite à 90 millions en 1838. Lorsque Haïti a accepté cette demande, la France l'a reconnue comme nation indépendante et a commencé à percevoir les versements de l'indemnité, que Haïti a fini de payer en 1883.
Immédiatement après le renversement d'Aristide en 2004, une « Conférence des donateurs » s'est réunie à Washington. Un an plus tard, sur les 1,08 milliard promis lors de la Conférence, 90 millions étaient arrivés en Haïti, dont la moitié était destinée à l'organisation des élections.
La MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), créée par le Conseil de sécurité le 30 avril 2004 sous prétexte de la prolifération des criminels armés, a commis de véritables massacres à Cité Soleil, le quartier le plus pauvre de Port-au-Prince et bastion des partisans d'Aristide, le 6 juillet 2005 et les 16, 22 et 28 décembre 2006, à l'aide de mitrailleuses lourdes dont les balles traversaient de part en part les maisons misérables comme si elles étaient en papier.
Le tremblement de terre
Diverses institutions, dont Médecins Sans Frontières, ont dénoncé le fait que le déploiement militaire américain a empêché l'acheminement de l'aide sanitaire d'urgence dans les premiers instants.
Le 21 janvier, Françoise Saulnier, directrice juridique de MSF, a signalé que cinq patients étaient décédés dans le centre médical mis en place par MSF. Mme Saulnier a déclaré : « La chirurgie est une priorité urgente dans de telles catastrophes. Les trois premiers jours servent à sortir les gens des décombres, les trois jours suivants à les opérer, puis viennent la nourriture, les vêtements et l'eau. Tout s'est mélangé, les soins vitaux ont été retardés tandis que la logistique militaire, qui peut être utile au bout de quatre ou même huit jours, encombrait l'aéroport ». Selon Mme Saulnier, les trois jours perdus ont entraîné d'importants problèmes d'infection et de gangrène, et des amputations qui auraient pu être évitées ont dû être pratiquées.
Le rôle du Conseil de sécurité.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, qui se réunit en moins de 24 heures lorsque le sujet intéresse les grandes puissances, a mis une semaine à se réunir et a pris pour seule décision d'augmenter le contingent de la MINUSTAH à 8 940 militaires et 3 711 policiers.
Lorsque, en septembre 2009, le Conseil de sécurité a discuté de la prolongation du mandat de la MINUSTAH, plusieurs diplomates ont souligné la nécessité de réorienter cette mission. Le représentant du Costa Rica a déclaré que ce dont les Haïtiens ont besoin, c'est d'un avenir meilleur et, pour pouvoir manger, d'un secteur agricole dynamique. Il s'est demandé pourquoi poursuivre à un coût énorme la militarisation de la MINUSTAH et la reconstitution des forces armées alors que Haïti ne fait l'objet d'aucune menace extérieure, et a déclaré qu'il était urgent de surmonter l'obstacle que constitue le régime foncier.
Mais la MINUSTAH a poursuivi dans la même orientation, essentiellement militariste.
Actuellement, Haïti dispose d'une force militaire presque équivalente, en proportion de la population et du territoire, à celle déployée en Afghanistan et en Irak.
L'augmentation du salaire minimum comme détonateur ?
Le salaire minimum en Haïti était fixé depuis mai 2003 à 70 gourdes par jour, soit 1,75 dollar, le même salaire en dollars qu'en 1991, lorsque Aristide avait voulu l'augmenter à 2,94 dollars. En 2007, Haïti a connu une forte inflation qui a affecté les prix des produits de base. Compte tenu de cette inflation, le salaire minimum industriel aurait dû se situer entre 550 et 600 gourdes par jour. Après deux ans de discussions, le Parlement haïtien a approuvé en avril 2009 une augmentation du salaire minimum à 200 gourdes, soit un peu moins de 5 dollars par jour. Le président de la République et le gouvernement haïtien ont refusé de promulguer la nouvelle loi.
De grandes manifestations d'étudiants et de travailleurs ont alors eu lieu pour réclamer la promulgation de la loi, qui ont été violemment réprimées par la police haïtienne et la MINUSTAH.
Finalement, en août 2009, le salaire minimum a été fixé à 150 gourdes par jour (environ 3,50 dollars). Totalement insuffisant pour vivre, mais inacceptable pour les maquiladoras.
Cette augmentation du salaire minimum peut peut-être expliquer, au moins en partie, l'occupation d'Haïti par les forces armées américaines. Comme ce fut le cas lors du coup d'État militaire de 1991[5].
Vol et appropriation d'enfants
Haïti a une longue histoire de vols d'enfants, d'adoptions illégales et même de soupçons fondés de trafic d'organes d'enfants.
De nombreuses violations de « l'intérêt supérieur de l'enfant » sont actuellement constatées : vol d'enfants, accélération des procédures d'adoption et expatriation d'enfants à des fins prétendument humanitaires.
Tout cela en violation de la Convention relative aux droits de l'enfant, de la Convention sur l'adoption internationale, des directives du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sur la protection des enfants en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles et des recommandations de l'UNICEF.
Le HCR et l'UNICEF soutiennent que, dans des circonstances telles que celles que connaît actuellement Haïti, il faut SUSPENDRE les procédures d'adoption, n'en entamer aucune nouvelle, ne pas recourir de manière abusive et injustifiée à la qualification d'orphelin, mais plutôt à celle d'« enfant non accompagné » jusqu'à ce que le sort de ses parents et de sa famille proche soit connu avec certitude. Ils insistent sur le fait qu'il ne faut pas expatrier les enfants afin qu'ils ne subissent pas, en plus du traumatisme de la catastrophe, celui de la séparation brutale de leur milieu habituel et de la rupture de tous leurs liens familiaux.
Après le tremblement de terre, les Pays-Bas ont emmené 109 enfants qui, semble-t-il, étaient déjà en cours d'adoption, et les États-Unis ont emmené 53 enfants à Pittsburgh « pour améliorer leur état de santé », bien que certaines informations affirment que cela facilitera les procédures d'adoption par des couples remplissant les conditions requises. Cela signifie donc que ces 53 enfants n'étaient même pas en cours d'adoption. La France a déjà expatrié plus de 120 enfants, apparemment à la suite d'une « accélération » du processus d'adoption.
Selon une porte-parole de l'UNICEF, Véronique Taveau, la politique de l'organisation internationale est de parvenir à la réunification des familles à tout prix et, à cet égard, elle a exprimé sa préoccupation face à la décision de certains pays d'accélérer les procédures d'adoption.
Même lorsque la procédure d'adoption est terminée, « les autorités centrales des deux États veillent à ce que le déplacement s'effectue en toute sécurité, dans des conditions adéquates et, dans la mesure du possible, en compagnie des parents adoptifs ou des futurs parents adoptifs », comme le prévoit l'article 19, paragraphe 2, de la Convention sur l'adoption internationale. En d'autres termes, dans des circonstances aussi dramatiques, les parents adoptifs devraient aller chercher l'enfant adopté et ne pas l'attendre à l'aéroport d'arrivée.
En résumé, il ne s'agit pas « d'aider » Haïti (dans les faits, les promesses de dons n'ont été que très peu tenues) mais de respecter son peuple (entre autres, que ce soit le peuple haïtien et non l'OEA et l'ONU qui choisissent les autorités haïtiennes)[6], de lui rendre ce qui peut l'être de tout ce qui lui a été pris en 500 ans.
Le rendre en argent, en reboisement, en développement agricole diversifié, en équipements, en reconstruction, en matériel sanitaire, etc.
Notes
[1] Isabelle Ligner, AFP, « Haïti, exemple extrême de déforestation et de
perturbation du cycle de l'eau ».
[2] Aristide, premier président démocratiquement élu d'Haïti, expulsé par les États-Unis et la France.
[3] Haïti après le coup d'État. Rapport spécial d'une délégation du Comité national du travail. Fonds pour l'éducation en faveur des droits des travailleurs et des droits de l'homme en Amérique centrale, New York, avril 1993.
[4] Situation des droits de l'homme en Haïti, rapport de l'expert indépendant, annexe. Nations unies, E/CN.4/2001/106, 30 janvier 2001, où il est fait référence à 160 000 pages de documents saisis par les forces armées des États-Unis en 1994 dans des installations militaires et paramilitaires en Haïti.
[5] Plateforme interaméricaine des droits de l'homme, de la démocratie et du développement (PIDHDDD), Répression des manifestations pour le salaire minimum en Haïti ; note en français : http://www.alterpresse.org/spip.php?article8410 ; Batay Ouvriye , Haïti – Salaire minimum. Adital – 23.03.08 ; Faubert Bolívar, Alterpresse, En Haïti, le salaire minimum est de 70 gourdes, 2/06/09 ; Wooldy Edson Louidor (ALTERPRESSE, spécial pour ARGENPRESS.info), Haïti : La lutte pour l'augmentation du salaire minimum, 4 septembre 2009.
[6] Oppenheimer, correspondant de La Nación aux États-Unis, préconise ouvertement de transformer Haïti en protectorat (La Nación, 25 janvier 2011).