INTRODUCTION
Les candidats à la présidence parlent de ré-industrialisation. Certains d'entre eux espèrent pouvoir compter sur les grands capitalistes pour cela. Et pour rendre les investissements en France plus attractifs à leurs yeux, ils proposent une politique clairement antisociale (petites augmentations de salaire payées, non pas par les patrons, mais avec des fonds publics, retraite tardive, etc.) Mais depuis des années, le système en vigueur ne fonctionne pas comme ça parce que :
1) Les capitalistes accumulent la plupart de leurs richesses en spéculant. Pas en produisant ;
2) Et s'ils investissent dans la production, ils choisissent librement le territoire où le taux de profit attendu sera plus élevé, c'est-à-dire où le coût du travail est plus bas (salaires et autres charges sociales), où les qualifications des travailleurs sont raisonnablement élevées, où les matières premières sont plus accessibles et moins chères, etc. Ceci explique la désindustrialisation (délocalisations) en France.
3) De plus, il n'y a pas de politique nationale d'investissement productif car la plupart des ressources sont utilisées pour payer le capital et les intérêts d'une dette extérieure en croissance rapide, dont la légitimité doit être soigneusement examinée : quelle est la part de la dette réelle et celle de la dette fictive ?
Inverser cette tendance à la désindustrialisation de la France en négociant avec les grands capitalistes, c'est pulvériser la politique sociale, déjà engagée dans un processus de profonde détérioration depuis plusieurs décennies.
UNE DESCRIPTION DÉCOMPLEXÉE DU FONCTIONNEMENT ACTUEL DE L'ÉCONOMIE
"Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, aussi longtemps qu'il veut, de produire ce qu'il veut, de s'approvisionner et de vendre où il veut, en supportant le minimum d'obligations en matière de droit du travail et d'accords sociaux". (Percy Barnevick, ancien président de la société transnationale ABB Asea Brown Boveri et membre de la Table ronde européenne des industriels). Table ronde des industriels européens (European Round Table of Industrialists). La Table Ronde est un groupe de grandes entreprises qui dicte les décisions à la Commission européenne[1].
UNE RÉ-INDUSTRIALISATION AU SERVICE DE L’INTÉRÊT GENERAL
La ré-industrialisation doit commencer par les services publics : santé, transports, éducation, logement, industrie pharmaceutique, aide aux personnes âgées, eau, électricité, gaz, énergie provenant de sources renouvelables et non polluantes, etc. Tous doivent être de propriété publique. Une véritable propriété publique signifie être gérée conjointement par ceux qui y travaillent, par les utilisateurs et par l'État, représentés sur une base paritaire.---------------------------------------
Les sociétés transnationales sont multiples et polyvalentes : elles peuvent opérer simultanément ou successivement dans l'économie réelle et dans la spéculation financière, dans la production, le commerce et les services. En outre, pour diverses raisons, ils changent souvent de lieu et de nom de territoire.
Dans la période pré-monopolistique et concurrentielle du système capitaliste, on distingue trois processus relativement autonomes : a) le processus de production, qui inclut certains services (santé, transport, éducation) ; b) le processus de circulation ; et c) le processus de réalisation de la production. Chacun avec ses propres capitaux, mais tous partageant les profits obtenus dans le processus de production de biens et de services, où la valeur est créée par le travail des salariés manuels et intellectuels.
Avec l'essor du capitalisme monopolistique, qui s'est consolidé dans la seconde moitié du 20e siècle avec ce qu'on appelle la révolution scientifique et technique (électronique, ordinateurs, etc.), l'autonomie relative des trois sphères (production, circulation et réalisation) a cessé, le capital financier a assumé un rôle hégémonique et la concurrence en tant que mécanisme autorégulateur (ou relativement autorégulateur) du marché a disparu. Les sociétés transnationales deviennent les structures de base du système économique et financier mondial et remplacent le marché comme méthode d'organisation du commerce international[2]. Cela ne signifie pas pour autant que la concurrence entre les grands oligopoles n'est plus féroce et impitoyable. Les relations entre les sociétés transnationales sont une combinaison d'une guerre incessante pour le contrôle des marchés ou des sphères d'influence, de rachats forcés ou consensuels, de fusions ou de coentreprises, et de la tentative constante, mais jamais réussie, d'établir des règles privées et volontaires de fair-play entre elles. Car la véritable loi suprême des relations entre les sociétés transnationales est "dévorer ou être dévoré".
Ainsi, lorsque nous entendons aujourd'hui parler du marché et que "le fonctionnement de l'économie doit être laissé aux forces du marché", il faut comprendre que le fonctionnement de l'économie (et de la société en général) doit être soumis à la stratégie décidée par le capital monopoliste transnational incarné par les sociétés transnationales, dont l'objectif fondamental est de maximiser leurs profits, en s'appropriant par tous les moyens les fruits du travail, de l'épargne et des connaissances traditionnelles et scientifiques de la société humaine.
Les sociétés exercent ces activités séparément, conjointement ou alternativement. Dans le cadre de leurs activités, elles couvrent différents territoires nationaux, variant rapidement et relativement fréquemment leurs lieux d'établissement ou d'investissement en capital, en fonction de leur stratégie basée sur l'objectif du profit maximum (recherche d'une main-d'œuvre moins chère, avantages fiscaux, subventions publiques, proximité des sources de matières premières, proximité du marché de consommation, réglementation souple et/ou plus favorable, taux d'intérêt élevés pour leur capital spéculatif, etc.)[3]
Elles peuvent fonctionner avec une société mère et des filiales, former des groupes dans le même secteur d'activité, des conglomérats ou des coalitions couvrant différentes activités, s'unifier par fusion ou rachat ou former des groupes financiers (holdings). Ces dernières ne disposent que d'un capital financier sous forme d'actions, avec lesquelles elles contrôlent des entreprises ou des groupes d'entreprises. Dans tous les cas (sociétés mères/filiales, groupes, conglomérats, coalitions et holdings), les décisions les plus importantes sont centralisées.
Elles peuvent être domiciliées dans un ou plusieurs pays : dans le pays où l'entité mère est effectivement basée, dans le pays où se trouvent les principales activités et/ou dans le pays où la société est enregistrée. Mais on peut toujours identifier une nationalité de la société transnationale, dans le sens où il existe un État qui la soutient et défend ses intérêts au sein de l'Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et d'autres organisations internationales, ou par des moyens politiques, militaires et autres.
Il arrive souvent que l'activité productive réelle soit déléguée à des sous-traitants et que la société transnationale se réserve le savoir-faire, la marque et le marketing. (Conclusions du Séminaire de Céligny)[4].
L'hégémonie actuelle du capital financier est le résultat d'un changement profond de l'économie mondiale depuis les années 1970, un moment qui marque la fin de l'État-providence, caractérisé par la production de masse et la consommation de masse, cette dernière étant stimulée par l'augmentation tendancielle des salaires réels, par la généralisation de la sécurité sociale et des autres avantages sociaux. C'est ce que les économistes appellent le modèle "fordiste" d'inspiration keynésienne, caractérisé dans la production par le travail à la chaîne (taylorisme), qui a débuté aux États-Unis et s'est répandu en Europe surtout après la Seconde Guerre mondiale.
L'épuisement du modèle de l'État-providence est dû à plusieurs facteurs, dont les suivants : la reconstruction d'après-guerre qui avait stimulé l'expansion économique a pris fin, la consommation de masse a eu tendance à stagner ou à diminuer, tout comme les bénéfices des entreprises. Le "choc" pétrolier du début des années 1970 a également joué un rôle. Pour donner un nouvel élan à l'économie capitaliste et inverser la tendance à la baisse du taux de profit, il est devenu nécessaire d'incorporer les nouvelles technologies (robotique, électronique, informatique) dans l'industrie et les services, ce qui exige d'importants investissements en capital.
Quelqu'un devait payer la facture et c'est ainsi qu'a commencé l'ère d'austérité et de sacrifices (gel des salaires, détérioration des conditions de travail et hausse du chômage) qui a accompagné les restructurations industrielles. Dans le même temps, la révolution technologique dans les pays les plus développés a stimulé la croissance du secteur des services et a entraîné le déplacement d'une partie de l'industrie traditionnelle vers des pays où les salaires étaient - et sont - beaucoup plus bas.
Dans ces conditions, ce que l'on appelle la "mondialisation néolibérale" a pris forme : le passage d'un système d'économies nationales à une économie dominée par trois centres mondiaux : les États-Unis, l'Europe et le Japon et un groupe constitué dans un premier temps par les "quatre tigres asiatiques" : la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour[5]. Les "avantages comparatifs" des États sont devenus les "avantages comparatifs" des sociétés transnationales avec une implantation territoriale diversifiée.
Avec l'incorporation des nouvelles technologies, la productivité a énormément augmenté, c'est-à-dire qu'avec le même travail humain, la production est devenue beaucoup plus importante.
Deux possibilités s'ouvrent alors :
Soit la consommation de masse de biens traditionnels et nouveaux a été encouragée à l'échelle planétaire par une politique salariale expansive, une politique sociale de type État-providence, la réduction du temps de travail en fonction de l'augmentation de la productivité afin de tendre vers une situation de plein emploi et la reconnaissance de prix internationaux équitables pour les matières premières et les produits des pays pauvres, soit la tendance a été de maintenir et d'augmenter les marges bénéficiaires tout en maintenant les salaires, le niveau d'emploi et les prix des produits des pays du tiers monde à un niveau bas.
La première option aurait été réalisable dans un système d'économies nationales, où la production et la consommation ont lieu principalement sur le territoire et où un pacte social de facto entre les capitalistes et les salariés en tant que consommateurs est possible. Mais dans le nouveau système "mondialisé", la production est destinée à un marché mondial de "clients solvables" et le pouvoir d'achat de la population du lieu de production n'a plus d'intérêt.
Dans les conditions d'une mondialisation accélérée, les détenteurs du pouvoir économique et politique mondial, avec leur vision de l'"économie mondiale" et du "marché global", misent sur la deuxième alternative (bas salaires, bas niveaux d'emploi, paiements de sécurité sociale, bas prix des matières premières, etc.) afin d'augmenter leur taux de profit.
Cette option a eu pour effet d'accentuer les inégalités sociales au sein de chaque pays et au niveau international, créant ainsi une nette différenciation de l'offre et de la demande de biens et de services. La production et la fourniture de biens étaient orientées non pas vers le peuple en général, mais vers les "clients solvables". Ainsi, l'offre de produits de luxe a énormément augmenté et l'offre de nouveaux produits tels que les ordinateurs et les téléphones portables a trouvé une grande masse de clients dans les pays riches et de nombreux clients dans la première périphérie pas trop pauvre. Les biens essentiels à la survie (nourriture, soins de santé, médicaments) étaient pratiquement hors de portée du secteur le plus pauvre de la population mondiale. L'idée de service public et d'un droit irrévocable aux biens indispensables pour vivre avec un minimum de dignité a été remplacée par l'affirmation que tout doit être soumis aux lois du marché[6].
De faibles taux de croissance économique ont alors prévalu, car un marché relativement étroit imposait des limites à la production, et le phénomène des grandes quantités de capital oisif (y compris les pétrodollars) est apparu, car il ne pouvait être investi de manière productive.
Mais pour les propriétaires de ce capital (particuliers, banques, institutions financières), il était inconcevable de le laisser dans un coin sans le faire fructifier.
Cette "économie internationale de la spéculation", comme l'appelle Drouin[7], a accéléré la
l'accumulation de grandes quantités de capital dans quelques mains, principalement aux dépens des travailleurs, des retraités et des petits épargnants.
Dans le cas des participations du capital financier (fonds de pension, compagnies d'assurance, fonds d'investissement, banques, etc.) dans les industries et les services, la rente élevée exigée et obtenue par ces capitaux est basée sur la dégradation des conditions de travail dans ces industries et services. C'est un phénomène bien connu : lorsqu'une entreprise annonce des licenciements, ses actions montent.
Ce sont les moyens par lesquels le capital transnational a maintenu et conserve un taux de profit élevé et un rythme accéléré d'accumulation et de concentration malgré une croissance économique lente et l'existence d'un marché restreint[8].
L'énorme accumulation de profits par le capital financier parasitaire est justifiée par les théories selon lesquelles l'argent et les autres produits financiers sont créateurs de valeur.
Mais le problème est que l'argent n'est pas une valeur mais représente une valeur. Et que la valeur n'est créée que dans l'économie réelle et que l'argent en lui-même ne peut pas créer de valeur et produire des profits.
En juin 2001, M. Sergio Tchuruk, président d'Alcatel, a annoncé son intention de créer une entreprise sans usines.
Commentant cette déclaration dans le quotidien français Le Monde du 3 juillet 2001, Jean-Marie Harribey, professeur de sciences économiques et sociales, a déclaré que la déclaration de Tchuruk était l'expression la plus fidèle de l'utopie capitaliste actuelle, qui théorise la création de valeur par l'actionnaire.
Ces entreprises ne sont pas le projet futuriste de Tchuruk mais existent déjà dans la réalité : ce sont celles qui gardent l'activité financière pour elles-mêmes et sous-traitent ou contrôlent l'activité productive réalisée par d'autres entreprises.
Le professeur Harribey affirme que ces entreprises, censées créer de la valeur pour les actionnaires, ne font en réalité rien d'autre que s'approprier la valeur créée par l'économie réelle. Cette appropriation de la valeur, dit Harribey, prend deux formes. La première correspond à une dégradation des conditions d'emploi (bas salaires, horaires flexibles, emplois précaires, chômage) de sorte que les gains de productivité ne profitent pas aux travailleurs et n'augmentent que les profits du capital. La deuxième façon dont cette appropriation de la valeur a lieu est une répartition inégale entre le capital productif et le capital financier, au profit de ce dernier. En effet, les gestionnaires de capital financier qui ont des participations dans des activités productives exigent un niveau de revenu minimum, qui, dans de nombreux cas, ne peut être obtenu en maintenant des conditions et une répartition équitable des bénéfices entre le capital productif et le capital financier.
Ainsi, en plus de la traditionnelle expropriation des fruits du travail par le capital dans le processus de l'économie réelle (obtention de la plus-value), le capital financier spéculatif intervient désormais sans participer à ce processus.
D'autres formes qui permettent au capital financier transnational de s'approprier de manière parasitaire les fruits du travail des autres, c'est-à-dire sans intervenir dans le processus productif, sont la privatisation de la sécurité sociale, qui a été reprise par des fonds de pension privés, le remplacement d'une partie du salaire ou d'une autre rémunération du personnel des grandes entreprises par des actions ou des options sur des actions de la même entreprise (stock options), etc. qui sont différentes formes de vol ou d'escroquerie, comme le disent les économistes Labarde et Maris[9].
En bref, le capital financier transnational fonctionne comme une pompe à succion de la richesse produite par le travail manuel et intellectuel à l'échelle mondiale, richesse qui se trouve ainsi concentrée dans les mains de quelques-uns et dans certaines régions de la planète.
Le paiement de la dette extérieure (réelle ou supposée) par les pays périphériques contribue dans une large mesure à alimenter les coffres du capital financier transnational.
Il s'agit du système financier - dont les idées centrales sont la déréglementation et la libre circulation des capitaux - qui a accompagné une profonde mutation de l'économie mondiale à partir des années 1970.
Jusqu'alors, il existait une séparation claire des pouvoirs attribués aux différentes institutions chargées des services financiers.
Mais depuis le début des années 1980, on assiste à un vaste mouvement de déréglementation.
La distinction entre monnaie et actifs financiers s'estompe, les frontières entre les différents segments de marché - marché monétaire, marché du crédit à moyen terme, marché financier, etc. disparaissent. La spécialisation des acteurs financiers disparaît.
Les frontières entre les banques commerciales, dont la fonction principale est de recevoir des dépôts et d'accorder des prêts, et les banques d'investissement, qui participent à l'introduction en bourse de sociétés, à la conception et à l'exécution d'offres publiques d'achat, de fusions, de ventes de divisions entières entre sociétés, d'émissions obligataires, de grandes opérations de négociation sur les marchés financiers, etc. sont de plus en plus floues, voire effacées. La séparation traditionnelle entre les agents de change et les intermédiaires financiers disparaît et l'intermédiation bancaire classique pour obtenir des capitaux d'emprunt est réduite, car ceux-ci peuvent être obtenus par l'émission de différents types de titres placés directement sur le marché.
Une véritable hypertrophie totalement incontrôlée de la sphère financière a lieu et un énorme capital fictif est créé, comme Marx l'a appelé et analysé dans le volume III du Capital[10].
En quelques années, les produits financiers dérivés (contrats à terme, options, forwards, swaps, etc.) à des fins spéculatives ou prétendument destinés à couvrir des risques se sont multipliés de façon exponentielle et leur montant est devenu astronomique et totalement détaché de l'économie réelle[11]. Tous ces produits financiers circulent, en fait, comme de la monnaie, de sorte que le rôle de la monnaie pour représenter les valeurs créées dans le processus de production a été totalement faussé, puisque le rapport entre les valeurs réelles créées dans le processus de production et les valeurs fictives circulant sur le marché financier est de l'ordre de 10 à 1 et 20 à 1, selon différentes estimations.
C'est dans ce cadre que surviennent des crises financières comme celle de 2008, qui se distinguent des crises cycliques classiques du capitalisme dans lesquelles, après une période plus ou moins longue de croissance économique, la production dépassait les possibilités du marché (surproduction).
Ce type particulier de crises spécifiquement financières ne sont pas des crises de surproduction, mais elles produisent de graves "effets secondaires" sur l'industrie et le commerce.
Ces crises ont le capital monétaire comme centre de gravitation et se déplacent donc dans l'orbite des banques, de la bourse et de la finance. Bien que les conséquences soient similaires les entreprises font faillite, les licenciements se généralisent et le chômage augmente, la concentration monopolistique s'accentue jusqu'à ce que l'économie se reconstruise sur les décombres de la crise, qui laisse un cortège de victimes parmi les travailleurs et les employeurs.
Les chocs financiers actuels, dit Chesnais[12], sont le résultat d'une configuration spécifique du capitalisme dans sa phase actuelle. Elle n'est pas le résultat, comme dans les crises capitalistes "classiques" jusqu'au milieu du XXe siècle, d'une chute brutale de la production et des échanges.
Ce à quoi nous assistons, poursuit Chesnais, c'est à une interaction particulière entre la sphère de la production et celle de la finance. D'une part, on constate une baisse régulière et durable du taux de croissance dans les pays les plus industrialisés, que l'on peut décrire comme une surproduction chronique que les grands groupes oligopolistiques parviennent généralement à contrôler par des mesures dans la sphère de la production et par l'hypertrophie de la sphère financière.
En d'autres termes, si la production n'augmente pas à un rythme élevé et que le chômage augmente, le taux de profit réalisé par les capitalistes dans la sphère de la production a tendance à stagner ou à baisser, et si les gens s'appauvrissent (chômage et salaires gelés), ils consomment moins, c'est-à-dire que le marché, où les capitalistes réalisent leur profit, se rétrécit.
La "solution" capitaliste à ces deux problèmes (baisse du taux de profit et menace d'une crise de surproduction due au rétrécissement de la consommation) consiste en l'hypertrophie et la dérégulation du système financier qui leur permet, d'une part, de déposséder les travailleurs et les petits épargnants dans la sphère financière, compensant ainsi la baisse du taux de profit dans la sphère productive, et, d'autre part, d'étendre énormément le crédit afin de créer un pouvoir d'achat artificiel dans les classes économiquement vulnérables qui vivent endettées et s'endettent de plus en plus.
Jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus payer leurs dettes, auquel cas les "solutions" capitalistes aux contradictions inhérentes au système cessent de fonctionner et des crises financières se produisent, car le système réel, c'est-à-dire les sphères de production et de consommation et leur contradiction fondamentale (l'appropriation privée sous forme de plus-value qui s'interpose entre la production sociale et la consommation sociale) refont surface : le mirage de la prospérité est terminé et les pauvres sont plus pauvres qu'avant.
En ce qui concerne le contrôle des paradis financiers, la fameuse "liste noire" (désormais en différentes nuances de couleur) des paradis fiscaux, établie par l'OCDE il y a plusieurs années, n'a servi à rien. La raison est très simple : de nombreux paradis fiscaux (qui ne figurent pas sur les listes) se trouvent sur le territoire des grandes puissances ou sont contrôlés par elles : la City de Londres, l'île de Jersey, l'île de Man, l'État du Delaware aux États-Unis, Monaco, Macao, Hong Kong, les îles Caïmans, etc. etc. etc. Et ceux qui utilisent les paradis fiscaux, ce sont les grandes sociétés transnationales, les grandes banques et leurs clients, les groupes financiers, qui sont intacts et intouchables. En outre, la "liste noire" ou la "liste grise" est comme une porte tournante : on y entre et on en sort.
Selon un auteur, le professeur Michael Krätke[13], on estime que les personnes les plus riches ont environ 30 % de leur patrimoine placé dans des centres financiers offshore. Plus d'un cinquième (23 %) de tous les dépôts bancaires dans le monde sont détenus dans des paradis fiscaux, soit au moins 3 000 milliards de dollars selon des estimations prudentes. Près de 50 % des transactions financières transfrontalières dans le monde passent par eux. M. Krätke indique que, selon l'analyse prudente du Tax Justice Network, les capitaux cachés dans les paradis fiscaux échappent à l'impôt à hauteur de 250 à 300 milliards de dollars chaque année.
C'est une bonne partie de l'argent qui manque pour relancer l'économie, augmenter le pouvoir d'achat des plus pauvres et améliorer de manière générale la situation des 3 milliards de personnes dans le monde qui vivent avec moins de 2,5 dollars par jour.
Comme l'a souligné Eva Joly, plutôt que de contrôler les paradis fiscaux, il faudrait contrôler directement les finances des grandes entreprises, des groupes financiers et des banques qui les utilisent[14].
[1] Voir : Gérard de Selys, Privé de public. A qui profitent les privatisations, Editions EPO, Bruxelles, 1995.
[2] Christian Palloix, L'économie mondiale capitaliste et les firmes multinationales, T. II pp. 106 et 107, François Maspero, éditeur. Paris, 1975, qui cite Stephen Hymer (The efficency (contradictions) of multinational corporations in The American Economic Review, mai 1970, n° 2, p. 441).
[3] Il est vrai que les entreprises poursuivent l'objectif de maximisation des profits par d'autres moyens : augmentation des prix de leurs produits et services et réduction de leurs coûts, au détriment de leur qualité. Par exemple, l'accès à une alimentation saine et de qualité est devenu un luxe inaccessible à la majorité, les transports publics sont de plus en plus dangereux, surtout dans les pays pauvres, etc.
[4] American Association of Jurists, Centre Europe-Tiers Monde, Les activités des sociétés transnationales et la nécessité de leur encadrement juridique Édition CETIM, Genève, juin 2001.Séminaire international interdisciplinaire tenu à Celigny, Suisse, les 4 et 5 mai 2001.
[5] Plus récemment, ce panorama a changé avec l'émergence de nouvelles puissances économiques, quatre en particulier : la Chine, l'Inde, la Russie et le Brésil. C'est ce qu'on appelle le groupe BRIC.
[6] Dans le rapport du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme (document E/CN.4/Sub.2 /2002/9 du 25 juin 2002) on dit, en ce qui concerne le commerce des services, que les investissements privés étrangers peuvent entraîner la fourniture de services à deux vitesses, l'une pour les personnes en bonne santé et riches et l'autre pour les pauvres et malades, la perte de personnel qualifié dans les services publics, une importance excessive accordée aux objectifs commerciaux au détriment des objectifs sociaux, et un secteur privé de plus en plus grand et puissant qui peut menacer le rôle du gouvernement en tant que premier responsable des droits de l'homme (page 3 de la version en espagnol).
[7] Michel Drouin, Le système financier international, Armand Colin, Paris, janvier 2001.
[8] Dans un article publié dans le journal Le Monde du 5-6/9/2004 (Eric Le Boucher, Les multinationales sur leur tas d'or), il est affirmé qu'aucun événement - guerres, attentats, etc. - ne réduit les bénéfices des entreprises transnationales sur leurs fonds propres : 15% aux Etats-Unis, 12% en France. À cette fin, tous les moyens sont bons pour réduire les coûts en cas de besoin. Au total, 374 entreprises de l'indice Standard & Poor's disposent de 555 milliards de dollars de réserves dans leurs coffres. Ces réserves ont augmenté de 11% en 2004 par rapport à 2003 et, malgré la récession de 2001, elles ont doublé depuis 1999, selon le magazine Business Week. Bouygues, Exxon, Intel et British Telecom ont massivement racheté leurs actions pour faire remonter leur cours. Il s'agit d'un phénomène mondial. Le résultat est que les moyens financiers des entreprises dépassent leurs besoins et que le taux de leur autofinancement augmente : 115% aux Etats-Unis, 110% en Allemagne et 130% au Japon... Les entreprises pourraient augmenter les emplois et les salaires, mais ce n'est pas le cas... Cette capacité d'autofinancement des grandes entreprises était déjà mentionnée par Paul Sweezy en 1945 dans sa Théorie du développement capitaliste, où il soulignait la capacité d'autofinancement des grandes entreprises.
[9] Philippe Labarde y Bernard Maris, La bourse ou la vie, la grand manipulation des petits actionnaires, edit. Albin Michel, Paris, mayo 2000. Véase también Michel Husson, Les fausses promesses de l'épargne salariale, en Le Monde Diplomatique, febrero 2000 et Whitney Tilson, Stock options, perverse incentives, en www.fool.com/news/foth/2002/foth020403.htm, 03/04/02.
[10] Dans le volume III du Capital, à propos du placement des lettres de change comme moyen de circulation autonome ou quasi-monnaie, Marx cite J.W. Bosanquet : "Il est impossible de dire Il est impossible de dire quelle partie provient d'affaires réelles, par exemple d'achats et de ventes effectifs, et quelle partie provient de causes fictives et des lettres qui sont simplement escomptés pour en recueillir d'autres en circulation avant leur échéance, créant ainsi un capital fictif, créant ainsi de simples moyens de circulation imaginaires ». Cité par Ulises Pacheco Feria dans son ouvrage El capital ficticio como categoría económica en El Capital de C. Marx. Economía y Desarrollo Nº 2, Vol. 140. Juillet-Décembre 2006. Voir également Reinaldo Carcanholo et Mauricio Sabadini Capital Ficticio y Ganancias Ficticias, publié dans Revista Herramienta Nº 37. Buenos Aires, mars 2008.
[11] En 1997, Robert Merton et Myron Scholes ont reçu le prix Nobel d'économie. Scholes est le créateur, avec Black, d'une méthode mathématique "infaillible" pour prévenir les risques financiers. Merton et Scholes étaient les conseillers de Long-Term Capital Management (LTCM), un important gestionnaire de fonds spéculatifs. Mais la méthode Scholes-Black n'a pas empêché la LTMC de faire faillite en 1998 et a finalement été sauvée par une injection de 3,5 milliards de dollars de la part de 14 grandes banques. C'est pourquoi nous parlons de produits financiers "prétendument" destinés à couvrir les risques. Les hedge funds sont un panier de valeurs mobilières à haut rendement et à haut risque placées sur le marché financier. On estime qu'il existe actuellement environ 10 000 fonds de ce type gérant 6 000 milliards de dollars d'actifs.
[12] François Chesnais La mondialisation financière. ed. Syros, Paris, 1996, Cap. 8.
[13] Michael Krätke, Les paradis fiscaux. Publié par Sin Permiso http://www.sinpermiso.info/textos/index.php?id=1716. 2 mars 2008.Voir aussi : https://www.mediapart.fr/journal/france/170222/evasion-fiscale-la-france-fait-une-fleur-la-famille-pinault?utm_source=20220218&utm_medium=email&utm_campaign
[14] Eva Joly, qui était jusqu'en 2002 juge d'instruction en France chargée des grandes "affaires" et qui a démissionné en raison des pressions politiques qu'elle subissait pour bloquer son action, a écrit : "...Je pensais que nous avions affaire à une criminalité superficielle, marginale, accidentelle, une sorte de manque de moralité individuelle. Aujourd'hui, je suis certaine que la criminalité financière est ancrée dans l'économie et qu'elle jette une ombre sur notre avenir" .Eva Joly, Notre affaire à tous, Ed. Les Arènes, Paris, juin 2000, p. 183).