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Billet de blog 19 septembre 2023

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FRANCE : LE DÉLABREMENT PROGRAMMÉ DE L'EDUCATION NATIONALE

L'éducation  nationale est composée de différents organes administratifs et du corps enseignant. Ce dernier, de par son rôle, est évidemment le cœur du système éducatif. Sa mission consiste, en plus d’apprendre  une matière en particulier, en développer les facultés intellectuelles, morales et affectives des enfants et adolescentes.

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FRANCE : LE DÉLABREMENT PROGRAMMÉ DE L'EDUCATION NATIONALE

Alejandro Teitelbaum

L'éducation  nationale est l'un des principaux, voire le principal, organe de la société. Elle est composée de différents organes administratifs et du corps enseignant. Ce dernier, de par son rôle, est évidemment le cœur du système éducatif. Sa mission consiste, en plus d’apprendre  une matière en particulier, en développer les facultés intellectuelles, morales et affectives des enfants et adolescentes.

I. L'opinion publique a été très choquée par l'actuation  de l´administration scolaire dans le cas de la jeune victime de harcèlement qui s'est suicidée à Poissy.

Qui n'est malheureusement pas le seul cas ces derniers temps.

Le ministre Attal a réagi rapidement en annonçant l'ouverture d'une enquête et d'éventuelles sanctions administratives. Au vu des antécédents, il faut faire preuve d'un optimisme prudent et voir dans les annonces ministérielles plutôt une opération de communication pour décompresser l'opinion publique.

Les débats médiatiques et publics, comme les annonces d'Attal, se focalisent exclusivement sur les défaillances et les erreurs grossières commis  par  l'administration, oubliant que cette affaire doit être examinée comme un symptôme de la défaillance générale du système éducatif, y compris  le personnel enseignante[1].

Car ce dernier, compte tenu de son contact direct et permanent avec les élèves, devrait  être formé à détecter les cas de harcèlement et essayer de les enrayer.

Ce n'est pas le cas, non seulement en raison de la pénurie et mauvaises conditions de travail du personnel enseignant, qui peut contribuer à générer ce type de situations, mais surtout en raison de leurs lacunes pédagogiques, véritable trou noir dans la formation de la plupart des enseignants.

Il ne faut pas y voir uniquement dans l'action de quelques fonctionnaires bureaucratisés, ayant perdu ou n'ayant jamais eu le moindre sens de l'empathie et d'humanité, formés pour gérer indistinctement un rectorat ou un supermarché, mais surtout un autre symptôme du délabrement programmé de l'éducation nationale en général.

II. L'interdiction de l'abaya, qui donne lieu à des débats acharnés entre partisans et opposants sur la nature religieuse o un no de certains vêtements[2], outre les faux arguments invoqués par le Gouvernement, est un coup de plus, parmi tant d'autres, porté aux libertés de pensée et d'expression, et sert à détourner l'attention des véritables problèmes qui affectent l'éducation.

III. Les philosophes des Lumières relancèrent à travers l’Europe du xviiie siècle la question de la séparation de l’Église et de l’État.

En France, la première séparation est instaurée, de fait, en 1794, par la Convention nationale, par le décret du 2 sans-culottides an II (18 septembre 1794), qui supprime le budget de l’Église constitutionnelle, et confirmée le 3 ventôse an III (21 février 1795) par le décret sur la liberté des cultes, qui précise, à son article 2, que « la République ne salarie aucun culte ».

Cette première séparation prend fin avec la signature du concordat de 1801. Le concordat de 1801 est un traité-négocié durement- entre la République française et le Saint-Siège réglant les relations entre la France et l‘Église catholique. Comprenant 17 articles il fut signé le 15 juillet, puis ratifié le 15 août 1801 par le pape Pie VII et le 8 septembre par Napoléon Bonaparte, premier consul.

La loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État abroge le régime concordataire de 1802, qui est cependant resté en vigueur en Alsace-Moselle.

L'une des conséquences de la défaite de 1940 et de l'effondrement de la République, est la virtuel suspension de la loi de 1905 et l'alliance de fait du régime de Vichy avec une grande partie de la hiérarchie catholique, résolument opposée à la Résistance.

(Voir, Claude Singer, 1940-1944 : La laïcité en question sous le régime de Vichy, https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2004_num_149_1_3851).

Dans l’article 1er de la loi de 1905 on lit: « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] ».

La loi de 1905 consacre, donc,  la séparation de l'Église et de l'État et cette séparation inclut l'une des institutions de l'État, l'école publique, qui devient, par conséquent, laïque.

C'est l'école qui devient laïque, et non les élèves, qui bénéficient de la garantie de l'art. 1 de la loi de 1905 pour continuer à jouir de deux droits humains fondamentaux : les libertés de conscience et d'expression.

Mais comme arrive souvent, lorsqu'une situation favorable permet d'inscrire une règle progressiste dans la loi, les classes dirigeantes s'acharnent à l'éroder jusqu'à la rendre obsolète, que ce soit juridiquement ou de facto.

Cette méthodologie, visant à neutraliser l'essentiel de la loi de 1905 a été appliqué pour la première fois avec la Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004[3] et avec d’autres lois et décrets successifs  concordants.

La religion est une croyance, qui relève du spirituel. Non visible, le fait religieux peut se manifester par des éléments matériels, qui sont apparents: on parle de signes religieux.

Un signe religieux est un objet qui manifeste de la part de la personne qui le porte son adhésion à une conviction religieuse.

Porter un signe religieux c’est une forme de la liberté d’expression

Les principaux signes religieux sont : le foulard ou voile islamique (hidjab); le voile intégral (burqa, sitar ou niqab) qui masque intégralement le visage ; la croix ; le dastar : turban porté par les hommes de confession sikh ; la kippa ; l’étoile de David, etc.

Dans la loi de 2004 figure le mot ostensiblement. Après on commencé a utiliser ostentatoire.

On peut présumer que le passage d'ostensible à ostentatoire avait pour but d'utiliser la loi uniquement contre les élèves de confession musulmane.

Qu’est-ce qu’un signe religieux ostentatoire ?

Alors que le terme ostensible désigne ce qui est visible et mis en valeur de façon manifeste,  ostentatoire désigne quelque chose qui est non seulement visible mais qui cherche au surplus à attirer l’attention.

Objectivement, certains vêtements pourraient être qualifiés d'ostentatoires parce que  leur taille les rend voyants pour l'observateur moins averti.

En revanche, d'autres objets religieux, comme la croix ou l'étoile de David, selon leur taille, peuvent être discrets et pas du tout ostentatoires.

Comment déterminer si un symbole religieux est ostentatoire ? C'est difficile à évaluer car cette notion est subjective.

Un vêtement peut être objectivement ostentatoire mais ne pas l'être vraiment si l'on prend en compte l'élément subjectif : l'intention du porteur d'attirer ou non l'attention.

L'alinéa 5 de l'ordonnance du Conseil d'État du 7 septembre 2023, qui rejette le recours contre l’interdiction de l’abaya, fait référence aux vêtements considérés comme ostentatoires. Il cite l'article 141-5-1 du code de l'éducation et indique que les infractions à cette disposition ont augmenté de manière significative au cours de l'année scolaire 2022-2023 (de 617 à 1984). Le paragraphe se termine en précisant que :

… »le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s’accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d’un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux ».

Ce dernier paragraphe montre clairement que la directive interdisant l'abaya, comme toutes les réglementations précédentes, y compris la loi de 2004, constituent des violations flagrantes de la liberté de pensée et d'expression. 

En effet, le paragraphe cité précise que : " le choix de ces vêtements s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse ".....

Il s'agit d'une déclaration  d'un organisme étatique, qui est assortie d'un bémol, car le port de ces vêtements peut effectivement répondre à une conviction religieuse, mais il peut aussi s'agir d'un enjeu culturel, voire d'une forme de provocation à l'encontre d'une décision étatique qui empiète sur la sphère privée des consciences.

Mais le même paragraphe explique que le dialogue avec les élèves "incriminés" (en fait, "l'interrogatoire") peut permettre de déduire/confirmer la motivation religieuse.

Ces dernières lignes confirment ce qui est une évidence. Une façon de s'habiller n'exprime pas en soi une certaine façon de penser. La manière de penser se manifeste, s'exprime, à travers le langage, qu'il soit spontané ou provoqué par un interrogatoire.

Donc, nous  concluons que l'interdiction de certains vêtements, -assortie d’une procédure  destinée à dévoiler la pensée de ce qui le porte- est une manière, avec certains relents gestapistes, de violer les libertés de conscience et d'expression.

Et que le débat sur le caractère religieux ou non de quelques vêtements, auquel participent des figures  politiques de tous bords, a servi à cacher le vrai problème : l'atteinte systématique,  généralisée et en progression, aux libertés de pensée et d'expression, dont les "signes ostentatoires", comme l'abaya,  qui ont été délibérément associés au terrorisme et à la soumission des femmes, afin qu’ils soient  plus facilement acceptés par une bonne partie de l’opinion publique, inattentifs  à  la contribution que leur interdiction représente a une politique  systématique de restriction des droits humains fondamentaux.

Droits qui sont inscrits dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, arts 10 et 11 ; dans la Constitution de la République française, art.1 ; dans la Loi du 9 décembre 1905 et, a niveau international, entre autres, dans  l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Face à cette attaque systématique des droits humains fondamentaux, il manque en France une procédure judiciaire très importante pour leur défense et leur protection, qui existe dans de nombreux pays, à savoir, la procédure d'amparo. La position selon laquelle l'amparo est un droit est renforcée par le fait qu'il est reconnu dans les traités relatifs aux droits de l'homme; ainsi, par exemple, en ce qui concerne l'art. 25. 1 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, la Cour interaméricaine des droits de l'homme, dans l'avis consultatif 8/87, a estimé que : "...il s'agit d'une disposition générale qui inclut l'institution procédurale de l'amparo, comprise comme une procédure judiciaire simple et brève dont le but est de protéger tous les droits reconnus par les constitutions et les lois des États parties et par la Convention....", dont l'existence ne doit pas seulement être formelle (dans le texte écrit), mais doit également être adaptée à la protection des droits de l'homme (dans la pratique).---------------

BIBLIOGRAPHIE

Frédéric Orobon, Devrait-on avoir à choisir entre laïcité libérale et laïcité républicaine ?, Dans Revue du MAUSS 2017/1 (n° 49), pages 307 à 318. https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2017-1-page-307.htm

François Dubet, Rentrée scolaire : à droite toute ! https://www.alternatives-economiques.fr/francois-dubet/rentree-scolaire-a-toute/00107929?utm_source=emailing&utm 

Ligue des Droits de l´Homme, https://www.ldh-france.org/abaya-au-dela-des-gesticulations-reconstruire-du-commun/

Marie-Caroline Arreto Les recours individuels directs devant la juridiction constitutionnelle (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne). Contribution à une approche processuelle du contentieux constitutionnel. Revue générale du droit on line, 2019, numéro 49720 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=49720)

NOTES

[1] Dans le cadre d’un bilan globalement négatif a cause de l'occupation progressive de l'espace idéologique et culturel par des courants qui ont adultéré l'histoire et enterré la pensée logique, rationnelle et  humaniste. Voir : https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/290822/france-bilan-ideologique-et-culturel

[2] Une sorte de discussion sur le sexe des anges.

[3] Article 1.Il est inséré, dans le code de l'éducation, après l'article L. 141-5, un article L. 141-5-1 ainsi rédigé :« Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève ».

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