L’histoire se répète
INVASION YANQUI DU PANAMA DU DECEMBRE 1989.
Mon déclaration auprès la
COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DES NATIONS UNIES
E/CN.4/1990/SR.10
TEITELBAUM (Association américaine des juristes) déclare que le continent américain vient d'assister à une violation flagrante du principe de non-intervention et du respect du droit à la libre détermination, avec l'invasion de la République du Panama par les États-Unis. Les motifs invoqués par le gouvernement des États-Unis pour justifier l'invasion ne résistent pas à la moindre analyse. Il serait très naïf de croire que les troupes américaines ont envahi le Panama pour mettre fin au trafic de drogue en capturant Noriega et pour rétablir la démocratie, si ce n'était pas un chapitre de plus dans une longue histoire d'interventions américaines répétées contre les peuples d'Amérique latine et des Caraïbes. Ces interventions sont plus d'une centaine, depuis l'annexion de la moitié du territoire mexicain en 1848 jusqu'à l'invasion de la Grenade en 1983,en passant par de multiples interventions en Haïti, au Nicaragua, au Guatemala, en République dominicaine, au Honduras, au Salvador, à Cuba, au Panama, au Mexique et au Chili.
Le prétexte a toujours été le même, à savoir protéger la vie et la propriété des citoyens américains, et les conséquences ont toujours été néfastes pour le respect des droits de l'homme dans les pays agressés.
L'invasion du Panama a un objectif bien précis : ignorer ou renégocier avec un gouvernement panaméen docile les traités Torrijos-Carter de 1977, afin de prolonger la présence militaire américaine au Panama au-delà de l'an 2000.
Pendant longtemps, la militarisation de la zone du Canal a été expliquée par la nécessité de défendre la voie maritime en cas de guerre. Mais il suffit de jeter un coup d'œil à la carte de la région pour comprendre que les bases militaires des États-Unis au Panama, les unités mobiles de leur 8e armée, ses forces spéciales entraînées aux activités de contre-insurrection, ses conseillers et instructeurs et ses systèmes électroniques sophistiqués constituent le pivot opérationnel de l'ingérence américaine dans toute l'Amérique latine et les Caraïbes, et servent à attiser les conflits régionaux, appelés guerres limitées ou conflits de faible intensité.
L'Association américaine des juristes soutient fermement le devoir d'intervention de la communauté internationale dans le cadre de la Charte des Nations unies et des déclarations, pactes et traités internationaux, lorsque les droits de l'homme ou les droits des peuples sont violés dans un pays, mais elle rejette avec la même fermeté l'ingérence unilatérale de tout pays, même au nom de la démocratie ou de la lutte contre le trafic de drogue, car il s'agit en réalité d'une politique du grand bâton sous d'autres apparences qui ne parviennent pas à dissimuler sa véritable nature. Il soutient également que les notions de souveraineté populaire et de souveraineté nationale ne peuvent être dissociées et qu'elles font toutes deux partie du droit à l'autodétermination des peuples.
Prétendre qu'une armée d'occupation étrangère, qui ne parle même pas la langue du pays occupé, puisse être le garant du rétablissement de la libre détermination populaire est un défi au bon sens et à l'expérience historique des peuples latino-américains. L'invasion du Panama a entraîné la destruction quasi totale d'un quartier populaire de 80 pâtés de maisons, El Chorrillo, sous les bombes et les roquettes de l'aviation américaine, avec un nombre élevé de victimes civiles. Les troupes d'occupation ont arrêté illégalement plusieurs milliers de personnes, civils et militaires, ont procédé à des perquisitions brutales dans des domiciles privés et des locaux syndicaux, ont envahi la résidence de l'ambassadeur du Nicaragua et ont exercé une pression incessante sur la Nonciature apostolique du Vatican pour obtenir la remise de Noriega.
Le droit d'intervention, dont la légitimité est douteuse, que se sont réservé les États-Unis dans les amendements introduits par le Sénat américain aux traités Torrijos-Carter, se limite aux cas où le fonctionnement normal du Canal de Panamá est en danger, ce qui n'était manifestement pas le cas. L'invasion du Panama constitue une violation flagrante du préambule et de l'article 1 de la Charte des Nations Unies, ainsi que de l'article premier des deux pactes relatifs aux droits de l'homme qui, bien qu'ils n'aient pas été ratifiés parles États-Unis, font partie du noyau intangible des droits obligatoires pour tous les États. Les actes commis par l'armée américaine d'occupation constituent des violations du paragraphe 1 de l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui consacre le droit d'asile, ainsi que des Conventions américaines sur l'asile de 1928, 1933 et de 1954, auxquelles les États-Unis n'ont pas adhéré, mais qui s'appliquent sur le territoire de la République du Panama, pays signataire des trois conventions. L'armée d'occupation a également enfreint la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, ratifiée par le Panama en 1963 et par États-Unis en 1972, en particulier les articles relatifs à la liberté de mouvement des agents diplomatiques et à l'inviolabilité de la personne et de la résidence des diplomates.
Compte tenu de ce qui précède, l'Association américaine des juristes se permet de suggérer à la Commission des droits de l'homme, comme ils l'ont fait l'Organisation des États américains, de l'Assemblée générale des Nations Unies et le Parlement européen, condamne l'invasion du Panama et les autres actions commises en violation du droit international par les troupes d'occupation, invite le gouvernement des États-Unis à retirer immédiatement l'armée d'occupation et à indemniser l'État et le peuple panaméens, et désigne un groupe de membres de la Commission pour enquêter sur le terrain sur la situation des droits de l'homme dans ce pays.