79 ème ANNIVERSAIRE DE LA LIBERATION D'AUSCHWITZ
Alejandro Teitelbaum
I. Le 27 JANVIER c’est le 79ème anniversaire de la libération d'Auschwitz par l´Armée Rouge en janvier 1945, qui a été suivie par la libération de nombreux autres camps de concentration nazis.
Auschwitz était le plus grand camp de concentration et d'extermination organisé par la machine nazie, à travers lequel des millions de personnes ont été soumises au travail forcé, à la famine, aux fusillades, aux fours crématoires et aux chambres à gaz. C'était l'industrialisation de la mort.
Ces camps sont restés dans la mémoire collective comme l'expression de la plus grande bestialité que l'être humain puisse atteindre.
Mais dans ces commémorations, indispensables pour préserver le souvenir de cette horreur innommable, un aspect des camps de concentration, camps de la mort mais aussi sources de main-d'œuvre esclave pour les grandes entreprises, a presque été oublié.
Connaître cet aspect de l'Holocauste est essentiel pour comprendre les facteurs et les mécanismes qui ont conduit à la "solution finale", la confluence d'une idéologie irrationnelle, fanatique, raciste et agressive et les intérêts des secteurs dominants des grandes entreprises de l'époque.
Une compréhension absolument nécessaire pour éveiller massivement l'"alerte précoce" contre les premiers signes de répétition d'une telle situation.
II. Après la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique a produit un sentiment de panique dans les milieux capitalistes du monde entier et a suscité la sympathie de nombreux intellectuels et l'espoir chez les pauvres qu'un monde meilleur, basé sur la fraternité et la solidarité, était possible.
Cela s'est également reflété en Allemagne où, en janvier 1919, les spartakistes ont tenté de suivre l'exemple des bolcheviks, mais ont échoué et ont été réprimés dans le sang. Leurs dirigeants les plus connus, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, ont été assassinés.
Mais les travailleurs allemands et les groupes de gauche continuèrent à se préparer à des nouvelles tentatives comme celle d'octobre 1923, qui échoue également : les appels à une grève générale révolutionnaire ne se concrétisent pas et une insurrection isolée à Hambourg fut rapidement écrasée.
III. Le grand capital allemand ne voulait pas prendre ces risques et, de plus, devait faire face à la grande crise économique par des mesures économiques et politiques drastiques. À partir de 1925-26, les grands hommes d'affaires allemands décidèrent de financer les forces de choc anti-ouvrières et anti-communistes du parti national-socialiste, la SA et la SS. Mais les grands industriels et banquiers allemands ont été dépassés par Henry Ford, qui a financé le mouvement d'Hitler dès 1922, comme le rapporte le New York Times dans son édition du 20 décembre de cette année-là.
Fritz Thyssen fut le promoteur allemand de l'aide financière au nazisme et étends également aux États-Unis les réseaux bancaires qui lui permettaient d'expatrier ses bénéfices et d'en renvoyer une partie en Allemagne pour collaborer financièrement avec Hitler.
En 1926, Thyssen et l'homme d'affaires américain Averell Harriman fondent l'Union Banking Corporation (UBC).
Roland Harriman, représentant de W.A. Harriman & Co, et E.S. James, représentant de Brown Brothers, siègent au conseil d'administration de l'UBC. Prescott Bush, le grand-père de George W. Bush, siégeait également au conseil d'administration de ces deux dernières sociétés.
En octobre 1942, les autorités américaines ont saisi les fonds bancaires de l'UBC. La firme a été dénoncée "comme une entité financière et commerciale collaborant avec l'ennemi" et tous ses biens ont été saisis.
Par la suite, le gouvernement américain a également ordonné la saisie de deux autres entreprises de premier plan liées à la société bancaire Harriman : la Holland-America Trading Corporation et la Seamless Steel Equipment Corporation.
Puis, le 11 novembre 1942, une autre société du même groupe, la Silesian-American Corporation, a été saisie en vertu de la même loi sur le commerce avec l'ennemi.
En 1951, l'embargo a été levé.
IV. La classe moyenne inférieure allemande appauvrie par la crise et les nombreux chômeurs constituent un terrain fertile pour les harangues revanchardes et racistes d'Hitler et pour sa démagogie populiste reflétée dans le nom de son parti (ouvrier et socialiste).
Lors des élections de juillet 1932, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) obtient 230 sièges, contre 133 pour les socialistes, 89 pour les communistes et 156 pour les autres partis. Hitler revendique le poste de premier ministre, mais le président Hindenburg refuse, et les nazis déchaînent la violence dans les rues et au sein même du Parlement.
De nouvelles élections ont lieu en novembre 1932. Les communistes augmentent leur nombre de sièges à 100, les socialistes en perdaient 12 et les nazis 34.
Hitler déclare alors que l'Allemagne est au bord de la révolution bolchevique, et un groupe d'hommes d'affaires importants demande au président Hindenburg de le nommer chef du gouvernement, ce qu'il accepte. Mais Hitler refuse cette nomination car il veut les pleins pouvoirs.
Les hommes d'affaires insistent sur leur soutien à Hitler, et celui-ci devient chef du gouvernement le 30 janvier 1933.
Dès lors, la répression des opposants à Hitler s'intensifie. En mars, de nouvelles élections sont organisées et les résultats sont catastrophiques : les communistes et les socialistes obtiennent ensemble 201 sièges et les nazis 288, soit la majorité absolue.
Le 23 mars 1933, le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler.
Le même mois, le premier camp de concentration est ouvert à Dachau, où sont internés communistes, anarchistes, socialistes et autres opposants.
En mai 1933, les syndicats sont dissous et en juillet, une loi est votée interdisant tous les partis à l'exception du NSDAP, qui reste le seul parti.
En janvier 1934, la loi réglementant le travail national, favorable aux entreprises, est adoptée. Les patrons des grandes entreprises sont nommés "Führer".
Le 30 juin, de nombreux membres de la SA, les opposants d'Hitler au sein du NSDAP, sont assassinés. C'est ce qu'on appelle la "nuit des longs couteaux".
En septembre 1935, les lois raciales de Nuremberg sont adoptées.
Selon un rapport de l'époque de l'Aide rouge internationale, entre 1933 et 1935, plus de 4 200 personnes ont été assassinées en Allemagne, 317 800 ont été arrêtées et 218 600 ont été blessées et torturées.
En mars 1938, Hitler proclame l'"Anschluss" et occupe l'Autriche.
En août 1938, les Juifs se voient interdire l'exercice de la profession de médecin, et en septembre, l'exercice de la profession d'avocat. Lors de la "nuit de cristal" des 9 et 10 novembre 1938, 191 synagogues sont incendiées, 91 juifs sont assassinés, 30 000 personnes sont arrêtées et 7300 magasins sont pillés.
V. Le 29 septembre 1938, alors que personne ne peut ignorer le caractère dictatorial, raciste, antisémite, belliciste et expansionniste du régime nazi, Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier se rencontrent à Munich. Ni le gouvernement de Prague, ni l'Union soviétique, qui avait proposé d'honorer son accord d'assistance mutuelle avec la Tchécoslovaquie en cas d'attaque allemande, n'ont été invités à la réunion.
Hitler obtient pratiquement tout ce qu'il exige : le gouvernement tchécoslovaque doit évacuer immédiatement les régions dominées par les Allemands. L'Allemagne annexe ainsi plus de 16 000 kilomètres carrés, où vivent 3,5 millions de personnes, dont plus de 700 000 Tchèques. En mars 1939, l'Allemagne achève l'occupation de la Tchécoslovaquie.
À Munich, les puissances occidentales poursuivent leur stratégie de base : laisser les mains libres à Hitler.
Il s'agissait de donner à Hitler les coudées franches pour qu'il attaque enfin l'Union soviétique.
Mais Hitler avait d'autres plans : il attaque la Pologne ce qui a conduit au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939.
VI. Le 30 avril 1942, Oswald Pohl, chef du "Bureau principal économique et administratif de la SS", envoie à Himmler un rapport sur "La situation actuelle des camps de concentration" :
"La guerre a entraîné des changements structurels visibles dans les camps de concentration et a radicalement modifié leurs tâches, en ce qui concerne l'utilisation des détenus. La détention uniquement pour des raisons de sécurité, d'éducation ou de prévention n'est plus au premier plan. Le centre de gravité s'est déplacé vers le côté économique".
Les règlements qui en découlent stipulent que les détenus doivent travailler jusqu'à l'épuisement pour obtenir un rendement maximal, que la journée de travail est illimitée et qu'elle ne dépend que de la structure et de la nature du travail.
De grandes entreprises comme Krupp et Siemens, mais surtout à Auschwitz l'IG Farbenindustrie, qui a installé une usine de caoutchouc synthétique à Buna, le troisième camp d'Auschwitz, ont profité de cette main-d'œuvre gratuite et esclave. Quelque 35 000 prisonniers y sont passés, dont 25 000 sont morts (Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988).
D'autres grandes entreprises allemandes ont également participé à l'Holocauste et en ont tiré profit, notamment Bayerische Motoren-Werke (BMW), Volkswagen et Daimler Benz.
Un livre récent "IBM et l'Holocauste" d'Edwin Black (éd. Laffont, Paris, février 2001), rapporte comment le célèbre géant américain de l'informatique a travaillé pour le régime nazi (les cartes perforées d'IBM étaient utilisées pour identifier et cataloguer les personnes qui seraient persécutées et éliminées).
Ford et General Motors ont également eu recours au travail forcé sous Hitler, en fabriquant des véhicules militaires pour l'armée allemande à Cologne, en Allemagne, pendant la guerre.
Plusieurs de ces entreprises qui ont participé à l'Holocauste et en ont tiré profit participent aujourd'hui à de grandes réunions internationales, influencent les organes de l'ONU, financent des fondations et subventionnent des ONG, mais, comme Volkswagen et Ford, elles refusent de payer les indemnités réclamées par les survivants du travail forcé.
Mais ils n'ont jamais complètement abandonné leurs anciennes pratiques et aujourd'hui encore, ils violent de façon répétée les droits humains, provoquent des guerres civiles, en favorisant des coups d'État (en collaboration avec la CIA), en soutenant des dictatures, en violant le droit à la santé, le droit du travail et le droit à l'environnement, etc.
Et elles sont certainement imitées par des sociétés transnationales plus récentes ou plus anciennes qui ont changé de nom, mais pas d'habitudes. Avec les slogans de performance maximale, de salaires réduits, d'heures de travail plus longues et de conditions de travail plus flexibles, les règles de travail d'Auschwitz sont toujours l'idéal de ces entreprises.
Et l'esclavage perdure sous la forme de la traite des hommes, des femmes et des enfants à des fins d'exploitation du travail ou d'exploitation sexuelle, tout comme le racisme, la xénophobie et les diverses formes de discrimination et d'intolérance, dont il n'est pas rare que les gouvernements fassent l'apologie.
Les discours messianiques sur la mission de libération planétaire des États-Unis ne sont pas très différents des discours d'Hitler sur la Grande Allemagne, destinée à effacer le bolchevisme de la surface de la terre.
Et le génocide du peuple palestinien qui est en train de commettre le gouvernement de Netanyahou. Avec le soutient « des grandes démocraties occidentaux ».
En ce 79 anniversaire de la libération des camps nazis, il est bon de se rappeler la phrase qui termine La résistible ascension d'Arturo Ui de Bertold Brecht :
VOUS, APPRENEZ A VOIR, PLUTOT QUE DE RESTER LES YEUX RONDS…LE VENTRE D'OÙ EST SORTI LA BÊTE IMMONDE EST ENCORE FÉCOND ! ---------------------------------------------------------------------------------
20 février 1933 : une fin d’après-midi à Berlin, dans les confortables salons du Palais du président du Reichstag. Une réunion secrète entre les plus grands industriels allemands et les hauts dignitaires nazis doit sceller le financement de la prochaine campagne électorale. Il y a là “le nirvana de l’industrie et de la finance” : Krupp, Opel, Siemens, Telefunken… De cette scène inaugurale procède un consentement irréversible qui aboutira au pire (Eric Vuillard , L'ordre du jour).