8 MARS 2025, JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES
TROISIÈME TEXTE
Les femmes ont-elles un rôle important à jouer dans l’éradication de la pauvreté ?
Nations Unies — Conseil économique et social
Commission de la condition de la femme
47e session (4-15 mars, 2003-01-24)
Point nº 1 de l’ordre du jour
[Travail élaboré par Mirta Teitelbaum]
L’Association Américaine de Juristes souhaite indiquer ce qui suit :
La question de la pauvreté n’a pas grand-chose à voir avec le revenu moyen des pays. Par exemple, les États-Unis possèdent le revenu par habitant le plus élevé mesuré en matière de pouvoir d’achat, mais ils possèdent également les niveaux de pauvreté les plus élevés parmi les 17 pays les plus industrialisés (16,5 %) tandis que la Suède, qui occupe la 13e place en matière de pouvoir d’achat, a le plus faible taux de pauvreté.[1]
Le Brésil, qui est l’un des pays dont le potentiel industriel et agricole est le plus important en Amérique latine, compte près d’un tiers de sa population (90 millions de personnes sur un total de 224 millions) vivant dans l’extrême pauvreté ; le revenu par habitant de ce pays s’élève à 30 dollars par mois, montant insuffisant pour se nourrir. Le Brésil présente une disparité de biens entre les plus riches et les plus pauvres parmi les plus élevés du monde ; de plus, il compte le taux d’enfants abandonnés le plus élevé en Amérique latine. Certains auteurs considèrent l’Amérique latine comme la région la plus inégale du monde en raison de ses revenus élevés et de ses ressources naturelles abondantes. Ce continent n’a pas connu de grandes guerres comme beaucoup de pays d’Afrique ou de certaines régions d’Asie. Cependant, l’Amérique latine souffre d’un accroissement ininterrompu de la pauvreté. Selon M. Kliksberg, coordinateur général de l’initiative interaméricaine du capital social et éthique de la BID, en 2000, le nombre de pauvres en Amérique latine était supérieur à celui de 1980. Cette situation peut être attribuée à une concentration accélérée des richesses.
Sur ce continent, on estime que 20 % des familles monoparentales ont une femme pour chef de famille et seule source de revenus. Ces femmes subissent des tensions extrêmes en raison du manque de ressources pour nourrir ou pour permettre à leurs enfants de survivre, lesquels elles défendent avec beaucoup de courage dans des conditions épouvantables. Les femmes ont donc pris en main toutes les tâches liées à la production de revenus, auxquelles s’ajoutent les tâches de subsistance, de soins et d’assistance qu’elles effectuent pour les membres dépendants de la famille. Souvent, elles ne réussissent pas à empêcher les membres de leur famille de sombrer dans la délinquance et dans la consommation ou le trafic de drogues. Parmi les causes de ce phénomène, on peut citer la dislocation de la famille, les inégalités de répartition des richesses, le manque d’éducation et de perspectives, la violence à l’extérieur et la violence au sein de la famille ainsi qu’une tendance de la société à considérer que le profit des entreprises doit passer avant les facteurs humains.
Pourtant, des études montrent que « malgré les désavantages incontestables que subissent les femmes en matière de propriété, de revenu, de crédit et d’accès à la terre (…) les enfants issus des foyers dans lesquels la femme gère les dépenses sont mieux nourris, sont en meilleure santé et ont de meilleures chances de survie »[2]. D’autres études menées en Jamaïque, au Kenya, au Malawi, en Côte d’Ivoire et au Guatemala ont tiré les mêmes conclusions.[3]
Les femmes sont l’une des principales victimes de la pauvreté, tout comme les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et tous les groupes vulnérables de la société. Les femmes sont l’une des principales victimes de la pauvreté pour différentes raisons : 1. Lorsqu’elles possèdent un emploi, leurs salaires sont inférieurs pour le même travail réalisé ; 2. Elles souffrent du chômage et de la marginalisation plus que l’homme ; 3. Elles assument avec plus d’ardeur le rôle de protectrice de la famille, en particulier en faveur de leurs enfants et d’autres personnes dépendantes ;leur responsabilité a ainsi augmenté en raison de la croissance du nombre de familles monoparentales ; 4. Les femmes sont victimes de violences familiales et sociales touchant les plus faibles ainsi que des violences liées au manque de moyens de subsistance ; 5. Elles souffrent de manière directe, ainsi qu’au travers de leurs enfants et de leur famille, en raison de la diminution des dépenses sociales, qui se manifeste par le manque de ressources dédiées à l’éducation, à la santé et aux programmes de nutrition dans les écoles, les crèches et pour les femmes enceintes. Par le passé, les dépenses sociales constituaient une aide importante. Cette situation existait avant que les politiques de l’État providence ne soient remplacées par de cruelles politiques libérales et inhumaines prônées par les grandes sociétés transnationales et les pays les plus puissants, appliquées de manière impitoyable dans la grande majorité des pays du monde.
La diminution des dépenses sociales est directement liée aux politiques de répartition des richesses. En effet, les dépenses sociales sont un moyen d’atténuer les inégalités de cette répartition et d’améliorer la situation des plus défavorisés. Les services d’alimentation, de santé et d’éducation fournis par l’État permettent aux pauvres d’avoir accès à ces services et leur assurent la jouissance des droits humains qui, par voie privée, ne leur sont pas accessibles. Ce sont les États qui décident de la mise en œuvre de ces politiques, souvent imposées au moyen de nouveaux organismes de pouvoirs régionaux, comme certaines institutions européennes, qui forcent les États à accepter des politiques néolibérales et appliquent des sanctions aux pays qui s’opposent à l’application de leurs directives. Dans ce domaine, les décisions les plus importantes des organismes régionaux sont prises par des institutions qui ne sont ni élues ni représentatives. Elles sont nommées en conciliabules privés influencés de manière notable par les grandes entreprises et les capitaux internationaux.
La diminution croissante des dépenses sociales qui se produit dans le monde entier, y compris dans les pays les plus développés, a contribué à aggraver la situation des femmes. Les services qui étaient fournis par l’État ont été confiés à des entreprises privées qui les gèrent à des fins lucratives et non à des fins de service public. C’est dans ce contexte que la santé, l’éducation et les pensions constituent de plus en plus des privilèges appartenant à ceux qui ont un emploi ou qui possèdent des biens leur permettant de faire face aux dépenses. Pour leur part, les pauvres, en particulier les femmes, sont privés des droits fondamentaux de l’humain. D’une manière générale, les politiques néolibérales ont fait disparaître la notion de service public ; en effet, il existe une contradiction entre ce type de services et le profit privé. La notion d’intérêt public a été extirpée de notre société de marché, où le bénéfice des entreprises compte plus que la vie des personnes. Des écoles, des crèches, des bureaux de poste, des lignes de transport qui étaient auparavant subventionnées ou soutenues par l’État ont été supprimés ou confiés à des sociétés privées, au détriment des communautés qui les utilisaient.
Tous les pays du monde ont réduit leurs dépenses sociales. La Première ministre britannique, Margaret Thatcher, l’une des pionnières des politiques néolibérales, a considérablement réduit les dépenses sociales en abaissant leur pourcentage par rapport au PNB de 6,5 durant la période 1960-75 à 2,6 durant la période 1980-85.[4] Tous les autres pays ont fait de même. En Amérique latine, Pinochet, inspiré par Milton Friedman et conseillé par les « Chicago boys », a été le premier à appliquer avec détermination une suppression croissante des dépenses sociales. Une étude publiée par l’UNRISD dans le cadre du sommet mondial pour le développement social de 1994 [5] indique que le Chili est passé d’un régime public à un régime privé et que l’ensemble du système de pensions a été confié à des sociétés privées qui le gèrent sur la base d’apports individuels. En réalité, ce système a requis d’importantes subventions publiques. Il s’agit par conséquent d’un système privé subventionné, dont les coûts paraissent excessivement élevés. Aujourd’hui, nous pouvons préciser que les coûts élevés et les subventions n’ont pas empêché la crise actuelle du système. En résumé, les fonds qui étaient auparavant destinés à payer directement les pensions sont actuellement dédiés au profit des entreprises. Peu d’employés peuvent bénéficier de ces systèmes, lesquels ne profitent qu’à la main-d’œuvre la plus privilégiée et la plus stable. Ces systèmes sont, pour l’essentiel, inaccessibles aux travailleurs du secteur informel, encore moins aux chômeurs. Les systèmes de santé des États ont également été privatisés, ce qui a entraîné les mêmes résultats. Ainsi, les politiques mises en œuvre ont accentué les disparités dans la répartition des richesses et ont aggravé la situation des plus pauvres.
En qualité de victimes de l’aggravation de la pauvreté, les femmes ont un rôle important à jouer. Il ne s’agit pas de se substituer à l’inaction de l’État, ce que l’on constate dans les faits, car cela revient à aggraver l’exploitation du travail non rémunéré des femmes. Le rôle des femmes doit dépasser le cadre de l’esclavage imposé par la pauvreté et l’extrême pauvreté. Les femmes devraient pouvoir prendre les décisions qui les concernent et qui concernent leur communauté à travers toutes les formes possibles de réparation de l’injustice et de production de ressources, par exemple en évitant les intermédiaires dans le processus de production. Par exemple, l’AAJ attire l’attention sur le cas des nombreuses usines abandonnées par leurs propriétaires ou en situation de faillite en Argentine. Celles-ci ont été reprises par les ouvriers, assurant ainsi la continuité de leur fonctionnement. Le simple fait d’avoir retiré les propriétaires précédents qui avaient conduit à la ruine de ces établissements permet d’équilibrer les bilans avec les créanciers et augmenter les salaires du personnel. Beaucoup de ces usines sont dirigées par des femmes. De même, les mouvements qui réemploient des constructions abandonnées par leurs propriétaires et ainsi permettent de loger de nombreuses familles sans abri sont également dirigés par des femmes.
La Commission pourrait demander au gouvernement argentin d’inviter un groupe de travail qu’elle élirait à étudier sur le terrain le rôle des femmes dans de telles initiatives.------------------------------------------
(Extrait de
Sélection d'écrits socio-politiques et littéraires
de Mirta Libertad Sofia Brey de Teitelbaum)
NOTES
[1] Rapport mondial sur le développement humain publié en 1988 par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), page 29.
[2]..« État de désarroi – Les répercussions sociales de la mondialisation » publication de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le développement (UNRISD), 1995.
[3] Idem à la note 1, pages 52 et 53
[4] European Centre for Social Welfare Policy and Research, « Welfare in Civil Society », rapport pour la Conférence des ministres européens chargés des affaires sociales, Bratislava, Slovaquie, 1993, pages 91-92.
[5] Esping-Andersen, G., « After del Golden Age, the Future of the Welfare State in the new global order », UNRISD, Genève, Suisse, 1994 (UNRISD/OP/94/7), page 21