(RE)CONSTRUIRE LA GAUCHE
Alejandro Teitelbaum
La progression de l’extrême droite, y compris dans les "grandes démocraties occidentales" avec leur aile fasciste, où des milices organisées pratiquant la violence sont impliquées, n'est pas un phénomène passager, et encore moins un phénomène anodin.
Le facteur aggravant est que la variante la plus réactionnaire recueille le consensus d'une partie de la population, malgré qu'elle souffre de la crise économique et qu'elle soit victime de l'exploitation et de l'oppression capitalistes, qui augmentent rapidement.
Non sans lien avec ce paradoxe - les pauvres faisant confiance aux plus riches qui les exploitent –à laquelle contribue le délitement politique et idéologique des partis de gauche traditionnels, PS et PCF[1], qui ont perdu la plupart de leurs adhérents et sympathisants. Et les errements des nouvelles gauches.
La représentation politique de la gauche, dont les formations traditionnelles risquaient de disparaître, a donc été réduite au minimum.
LFI a alors émergé, avec un programme alternatif à celui des classes dominantes et sa proposition du NUPES, qui, outre le fait de dépasser en partie les ambiguïtés et les renoncements programmatiques du PCF, du PS et d'EELV, leur offrait une bouée de sauvetage face à la perspective de leur quasi-disparition des instances électives.
LFI et le NUPES ont suscité un écho positif chez de nombreuses personnes aux idées de gauche, mais elles ont perdu leur enthousiasme initial en constatant le fonctionnement concret de ces deux instances, alourdies par les idéologies dominantes et, en particulier LFI, par leur organisation gazeuse et verticaliste [2].
LFI, en contradiction avec sa proposition de transformer/démocratiser l'appareil d'État, consacre une attention disproportionnée aux institutions existantes et aux échéances électoraux, sur lesquelles elle semble confier pour obtenir des changements positifs significatifs dans la situation politique, économique et sociale en train de se dégrader rapidement[3].
L'idéologie populiste de Jean Luc Mélenchon - variante Chantal Mouffe et autres - et sa conséquence : éviter l'approche de classe des faits sociaux, a conduit LFI à commettre des erreurs stratégiques et tactiques[4] qui ne contribuent pas à modifier les rapports de force au sein de la population. Et à avoir tombé dans le piège de « l’arc républicain », devenu maintenant l’arc d’extrême droite avec relents fascistoïdes.
Des origines du capitalisme à nos jours, l'État a été et est "une machine essentiellement capitaliste, l'État des capitalistes".
Il ne s'agit donc pas d'"améliorer" l'État, mais de le démanteler et de le transformer en des formes institutionnelles totalement différentes, qui donnent le pouvoir de décision à ceux qui travaillent (ce qui n'est pas la même chose qu'une "participation" formelle aux décisions prises par les "dirigeants"). Et établir mandats révocables et non renouvelables à tous les niveaux afin de constituer une barrière insurmontable à la formation de bureaucraties.
Parallèlement, avec le démantèlement de l’Etat capitaliste, les rapports de production capitalistes doivent être abolis, en socialisant les instruments et les moyens de production et d'échange. En d'autres termes, un socialisme démocratique et participatif consistant en un système basé sur la propriété sociale ou collective des instruments et des moyens de production et d'échange et sur des formes institutionnelles permettant l'intervention active et consciente des individus et des collectivités dans la prise de décision à tous les niveaux et à toutes les étapes, depuis la détermination des objectifs et des moyens pour les atteindre jusqu'à leur mise en œuvre et au contrôle et à l'évaluation des résultats.
En gardant toujours à l'esprit l'avertissement d'Engels dans l'introduction de 1891 à La guerre civile en France : " (...) une vénération superstitieuse de l'État et de tout ce qui s'y rattache, vénération superstitieuse qui s'enracine dans les consciences d'autant plus facilement qu'on est habitué dès l'enfance à penser que les affaires et les intérêts communs à toute la société ne peuvent être gérés et sauvegardés autrement que comme ils l'ont été jusqu'à présent, c'est-à-dire au moyen de l'État et de ses fonctionnaires bien rémunérés. Et l'on croit qu'il a fait preuve d'une énorme audace en se débarrassant de sa foi en la monarchie héréditaire et en s'enthousiasmant pour la république démocratique. En réalité, l'État n'est rien d'autre qu'une machine à opprimer une classe par une autre, que ce soit dans la république démocratique ou sous la monarchie ; et dans le meilleur des cas, c'est un mal qui se transmet héréditairement au prolétariat triomphant dans sa lutte pour la domination de classe".
Tel devrait être le projet de ceux qui veulent vraiment un changement radical de société conduisant à la libération et à la réalisation de l'être humain. Qui devraient préfigurer dans leurs propres organisations, avec la participation de tous leurs membres aux délibérations et décisions.
Dans les partis de gauche, même ceux qui se disent contre les castes partisanes (comme Podemos en Espagne), l'idée prédomine, et ils la mettent en pratique - que les fonctions dirigeantes et représentatives doivent correspondre principalement aux élites intellectuelles (qui pour des raisons économiques et sociales évidentes sont issues des classes sociales moyennes et supérieures, détentrices du "capital culturel") qui seraient mieux préparées à les exercer que les "simples" travailleurs. Et, de fait, le pouvoir de décision revient à un cercle étroit de dirigeants, voire à une seule personne.
Il est à l’ordre du jour la question de (re)construire une authentique organisation de gauche[5], qui soit le résultat de l’élaboration et de l’action collective des travailleurs manuels et intellectuels. Pas le résultat de conclaves de politiciens professionnels à la recherche des votes perdus.
Tâche de longue haleine, parce que son objectif c‘est de renverser les tendances dominants, qui sont très difficiles à contrer pour diverses raisons. Parmi elles, le fait qui parmi une bonne partie des citoyens ordinaires, existe un sentiment de respect révérencieux, imprégné d’admiration, pour les grands capitalistes, qui sont vus comme symboles de la réussite. Citoyens qui sont également contaminés pour la culture et l’idéologie des clases dominantes à travers le matraquage permanent – truffé des mensonges- des monopoles médiatiques.
La situation est donc, trop grave[6]pour être confiée à des politiciens professionnels.-------------------------------------------------------
L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. (Manifeste communiste, 1847).
Il n'est pas de sauveur suprême
Ni Dieu ni César ni tribun
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun. (L´Internationale, 1871).
NOTES
[1] Il faut ajouter qu'une grande partie de l'électorat ouvrier du PCF a migré vers le FN/RN.
[2] Promu par Mélenchon et accompagnée des méthodes, stratégies, et tactiques opportunistes, déterminées par son idéologie populiste, doublé d’un fort égocentrisme. Et suivis sans sourciller par la majorité des militants de LFI, fideles inébranlables du leader. Ce qui, entre autres, les conduit à vivre dans une sorte de réalité virtuelle, qui leur fait croire, ou feindre de croire, qu'une manifestation de moins de 300 000 personnes dans toute la France (chiffre extrêmement faible dans l'histoire des manifestations en France) est un succès.
[3] Quand il y a un résultat positif au Parlement, LFI exulte. Elle oublie que le pouvoir est agencé pour neutraliser la mise en œuvre dudit résultat, aussi modeste soit-il. Et avec cette approche, LFI contribue à créer de fausses illusions sur l’État capitaliste.
[4] Lors du débat parlementaire sur le relèvement de l'âge de la retraite en 2023, LFI a choisi d'utiliser la tactique du blocage et du happening au lieu de se servir de l'AN comme d'une plateforme pour expliquer à la population le contenu réactionnaire et antipopulaire du projet du gouvernement. Voir : https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/02/20/reforme-des-retraites-les-syndicats-denoncent-la-strategie-d-obstruction-de-lfi-et-la-procedure-retenue-par-l-executif_6162541_823448.html.
LFI prend le risque - contre un intérêt vital de la grande majorité de la population- de faire échouer le projet de loi d'abrogation du relèvement de l’âge de la retraite, invoquant son rejet du RN pour présenter une proposition de loi séparément de celle-ci.
[5] Le terme « gauche » est devenu une coquille vide, dans laquelle sont entrés des partis et des individus résolument pro système. C'est le résultat de l'intoxication propagée délibérément par des commentateurs et des journalistes qui n'ont aucun respect pour la sémantique, et du délitement idéologique des politiciens qui se disent de gauche.
[6] C'est également grave à l'échelle internationale, où les catastrophes climatiques prennent rapidement une ampleur considérable, où le génocide du peuple palestinien se poursuit avec le soutien logistique de certaines grandes puissances et l'impunité des auteurs est assurée par la paralysie des organisations internationales qui devraient être chargées de faire respecter le droit humanitaire. Une paralysie induite par ces mêmes grandes puissances. Et où l'« opération spéciale » de la Russie contre l'Ukraine s'est transformée en une guerre sans fin entre l'OTAN, via l'Ukraine, et la Russie, dont les seuls bénéficiaires sont les fabricants d'armes et les victimes sont les combattants et la population civile.