LA CÉLÉBRATION DE LA LIBÉRATION DE PARIS, PRESQUE CONFIDENTIELLE, PEUT-ÊTRE PROGRAMMÉE PAR MCKYNSEY, NÉCESSITE UN RAPPEL PLUS OBJECTIF ET COMPLET DE L'ÉVÉNEMENT.
Les forces alliées progressent vers l'est, les généraux américains Dwight D. Eisenhower et Bradley, engagés dans les combats de la poche de Falaise, prévoient de contourner Paris pour ne pas être ralentis dans leur progression, notamment au niveau logistique, la libération des 4 millions d'habitants parisiens nécessitant 4 000 tonnes de vivres par jour. Le général Bradley écrit dans ses mémoires5 à propos de la capitale française : « La ville n'avait plus aucune signification tactique. En dépit de sa gloire historique, Paris ne représentait qu'une tache d'encre sur nos cartes ; il fallait l'éviter dans notre marche vers le Rhin ». Les Overlord forecasts (prévisions Overlord) ont pour cible principale le bassin de la Ruhr où se concentre l'industrie lourde allemande, la libération de Paris étant prévue pour fin octobre6.
Marie-Pierre Kœnig, commandant en chef des Forces françaises de l'intérieur (FFI), prépare une insurrection afin de limiter l’effet de l'installation de l'AMGOT, redouté par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Les ordres de Hitler prévoyaient la destruction des ponts et monuments de Paris, la répression impitoyable de toute résistance de la part de la population et de combattre dans Paris jusqu'au dernier homme7 pour créer un « Stalingrad » sur le front de l'Ouest immobilisant ainsi plusieurs divisions alliées. Mais le général von Choltitz8 n'a pas les moyens de résister réellement. La garnison allemande est forte de 16 000 hommes, mal équipés, aux unités disparates (unités administratives, par exemple) de faible valeur combative, 80 chars (dont certains datent des prises de guerre de l'été 1940, comme des chars Renault FT d'un « autre âge ») et autant de pièces d'artillerie, pour certaines désuètes. La retraite des débris de la 7e armée allemande qui se replie sur la Somme est couverte par de petites unités de circonstance équipées de matériels modernes, canons antichars et Panzers, et qui marquent des coups d'arrêt.
La résistance parisienne est commandée par Rol-Tanguy, responsable régional des FFI pour l'Île-de-France depuis son poste de commandement de la rue de Meaux (il s'installe le 20 août sous la place Denfert-Rochereau) et par le colonel Lizé (de son vrai nom, Jean de Marguerittes)9, chef des FFI de la Seine (dont le PC est installé 1 rue Guénégaud, tout près de l'hôtel de la Monnaie). Jacques Chaban-Delmas est le délégué militaire national du gouvernement provisoire ; il accueillera le général Leclerc10. Le « colonel Fabien », commandant le premier régiment des FFI de Paris, siège au no 34 rue Gandon (13e arrondissement) et au no 12 rue de l'Abbé-de-L'Épée (5e arrondissement).
L'occupant se trouve en position défensive, une division SS est mise en mouvement vers Paris pour renforcer l'armée allemande. Il est à prévoir qu'elle obéira sans état d'âme aux ordres de destruction de Hitler : von Choltitz a fait venir un bataillon de pionniers de la Luftwaffe pour miner les points majeurs de la ville.
La Résistance est pauvrement équipée (elle n'a même pas de liaison radio avec l'extérieur) mais enthousiaste.
Avec l'annonce de l'avance rapide des Alliés sur Paris depuis la victoire de la Poche de Falaise, les cheminots se mettent en grève le 10 août, suivis par le métro de Paris, la gendarmerie le 13 août. La police se met en grève le 15 août11, suivie des postiers le jour suivant. Ils sont rejoints par d'autres ouvriers de la ville quand la grève générale éclate le 18 août. Le jour même dans l'après-midi, Rol-Tanguy fait apposer les affiches d'appel à la mobilisation des Parisiens et au déclenchement de l'insurrection12. En représailles, les forces d'occupation tuent 35 membres de la Résistance au bois de Boulogne.
Le 19 août au matin, deux mille policiers résistants s'emparent de la Préfecture de Police, hissent le drapeau tricolore sur la Préfecture et sur Notre-Dame, et engagent le combat avec les Allemands. Rol-Tanguy, qui passe par hasard à vélo, les affiches cachées dans sa sacoche, est pris au dépourvu. Il se fait difficilement reconnaître et vient prendre leur commandement. Dans la matinée, les policiers sont enrôlés dans les FFI. Le lendemain, sous l'impulsion de Léo Hamon, ils prendront l'Hôtel de Ville. Des barricades sont dressées, entravant les mouvements des véhicules allemands, et des escarmouches ont lieu contre les forces allemandes d'occupation, épaulées par des membres de la Milice13,14 restés à Paris malgré le repli général des miliciens quelques jours plus tôt15. Les combats, violents et dispersés dès le 19, atteignent leur maximum le 22. De sérieux combats ont lieu, en particulier à la préfecture de police, au Sénat, au Grand Palais, autour de l'Hôtel de Ville16... Les FFI encerclent les îlots de défense allemands.
Les insurgés, faute de munitions, n'auraient pas pu tenir longtemps : la résistance intérieure envoie en mission le commandant Cocteau (« Gallois »), chef d'état-major du colonel Rol-Tanguy, auprès du général Patton pour signaler aux Américains que la moitié de la ville est libérée le 23, mais que la situation des résistants est critique. Devant cette situation, ayant obtenu l'accord de de Gaulle, qui rappelle à Eisenhower sa promesse faite à Alger en décembre 1943 que la libération de Paris serait confiée à une unité française, le général Leclerc force la main aux Américains en donnant l'ordre de marche sur Paris aux éléments de reconnaissance de sa 2e division blindée française. Le général américain Gerow, supérieur hiérarchique de Leclerc, est furieux, considérant cela comme une insubordination.
Eisenhower, doutant de pouvoir retenir les Français, finit par accepter et envoie la 4e division d'infanterie américaine du général Barton en renfort.
La percée de la 2e DB et l'entrée à Paris
Initialement, le général Eisenhower souhaite après le débarquement réussi foncer sur l'Allemagne en contournant Paris. Convaincu par de Gaulle et les services secrets alliés de l'importance symbolique de la capitale (la ville devant être libérée par des Français) mais aussi stratégique (soutien de l'insurrection contre les Allemands de la capitale qui constituent une menace sur les flancs de l'armée alliée), le commandant en chef des forces alliées donne l'ordre dans la soirée du 22 août au général Leclerc et sa 2e DB de marcher sur Paris. Le jour même en début d'après-midi, ce dernier a pris l'initiative (ce qui confine à l'insubordination puisqu'il désobéit à son supérieur le général Gerow) de diriger vers Versailles un détachement de sa division, le groupement Guillebon17.
24 aout : l'entrée dans Paris
Malgré la garnison allemande encore puissante de 16 000 à 20 000 hommes, les éléments de la 2e DB du capitaine Dronne entrent dans Paris par la porte d'Italie et la porte d'Orléans le 24 août 1944 : la 9e compagnie du régiment de marche du Tchad (surnommée la Nueve, car essentiellement constituée de républicains espagnols), forte de 15 véhicules blindés (11 semi-chenillés, 4 véhicules18) précédés par 3 chars du 501e RCC19, va se poster en renfort des FFI devant l'Hôtel de Ville, le 24 août à 21 h 2220, pendant que les policiers parisiens actionnent le bourdon de la cathédrale Notre-Dame, en attendant le gros de la 2e division blindée.
La Nueve est connue pour la participation à la libération de Paris, ses hommes sont les premiers à entrer dans la capitale française, au soir du 24 août 194421,22,23 avec des halftracks portant les noms de batailles de la guerre d'Espagne, « Teruel », « Guadalajara », accompagnée de 3 chars du 501e RCC, Montmirail, Champaubert et Romilly, et d'éléments du génie24,25.
Le lieutenant républicain espagnol Amado Granell est le premier « libérateur » à être reçu dans l'hôtel de ville par Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance26. La 4e division d'infanterie américaine entre par la porte d'Italie le 25 août.
25 aout : signature de la capitulation
Après la blessure du capitaine Jacques Branet, qui commandait le détachement qui remontait la rue de Rivoli, l'état-major allemand est fait prisonnier par les Français sous le commandement du lieutenant Henri Karcher qui convoie ensuite le général von Choltitz à la préfecture de Police. Le nouveau préfet de police, Charles Luizet, y reçoit à déjeuner le général Leclerc ; le cessez-le-feu est ensuite signé par Leclerc et von Choltitz, dans la salle de billard des appartements préfectoraux.
La signature de la capitulation des troupes nazies est faite à la gare Montparnasse le 25 août, avec le contreseing du colonel Rol. Malgré tout, des combats sporadiques continuent, en particulier du fait des unités SS qui refusent la capitulation du général von Choltitz, menaçant de fusiller les officiers « traîtres » de la Wehrmacht qui leur commandent la reddition.
Bilan des pertes
Adrien Dansette37 estime le nombre de tués à 130 hommes de la 2e DB, 532 résistants français et environ 2 800 civils pendant les combats pour la libération de Paris. 177 policiers seront tués lors des combats pour la Libération de Paris, dont une quinzaine fusillés au fort de Vincennes. Les pertes allemandes sont de 3 200 tués dans les combats et 12 800 prisonniers.
Henri Michel, reprenant les évaluations effectuées par les FFI, donne le chiffre de 2 887 Allemands et 1 482 Français (dont 582 civils) tués en estimant les pertes allemandes possiblement « un peu grossies »38.
Pierre Mesmer donne les chiffres, pour la période du 15 au 25 août, de 1 630 tués et 3 892 blessés français (901 tués et 1 455 blessés FFI, 147 tués et 425 blessés à la 2e DB et 582 tués et 2012 blessés pour les civils)39.
Selon Jean-François Muracciole, le bilan des pertes de la bataille est difficile à établir en raison de l’absence de bilan officiel, y compris pour la 2e DB. Cette absence est « significative » et « révèle la très faible intensité d’une « bataille » qu’Américains et Allemands n’ont pas jugé utile d’isoler dans leurs statistiques par ailleurs très précises ». Malgré l'incertitude des sources, il estime les pertes totales, françaises et allemandes, à environ 3 400 morts et 5 500 blessés (dont un millier de FFI tués et blessés et 130 tués, 319 blessés et 21 disparus à la 2e DB). Par comparaison, le bilan de la bataille de Berlin est de plus de 300 000 morts2.
D'importantes conséquences politiques
Défilé de la 28e division d’infanterie américaine le 29 août.Reddition de la garnison allemande de Paris, signée par le général von Choltitz le 25 août, reçue par le général Leclerc et contresignée par le colonel Rol-Tanguy.
Polémique
La BBC rend publique en 2009 une demande des Américains, à une époque où la ségrégation raciale existe aux États-Unis, pour que les bataillons français et anglais défilant lors de la libération soient de composition « exclusivement blanche » (white only)40 alors que deux tiers des troupes françaises étaient composées de soldats originaires des colonies41. Si tous les soldats noirs ont été remplacés lors du « blanchiment » de la division Leclerc lors de sa formation durant l'été 194342, en revanche, environ 1 300 soldats maghrébins (soit près de 10 % des effectifs) sont présents dans la division lors de la libération de Paris43,44,45,46,47.