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Billet de blog 27 juin 2022

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L’IVG dans la Constitution, une fausse bonne idée?

Il ne s'agit pas pour la France d'éternuer chaque fois que les États-Unis s'enrhument. La constitutionnalisation de l'IVG doit s'inscrire dans une série de réformes profondes de la Constitution, qui contient des institutions archaïques et quasi-monarchiques.

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L’IVG dans la Constitution, une fausse bonne idée?

Après la décision de la Cour suprême américaine, abrogeant le droit fédéral à l’avortement, le projet semble faire l’unanimité en France. Il pourrait néanmoins ouvrir la voie à un débat houleux et politiquement compliqué, au risque de fragiliser ce droit essentiel.

 par Jean Quatremer, correspondant européen

publié dans le journal Libération le 27 juin 2022 à 10h39

Inclure le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution afin d’en garantir la pérennité, comme le proposent Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, sa collègue de La France insoumise, Mathilde Panot, aussitôt soutenu par la Première ministre, Elisabeth Borne, est-ce vraiment une bonne idée ? Soyons clairs : faire du droit des femmes à disposer de leur corps une liberté fondamentale de nature constitutionnelle est incontestablement un progrès, ce droit n’étant nullement acquis pour l’éternité. Dans le monde, c’est même une exception et là où ce droit est reconnu, il est en permanence contesté par des groupes religieux qui n’aiment rien tant qu’imposer leurs croyances et leurs pratiques à tous. Mais, il faut en avoir conscience, le risque existe que cette proposition se retourne contre ses auteurs.

Même si la constitutionnalisation de l’IVG a déjà été mise sur la table de l’Assemblée en 2018 par LFI et en 2019 par le PS, c’est la décision, vendredi, de la Cour suprême américaine de ne plus garantir au niveau fédéral le droit à l’avortement qui explique que le gouvernement s’y rallie désormais. Et c’est la première cause du malaise que l’on ressent : il est pour le moins curieux qu’une modification de cette importance puise son inspiration dans une décision judiciaire étrangère qui ne s’applique pas à la France où ce droit n’est pas attaqué comme il l’était depuis cinquante ans aux Etats-Unis par le parti républicain qui en a fait, comme le port d’arme, l’un de ses combats civilisationnels.

Conservatisme profond

Or le risque existe que l’on réveille le démon endormi de la sainte alliance des religions opposées à l’avortement. Rappelons ainsi qu’en 1984, François Mitterrand n’avait pas vu arriver la mobilisation pour l’école privée (dite «école libre») qui a conduit un million de personnes dans la rue pour protéger un enseignement confessionnel qu’ils estimaient menacé… Et plus récemment, rappelons les mobilisations nauséeuses contre le mariage pour tous. On aurait donc tort de sous-estimer le conservatisme profond des sociétés.

En supposant que le gouvernement veuille éviter l’étape toujours périlleuse du référendum, d’autant que les Français répondent rarement à la question posée, il faudrait non seulement que le projet soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, mais qu’il soit adopté par les trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès. Or on ne peut écarter le risque que des calculs politiciens fassent échouer la réforme : certains, par exemple, pourraient ne pas vouloir offrir une «victoire» facile au chef de l’Etat qui lui permettrait de ressourcer sa légitimité. On a vu plus idiot dans l’histoire de la République.

Raidissement

De même, on n’échapperait pas au débat sur l’étendue de la garantie accordée aux femmes, un droit à l’avortement après une semaine de grossesse n’étant pas la même chose qu’après vingt-quatre semaines. Faudra-t-il inscrire dans la Constitution la durée du droit à l’IVG ou renvoyer ce sujet à la loi ? Mais dans ce dernier cas, une majorité conservatrice hostile pourrait le réduire à néant en le limitant drastiquement. Au fur et à mesure que le débat prendra de l’ampleur au Parlement et dans l’opinion publique, on risque d’assister à un raidissement de part et d’autre qui pourrait faire échouer sur cette question la proposition de révision constitutionnelle.

Or, en cas d’échec, pour une raison ou pour une autre, le droit à l’avortement serait fragilisé, l’inverse de l’effet recherché, puisque l’IVG ne serait alors clairement pas un droit fondamental. Bien sûr, il s’agit là de l’hypothèse du pire, cette réforme pouvant aussi susciter un grand moment d’unité nationale. Mais la tradition politique de la France ne plaide pas pour cette hypothèse. On peut donc se demander, vu l’absence de menace contre le droit à l’IVG, s’il est urgent d’ouvrir un tel front et s’il ne serait pas plus urgent de se lancer dans une révision de la Constitution de la Ve République afin de la rendre plus démocratique et d’éviter, par exemple, que le chef de l’Etat puisse gouverner seul un pays en proclamant à tout bout de champ des états d’urgence qui sont autant d’états d’exception…

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