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Billet de blog 27 novembre 2024

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CONNAÎTRE LA PROPRIÉTÉ ET L'USAGE DES TERRES AGRICOLES

Pour parler aux propriétaires fonciers, encore faut-il les connaître. La propriété des terres agricoles françaises est, sinon un tabou, au moins un non-dit: la dernière étude du ministère de l’Agriculture date de 30 ans et le registre des propriétaires est confidentiel.

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IL Y A 496000 AGRICULTEURS ET AGRICULTRICES1 ET 4,2millions DE PROPRIÉTAIRES DE TERRES AGRICOLES Les 10% de propriétaires possédant le plus de terres agricoles possèdent 50% de la surface agricole utile (SAU)

FAIRE DE LA PROPRIÉTÉ
DES TERRES UN LEVIER POUR
L’INSTALLATION EN AGRICULTURE
ISSU DU RAPPORT « LA PROPRIÉTÉ DES TERRES AGRICOLES EN FRANCE | 2023 »
Face à la vague de départs à la retraite d’agriculteurs, la question de l’installation d’une nouvelle génération de paysans est remontée en haut de l’agenda
politique. S’il est urgent de faciliter l’accès des nouveaux agriculteurs à la
terre, en soutenant notamment les initiatives de portage foncier non lucratives,
il est tout aussi urgent d’agir auprès des propriétaires fonciers, largement absents du débat public, alors qu’ils conservent un pouvoir d’orientation majeur
sur les terres agricoles.
Comment inciter les propriétaires à conserver l’usage agricole de leurs terres,
tandis que des perspectives de rente plus élevée s’offrent à eux ? Comment les
amener à privilégier l’installation de nouveaux agriculteurs, dans le respect de
l’autonomie au travail garantie par le statut du fermage ? Les terres agricoles
sont au cœur d’enjeux collectifs qui dépassent les limites de la propriété individuelle : alimentation, santé, emploi, climat et biodiversité.
Pour parler aux propriétaires fonciers, encore faut-il les connaître. La propriété
des terres agricoles françaises est, sinon un tabou, au moins un non-dit: la
dernière étude du ministère de l’Agriculture date de 30 ans et le registre des
propriétaires est confidentiel. Pourtant, on observe sur le terrain des évolutions
structurelles significatives : des sociétés agricoles à capital ouvert acquièrent
des terres sur le marché foncier. Par ce biais, des investisseurs non agricoles
prennent le contrôle de terres en contournant les mécanismes créés pour lutter
contre la spéculation et la concentration foncière.
L’absence de transparence sur la propriété des terres agricoles prive l’action
publique d’un levier important auprès des propriétaires fonciers et réduit
l’efficacité des politiques de renouvellement des générations.
L’opacité actuelle masque le développement d’acquisitions de terres agricoles
par les sociétés d’exploitation à capital ouvert, qui permettent
à des investisseurs de contourner la régulation de l’accès aux terres agricoles
et d’acheter ou contrôler des surfaces importantes.
Tous les leviers fonciers doivent être mobilisés pour le renouvellement
des générations et la transition agroécologique: incitation des propriétaires,
transparence et régulation des marchés fonciers, définition démocratique de
l’orientation des terres agricoles.
messages clés
Terre de Liens
est un mouvement
citoyen visant
à préserver les terres
agricoles et à faciliter
les installations
en agriculture paysanne
et écologique.
CONTACT
Astrid Bouchedor
a.bouchedor@terredeliens.org
«Quand une exploitation tombe, si on ne sait
pas bien la reprendre, c’est tout un territoire qui
parfois se fragilise et se détricote.»
Discours du président Emmanuel Macron le 9 septembre 2022
Mars 2023
Propriétaires fonciers :
une influence certaine sur
le renouvellement des générations
Une propriété éclatée qui complique les installations
Tandis que les fermes s’agrandissent et que les agriculteurs sont de moins en
moins nombreux, la propriété foncière agricole se morcèle: à chaque succession,
le nombre de propriétaires est multiplié par deux3
. Résultat: alors qu’en 1980, un
agriculteur louant des terres avait trois ou quatre propriétaires4
, il en a quatorze
aujourd’hui2 ! Or la majorité des candidats à l’installation ne sont pas aujourd’hui
fils ou filles d’agriculteurs5
 et ne bénéficient ni de terres familiales, ni de la transmission familiale des baux. Ils doivent donc négocier avec chacun des propriétaires pour s’installer.
Un marché foncier défavorable aux installations
Certains propriétaires restent frileux à louer leurs terres en fermage, d’autant
que d’autres usages proposent des rentes fortement alléchantes pour les propriétaires : location annuelle à un légumier industriel, 1000€/ha/an; location
pour une installation photovoltaïque, 2000€/ha/an. Par ailleurs, pour un propriétaire qui souhaite vendre sa terre, un hectare de terre non loué est mieux
valorisé (+20%), avec un prix de 5940€ en 2021, contre 4910€ pour un hectare
loué6
. Et bien sûr, lorsqu’une modification dans le plan local d’urbanisme rend
une terre agricole constructible, sa valeur est multipliée par vingt-cinq6
. En zone
péri-urbaine, cela incite des propriétaires anticipant une plus-value à laisser
libres leurs terres ou à les louer sans bail, générant une précarisation de l’activité agricole. Il est pourtant essentiel de préserver le fermage pour garantir la
stabilité des fermes et de la production agricole.
Agriculteurs propriétaires : la rente foncière en complément de retraite
Une partie des terres appartient aux agriculteurs et un quart des surfaces acquises en 2021 concerne le rachat de terres par le fermier qui les cultive déjà6
.
Pour un agriculteur, le foncier représente à la fois un outil de production et un
capital à mobiliser en complément d’une faible retraite. Les reprises familiales
étant en forte régression, certains retraités choisissent de louer leurs terres,
mais ils peuvent tout aussi bien déléguer les cultures à une entreprise de travaux agricoles. Ils peuvent ainsi continuer à percevoir les aides de la PAC, une
rente supérieure au loyer du fermage, mais qui ne libère pas la terre pour
l’installation.
Notre
recommandation
Assurer la transparence
sur la propriété
et l’usage des terres
agricoles (I) pour
pouvoir travailler avec
les propriétaires
au renouvellement
des générations et les
amener à maintenir
la vocation agricole
de leurs terres (II)
en luttant contre la
spéculation foncière.
IL Y A
496000
AGRICULTEURS
ET AGRICULTRICES1
ET
4,2millions
DE PROPRIÉTAIRES
DE TERRES AGRICOLES
Les 10% de propriétaires
possédant le plus
de terres agricoles
possèdent
50% de la surface
agricole utile (SAU)2
PAR
L'HÉRITAGE
Sur une
décennie,
un tiers
de la surface
agricole change
de propriétaire3
PAR
LA
VENTE
RÉPARTITION DES SURFACES AGRICOLES
PAR TYPE DE PROPRIÉTAIRE
SOURCE: ÉTUDE CEREMA/TERRE DE LIENS, 2022
51%
34%
PROPRIÉTAIRES PRIVÉS
(PERSONNES PHYSIQUES)
INDIVISIONS (CONSTITUÉES DE PERSONNES
PHYSIQUES)
Réguler le marché des parts
de société : un enjeu aussi pour
l’installation
Sociétés financiarisées : Propriétaires fonciers de demain ?
Au cours des dernières décennies, les fermes sous forme de sociétés ont connu
un essor important. Parmi elles, des sociétés financiarisées, dont le capital est
ouvert, ce qui permet à des investisseurs qui ne participent pas aux travaux
agricoles de prendre le contrôle de la ferme. Une ferme sur dix est une société financiarisée aujourd’hui. Elles cultivent 14% de la SAU, une surface qui a
presque doublé en 20 ans1
. Cette ouverture aux investisseurs extérieurs augmente leurs capacités financières et d’investissement dans la terre. La fédération nationale des Safer constate ainsi que les sociétés agricoles à capital ouvert
sont non seulement impliquées dans un plus grand nombre de transactions
mais qu’elles achètent aussi des parcelles en moyenne plus grandes et plus
chères que les personnes physiques et les GAEC6
.
L’émergence d’un marché des terres parallèle peu régulé
Le marché des parts de société permet par ailleurs d’acquérir ou de contrôler
des terres agricoles sans passer par le marché foncier, contournant ainsi les
mécanismes existant pour lutter contre la spéculation et la concentration foncière. En 2021, 4750 sociétés agricoles ont ainsi fait l’objet d’un ou plusieurs
transferts de parts sociales : ces sociétés mettent en valeur plus de 600000 ha
de terres agricoles6
. Si la loi donne des prérogatives aux Safer pour assurer la
régulation du marché foncier, leur capacité d’action est fortement limitée sur le
marché des parts sociales, leur droit de préemption ne s’appliquant que lorsque
100% des parts sont mises en vente. En 2021, seuls 3% des cessions de parts
sont totales ; dans 97% des cas, les Safer n’avaient aucun moyen d’intervenir5
.
Une loi qui favorise encore la concentration des terres
Adoptée en 2021, la «loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de
l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires» - dite loi Sempastous – soumet les cessions partielles à une autorisation administrative, dès
lors que la cession génère le dépassement d’un seuil d’agrandissement significatif.
Mais sa portée est limitée et inégalitaire: en Ile-de-France par exemple, un couple
d’agriculteurs, avec des sociétés d’exploitations distinctes, pourrait atteindre plus
de 822 ha (plus de 1000 terrains de football) sans avoir à se soumettre à une autorisation administrative. La loi prévoit d’autres échappatoires, renforçant l’incohérence entre une politique affichée de renouvellement des générations, et celle mise
en œuvre, qui favorise l’agrandissement des fermes et la concentration des terres.
Notre
recommandation
Renforcer la régulation
des transferts de parts
sociales (III) et développer
une gouvernance
démocratique
et transparente des terres
agricoles (IV)
42%
des fermes
sont des
sociétés1
EARL GAEC
Sociétés
à capital
ouvert
20%
11%
11%
PART DE LA SAU PROPRIÉTÉ
DE SOCIÉTÉS AGRICOLES
(GFA ET SOCIÉTÉS D’EXPLOITATION
AGRICOLE)
SOURCE: ÉTUDE CEREMA/TERRE
DE LIENS, 2022
0-3%
3-5%
5-10%
10-15%
15-25,5%
5%
7,5%
2,5%
ENTITÉS PUBLIQUES (ÉTAT, RÉGION,
DÉPARTEMENT, COLLECTIVITÉ TERRITORIALE....)
SOCIÉTÉS AGRICOLES
(PERSONNES MORALES)
AUTRES SOCIÉTÉS
(PERSONNES MORALES NON AGRICOLES)
CHIPS ET FINANCIARISATION DES TERRES BRETONNES7
Des entreprises agroalimentaires ont vite compris l’intérêt des sociétés financiarisées.
C’est le cas du groupe Altho, qui fabrique les chips Bret’s en Bretagne. Au cours des dernières
années, le groupe a profité du départ en retraite d’agriculteurs du coin pour transformer des
fermes moyennes en sociétés à capital ouvert, permettant au groupe d’entrer au capital
de la ferme, d’en devenir l’investisseur majoritaire8
, et ainsi de prendre le contrôle direct
de terres agricoles, travaillées par des ouvriers.
Recommandations
 I. ASSURER LA TRANSPARENCE SUR LA PROPRIÉTÉ
 ET L’USAGE DES TERRES AGRICOLES
Créer un observatoire des terres agricoles permettant de caractériser
précisément la structure de la propriété et l’usage des terres agricoles
en France et de mesurer les évolutions en cours ;
Garantir l’accès aux données pour la recherche, les organes en charge
de la régulation foncière, les partenaires locaux impliqués et les ONG.
 II. INCITER LES PROPRIÉTAIRES FONCIERS À MAINTENIR LA VOCATION
 AGRICOLE DE LEURS TERRES
Supprimer les plus-values foncières réalisées par les propriétaires
en cas de changement d’usage;
Renforcer l’application des sanctions en cas de non-respect
des décisions prises par les instances de régulation,
Safer pour les ventes de terres et commission départementale d’orientation
agricole (CDOA) pour les autorisations d’exploiter.
 III. RENFORCER LA RÉGULATION DES TRANSFERTS DE PARTS SOCIALES
 (LOI SEMPASTOUS)
Aligner le seuil de déclenchement du contrôle des transferts
de parts sociales sur le seuil d’agrandissement excessif, défini dans
les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA) ;
Soumettre l’ensemble des cessions de parts de société contrôlant
des terres à autorisation administrative;
Abroger la mesure prévoyant de donner l’autorisation de cession
à défaut de réponse de l’administration;
S’assurer que les mesures compensatoires font revenir les surfaces
en dessous du seuil d’agrandissement excessif ;
Améliorer la transparence en permettant aux Safer d’identifier les
bénéficiaires effectifs de sociétés et les surfaces agricoles qu’ils contrôlent.
 IV. DÉVELOPPER UNE GOUVERNANCE DÉMOCRATIQUE
 ET TRANSPARENTE DES TERRES AGRICOLES
Fixer un cadre commun aux SDREA permettant de définir des
critères objectifs d’orientation des terres agricoles qui répondent mieux
aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de l’agriculture
et de l’alimentation, tels qu’inscrits dans le Code rural (article 1) et qui
s’appliquent aux différents marchés d’accès à la terre;
Harmoniser la régulation foncière articulant les instances
de régulation (Safer et CDOA), soumettant à autorisation administrative
tous les projets de location, de vente de terres agricoles et de vente de parts
de société disposant de droits d’usage de terres agricoles ;
Garantir la participation effective aux instances de régulation
des représentants des syndicats agricoles, des élus du territoire
et des organisations citoyennes et environnementales, sous
le contrôle du représentant de l’État, ainsi que la transparence des débats
et décisions vis-à-vis du grand public. 

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