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Billet de blog 29 mars 2024

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CE QUE C'EST D'ETRE REVOLUTIONNAIRE

La progression de l’extrême droite,  y compris  dans les "grandes démocraties occidentales" avec leur aile fasciste, où des milices organisées pratiquant la violence sont impliquées, n'est pas un phénomène passager. Le facteur aggravant est que la variante la plus réactionnaire recueille le consensus d'une grande partie de la population

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CE QUE C'EST D'ETRE REVOLUTIONNAIRE

Alejandro Teitelbaum

I. La progression de l’extrême droite y compris  dans les "grandes démocraties occidentales" avec leur aile fasciste, où des milices organisées pratiquant la violence sont impliquées, n'est pas un phénomène passager, et encore moins un phénomène anodin.

Le facteur aggravant est que la variante la plus réactionnaire recueille le consensus d'une grande partie de la population, malgré qu'elle souffre de la crise économique et qu'elle soit victime de l'exploitation et de l'oppression capitalistes, qui augmentent rapidement.

Non sans lien avec ce paradoxe - les pauvres faisant confiance aux plus riches qui les exploitent –à laquelle contribue le délitement  politique et idéologique des partis de gauche traditionnels, PS et PCF[1], qui ont perdu la plupart de leurs adhérents et sympathisants. Et les errements des nouvelles gauches.

La représentation politique de la gauche, dont les formations traditionnelles risquaient de disparaître, a donc été réduite au minimum.

LFI a alors émergé, avec un programme résolument alternatif à celui des classes dirigeantes au pouvoir et sa proposition du NUPES, qui, outre le fait de dépasser en partie les ambiguïtés et les renoncements programmatiques du PCF, du PS et d'EELV, leur offrait une bouée de sauvetage face à la perspective de leur quasi-disparition des instances électives.

LFI et NUPES ont suscité un écho positif chez de nombreuses personnes aux idées de gauche, mais elles ont perdu leur enthousiasme initial en constatant le fonctionnement concret de ces deux instances, alourdies par les idéologies dominantes et, en particulier LFI, par leur organisation gazeuse et verticaliste.

LFI, en contradiction avec sa proposition de transformer/démocratiser l'appareil d'État, consacre une attention disproportionnée aux institutions existantes, sur lesquelles elle semble confier pour obtenir des changements positifs significatifs dans la situation politique, économique et sociale en train de se dégrader rapidement[2]. Et  commet des erreurs stratégiques et tactiques[3] qui ne contribuent pas à modifier les rapports de force au sein de la population. Dans le cadre de l'attention quasi obsessionnelle que LFI consacre aux futurs échéances électoraux.

Des origines du capitalisme à nos jours, l'État a été et est "une machine essentiellement capitaliste, l'État des capitalistes".

Il ne s'agit donc pas d'"améliorer" l'État, mais de le démanteler et de le transformer en des formes institutionnelles totalement différentes, qui donnent le pouvoir de décision à ceux qui travaillent (ce qui n'est pas la même chose qu'une "participation" formelle aux décisions prises par les "dirigeants"). Et établir mandats révocables et non renouvelables à tous les niveaux afin de  constituer une barrière insurmontable à la formation de bureaucraties.

Parallèlement, avec le démantèlement de l’Etat capitaliste,  les rapports de production capitalistes doivent être  abolis, en socialisant les instruments et les moyens de production et d'échange. En d'autres termes, un socialisme démocratique et participatif consistant en un système - jusqu'ici inédit dans le monde - basé sur la propriété sociale ou collective des instruments et des moyens de production et d'échange et sur des formes institutionnelles permettant l'intervention active et consciente des individus et des collectivités dans la prise de décision à tous les niveaux et à toutes les étapes, depuis la détermination des objectifs et des moyens pour les atteindre jusqu'à leur mise en œuvre et au contrôle et à l'évaluation des résultats.

En gardant toujours à l'esprit l'avertissement d'Engels dans l'introduction de 1891 à La guerre civile en France : " (...) une vénération superstitieuse de l'État et de tout ce qui s'y rattache, vénération superstitieuse qui s'enracine dans les consciences d'autant plus facilement qu'on est habitué dès l'enfance à penser que les affaires et les intérêts communs à toute la société ne peuvent être gérés et sauvegardés autrement que comme ils l'ont été jusqu'à présent, c'est-à-dire au moyen de l'État et de ses fonctionnaires bien rémunérés. Et l'on croit qu'il a fait preuve d'une énorme audace en se débarrassant de sa foi en la monarchie héréditaire et en s'enthousiasmant pour la république démocratique. En réalité, l'État n'est rien d'autre qu'une machine à opprimer une classe par une autre, que ce soit dans la république démocratique ou sous la monarchie ; et dans le meilleur des cas, c'est un mal qui se transmet héréditairement au prolétariat triomphant dans sa lutte pour la domination de classe".

Tel devrait être le projet de ceux qui veulent vraiment un changement radical de société conduisant à la libération et à la réalisation de l'être humain. Qui devraient préfigurer dans leurs propres organisations, avec la participation de tous leurs membres aux délibérations et décisions.

Dans les partis de gauche, même ceux qui se disent contre les castes partisanes (comme Podemos en Espagne), l'idée prédomine, parfois avec des citations de Platon - et ils la mettent en pratique - que les fonctions dirigeantes et représentatives doivent correspondre principalement aux élites intellectuelles (qui pour des raisons économiques et sociales évidentes sont issues des classes sociales moyennes et supérieures, détentrices du "capital culturel") qui seraient mieux préparées à les exercer que les "simples" travailleurs. Et, de fait, le pouvoir de décision revient à un cercle étroit de dirigeants, voire à une seule personne.

II. Le journaliste Marc Bassets (https://elpais.com/internacional/2023-11-26/no-hay-una-ola-ultra-en-las-democracias-es-una-corriente-de-fondo.html) cite le professeur Marc Lazar, qui parle de trois crises :

La première est la crise de la démocratie représentative. "Il y a une défiance et un rejet de la classe politique et des institutions, et le sentiment que les dirigeants politiques sont éloignés des préoccupations de la population" et les mouvements populistes de droite sont présentés non pas comme des mouvements autoritaires, comme par le passé, mais comme les plus démocratiques, les plus proches du peuple".

La deuxième crise est sociale. Elle ne se résume pas aux inégalités. C'est aussi "le sentiment, dans une partie de la société, qu'elle n'est pas prise en considération", dit Lazar.

La troisième crise est culturelle et a trait à l'identité : "Est-on français, ou européen, ou néerlandais ou européen ?". À cela, Lazar ajoute l'immigration : "Le pluralisme culturel et religieux et les attentats islamistes provoquent des peurs et des inquiétudes que les populistes de droite instrumentalisent".

III.À travers l’analyse de la pensée du philosophe Antonio Gramsci, le sociologue Razmig Keucheyan[4] souligne l’importance d’une pratique révolutionnaire menée simultanément sur les fronts politiques, économiques et culturels. Il invite ainsi à nous extraire du piège de la « bataille des idées », tendu par les forces néolibérales et conservatrices, qui contrôlent la quasi-intégralité des moyens de production intellectuels.

On cite souvent Gramsci pour dire une chose banale : les idées comptent en politique. Mais affirmer que c’est Gramsci qui l’a dit permet de se donner un air de mystère et de profondeur... Il y a des auteurs comme ça dans l’histoire des idées, Machiavel en est un autre. Cela tient souvent au fait que leur œuvre est difficile d’accès et aussi qu’ils ont pratiqué ce que Leo Strauss appelle l’« art d’écrire » : compte tenu de la persécution dont ils ont fait l’objet – Gramsci a passé les dix dernières années de sa vie dans les prisons de Mussolini – le texte comporte une part ésotérique, il est parfois écrit dans un langage qui doit être décodé, ce qui fait des décodeurs des initiés. L’expression « bataille culturelle » n’existe en effet pas chez Gramsci.

Il distingue dans la pratique révolutionnaire trois « fronts » : le « front politique », le « front économique » et le « front culturel ». Il n’y a aucune priorité de ce dernier sur les deux autres. Il ne s’agit pas d’abord d’imposer ses idées dans le débat public pour ensuite pouvoir mettre en œuvre une politique. La bataille doit être menée sur les trois fronts simultanément, avec bien sûr des rythmes qui selon la conjoncture peuvent être discordants. En bon léniniste, Gramsci considère que le « front politique » est le plus important : il revient au parti révolutionnaire – en l’occurrence le Parti communiste italien dont il est l’un des fondateurs en 1921 – de mettre en cohérence l’intervention dans ces trois domaines. 

Enfin, élément crucial, le « front culturel » n’est pas réservé aux intellectuels étroitement définis. Un syndicaliste peut mener la lutte sur ce front aussi bien qu’un universitaire. Dans la bataille contre la réforme des retraites, pour prendre un exemple qui nous occupe en ce moment, l’intersyndicale mène une lutte économique, concernant la répartition des richesses, mais aussi une lutte culturelle, lorsqu’elle défend la légitimité du régime par répartition contre la capitalisation, et la vision de la société qui le sous-tend. 

Résultat, ce n’est pas comme s’il y avait un marché des idées libre et non faussé sur lequel des idées en concurrence cherchent à convaincre les citoyens de la justesse de leur point de vue. Il y a un quasi-monopole des moyens de production et de diffusion intellectuels par les forces néo-libérales et conservatrices. C’est pour ça que nous, la gauche, allons droit dans le mur quand nous formulons le problème en termes de « bataille des idées » : faire porter le conflit sur les « signifiants », comme le fait un certain « populisme de gauche », sur la communication, faire de l’intervention sur les réseaux sociaux le cœur de l’activité politique, etc. En dernière instance, dans le capitalisme, tout est toujours affaire de propriété des moyens de production, en l’occurrence intellectuels. Or pour changer la structure de la propriété dans nos sociétés, une intervention coordonnée sur les trois « fronts » est nécessaire.

Un article de Valentino Gerratana, publié en 1995[5], résume bien la pensée de Gramsci à ce sujet:  

"Le concept d'hégémonie, écrit Gerratana, est au centre du développement de la pensée politique et pédagogique d'Antonio Gramsci. Qu'il utilise le terme "hégémonie" ou des termes équivalents (par exemple "leadership intellectuel et moral"), ce qui intéresse le plus Gramsci est l'importance essentielle du cadre de référence dans lequel le concept s'enracine. Gramsci se réfère souvent à Lénine comme au "théoricien de l'hégémonie", faisant référence aux "écrits de Lénine pour défendre l'hégémonie du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise". Lénine a écrit : "Du point de vue du marxisme, une classe qui nie l'idée d'hégémonie, ou qui ne la comprend pas, n'est pas, ou n'est pas encore, une classe, mais une corporation [c'est-à-dire un simple syndicat] ou une somme de diverses corporations". Et, c'est, ajoute Lénine, " précisément la conscience de l'idée d'hégémonie " qui doit transformer " une somme de corporations en une classe " (Lénine, Œuvres complètes, XVII) ". Gerratana cite ensuite Gramsci : "Le prolétariat, pour pouvoir gouverner comme classe, doit se dépouiller de tout résidu corporatif, de tout préjugé ou incrustation syndicaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que non seulement il faut dépasser les distinctions qui existent entre profession et profession, mais qu'il est nécessaire [...] de dépasser certains préjugés et de surmonter certains égoïsmes qui peuvent subsister et subsistent dans la classe ouvrière en tant que telle, même lorsque les particularismes professionnels en ont disparu. Le métallurgiste, le charpentier, le maçon, etc. doivent penser, non seulement comme prolétaires et non plus comme métallurgistes, charpentiers, maçons, etc. mais ils doivent faire un pas de plus : ils doivent penser comme ouvriers, membres d'une classe qui tend à entraîner les paysans et les intellectuels, d'une classe qui ne peut gagner et ne peut construire le socialisme que si elle est aidée et suivie par la majorité de ces couches sociales " (Gramsci, La question méridionale, 1926) ". Et Gerratana de poursuivre : "Mais une classe qui parvient à diriger, et pas seulement à dominer, dans une société fondée économiquement sur l'exploitation de classe, et dans laquelle elle veut perpétuer cette exploitation, est obligée d'utiliser des formes d'hégémonie qui dissimulent cette situation et mystifient cette exploitation : elle a donc besoin de formes d'hégémonie appropriées pour susciter un consensus manipulé, un consensus d'alliés subalternes. Une relation d'alliance dans une société structurée sur l'exploitation de classe n'est pas possible d'une autre manière".

La situation de la classe ouvrière dans la lutte pour sa propre hégémonie est différente. Alors que l'hégémonie bourgeoise, en essayant de concilier des intérêts opposés et contradictoires, est structurellement incapable de transparence, parce qu'elle doit masquer l'antagonisme des relations économiques et cacher en quelque sorte la réalité, le premier intérêt du prolétariat est précisément le dévoilement des tromperies idéologiques qui cachent la dialectique de la réalité. C'est précisément le signe distinctif du marxisme en tant que philosophie de la praxis : le marxisme "ne tend pas à résoudre pacifiquement les contradictions existant dans l'histoire ou dans la société, mais est la théorie même de ces contradictions ; il n'est pas l'instrument de gouvernement des groupes dominants pour parvenir à un consensus et exercer une hégémonie sur les classes subalternes : " c'est l'expression de ces classes subalternes qui veulent s'éduquer à l'art du gouvernement et qui ont intérêt à connaître toute la vérité, même la vérité désagréable, et à éviter les tromperies (impossibles) de la classe supérieure et, a fortiori, d'eux-mêmes " (Gramsci, Cahiers de prison, 1320). Ainsi, en pensant aux classes subalternes qui tentent de s'éduquer à l'art du gouvernement, Gramsci peut parler d'une relation d'hégémonie qui est aussi, nécessairement, 'une relation pédagogique'. Il s'agit cependant d'une pratique pédagogique dans laquelle "le lien entre le maître et l'écolier est un lien actif, fait de relations réciproques et [dans lequel], par conséquent, chaque maître est toujours un écolier, et chaque écolier, un maître" (Gramsci, Cahiers...1331). " Une hégémonie sans tromperie est donc ce qui distingue l'hégémonie du prolétariat de l'hégémonie bourgeoise : c'est pourquoi Gramsci ne se lasse pas de souligner que " dans la politique de masse, dire la vérité est une nécessité politique " (Gramsci, Cahiers... 700). C'est évidemment le contraire du principe bien connu de la tradition bourgeoise, selon lequel la capacité de mentir est essentielle à l'art de la politique, "savoir dissimuler avec ruse ses véritables opinions et les véritables fins que l'on vise" (Cahiers... 699) ». " La capacité de diriger n'est pas offerte à la classe ouvrière comme un don du ciel : au contraire, elle doit être conquise dans la pratique politique à partir de l'expérience primitive de ce que Gramsci appelle la phase économico-corporative (lorsque la classe ouvrière, selon l'expression de Lénine, n'est pas encore proprement une classe, mais une corporation ou une somme de corporations). On ne peut parler d'une idée de l'hégémonie du prolétariat que lorsque des éléments de connaissance de la réalité sociale commencent à entrer dans la conscience de la classe ouvrière, qui devient ainsi capable, tout en sacrifiant les intérêts particularistes immédiats, de profiter de la convergence de ses propres intérêts permanents [...] avec les intérêts des autres couches sociales, et est donc en mesure de construire une politique d'alliances ».  

 IV. LA MÉTHODE

L'étude du fonctionnement du capitalisme, comme toute autre étude d'un phénomène social ou naturel, requiert une théorie, un instrument épistémologique ou méthode de connaissance adéquate pour examiner les faits afin de pouvoir en abstraire les traits essentiels, les régularités, jusqu'à ce que ces multiples caractéristiques ou déterminations puissent être reconstruites en la pensée en une unité, en "la pensée concrète", comme l'appelait Marx. Il s'agit d'un processus permanent, car cette "pensée concrète" nécessite un feed back permanent par sa vérification dans la pratique. 

Marx et Engels s’appuyant sur le matérialisme et, en l’appliquant à l’histoire, ont defini la méthode de     pensée des marxistes, le matérialisme historique. Pour les marxistes, toutes les théories et représentations du monde sont déterminées historiquement, y compris bien sûr la dialectique matérialiste elle-même. L’idée que les humains se font d’eux-mêmes et du monde est déterminée par les conditions matérielles de production de leurs moyens d’existence, d’échange, par l’organisation de la société qui découle de ces conditions de production, tant du point de vue des connaissances qui accompagnent cette production que de l’organisation de la division du travail et des classes sociales.

Donc, pour comprendre le monde, et si on veut agir efficacement avec l'ambition de contribuer à changer radicalement la société, il est indispensable de savoir manier la méthode  approprié : le  matérialiste, dialectique et historique. Une exposition accessible de celui-ci  se trouve en Karl Marx, 1859, Introduction à la critique de l’économie politique. Dont  le chapitre III est consacré à l'explication de la méthode[6].

 NOTES

 [1] Il faut ajouter qu'une grande partie de l'électorat ouvrier du PCF a migré vers le FN/RN.

 [2] Quand il y a un résultat positif au Parlement, LFI exulte. Oublie que le pouvoir est agencé pour neutraliser la mise en œuvre dudit résultat, aussi modeste soit-il. Et avec cette approche, LFI contribue à créer de fausses illusions sur l’État capitaliste.

Et encore, comme on peut le constater, les grandes puissances sont en train de démolir tout le système de droit international des droits de l’homme développé depuis longtemps.

 [3] Lors du débat parlementaire sur le relèvement de l'âge de la retraite, LFI a choisi d'utiliser la tactique du blocage et du happening au lieu de se servir de l'AN comme d'une plateforme pour expliquer à la population le contenu réactionnaire et antipopulaire du projet du gouvernement.

 [4] https://www.socialter.fr/article/razmig-keucheyan-front-culturel-antonio-gramsci

 [5]Le concept d'hégémonie dans l'œuvre de Gramsci (https://matricola7047.wordpress.com/2013/10/13/el-concepto-de-hegemonia-en-la-obra-de-gramsci/). Les citations des Cahiers de prison de Gramsci dans l'article de Gerratana sont tirées de l'édition publiée par Gerratana. Rome, Einaudi, 1975.

 [6] Marx, Introduction à la critique de l’économie politique ,Ch. III. La méthode de l’économie politique. Quand nous considérons un pays donné au point de vue de l'économie politique, nous commençons par étudier sa population, la division de celle-ci en classes, sa répartition dans les villes, à la campagne, au bord de la mer, les différentes branches de production, l'exportation et l'importation, la production et la consommation annuelles, les prix des marchandises, etc. Il semble que ce soit la bonne méthode de commencer par le réel et le concret, qui constituent la condition préalable effective, donc en économie politique, par exemple, la population qui est la base et le sujet de l'acte social de production tout entier. Cependant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que c'est là une erreur. La population est une abstraction si l'on néglige par exemple les classes dont elle se compose. Ces classes sont à leur tour un mot creux si l'on ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital etc. Ceux-ci supposent l'échange, la division du travail, les prix, etc. Le capital, par exemple, n'est rien sans le travail salarié, sans la valeur, l'argent, le prix, etc. Si donc on commençait ainsi par la population, on aurait une représentation chaotique du tout et, par une détermination plus précise, par l'analyse, on aboutirait à des concepts de plus en plus simples; du concret figuré ou passerait à des abstractions de plus en plus minces, jusqu'à ce que l'on soit arrivé aux déterminations les plus simples. Partant de là, il faudrait refaire le chemin à rebours jusqu'à ce qu'enfin on arrive de nouveau à la population, mais celle-ci ne serait pas, cette fois, la représentation chaotique d'un tout, mais une riche totalité de détermi­na­tions et de rapports nombreux. La première voie est celle qu'a prise très historiquement l'économie politique à sa naissance. Les économistes du XVII° siècle, par exemple, commen­cent toujours par une totalité vivante : population, nation, État, plusieurs États; mais ils finissent toujours par dégager par l'analyse quelques rapports généraux abstraits déterminants tels que la division du travail, l'argent, la valeur, etc. Dès que ces facteurs isolés ont été plus ou moins fixés et abstraits, les systèmes économiques ont commencé, qui partent des notions simples telles que travail, division du travail, besoin, valeur d'échange, pour s'élever jusqu'à l'État, les échanges entre nations et le marché mondial. Cette dernière méthode est manifeste­ment la méthode scientifique correcte. Le concret est concret parce qu'il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C'est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu'il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation. La première démarche a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la repro­duc­tion du concret par la voie de la pensée. (Karl Marx, 1859, Introduction à la critique de l’économie politique

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1857/08/km18570829.htm ).

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