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Billet de blog 29 mars 2025

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LE MYTHE DE LA DÉMOCRATIE RÉPRESENTATIVE

Chapitre 14 du livre MAISON TERRE, ÉTATS DE LIEUX. Edit. Dunken. décembre 2024. Auteurs: Mirta SOFIA TEITELBAUM et Alejandro TEITELBAUM

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Il est de plus en plus clair que dans les conditions du capitalisme contemporain, monopoliste et impérialiste et en état de crise permanente, il n'y a plus de place pour la participation populaire à la prise de décisions, puisque l'État et les institutions nationales, régionaux   et  internationaux sont fonctionnels à la reproduction et à la préservation du système.

Un premier constat est que, tant que le système dominant dispose du consensus des majorités populaires, c'est-à-dire tant qu'elles acceptent la délégation de la direction de l'État aux classes exploiteuses et à leurs agents politiques, le système peut se permettre des régimes dits démocratiques et même  progressistes, meilleurs garants de sa continuité et de sa stabilité que les régimes ouvertement dictatoriaux. Lorsque le consensus prend fin, la "démocratie représentative" prend fin aussi et les coups d'État et les dictatures s'installent.

Les analyses de Marx et de Lénine sont un outil indispensable pour comprendre les questions de l'État et de la "démocratie représentative" et pour les replacer dans leur contexte historique, économique et social. Lénine, contrairement aux théoriciens bourgeois de l'État qui considèrent que l'État est au-dessus des classes et agit comme un arbitre entre elles, affirme que l'État est un produit de la société de classe et fonctionne comme un appareil de domination et de répression des classes dominantes sur les classes subordonnées. Toutes ses composantes  jouent ce rôle : les élites et la bureaucratie dirigeantes, l'armée, la police, le système judiciaire, le système éducatif, etc. À travers l'État, une minorité d'exploiteurs exerce sa dictature sur les majorités d'exploités. Même si elle prend la forme d'une démocratie représentative.

Lénine écrit :

Selon Marx, l'État est un organisme de domination de classe, un organisme d'oppression d'une classe par une autre ; c'est la création d'un "ordre" qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes.

 Et plus loin, il cite Engels, qui écrivait en 1891 : "Dans la république démocratique, la richesse exerce son pouvoir de façon indirecte, mais d'autant plus sûre", et l'exerce, d'une part, par la "corruption directe des fonctionnaires" (Amérique du Nord), et, d'autre part, par "l'alliance du gouvernement avec la Bourse" (France et Amérique du Nord)".

Et Lénine poursuit : "A l'heure actuelle, l'impérialisme et la domination des Banques ont "développé" en un art extraordinaire ces deux méthodes propres à défendre et à mettre en pratique la toute-puissance de la richesse dans les républiques démocratiques, quelles qu'elles soient (...).".

Deux phrases qui peuvent être écrites en 2024, sans changer une virgule.

De cette caractérisation de l'État bourgeois, Lénine conclut que la première tâche d'une révolution socialiste est de détruire l'appareil d'État de la bourgeoisie et d'ériger ce qu'il appelle un "semi-État prolétarien" aux caractéristiques absolument différentes de celles de l'État capitaliste. Dès sa création, le semi-État prolétarien doit entamer un long processus vers son extinction qui progresse, à mesure que la base économique (propriété collective des moyens de production) est établie, et les classes, et donc l'antagonisme entre elles, s'éteignent. Lénine écrit que l'administration sur les personnes cesse et qu'il ne reste que l'administration sur les choses.

Ce processus d'extinction progressive de l'État ne peut avoir lieu que si les changements économiques visant à l'abolition totale de l'exploitation capitaliste sont approfondis. L'expérience indique que lorsque cette voie n'est pas suivie, la régression et la restauration du capitalisme et de l'exploitation qui lui est inhérente sont inévitables. De même, comme le montre l'expérience historique, la stagnation et la régression peuvent se produire si la démocratie socialiste n'est pas approfondie de façon permanente. L'approfondissement de la socialisation de l'économie et l'approfondissement de la démocratie socialiste ne sont interdépendants, ce sont les deux faces d'une même médaille : il ne peut y avoir de démocratie socialiste sans économie socialiste, et il ne peut y avoir et perdurer une économie socialiste sans démocratie socialiste. La démocratie est, selon la définition commune, le système politique de gouvernement dont l'autorité émane du peuple, ou comme Lincoln l'a défini: le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Mais qu'est-ce que la démocratie en termes concrets dans le contexte du système capitaliste et que devrait être la démocratie socialiste ? Lénine écrit : "Nous sommes favorables à la république démocratique comme la meilleure forme d'État pour le prolétariat sous le capitalisme, mais nous n'avons pas le droit d'oublier que l'esclavage salarié est le sort réservé au peuple même sous la république bourgeoise la plus démocratique. Tout État est une "force spéciale de répression" de la classe opprimée. C'est pourquoi tout État n'est ni libre ni populaire".

Plus loin, au paragraphe 2 du chapitre VI de L'État et la Révolution, Lénine insiste : "Les ouvriers, après avoir conquis le pouvoir politique, détruiront l'ancien appareil bureaucratique, le démonteront jusqu'à ses fondements, n'en laisseront pas une pierre sur une pierre, le remplaceront par un nouvel appareil, composé des ouvriers et des employés eux-mêmes, contre la transformation en bureaucrates desquels seront immédiatement prises les mesures analysées en détail par Marx et Engels : 1) non seulement l'éligibilité, mais l'amovibilité à tout moment ; 2) un salaire ne dépassant pas le salaire ouvrier ; 3) il sera immédiatement transmis à tous ceux qui ont des fonctions de contrôle et d'inspection, à tous ceux qui sont des "bureaucrates" pendant un certain temps, de sorte que, de cette façon, personne ne peut devenir un "bureaucrate". Et Lénine ajoute dans l'une des dernières pages : "Sous le socialisme, tout le monde se relaiera dans la gestion et s'habituera rapidement au fait que personne ne sera aux commandes".

Les idées de Marx et de Lénine sur l'État sont encore pleinement d'actualité parce qu'elles ne consistent pas en une représentation idéaliste, anhistorique, statique et schématique de l'État, mais, partant de ses multiples aspects, dans un processus de synthèse, elles en sauvent les traits essentiels qui persistent, parce qu'il ne s'agit pas d'un État abstrait, mais d'un État capitaliste, qui s'adapte aux conditions changeantes du système dominant.

Il convient donc d'analyser l'État contemporain en relation avec l'état actuel du système capitaliste, qui se caractérise par une transnationalisation totale et une crise quasi permanente. L'État apparaît comme un appareil administratif médiateur entre des groupes et des classes aux intérêts contradictoires  afin de préserver "l'intérêt général " qui n'est autre que la reproduction - de préférence pacifique - du système existant.

Cette fonction médiatrice de l'État était relativement réelle dans les premières étapes de l'évolution et de la consolidation du système capitaliste. Nous écrivons "relativement réelle" parce que l'État a toujours fonctionné comme un garant - par des moyens pacifiques ou violents - de la reproduction du système. Cette fonction médiatrice change avec la pénétration progressive des rapports capitalistes, où la puissance des seules conditions économiques installe la soumission complète de l'État au capital et détermine la forme et la fonction de l'État.

L’autonomie relative de l'État et son rôle de médiateur (tant des États nationaux que des organisations internationales) ont cessé, et sa soumission complète au capital a culminé avec la transnationalisation de l'économie au cours des dernières décennies.

  En 2017  nous écrivions : ... Il est de plus en plus évident que le mythe de la démocratie "représentative", ou de la "démocratie délégative" comme certains l'appellent, est en état de décomposition avancée. Cette démocratie consiste à ce que les citoyens soient périodiquement appelés à choisir entre différents noms sur le bulletin de vote et à opter pour ceux qu'ils croient - après avoir subi un lavage de cerveau pendant la campagne électorale - être les personnes qui représenteront le mieux leurs intérêts et leurs opinions, en leur déléguant - sans limitation ni contrôle ultérieur - le pouvoir de décider de tout ce qui peut affecter leur propre existence d'une manière ou d'une autre ... Le vote des citoyens subit le conditionnement de la propagande électorale canalisée par les oligopoles médiatiques gouvernementaux ou au service des secteurs de la bourgeoisie opposés au gouvernement en place, où les propositions alternatives de certains mouvements de gauche n'apparaissent pratiquement pas.

En règle générale, les élus font le contraire de ce qu'ils ont promis. Parce que - comme le pensent les politiciens professionnels et certains le disent à haute voix - c'est une chose de faire campagne pour des élections et une autre de gouverner.

Depuis quelques années, de nombreux citoyens ont cessé de croire en ce système et l'ont montré en s'abstenant de voter (les chiffres de l'abstentionnisme sont de plus en plus élevés) ou en déclarant, dans différentes enquêtes, leur manque total de confiance dans les politiciens et les partis politiques en général. Ce dernier point se reflète également dans la chute verticale du nombre de membres des partis, toutes tendances confondues[1]. En substitution des partis, des mouvements hétéroclites d'"indignados" apparaissent, qui finissent par s'éteindre.

Un autre élément qui montre la dégradation progressive de la démocratie représentative est l'analyse de la composition sociale des parlements - la supposée "représentation populaire" - où les classes populaires, et en particulier les ouvriers, n'ont jamais été représentés proportionnellement à leur poids démographique. Et au cours des dernières décennies, la courbe de cette représentation a été descendante jusqu'à ce qu'elle soit aujourd'hui, en ce qui concerne les travailleurs, presque nulle. Les taux les plus élevés correspondent, dans certains pays, aux périodes où les partis communistes et sociaux-démocrates qui comptaient une proportion relativement élevée de travailleurs dans leurs rangs, ce qui se reflétait en partie dans leur représentation parlementaire. Mais aujourd'hui, le divorce entre les partis sociaux-démocrates et communistes et les classes ouvrières c’est un fait.

Par exemple en France, dans la première Assemblée nationale d'après-guerre, où le parti communiste avait 150 députés sur 522, les ouvriers et employés représentaient 18,8% des députés, le taux le plus élevé depuis la création de l'Assemblée nationale en 1871. Déjà en 1958, ce taux était tombé à 4 %, en 1967 il est passé à 9 % et en 2012 il était de 2 %.  Alors que dans la société française, les ouvriers et les employés représentent près de 50% de la population active[2] .

Environ 80% des députés français entrés au Parlement en 2007 et 2012 sont issus des catégories aisés de la population (industriels, chefs d'entreprises, professions libérales, cadres supérieurs, etc.) catégories qui représentent entre 13 et 14% de la population [3]. À la suite des élections de 2022, on a constaté une augmentation presque imperceptible, tous partis confondus, de la présence de travailleurs à l'AN.

 Un tableau statistique, tiré d'enquêtes réalisées par l'Institut de recherche sur les élites parlementaires de l'Université de Salamanque, fournit les données suivantes sur le pourcentage de députés d'origine ouvrière ou artisanale dans certains pays d'Amérique latine : Argentine 2,2 % ; Bolivie 11,2 ; Chili 4,6 ; Uruguay 8,3 et Brésil 0,8 % [4].

En Espagne, 95% des députés élus lors des élections du 20 décembre 2015 ont un diplôme universitaire (Partido Popular 99%, PSOE 96%, Podemos 88%, Ciudadanos 93% et d'autres atteignent 100%). Information publiée dans El País (Espagne), p. 19, le 27/12/2015.

Les élections en France (2017  et 2022) sont un véritable archétype  de la "démocratie représentative" de l'État bourgeois contemporain. Macron, catapulté par le capital financier et avec la complicité de certains dirigeants politiques et avec le soutien inconditionnel des médias et de ses patrons, a obtenu au premier tour de l'élection présidentielle 32% des suffrages exprimés et 16% des inscrits sur les listes électorales, car il y a eu 50% d'abstentions. Au second tour, où s'affrontaient Macron et Marine Le Pen, un tiers des électeurs ont choisi de ne pas voter pour l'un ou l'autre, soit en s'abstenant, soit en déposant un bulletin blanc ou nul. Macron a remporté une victoire confortable avec 66 % des votes positifs, motivé avant tout par le fait d'empêcher le triomphe de l'extrême droite. En France , lors des élections législatives qui ont suivi les élections présidentielles, 7878 candidats de plus d'une douzaine de partis se sont présentés. 135 d'entre eux (2 %) ont déclaré être des ouvriers. Parmi les partis ayant une chance d'avoir des députés ouvriers  élus, le parti communiste, les Insoumis, le Front national et les écologistes ont présenté 7 ou 8 candidats travailleurs. Les partis de centre-droit et le parti socialiste n'ont pas présenté de candidats ouvriers et les Marcheurs  un. Tous les candidats ouvriers, qui se présentaient dans les districts où leur parti respectif avait le moins de chances, ont été éliminés au premier ou au second tour et le résultat est qu'il n'y avait AUCUN député ouvrier dans le Parlement de 2017. Malgré le fait qu'ils constituent 20,5% de la population active de la France.

Les députés sont investis d’un mandat national. Bien qu’élus dans une circonscription, chacun représente la Nation toute entière.

Les circonscriptions dans le cadre desquelles se déroule l’élection de chaque député sont délimitées par le code électoral à l’intérieur de chaque département, en fonction de l’importance de la population. À l’heure actuelle, leur nombre varie ainsi selon les départements de 1 à 21.

La loi n° 2009-39 du 13 janvier 2009 a habilité le Gouvernement à procéder, par voie d’ordonnances, au redécoupage des circonscriptions, le précédent découpage électoral remontant à 1986.

Ce redécoupage électoral devrait respecter un certain nombre de règles énoncées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et rappelées dans la loi d’habilitation : ainsi, la délimitation des circonscriptions devait reposer sur des bases essentiellement démographiques ; des écarts de population entre les circonscriptions pouvaient être admis, s’ils étaient limités et justifiés par des impératifs d’intérêt général ; en aucun cas, la population d’une circonscription ne pouvait s’écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département.

Dans la pratique, ce n'est pas le cas [5], de sorte qu'il existe un décalage important entre l'expression de la volonté populaire et son reflet dans le nombre de sièges détenus par chaque parti politique. Certains partis ont un pourcentage de sièges supérieur au pourcentage de votes, d'autres un pourcentage inférieur. L'écart est parfois considérable.
Quant à la représentativité formelle des députés, on peut faire le calcul suivant : au second tour, seuls 43% des inscrits ont voté (il y eu un record historique d'abstentions : 57%). Les gagnants ont obtenu globalement environ 55% des voix. On peut donc dire que les députés représentent 25% du corps  électorale. En ce qui concerne la représentation parlementaire par parti, le système d'élection uninominal par district produit des résultats aberrants : En  Marche, de Macron, qui représente au mieux un tiers de l'électorat, disposait de 60% des députés. La plupart d'entre eux appartiennent au monde des affaires.

On peut donc dire que le taux de représentation des couches socio-économiques dans les parlements est inversé par rapport à la réalité sociale. En d'autres termes, les couches sociales les plus riches et les moins nombreuses sont surreprésentées et les plus modestes et les plus nombreuses sont sous-représentées.

Il existe donc, pour l'exercice de la fonction parlementaire, un processus de recrutement sélectif et de classe qui passe par les organes politiques (de droite comme de gauche) d'une part[6], et un décalage considérable entre l'expression de la volonté populaire par le vote et la composition de l'Assemblée nationale.

Dans la note  1 du Prologue nous écrivons Le gouvernement actuel de la France (2023) est prototypique de l'État dans le système capitaliste. Il cadre parfaitement avec les analyses faites par Lénine dans L'État et la Révolution. Il peut être très instructif de le prendre comme étude de cas pour vérifier les hypothèses formulées par Lénine.

Avec cette vision de l'État bourgeois, un mouvement ou un parti qui se considère comme révolutionnaire doit établir sa stratégie en combinant ses activités dans les institutions bourgeoises avec son travail parmi les masses populaires, en interagissant avec elles, en aidant à les organiser, en expliquant les événements du point de vue de l'antagonisme de classe, et ainsi de suite.

Au Parlement on présente ses propres idées et propositions, on démasque les pièges du Pouvoir, et on peut obtenir des résultats positifs partiels et temporaires. Pour cela, on doit respecter ses règles et ses "tempos". Cela exclut la tenue de "happenings" en son sein et l'utilisation de tactiques d'obstruction. Et, bien sûr, des succès partiels au Parlement sur des questions importantes ne peuvent être acquis qu'en combinant l'activité parlementaire avec la mobilisation des classes populaires.

Si les travailleurs ne veulent pas travailler jusqu’à l’épuisement ou partir avec une pension de misère, ils ne peuvent pas mettre leurs espoirs dans le Parlement mais doivent compter sur leur mobilisation et en particulier sur la grève. Macron n’est qu’un exécutant des exigences patronales. Si les travailleurs menaçaient la production, c’est-à-dire la machine à profits du grand patronat, ce dernier lui demanderait bien vite de remiser sa loi]. 

Comme tribune, le Parlement  sert à partager les expériences avec les masses populaires en leur expliquant les limites étroites du parlementarisme bourgeois, qui est organisé de telle sorte qu'une minorité de privilégiés tient en otage la majorité du peuple.

Certains citoyens semblent désormais s'apercevoir de cette réalité. Mais, la grande majorité d'entre eux continuent de penser qu'il n'existe pas de meilleur système politique auquel aspirer que celui qui prévaut dans les soi-disant démocraties occidentales. Ainsi, il ne fait pas partie de leurs projets de rechercher un changement qualitatif dans un système qui, surmontant le capitalisme, parvient à être réellement démocratique, fondé sur la justice sociale, et inspiré par la Commune de Paris.

Il ne va pas de soi que la mentalité des gens, façonnée par l'éducation à tous les niveaux, par les médias et par les idées des clases dominantes, va changer spontanément. C'est un processus long, semé d'embûches.

Jusqu'à ce que la majorité des travailleurs prennent conscience du fait qu'ils sont exploités, et de leur énorme pouvoir potentiel pour changer la société et construire une société véritablement humaine, fraternelle et solidaire.

 Ceux qui veulent vraiment contribuer à un tel changement doivent d'abord se dissocier complètement des idéologies et des cultures dominantes[7] et agir à la lumière des indications formulées par Gramsci :

Une classe qui parvient à diriger, et pas seulement à dominer, dans une société économiquement fondée sur l'exploitation de classe, et dans laquelle elle veut perpétuer cette exploitation, est obligée de recourir à des formes d'hégémonie qui dissimulent cette situation et mystifient cette exploitation : elle a donc besoin de formes d'hégémonie propres à susciter un consensus manipulé, un consensus d'alliés subalternes. Une relation d'alliance dans une société structurée sur l'exploitation de classe est impossible d'une autre manière.

La situation de la classe ouvrière dans la lutte pour sa propre hégémonie est différente. Alors que l'hégémonie bourgeoise, en essayant de concilier des intérêts opposés et contradictoires, est structurellement incapable de transparence, parce qu'elle doit masquer l'antagonisme des relations économiques et cacher en quelque sorte la réalité, le premier intérêt du prolétariat est précisément le dévoilement des tromperies idéologiques qui cachent la dialectique de la réalité. C'est justement le signe distinctif du marxisme comme philosophie de la praxis : le marxisme ne tend pas à résoudre pacifiquement les contradictions existant dans l'histoire ou dans la société, mais est la théorie même de ces contradictions ; il n'est pas l'instrument de gouvernement des groupes dominants pour parvenir à un consensus et exercer une hégémonie sur les classes subalternes : c'est l'expression de ces classes subalternes qui veulent s'éduquer à l'art du gouvernement et qui souhaitent connaître toute la vérité, même la vérité désagréable, et à éviter les tromperies de la classe supérieure et, a fortiori, d'elles-mêmes” (Gramsci, Cahiers de prison, 1320).

Ainsi, en pensant aux classes subalternes qui tentent de s'éduquer à l'art du gouvernement, Gramsci peut parler d'une relation d'hégémonie qui est aussi, nécessairement, "une relation pédagogique".

Il s'agit cependant d'une pratique pédagogique dans laquelle "le lien entre le maître et l'écolier est un lien actif, fait de relations réciproques et [dans lequel], par conséquent, chaque maître est toujours un écolier, et chaque écolier, un maître" (Gramsci, Cahiers...1331).  Une hégémonie sans tromperie est donc ce qui distingue l'hégémonie du prolétariat de l'hégémonie bourgeoise : c'est pourquoi Gramsci ne se lasse pas de souligner que " dans la politique de masse, dire la vérité est une nécessité politique " (Gramsci, Cahiers... 700). C'est évidemment le contraire du principe bien connu de la tradition bourgeoise, selon lequel la capacité de mentir est essentielle à l'art de la politique, "savoir dissimuler avec ruse ses véritables opinions et les véritables fins que l'on vise" (Cahiers... 699)"

DANS LE SYSTÈME CAPITALISTE  LES LÉGISLATIONS NATIONALES ET LES NORMES INTERNATIONALES SONT CONSTRUITES POUR PRÉSERVER LES PRIVILÈGES DES CLASSES POSSÉDANTES. Même si elles ont l'apparence de consacrer des droits - et des obligations - pour tous les êtres humains. Dans de nombreux cas, cela est formellement vrai. C'est parce qu'ils ont été adoptés à une époque où le rapport de force était en faveur des opprimés et des exploités. Mais, comme elles sont le résultat du système socio-économique existant, ces normes juridiques contiennent des lacunes et des dispositions qui servent à neutraliser les aspects favorables aux classes subordonnées. Et, si, malgré tout, la règle en vigueur affecte les intérêts des classes dominantes, l'État bourgeois la transgresse sans hésiter et impose l'arbitraire.

C'est ce qu'explique la juriste Katharina Pistor dans son ouvrage Le Code du capital. Comment la loi crée la richesse capitaliste et les inégalités.Edit. Seuil, 2023.

Pistor écrit dans un article :  Il n’est pas surprenant que le droit lui-même soit devenu le principal instrument de création de richesse . Si je peux demander à mon avocat d’augmenter ma richesse en transférant des comptes dans différentes juridictions, en créant de nouveaux actifs financiers ou en m’assurant que mon brevet sera prolongé une fois de plus en changeant quelques composés mineurs, pourquoi prendre la peine de produire beaucoup, voire quoi que ce soit ? (https://geopolitique.eu/auteurs/katharina-pistor/)

Katharina Pistor, nous explique la fabrique du capital. Elle raconte l'histoire de l'adaptation du droit pour instituer successivement le codage capitaliste de la terre, de l'entreprise, de la connaissance, de la dette, de la nature. Elle met au jour le rôle des « maîtres privés du code » – ces avocats et banquiers qui élaborent de fait le code public en inventant des contrats et des instruments qu'ils font ensuite valider par la loi. Ce droit conçu par et dans l’intérêt de riches acteurs privés induit à la fois l’accumulation de richesse, l’envol des inégalités et les crises à répétition. Mais, puisque que c'est la loi qui fait le pouvoir du capital, l’auteure peut esquisser la manière de concevoir un autre code qui remettrait le droit des entreprises, des marchés et de la finance au service de l'intérêt commun.

Lorsqu'une initiative populaire propose un projet de texte juridique ou de convention internationale inacceptable pour le système dominant, les ressources institutionnelles et humaines en symbiose avec le pouvoir économique sont mobilisées pour que le projet n'avance pas, stagne et soit finalement abandonné.(Voir : https://www.cetim.ch/les-democraties-liberales-contre-la-regulation-contraignante-des-societes-transnationales/).

 La nature des normes juridiques dans le système capitaliste ont déjà été expliquées par Marx :

Mes recherches aboutirent à ce résultat que les rapports juridiques – ainsi que les formes de l’État – ne peuvent être compris ni par eux-mêmes, ni par la prétendue évolution générale de l’esprit humain, mais qu’ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d’existence matérielles dont Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du XVIIIe siècle, comprend l’ensemble sous le nom de « société civile », et que l’anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l’économie politique . Marx poursuit en affirmant que, pour cette raison, les rapports de production constituent « la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées »( K. Marx, « Préface » (1859), in Contribution à la critique de l’économie politique). Comme il l’écrit dans L’idéologie allemande, « les rapports de production antérieurs des individus entre eux s’expriment nécessairement aussi sous forme de rapports politiques et juridiques».

 Dans la philosophie du droit et les sciences juridiques, les différentes écoles et tendances (positivistes, jusnaturalistes, normativistes, etc.) qui jouissent d'une reconnaissance académique et universitaire privilégiée concluent d'une manière ou d'une autre à la naturalisation (dans le sens d'une autonomie par rapport aux relations de production existantes) du droit moderne et de l'État de droit, en niant leur essence capitaliste, bourgeoise et coercitive et comme garants de la propriété privée des instruments et des moyens de production (tous sont égaux devant la loi, mais pas devant la propriété privée). L'arsenal juridique actuellement en vigueur, tel que la Déclaration universelle des droits de l'homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, les conventions et recommandations de l'OIT, entre autres, qui, bien qu'util, est insuffisant, et entravé ou stérilisé par de nombreux obstacles.

En théorie, la formulation du droit et son interprétation jurisprudentielle doivent respecter  les règles de la logique. "Si, dans l'effort de formuler des décisions qui ont une certaine proximité avec la réalité de la vie, la décision  judiciaire n'est pas lié aux lois de la logique, il est impossible de contrôler quand on s'écarte de la prescription légale" (Rupert Schreiber, Lógica del derecho, Editorial Sur, Buenos Aires, p. 9-Logik des Rechts. Springer. 1962).

Mais la réalité indique que les règles de la logique sont enfreintes en cas de conflit entre les intérêts dominants et les normes juridiques  ou son interprétation,

 Les normes juridiques, aussi sophistiquées soient-elles, ne peuvent pas être l'outil du changement social. Pourtant, nous pensons qu'elles peuvent contribuer à ce changement, en particulier dans le sens où elles peuvent aider à sensibiliser les personnes à leurs droits et les motiver à lutter pour les défendre. S'il faut garder à l'esprit que l'élaboration du droit est l'œuvre de l'État comme représentant des classes dominantes, le droit en vigueur n'est pas simplement le produit de la volonté des classes dominantes, mais reflète - pour schématiser - le rapport de force entre les classes sociales à un moment donné de l'histoire. Lorsque le rapport de force est plus favorable aux groupes subordonnés, des normes positives, sont sanctionnées. En revanche, lorsque le rapport de force est plus défavorable, il y a régression normative. Mais même dans ces circonstances, l'invocation de certaines normes juridiques pour sanctionner les membres de l'élite économique qui violent les droits de l'homme fondamentaux, a une valeur éducative et idéologique en mettant en évidence les mécanismes d'un système social injuste.

 Pour approfondir le sujet:

-Stefano Petrucciani, Geminello Preterossi et autres. DROIT PHILOSOPHIE Numéro 10- Marx et le droit. https://droitphilosophie.com/article/lecture/les-multiples-dimensions-de-la-critique-marxienne-du-droit-249

 -Umberto Cerroni, Marx y el Derecho moderno, Grijalbo, Mexico, 1975; Marx Et Le Droit Moderne In Archives De Philosophie Du Droit. 1967

  -Umberto Cerroni, Nicos Poulantzas, Ralph Miliband, Ljubomir Tadic, Marx, el Derecho y el Estado Editorial Oikos-Tau, 1979.

 NOTES

[1] Voir : Des élections en mal de démocratie ? Frédéric Thomas

  https://www.cetri.be/Des-elections-en-mal-de-democratie

 … “La démocratie est souvent réduite aux élections. Mais la croyance en l’efficacité de celles-ci décroit partout dans le monde, à mesure que croît la défiance envers la politique. Et la soif de démocratie effective.…Dans le discours politique et médiatique dominant, la démocratie est le plus souvent réduite aux élections. A priori, les pays où les gens votent seraient démocratiques. Mais, cette assertion butte sur un double paradoxe. Les élections sont devenues la norme , y compris au sein de régimes autoritaires, voire dictatoriaux. De plus, la confiance en celles-ci tend à diminuer, au nom même de l’attachement aux principes démocratiques qui, lui, demeure important.…Selon l’enquête 2021 de l’OCDE, moins de 40% des personnes interrogées font confiance en leurs gouvernements, parlements et partis politiques, …Les forces de gauche sont engagées dans une course contre la montre pour donner à la défiance et au ras-le-bol un sens émancipateur et les dégager de la sorte des tentations autoritaires. Cela implique de se défaire du fétichisme électoral en prenant la mesure de la soif de changement, en renouant avec la critique libertaire du système électoral et de la démocratie représentative et en ouvrant l’imaginaire politique aux expressions d’une démocratie (davantage) égalitaire et directe”.

 [2] De quel milieu social sont issus les députés ? Observatoire des inegalités, 2013. https://datan.fr/statistiques/deputes-origine-sociale

[3] Daniel Gaxie, Questionner la représentation politique. Université de Paris I, Centre Européen de Sociologie et Science, in Savoir/Agir. n° 31, mars 2015.

[4] Constanza Moreira, Entre la protesta y el compromiso. La gauche au gouvernement. Editorial Trilce, Uruguay. 2009. p. 117.

 [5] Législatives : les seuils de voix varient de 1 à 50 selon les circonscriptions pour se qualifier au second tour. Environ 18 000 voix seront nécessaires pour se maintenir dans la 3ᵉ circonscription de Vendée, mais seulement 634 à Saint-Pierre-et-Miquelon, et plus de 33 000 pour les Français d’Amérique du Nord (https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/06/27/legislatives-2024-les-seuils-de-voix-varient-de-1-a-50-selon-les-circonscri)

 [6] On peut donc dire que le taux de représentation des couches socio-économiques dans le Parlement est inversé par rapport à la réalité sociale. En d'autres termes, les couches sociales les plus riches et les moins nombreuses sont surreprésentées et les plus modestes et les plus nombreuses sont sous-représentées.

 [7] Voir Le monopole imposé des théories justifiant la dictature du grand capital

       https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/141022/le-monopole-impose-des-theories-justifiant-la-dictature-du-grand-capital

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