MAYOTTE, REVELATEUR DE L’ ABJECTION DU NEOCOLONIALISME
Alejandro Teitelbaum
Au plan géographique, Mayotte est un ensemble d'îles situé à l'est de l'archipel des Comores, au nord du canal du Mozambique et au nord-ouest de Madagascar dans l'océan Indien. Mayotte est constituée de deux îles principales, Grande-Terre et Petite-Terre, et de plusieurs autres petites îles dont Mtsamboro, Mbouzi et Bandrélé. A partir du 24 août 2023, Mamoudzou devient le chef-lieu officiel de la collectivité. Du fait de son statut de département et région d'outre-mer, Mayotte est également une région ultrapériphérique de l'Union européenne.
Le 25 avril 1841, sous le règne de Louis-Philippe Ier, le dernier sultan de Mayotte Andriantsoly, menacé par les royaumes voisins, vend son île au royaume de France en échange de sa protection. En 1848, l'île intègre la République française. En 1886, la France établit un protectorat sur le reste de l'archipel des Comores, composé de la Grande Comore, Mohéli et Anjouan qui se retrouvent placées sous la direction du gouverneur de Mayotte. Toutefois, à partir de 1958, l'administration du territoire quitte Mayotte pour Moroni (en Grande Comore), ce qui provoque le mécontentement des Mahorais, qui réclament la départementalisation.
En 1974, la France organise, sur l'ensemble de l'archipel des Comores, un référendum pour que l'ensemble des Comoriens décident d'une éventuelle indépendance de la totalité de l'archipel, mais les Mahorais ne votant qu'à 36,78 % pour l'indépendance, l'Etat français détache l'île du reste de l'archipel, en violation du droit international (Résolution 1514 de l'ONU). Un second référendum, non reconnu internationalement, est organisé par la France uniquement à Mayotte en 1976, qui confirme ce choix de la population. À la suite du référendum local de 2009, Mayotte devient département et région d'outre-mer (DROM). En 2014, Mayotte change également de statut au niveau européen, devenant une région ultrapériphérique, et fait depuis partie de l'Union européenne.
L'État Comorien revendique toujours la souveraineté sur Mayotte depuis son indépendance.
En 2022, Mayotte comptait 310 000 habitants selon le dernier recensement, contre 256 518 habitants en 2017 et 212 645 en 2012, répartis sur 376 km2, soit une densité de plus de 800 h/km2.
Ce jeune département, dont la population a quasiment augmenté de moitié en une décennie, doit faire face à des difficultés sociales de taille.
Selon un rapport de l'INSEE publié en 2018, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté , comparé à 14% pour la France métropolitaine.
La priorité pour la France est de transformer 40% des résidences principales, aujourd'hui des cases en tôle, en maisons de bois ou de briques séchées et raccorder les 29% de ménages mahorais qui n'ont pas l'eau courante. Améliorer toutes les infrastructures, ports et adductions d'eau. Et surtout aider TPE et PME pour aider les 66% des 15–64 ans chercheurs d'emploi à en trouver un. Rien a été fait.
Seuls un tiers des actifs ont un emploi. Le taux de pauvreté défini par ce même rapport est de 84%. En 2019, avec une croissance démographique de 3,8%, la moitié de la population avait moins de 17 ans. En outre, en raison de l'arrivée massive des migrants en kwassa kwassa, petits bateaux des passeurs, en provenance des Comores , chaque année, des milliers de personnes périssent en tentant de rallier les côtes de l'île décembre 2024, en dépit du danger de la mer, qui est réputée pour être particulièrement périlleuse. De ce fait, plus de 50% des résidents du département sont des Comoriens ou des étrangers.
En 1974, conformément au principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Paris organise un référendum sur l'indépendance des Comores. Mais la lecture qu'elle fera des résultats est particulière.
Le 96% des voix sont en faveur de l'indépendance. La majorité des 300.000 électeurs des Comores ont déposé un bulletin bleu à l'exception de ceux de Mayotte qui voulaient rester dans le cadre de la République française. Dans six mois, le Parlement français va se prononcer sur ce référendum, le temps de préparer les Comores à leur avenir.
Les quatre îles qui forment les Comores accéderont dans quelques mois à l’indépendance, refermant une parenthèse ouverte en 1841.
Tout aurait pu s’arrêter là. Mais pressé notamment par la marine française qui ne souhaite pas perdre ce point d’appui, Giscard décide de prendre en compte le résultat du référendum île par île. Or Mayotte, peuplée de Mahorais avait refusé l’indépendance.
Devant les atermoiements français, les Comores proclament leur indépendance le 6 juillet 1975. Trois jours plus tard, André Rossi porte-parole du gouvernement donne la position de la France.
Le gouvernement se déclare disposé à entamer avec les nouvelles autorités les pourparlers concernant les transferts de responsabilités. S'agissant de l'île de Mayotte, le gouvernement tiendra compte de la volonté ainsi manifestée.
En 1976, un nouveau référendum organisé par la France détache définitivement Mayotte des Comores.
LA SOUVERAINETE DE L’UNION DES COMORES SELON LES NATIONS UNIES
14 résolutions des Nations unies sur « la question de l’île comorienne de Mayotte » entre le 21 octobre 1976 et le 28 novembre 1994 réaffirmant la souveraineté de la République fédérale des Comores sur l’île de Mayotte
Décision n° 49/18 l’assemblée générale de l’ONU, 49ème assemblée pleinière, 28 novembre 1994
L’Assemblée générale,
Rappelant ses résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960, contenant la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, et 2621 (XXV) du 12 octobre 1970, contenant le programme d’action pour l’application intégrale de la Déclaration,
Rappelant également ses résolutions antérieures, en particulier les résolutions 3161 (XXVIII) du 14 décembre 1973, 3291 (XXIX) du 13 décembre 1974 , 31/4 du 21 octobre 1976, 32/7 du 1er novembre 1977, 34/69 du 6 décembre 1979, 35/43 du 28 novembre 1980, 36/105 du 10 décembre 198, 37/65 du 3 décembre 1982, 38/13 du 21 novembre 1983, 39/48 du 11 décembre 1984, 40/62 du 9 décembre 1985, 41/30 du 3 novembre 1986, 42/17 du 11 novembre 1987, 43/14 du 26 octobre 1988, 44/9 du 18 octobre 1989, 45/11 du 1er novembre 1990, 46/9 du 16 octobre 1991, 47/9 du 27 octobre 1992 et 48/56 du 13 décembre 1993, dans lesquelles elle a notamment affirmé l’unité et l’intégrité territoriale des Comores,
Rappelant, en particulier, sa résolution 3385 du 12 novembre 1975, relative à l’admission des Comores à l’Organisation des Nations Unies, dans laquelle elle a réaffirmé la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli,
Rappelant en outre que, conformément aux accords signés le 15 juin 1973 entre les Comores et la France, relatifs à l’accession des Comores à l’indépendance, les résultats du référendum du 22 décembre 1974 devaient être considérés sur une base globale et non île par île, Convaincue qu’une solution juste et durable de la question de Mayotte réside dans le respect de la souveraineté, de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores,
Convaincue également qu’une solution rapide du problème est indispensable pour la préservation de la paix et de la sécurité qui prévalent dans la région,
Ayant à l’esprit la volonté exprimée par le Président de la République française de rechercher activement une solution juste à ce problème, Prenant note de la volonté réitérée du Gouvernement comorien d’engager dans les meilleurs délais un dialogue franc et sérieux avec le Gouvernement français en vue d’accélérer le retour de l’île comorienne de Mayotte au sein de la République fédérale islamique des Comores,
Prenant acte du rapport du Secrétaire général, en date du 28 octobre 1994,
Ayant également à l’esprit les décisions de l’Organisation de l’unité africaine, du Mouvement des pays non alignés et de l’Organisation de la Conférence islamique sur cette question,
- Réaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte ;
- Invite le Gouvernement français à respecter les engagements pris à la veille du référendum d’autodétermination de l’archipel des Comores du 22 décembre 1974 pour le respect de l’unité et de l’intégrité territoriale des Comores ;
- Lance un appel pour que soit traduite dans les faits la volonté exprimée par le Président de la République française de rechercher activement une solution juste au problème de Mayotte ;
- Prie instamment le Gouvernement français d’accélérer le processus de négociation avec le Gouvernement comorien en vue de rendre rapidement effectif le retour de l’île de Mayotte dans l’ensemble comorien ;
- Prie le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de maintenir un contact permanent avec le Secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine sur ce problème et d’offrir ses bons offices dans la recherche d’une solution pacifique et négociée du problème ;
- Prie également le Secrétaire général de lui présenter un rapport à ce sujet à sa cinquantième session ;
- Décide d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de la cinquantième session la question intitulée « Question de l’île comorienne de Mayotte ».
Voir aussi la même année la résolution n° 49/151 du 23 décembre 1994 relative à l’importance, pour la garantie et l’observation effective des droits de l’homme, de la réalisation du droit des peuples à l’autodétermination et de l’octroi rapide de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
La République française a accaparé Mayotte par un coup de force non reconnue par les Nations unies. Migration de qui? des blancs de métropole ou des Comoriens chez eux ?
LE NECOLONIALISME, UN CRIME CONTRE L'HUMANITE*
En 1974 a été publié le Modèle mondial latino-américain, un rapport préparé par un groupe de sociologues et d'économistes latino-américains, avec une approche critique et différente du rapport préparé par Dennis Meadows pour le Club de Rome, qui avait été publié en 1972 sous le titre « The Limits to Growth » (Les limites de la croissance).
Se référant à ce dernier rapport, le Modèle mondial latino-américain affirme que la catastrophe écologique prévue dans d'autres modèles pour un avenir plus ou moins lointain est une réalité actuelle pour une grande partie de l'humanité[1].
En effet, la déforestation cause depuis longtemps des dégâts incalculables, les industries polluantes (souvent déplacées des pays développés vers les pays du tiers-monde) empoisonnent l'atmosphère, l'eau et la terre, et d'énormes quantités de déchets toxiques sont également exportées des pays industrialisés vers les pays moins avancés[2].
En Amérique centrale, par exemple, les zones forestières ont été réduites de 30 à 60 % de la superficie totale depuis 1960. On estime que 350 000 hectares de forêts disparaissent actuellement chaque année dans cette région, ce qui représente un taux de déforestation annuel de 1,5 %, l'un des plus élevés au monde, avec de graves conséquences écologiques, telles qu'une pénurie d'eau pour l'irrigation et la consommation des populations urbaines. Cette situation est la conséquence d'un processus dit de modernisation, d'une part, et de stratégies de survie, d'autre part. La modernisation a consisté en une exploitation forestière aveugle pour vendre du bois, en l'extension des pâturages pour produire de la viande destinée à l'exportation (la « connexion hamburger »), en la production de bananes, de café et de coton pour l'exportation, en l'exploitation minière, etc[3].
Les conséquences sociales ont été le déplacement des paysans pauvres et des populations indigènes de leurs terres, qui, occupant de nouvelles terres plus éloignées, pratiquent des stratégies de survie, coupant les arbres pour utiliser le bois comme combustible et aussi pour le vendre. Lorsque les paysans pauvres et les peuples indigènes veulent résister à la dépossession de leurs terres, la répression et les assassinats ne se font pas attendre. La Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement financent ces processus de « modernisation », dont le résultat est la concentration de la propriété foncière entre quelques mains, l'enrichissement des élites locales, y compris des chefs militaires, d'énormes profits pour les sociétés transnationales et l'appauvrissement et la dégradation des conditions de vie de larges secteurs de la population, dans un contexte de détérioration accélérée de l'environnement.
La situation en Afrique n'a pas été et n'est pas très différente : à première vue, les famines peuvent être attribuées aux conditions météorologiques et à la guerre, mais un examen plus approfondi révèle le rôle désastreux joué par la colonisation européenne, qui a défriché d'immenses étendues de forêts pour le bois et a encouragé les cultures d'exportation telles que le café, le cacao et les arachides, ces dernières étant particulièrement nocives pour l'humidité du sol. Les cultures de subsistance ont été marginalisées et les habitudes agricoles des populations africaines, telles que la culture itinérante, la rotation et la constitution de réserves, ont été modifiées, ce qui leur a permis d'éviter la famine pendant les périodes de sécheresse.
Le taux annuel de déforestation au Rwanda entre 1981 et 1985 était de 2,3 %, l'un des plus élevés au monde.
En Afrique en général, les forêts ont été déboisées pour fournir du bois exotique aux marchés des pays dits civilisés. Entre 1930 et 1970, on estime que 25 à 30 % des forêts tropicales africaines ont été détruites. Ce taux élevé de déforestation, qui a eu des conséquences écologiques catastrophiques (sécheresse et érosion), est dû en grande partie à la conversion des forêts en terres destinées aux cultures d'exportation, dans une tentative désespérée d'obtenir des devises étrangères pour assurer le service de la dette[4].
La situation n'est pas différente en Asie non plus, et le Népal, par exemple, dont les forêts contiennent du bois très précieux, a le triste privilège d'avoir le taux de déforestation le plus élevé au monde, soit 4 % par an[5].
La Banque mondiale exprime des préoccupations écologiques et finance la reforestation à l'aide d'eucalyptus, dont le rendement économique est élevé et rapide, mais qui assèche les terres, les rendant inutilisables pour l'agriculture de subsistance[6].
La grande inquiétude suscitée par la pollution atmosphérique et les effets prévisibles de effet de serre: changements climatiques majeurs, transformation de régions entières actuellement couvertes de végétation en déserts, élévation du niveau des océans, etc. ont conduit à la signature du protocole de Kyoto en 1997, par lequel les pays les plus industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions des principaux gaz à effet de serre dans un certain délai. Mais le protocole a introduit des clauses autorisant les principaux émetteurs de ces gaz à acheter le droit de polluer en finançant des projets de développement propres dans les pays pauvres et à obtenir crédits pour continuer à polluer en échange de la plantation de forêts, qui absorberaient les gaz polluants.
Le protocole de Kyoto, outre d'autres lacunes et omissions, admet alors la possibilité de transformer la pollution de l'environnement en marchandise.
Malgré cela, le protocole est préférable à l'absence de réglementation. Cependant, les négociations successives pour sa mise en œuvre ont échoué, en dernier lieu lors de la réunion de La Haye en novembre 2000, qui a vu s'opposer les États-Unis et leurs alliés (Canada, Japon et Australie) d'une part, et l'Union européenne d'autre part, c'est-à-dire les principaux responsables de la pollution atmosphérique mondiale.
Au-delà de la responsabilité particulière des Etats-Unis (premier émetteur de gaz polluants de la planète, en chiffres absolus et par habitant) dans l'échec des négociations, c'est le modèle économique dominant, centré sur le profit maximum d'une poignée de groupes économiques gigantesques, qui est en jeu, imposant le gaspillage et la consommation effrénée et irrationnelle d'une minorité de la population mondiale d'une part, et privant la majorité des habitants des biens les plus élémentaires d'autre part[7].
En attendant, les scientifiques prédisent de gigantesques catastrophes naturelles dans le siècle qui commence, si des mesures fondamentales ne sont pas prises rapidement pour réduire de manière significative la pollution de l'environnement.
Notes
[1] Un monde pour tous, Le modèle mondial Latino-Américain, Presses Universitaires de France, 1977.
[2] Voir le rapport du Rapporteur spécial, Mme Fatma Zohra Ouachi-Vesely, sur « Les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l'homme », présenté à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en mars 2000 (E/CN.4/2000/50) et les rapports des années précédentes sur le même sujet.
[3] Peter Utting, « The Social Origins and Impact of Deforestation in Central America », UNRISD, Discussion paper Nº 24, 1991.
[4] Solon Barraclough et Krishna Guimire, The social dynamics of deforestation in developing countries : Principal Issues and Research Priorities, Discussion paper Nº 16", UNRISD, 1990.
[5] Solon Barraclough et Krishna Ghimire, op. cit. p. 28.
[6] Vandana Shiva, The World Bank's Assault on the Environment, Multinational Monitor, avril 1990.
[7] Cette relation entre le modèle économique dominant et les problèmes environnementaux est bien décrite, avec de nombreuses données et une contribution spéciale de J. K. Galbraith (p. 42), dans le Rapport mondial sur le développement humain 1998 du PNUD.-----------------------------------------------
*Traduction française d’un fragment du livre La crisis actual del derecho al desarrollo. Alejandro Teitelbaum. Universidad de Deusto. Instituto de Derechos Humanos. Cuaderno nº 11 de Derechos Humanos. Bilbao, Año 2000.